Report / Middle East & North Africa 5 minutes

Après Baker-Hamilton : comment agir en Irak

Lentement, progressivement, les décideurs politiques américains ont fini par réaliser qu’il leur fallait adopter une nouvelle stratégie en Irak.

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Synthèse

Lentement, progressivement, les décideurs politiques américains ont fini par réaliser qu’il leur fallait adopter une nouvelle stratégie en Irak. Il était temps. Le rapport Baker-Hamilton, qui souligne le bilan désastreux de l’intervention américaine sur les plans politique, économique et sécuritaire et insiste sur le besoin d’une nouvelle stratégie aussi bien en Irak que dans la région, apporte un nouveau souffle au débat national. Plusieurs de ses principales recommandations (qui sont controversées), par exemple l’ouverture d’un dialogue avec la Syrie et l’Iran, la relance du processus de paix israélo-arabe, la réintégration des baasistes, le recours à une amnistie générale, un report du référendum sur Kirkouk, la négociation du retrait des forces américaines ou un dialogue avec toutes les parties concernées en Irak, mériteraient de recevoir un soutien solide,.

Mais les changements préconisés par le rapport ne sont pas assez radicaux et ses recommandations ne correspondent pas au diagnostic qu’il établit. Il est aujourd’hui nécessaire de rompre franchement avec la façon dont les États-Unis et les autres acteurs internationaux négocient avec le gouvernement irakien et avec la façon dont les américains se comportent dans la région dans son ensemble : il faut donc essentiellement un nouvel effort multinational pour arriver à un nouvel accord politique entre tous les acteurs irakiens concernés.

La nouvelle approche doit se fonder sur une évaluation honnête de la situation. Coquille vide mortellement affaiblie, l’État irakien est aujourd’hui en proie aux milices armées, aux forces sectaires et à une classe politique qui, en plaçant les avantages personnels à court terme avant les intérêts nationaux à long terme, se rend complice de la tragique destruction de l’Irak. Comme les groupes qu’elles combattent, les forces qui dominent l’actuel gouvernement tirent profit des politiques identitaires, de la polarisation communautaire et d’un cycle de violence/contre-violence qui va s’intensifiant. De plus en plus indifférents aux intérêts du pays, les dirigeants politiques s’apparentent de plus en plus à des seigneurs de la guerre. Ce qui fait cruellement défaut à l’Irak, ce sont des dirigeants nationaux.

Alors qu’il entre dans sa cinquième année, le conflit irakien attire dans son orbite des interférences régionales plus profondes et devient une source d’instabilité régionale. Au lieu de travailler ensemble vers une solution qui pourrait convenir à tous (un Irak faible mais uni qui ne soit pas une menace pour ses voisins), les acteurs régionaux prennent des mesures en anticipation de la solution qu’ils redoutent le plus : la descente de l’Irak dans le chaos total et sa fragmentation. En accroissant leur soutien à certains acteurs irakiens contre d’autres, leurs actions semblent s’inspirer d’une prophétie auto-réalisatrice : elles ne sont que les étapes successives qui précipiteront précisément ce qu’elles sont censées éviter.

Il s’ensuit deux conséquences. La première est que, contrairement à ce que suggère le rapport Baker-Hamilton, les forces de sécurité et le gouvernement irakiens ne peuvent être traités comme les alliés privilégiés qu’il faut renforcer ; ils ne sont qu’une partie au conflit parmi d’autres. Selon le rapport, le gouvernement irakien est un “gouvernement d’unité nationale” qui est “largement représentatif du peuple irakien” : il n’est rien de cela. Le rapport appelle aussi à un élargissement des forces qui sont en fait complices de l’actuelle “sale guerre” et à une accélération du transfert de compétences à un gouvernement qui n’a rien fait pour l’empêcher. La seule conclusion logique à tirer de l’analyse lucide établie par le rapport Baker-Hamilton est que le gouvernement n’est pas un partenaire dans un effort qui vise à enrayer la violence et que le renforcer ne contribuera pas non plus à la stabilité de l’Irak. Il ne s’agit pas d’un défi militaire dans lequel l’une des parties doit être renforcée et l’autre défaite. Il s’agit d’un défi politique pour lequel il faut trouver de nouveaux accords consensuels. Il ne suffira pas de changer le Premier ministre ou de remanier le gouvernement, comme certains semblent l’envisager à Washington, mais de repenser entièrement la structure de pouvoir qui avait été établie depuis l’invasion de 2003 et de modifier l’environnement politique qui détermine les actions gouvernementales.

La deuxième conséquence est qu’il faudra plus que de simples discussions avec les voisins de l’Irak pour obtenir leur coopération. Il faudra les persuader que leurs intérêts et ceux des États-Unis ne sont pas nécessairement opposés. Il faudra attirer tous les acteurs irakiens qui, d’une façon ou d’une autre, participent à la violence fratricide à la table des négociations et les encourager à accepter les compromis nécessaires. Ceci ne sera pas possible sans un effort concerté de tous les voisins de l’Irak, ce qui à son tour ne sera pas possible s’ils ne retrouvent pas leurs intérêts dans le résultat final.  Tant que le paradigme de l’administration Bush s’accrochera au changement de régime, à la refonte forcée du Moyen-Orient et à une lutte stratégique contre un axe du mal Syrie-Iran-Hezbollah-Hamas, ni Damas ni Téhéran ne seront disposées à offrir une véritable assistance. Bien que la Syrie et l’Iran redoutent peut-être les conséquences d’une guerre civile en Irak, ils craignent plus encore les ambitions américaines dans la région. Dans les circonstances actuelles, ni l’un ni l’autre ne sera prêt à sauver l’Irak si cela revient à sauver les États-Unis.

