Il est trop tôt pour renoncer à la diplomatie avec l'Iran
Il est trop tôt pour renoncer à la diplomatie avec l'Iran
The Middle East Could Still Explode
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Op-Ed / Middle East & North Africa 3 minutes

Il est trop tôt pour renoncer à la diplomatie avec l'Iran

A Istanbul, le 14 avril, les négociations entre experts iraniens et grandes puissances mondiales se sont conclues sans véritable progrès, si ce n'est la promesse d'une nouvelle rencontre. A Washington comme à Téhéran, les interprétations divergent. Les partisans d'une ligne dure dénoncent une diplomatie vaine, les modérés y voient une nouvelle opportunité manquée qui ne présage rien de bon. Le fossé entre les parties est tel, en raison de profonds malentendus et de différents objectifs, que les dernières négociations étaient vouées à l'échec. Pourtant, les perspectives de sortie de crise par le dialogue sont moins minces qu'il n'y parait. 

Le groupe 5+1 (le Conseil de sécurité de l'ONU et l'Allemagne), et l'Iran pensaient être en position de force en arrivant à la table des négociations. Pourtant, en se montrant enclin à reprendre le chemin de la diplomatie, chacun a envoyé ce qui a été perçu par l'autre comme un signe de faiblesse.

Si la rencontre initiale d'Istanbul s'est focalisée sur des formalités, celle de Bagdad, le 23 mai, a vu les parties échanger de véritables propositions, certes peu conciliantes. Le groupe 5+1 a émis une offre en trois volets : que l'Iran halte son enrichissement d'uranium à 20 %, qu'il exporte ses stocks d'uranium enrichi et qu'il ferme la centrale de Fordow. En retour, le groupe 5+1 s'abstiendrait d'imposer de nouvelles sanctions, ouvrirait l'accès restreint de l'Iran aux pièces détachées d'avions, fournirait le réacteur de recherche de Téhéran en énergie nucléaire, et favoriserait la coopération en matière de sécurité nucléaire. 

Une proposition que l'Iran a rejetée, exigeant une reconnaissance explicite de son droit à l'énergie nucléaire à des fins pacifiques, conformément au Traité de non-prolifération. Les négociateurs iraniens auraient également présenté une proposition comprenant, entre autres, une coopération accrue avec l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), la mise en œuvre de la fatwa contre l'acquisition d'armes nucléaires du guide suprême, ainsi qu'une coopération en matière de sécurité régionale, notamment sur la situation en Syrie et au Bahreïn. En retour, l'Iran obtiendrait la normalisation du dossier nucléaire et la levée des sanctions internationales. 

C'est au cours de leur troisième rencontre à Moscou que les négociateurs ont entamé un dialogue de fond. Bien qu'il n'ait pas abouti, celui-ci a suivi la logique de la négociation, évoluant vers une meilleure compréhension de l'autre sans attentes irréalistes. Téhéran sait qu'il ne pourra pas échapper aux sanctions en ne prenant que quelques mesures superficielles, et Washington et Bruxelles ont conscience qu'en dépit de leurs effets, les sanctions ne forceront pas l'Iran à accepter un compromis. 

Ce pragmatisme semble expliquer la décision de poursuivre les discussions à un niveau inférieur. Les réunions à haut niveau, énièmes tentatives de gagner du temps, avaient en effet peu de chance de réussir, tant les divergences alimentent le jusqu'au-boutisme. A l'inverse, les réunions abordant des sujets techniques peuvent avoir lieu dans une atmosphère moins chargée, loin des polémiques politiques. 

Si le dossier nucléaire iranien est un sujet éminemment politique, la coopération à ce niveau est quasi inexistante, alors qu'un progrès réel est possible dans le domaine technique. Les deux parties semblent prêtes à trouver un compromis pour arrêter l'enrichissement d'uranium à 20 %, niveau dangereusement proche de l'usage militaire. L'Iran devrait accepter de suspendre ses activités d'enrichissement à ce niveau et de convertir ses stocks d'uranium enrichi à 20 % pour fabriquer du combustible nucléaire, moins risqué en matière de prolifération. En retour, le groupe 5+1 devrait lui fournir des isotopes médicaux pour le traitement du cancer et pour permettre des avancées technologiques dans la fabrication de combustibles. Cet accord technique pourrait répondre aux exigences de l'Iran en matière nucléaire en rassurant le groupe 5+1 quant aux risques de prolifération. 

Cet accord, extrêmement technique, ne résoudra pas la crise, mais il pourrait fournir le temps et le recul nécessaire pour évoquer des sujets plus sensibles, comme le gel des nouvelles centrifugeuses de Fordow et la suppression ou l'allègement des sanctions. 

Pour qu'elles aboutissent, ces négociations techniques devront répondre à plusieurs considérations. Premièrement, les discussions devront être continues, se tenir à l'écart des médias, et être suivies par un dialogue entre experts politiques et députés. Deuxièmement, les représentants devront garder à l'esprit que rien n'est pire que l'immobilisme, particulièrement compte tenu des contraintes nationales à Téhéran et à Washington et de l'impatience d'Israël. Comme l'a dit Henry Kissinger, les négociateurs devront s'assurer que les affaires urgentes n'éclipsent pas les questions importantes. 

Enfin, avec l'embargo sur le pétrole et les sanctions contre la banque centrale iranienne, le risque d'une dangereuse escalade n'est pas si lointain. Si un accord, même limité, n'est pas atteint cet été, l'Iran pourrait se radicaliser davantage, ce qui aggraverait les tensions et réduirait les chances de trouver un accord. 

Plutôt que de camper sur leurs positions, l'Iran et le groupe 5+1 devraient accueillir positivement les négociations en matière technique et tenter de trouver un accord partiel. Des progrès dans ce domaine et la perspective d'une poursuite du dialogue ouvriront la voie à une solution plus complète, qui ne cesse d'échapper aux protagonistes depuis 2003.
 

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