Report / Middle East & North Africa 3 minutes

Égypte : la question du Sinaï

Après sept ans d’absence, le terrorisme a fait son retour en Égypte en 2004 avec une série d’attaques et l’émergence d’un mouvement jusqu’alors inconnu dans le Sinaï.

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Synthèse

Après sept ans d’absence, le terrorisme a fait son retour en Égypte en 2004 avec une série d’attaques et l’émergence d’un mouvement jusqu’alors inconnu dans le Sinaï. La réaction du gouvernement s’est essentiellement limitée à la sphère sécuritaire : traquer et éliminer les terroristes. Les ONG égyptiennes et internationales ont dénoncé les violations des droits de l’Homme qui ont été nombreuses au cours des procédures policières. Les médias se sont quant à eux demandé si Al-Qaeda était derrière ces attaques. La réponse de l’État, tout comme le débat public, n’est pas allé au fond des choses et a ignoré les problèmes socio-économiques, politiques et culturels au cœur des troubles qui ont secoué le Sinaï. L’émergence d’un mouvement terroriste là où il n’en existait pas auparavant est symptomatique de tensions et conflits majeurs dans le Sinaï et, par-dessus tout, de la relation problématique de sa population avec l’État-nation égyptien. Si l’on ne s’attaque pas de façon efficace à ces causes, il est permis de penser que de nouveaux actes terroristes puissent se reproduire.

Le Sinaï est depuis longtemps une région à part, dont l’identité est loin d’être complètement assurée. Occupé par Israël de 1967 à 1982, la région est depuis le traité de paix de 1979 placée sous un régime de sécurité spécial qui réduit considérablement la liberté d’action militaire de l’Égypte. De par sa situation géopolitique (la frontière orientale du Sinaï s’étend le long de la bande de Gaza et d’Israël), le Sinaï représente une importance stratégique tant aux yeux de l’Égypte que d’Israël et se trouve affecté par l’évolution du conflit israélo-palestinien.

La population du Sinaï, d’environ 360 000 personnes (300 000 dans le nord et 60 000 dans le sud), est différente du reste de la population égyptienne. Une minorité est d’origine palestinienne même si ses membres sont souvent nés en Égypte ; les autres, qu’on appelle “Bédouins”, sont originaires de la péninsule où ils se sont établis depuis longtemps. La minorité d’origine palestinienne est très attachée à son identité et aux liens qu’elle entretient avec les populations de Gaza et de la Cisjordanie. Les Bédouins (la plupart sont sédentarisés et les nomades sont aujourd’hui marginaux) possèdent également une identité distincte. Pleinement conscients de leurs origines historiques qui remontent pour certains jusqu’à la péninsule arabique et de leur appartenance à des tribus dont les territoires s’étendent en Israël, en Palestine et en Jordanie, ils sont, comme les Palestiniens, naturellement tournés vers l’est plutôt que vers le reste de l’Égypte. Ni les Palestiniens ni les bédouins ne partagent l’héritage pharaonique des populations musulmanes et chrétiennes de la vallée du Nil.

Ces différences identitaires se sont renforcées sous l’impulsion de programmes de développement socio-économique engagés par les autorités égyptiennes depuis 1982. Le gouvernement n’a pas cherché à intégrer les populations du Sinaï à la nation par un programme qui répondrait à leurs besoins sur le long terme et auquel ils participeraient de façon active. Il a plutôt incité l’installation de migrants originaires de la vallée du Nil, tout en maintenant à l’égard des populations locales des pratiques de discrimination en matière d’emploi et de logement dans le nord ainsi que, dans le sud, dans le rapide développement des enclaves touristiques (destinées à la clientèle internationale et égyptienne). Les populations locales n’ont que marginalement bénéficié de ces mesures de développement qui ont souvent été appliquées à leurs dépens (notamment en matière d’accès à la terre), ce qui a pu faire naître chez certains un profond ressentiment. D’autre part, le gouvernement n’a guère encouragé les résidents du Sinaï à participer à la vie politique nationale, appliquant de préférence dans les administrations locales le principe “diviser pour régner” et mettant en valeur l’héritage pharaonique national plutôt que les cultures bédouines du Sinaï.

Ainsi, derrière le problème du terrorisme s’inscrit une “question du Sinaï” plus profonde que la classe politique doit considérer. Ce ne sera pas chose facile. Cette question s’enracine dans les crises du Moyen-Orient et une réponse définitive est conditionnée à la résolution du conflit israélo-palestinien. Celle-ci implique aussi l’intégration totale et la participation des populations du Sinaï à la vie politique nationale, ce qui signifie qu’elle dépend également et plus largement du processus de réformes politiques du pays ; un processus qui semble loin d’être achevé.