En bref, la seule possibilité de connaître le succès en Irak, pour autant que ce soit encore possible aujourd’hui, implique de passer par trois étapes ambitieuses et étroitement liées :

Une nouvelle approche multilatérale énergique qui exerce une véritable pression sur tous les acteurs irakiens : Le rapport Baker-Hamilton a raison de préconiser la création d’un Groupe de soutien international ; celui-ci devrait se composer des cinq membres permanents du Conseil de sécurité et des six voisins de l’Irak. Mais son objectif ne peut être d’apporter un soutien au gouvernement irakien. Il doit apporter un soutien à l’Irak, ce qui implique de faire pression sur le gouvernement ainsi que sur d’autres acteurs irakiens pour qu’ils prennent les compromis nécessaires. Cela implique également de convenir de certaines règles de conduite et du niveau de participation de tierces parties en Irak. Une conférence internationale ne suffira pas ; il faudra entretenir un processus diplomatique à plus long terme.

Une conférence de tous les acteurs irakiens et internationaux concernés pour forger un nouvel accord politique : Tous les acteurs concernés, y compris les milices et les groupes d’insurgés, devraient s’entendre pour adopter un nouvel accord national plus inclusif et plus équitable, qui porterait sur des thèmes comme le fédéralisme, l’allocation des ressources, la débaasification, l’étendue de l’amnistie et un calendrier pour le retrait des États-Unis. Ceci ne pourra se faire que si le Groupe de soutien international les invite tous à la table des négociations et si ses membres guident les délibérations, en utilisant un savant mélange de pression et d’encouragements auprès de ceux sur qui ils ont un certain pouvoir d’influence.

Une nouvelle stratégie américaine dans la région, qui inclue notamment d’ouvrir un dialogue avec la Syrie et l’Iran, de mettre fin aux efforts faits pour changer le régime, de relancer le processus de paix israélo-arabe et de nouveaux objectifs stratégiques : Un simple dialogue de politesse avec les voisins de l’Irak ne suffira pas ; il faudra plutôt procéder à une redéfinition claire des objectifs de Washington dans la région pour obtenir une aide régionale et, en particulier, celle de l’Iran et de la Syrie. Le but n’est pas de marchander avec eux mais de trouver un accord sur une solution pour l’Irak et la région qui n’ait peut-être pas la préférence de chacun mais qui convienne à tous.

Il n’y a pas de solution miracle pour l’Irak. Mais on ne peut pas non plus se contenter d’improviser des solutions sans aucune organisation. Le choix qui se pose aujourd’hui ne pourrait pas être plus clair. Une approche qui ne prévoie pas une rupture claire en Irak et dans la région ne pourrait au mieux que retarder ce qui ressemble de plus en plus au scénario le plus probable : l’éclatement de l’Irak en un État défaillant et fragmenté, une guerre civile durable et intensifiée et une ingérence étrangère plus poussée qui risquerait de se transformer en une guerre généralisée par procuration. Une telle situation ne pourrait être contenue à l’intérieur des frontières de l’Irak. Étant donné l’implication d’une multiplication d’acteurs étatiques et non-étatiques et qu’un sectarisme croissant en Irak alimente le sectarisme dans la région autant qu’il s’en nourrit, il est fort probable qu’il en résultera une conflagration régionale. Il existe de nombreuses raisons de s’interroger sur la capacité de l’administration Bush à opérer un changement d’attitude aussi spectaculaire et sur ce qui se passera si elle ne le fait pas.

Bagdad/Amman/Damas/Bruxelles, 19 décembre 2006

Executive Summary

Slowly, incrementally, the realisation that a new strategy is needed for Iraq finally is dawning on U.S. policy-makers. It was about time. By underscoring the U.S. intervention’s disastrous political, security, and economic balance sheet, and by highlighting the need for both a new regional and Iraqi strategy, the Baker-Hamilton report represents an important and refreshing moment in the country’s domestic debate. Many of its key – and controversial – recommendations should be wholly supported, including engaging Iran and Syria, revitalising the Arab-Israeli peace process, reintegrating Baathists, instituting a far-reaching amnesty, delaying the Kirkuk referendum, negotiating the withdrawal of U.S. forces with Iraqis and engaging all parties in Iraq.

But the change the report advocates is not nearly radical enough, and its prescriptions are no match for its diagnosis. What is needed today is a clean break both in the way the U.S. and other international actors deal with the Iraqi government, and in the way the U.S. deals with the region: in essence, a new multinational effort to achieve a new political compact between all relevant Iraqi constituents.

A new course of action must begin with an honest assessment of where things stand. Hollowed out and fatally weakened, the Iraqi state today is prey to armed militias, sectarian forces and a political class that, by putting short term personal benefit ahead of long term national interests, is complicit in Iraq’s tragic destruction. Not unlike the groups they combat, the forces that dominate the current government thrive on identity politics, communal polarisation, and a cycle of intensifying violence and counter-violence. Increasingly indifferent to the country’s interests, political leaders gradually are becoming warlords. What Iraq desperately needs are national leaders.

As it approaches its fifth year, the conflict also has become both a magnet for deeper regional interference and a source of greater regional instability. Instead of working together toward an outcome they all could live with – a weak but united Iraq that does not present a threat to its neighbours – regional actors are taking measures in anticipation of the outcome they most fear: Iraq’s descent into all-out chaos and fragmentation. By increasing support for some Iraqi actors against others, their actions have all the wisdom of a self-fulfilling prophecy: steps that will accelerate the very process they claim to wish to avoid.

Two consequences follow. The first is that, contrary to the Baker-Hamilton report’s suggestion, the Iraqi government and security forces cannot be treated as privileged allies to be bolstered; they are simply one among many parties to the conflict. The report characterises the government as a “government of national unity” that is “broadly representative of the Iraqi people”: it is nothing of the sort. It also calls for expanding forces that are complicit in the current dirty war and for speeding up the transfer of responsibility to a government that has done nothing to stop it. The only logical conclusion from the report’s own lucid analysis is that the government is not a partner in an effort to stem the violence, nor will strengthening it contribute to Iraq’s stability. This is not a military challenge in which one side needs to be strengthened and another defeated. It is a political challenge in which new consensual understandings need to be reached. The solution is not to change the prime minister or cabinet composition, as some in Washington appear to be contemplating, but to address the entire power structure that was established since the 2003 invasion, and to alter the political environment that determines the cabinet’s actions.

The second is that it will take more than talking to Iraq’s neighbours to obtain their cooperation. It will take persuading them that their interests and those of the U.S. no longer are fundamentally at odds. All Iraqi actors who, in one way or another, are participating in the country’s internecine violence must be brought to the negotiating table and must be pressured to accept the necessary compromises. That cannot be done without a concerted effort by all Iraq’s neighbours, which in turn cannot be done if their interests are not reflected in the final outcome. For as long as the Bush administration’s paradigm remains fixated around regime change, forcibly remodelling the Middle East, or waging a strategic struggle against an alleged axis composed of Iran, Syria, Hizbollah and Hamas, neither Damascus nor Tehran will be willing to offer genuine assistance. Though they may indeed fear the consequences of a full-blown Iraqi civil war, both fear it less than they do U.S. regional ambitions. Under present circumstances, neither will be prepared to save Iraq if it also means rescuing the U.S.

In short, success in Iraq, if it still can be achieved at this late date, will require three ambitious and interrelated steps:

A new forceful multilateral approach that puts real pressure on all Iraqi parties: The Baker-Hamilton report is right to advocate creation of a broad International Support Group; it should comprise the five permanent Security Council members and Iraq’s six neighbours. But its purpose cannot be to support the Iraqi government. It must support Iraq, which means pressing the government, along with all other Iraqi constituents, to make the necessary compromises. It also means agreeing on rules of conduct and red-lines regarding third party involvement in Iraq. This does not entail a one-off conference, but sustained multilateral diplomacy.

A conference of all Iraqi and international stakeholders to forge a new political compact: A new, more equitable and inclusive national compact needs to be agreed upon by all relevant actors, including militias and insurgent groups, on issues such as federalism, resource allocation, de-Baathification, the scope of the amnesty, and the timetable for a U.S. withdrawal. This can only be done if the International Support Group brings all of them to the negotiating table, and if its members steer their deliberations, deploying a mixture of carrots and sticks to influence those on whom they have particular leverage.

A new U.S. regional strategy, including engagement with Syria and Iran, an end to efforts at regime change, revitalisation of the Arab-Israeli peace process, and altered strategic goals: Polite engagement of Iraq’s neighbours will not do; rather, a clear redefinition of Washington’s objectives in the region will be required to enlist regional, but especially Iranian and Syrian help. The goal is not to bargain with them, but to seek agreement on an end-state for Iraq and the region that is no one’s first choice, but with which everyone can live.

There is no magical solution for Iraq. But nor can there be a muddle-through. The choice today could not be clearer. An approach that does not entail a clean break vis-à-vis both Iraq and the region at best will postpone what, increasingly, is looking like the most probable scenario: Iraq’s collapse into a failed and fragmented state, an intensifying and long-lasting civil war, as well as increased foreign meddling that risks metastasising into a broad proxy war. Such a situation could not be contained within Iraq’s borders. With involvement by a multiplicity of state and non-state actors and given that rising sectarianism in Iraq is both fuelled by and fuels sectarianism in the region, the more likely outcome would be a regional conflagration. There is abundant reason to question whether the Bush administration is capable of such a dramatic course change. But there is no reason to question why it ought to change direction, and what will happen if it does not.

Baghdad/Amman/Damascus/Brussels, 19 December 2006

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