S’il paraît difficile d’apporter dans un futur immédiat une solution globale à l’instabilité que connaît le Sinaï, le gouvernement peut néanmoins et doit modifier sa stratégie de développement. Celle-ci demeure encore profondément discriminatoire et ne permet pas de satisfaire aux besoins des populations locales. Un plan de développement qui serait financé de manière appropriée et établi en consultation avec des représentants locaux crédibles, qui bénéficierait à toutes les populations et qui répondrait à leurs revendications pourrait modifier et apaiser les relations entre l’Etat et les populations du Sinaï.

Le Caire/Bruxelles, 30 janvier 2007

Executive Summary

Terrorism returned to Egypt in 2004 after an absence of seven years with successive attacks and the emergence of a heretofore unknown movement in Sinai. The government’s reaction essentially has been confined to the security sphere: tracking down and eliminating the terrorists. Egyptian and international NGOs have focused on the human rights violations which have been prominent in police procedures. The media have been preoccupied with whether al-Qaeda was responsible. Both the state’s response and wider public discussion have been confined to the surface of events and have ignored the socio-economic, cultural and political problems which are at the heart of Sinai’s disquiet. The emergence of a terrorist movement where none previously existed is symptomatic of major tensions and conflicts in Sinai and, above all, of its problematic relationship to the Egyptian nation-state. Unless these factors are addressed effectively, there is no reason to assume the terrorist movement can be eliminated.

Sinai has long been, at best, a semi-detached region, its Egyptian identity far from wholly assured. Under Israeli occupation from 1967 to 1982, it has remained under a special security regime mandated by the 1979 peace treaty, which significantly qualifies Egypt’s freedom of military action. Its geo-political situation – it comprises the whole of Egypt’s frontier with Israel and with the Palestinian enclave of Gaza – makes it of enormous strategic significance to both Egypt and Israel and sensitive to developments in the Israeli-Palestinian conflict.

The population of approximately 360,000 – some 300,000 in the north, 60,000 in the south – is different from the rest of the country. A substantial minority is of Palestinian extraction, even if often Egyptian-born; the rest, labelled “Bedouin”, are longstanding natives of the peninsula. The Palestinian element is extremely conscious of its identity and ties to the populations of Gaza and the West Bank. The Bedouin (only a small minority are still tent-dwelling nomads) also possess a distinct identity. Very aware of their historic origins in Arabia and belonging to tribes which often have extensive branches in Israel, Palestine and Jordan, they, like the Palestinians, are naturally oriented eastward rather than toward the rest of Egypt. Neither Palestinians nor Bedouins have any share or interest in the Pharaonic heritage common to the populations (Muslim and Christian) of the Nile Valley.

These identity differences have been aggravated by socio-economic development promoted by the authorities since 1982. The government has not sought to integrate Sinai’s populations into the nation through a far-sighted program responding to their needs and mobilising their active involvement. Instead, it has promoted the settlement of Nile Valley migrants, whom it has systematically favoured, while discriminating against the local populations in jobs and housing in the north and in the rapid development of tourist enclaves (for Egyptians as well as internationals) in the south. These developments have offered scant opportunities to locals and often have been at their expense (notably with regard to land rights), provoking deep resentment. The government has done little or nothing to encourage participation of Sinai residents in national political life, used divide and rule tactics in orchestrating the meagre local representation allowed, and promoted the Pharaonic heritage at the expense of Sinai’s Bedouin traditions.

Thus, beneath the terrorism problem is a more serious and enduring “Sinai question” which the political class has yet to address. Doing so will not be easy. Since this question is partly rooted in wider Middle East crises, above all the Israeli-Palestinian conflict, a definitive solution depends on their resolution. But the solution also requires the full integration and participation of Sinai’s populations in national political life, which means it is also dependent on significant political reforms in the country as a whole, which are not at present on the horizon.

While a comprehensive solution of the Sinai question cannot be expected soon, the government can and should alter a development strategy that is deeply discriminatory and largely ineffective at meeting local needs. A new, properly funded plan, produced in consultation with credible local representatives and involving all elements of the population in implementation, could transform attitudes to the state by addressing Sinai’s grievances.

Cairo/Brussels, 30 January 2007

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