French President Emmanuel Macron (C) walks with French Foreign Affairs Minister Jean-Yves Le Drian (2nd L), Libyan Prime Minister Fayez al-Sarraj (R) and General Khalifa Haftar (L), commander in the Libyan National Army (LNA), arrive for summit. PHILIPPE WOJAZER / POOL / AFP
Briefing / Middle East & North Africa 12 minutes

Mettre à profit le sommet de Paris sur la Libye

Les quatre principaux dirigeants libyens sont réunis à Paris le 29 mai pour signer une feuille de route vers la paix, qui prévoit des élections en 2018 avec un soutien international unanime. Pour éviter de fragiliser le processus de paix en cours sous l’égide de l’ONU, les parties devraient plutôt se mettre d’accord sur une déclaration de principes.

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Que se passe-t-il ? Le 29 mai, la France accueille un sommet sur la Libye, réunissant les quatre principaux dirigeants du pays pour surmonter leurs rivalités, et signer un accord sur une feuille de route pour de nouvelles élections en 2018. L’objectif  de cette initiative est d’unir les acteurs internationaux autour dune feuille de route unique et de faire en sorte que les dirigeants libyens y adhèrent.

En quoi est-ce significatif ? S’il est réussi, le sommet pourrait être le signe que les protagonistes sont prêts à faire des compromis et donner un nouvel élan à un processus de paix vacillant. Mais le format de la rencontre, tout comme l’accord négocié par la France,  ont suscité une importante controverse en Libye et à l’étranger.

Comment agir ? La France doit réviser le projet d’accord et envisager de le présenter comme une déclaration de principes sur les mesures politiques, sécuritaires et économiques indispensables, sans forcément contraindre les quatre dirigeants à la signer. Cela éviterait de susciter du ressentiment parmi les forces non représentées à Paris et de fragiliser le processus de paix en cours sous l’égide de l’ONU.

Synthèse

La décision de la France de réunir les principaux responsables politiques et militaires libyens le 29 mai est à la fois audacieuse et risquée. Si Paris réussissait, ce serait sans précédent ; cela témoignerait aussi de la volonté des protagonistes à faire des compromis. Mais le projet d’accord qui circule jusqu’à présent est problématique. S’il n’était pas modifié de façon appropriée, il pourrait compromettre par inadvertance les efforts en cours qui, sous l’impulsion de l’ONU, visent à bâtir un consensus en faveur de la paix. Parvenir à un accord pourrait susciter un bref moment d’enthousiasme, mais il risquerait de vite laisser place aux récriminations si les signataires – face à l’opposition de certains alliés une fois de retour en Libye – ne tenaient pas parole. Les Français devraient éviter d’imposer un cadre trop rigide, et envisager de ne pas chercher à obtenir un accord signé pour le moment. Ils pourraient plutôt mettre à profit l’évènement pour pousser les dirigeants libyens au compromis et à plus de convergence au sein de la communauté internationale, à l’heure actuelle divisée, grâce à une déclaration de principes plus générale sur des mesures politiques, sécuritaires et économiques à même de stabiliser et de favoriser l’unité de ce pays fragmenté.

Le sommet de Paris

Le 29 mai, la France doit accueillir à Paris un sommet réunissant les quatre principaux responsables libyens pour surmonter leurs rivalités et adopter une feuille de route à même de relancer le processus de paix, actuellement au point mort. Elle devra être approuvée par les principaux acteurs extérieurs, en particulier l’ONU. Le projet d’accord, tel que soumis aux partenaires internationaux quelques jours avant la rencontre, appelle la Libye à organiser des élections avant la fin de l’année 2018, à soutenir l’adoption d’un cadre constitutionnel, à unifier les forces armées via le dialogue sécuritaire mené actuellement par l’Egypte, ainsi que les institutions financières.[fn]Document intitulé « Projet d’accord conférence Libye », version 7, 22 mai 2018, que la France a fait circuler aux Etats étrangers invités. Ce document, qui comprend treize points, a été divulgué aux médias libyens et étrangers et largement débattu en Libye. Une copie du projet d’accord est disponible sur le site internet du quotidien italien La Repubblica, https://bit.ly/2sk9YRa. Les responsables français disent que le projet d’accord est en cours de révision à la suite de nouvelles consultations avec des acteurs libyens et étrangers et risque de n’être finalisé qu’« à la dernière minute, juste avant la rencontre ». Entretien téléphonique de Crisis Group, diplomate français, 27 mai 2018. Hide Footnote

Les intentions de la France sont claires. La rencontre qu’accueillera le président français Emmanuel Macron a pour but de rassembler les acteurs régionaux et internationaux autour d’un agenda commun, de mettre un terme aux initiatives de paix isolées et non coordonnées, et de pousser les dirigeants libyens à se mettre d’accord. Les responsables français disent que le moment est venu d’entamer un effort concerté pour organiser des élections plus tard cette année. Ils soulignent que le processus d’enregistrement des électeurs, un succès pour le moment, montre que la population est favorable à la tenue d’élections, même si certains dirigeants libyens semblent tentés de maintenir le statu quo politique.[fn]Entretien téléphonique de Crisis Group, responsable français, Paris, 26 mai 2018. Selon le responsable, la France veut obtenir un accord contraignant, négocié avec les parties libyennes, qui les engagerait.Hide Footnote

Cette nouvelle initiative pourrait, de façon salutaire, injecter une dose d’adrénaline à un processus de paix vacillant, et doit à ce titre être saluée sur le principe. Néanmoins, la rencontre et le projet d’accord ont suscité la controverse en Libye comme à l’étranger.[fn]Plusieurs interlocuteurs libyens ont exprimé leur consternation face au contenu du projet d’accord. Un responsable politique basé à Benghazi estime que « ce document est mauvais à tous les égards. Il est si catégorique ». « Quel désastreux projet d’accord. Ça dénote une compréhension si superficielle des problèmes de la Libye et des solutions », dit un autre à Misrata. Entretiens téléphoniques de Crisis Group, Benghazi et Misrata, 26 mai 2018.Hide Footnote De nombreux Libyens craignent que cette initiative ne fragilise le processus en cours sous l’égide de l’ONU, boussole des efforts internationaux jusqu’à présent, et ne court-circuite son résultat.[fn]Entretiens téléphoniques de Crisis Group, responsables politiques libyens, Tripoli, Misrata, Benghazi, 23-26 mai 2018.Hide Footnote Selon un responsable politique de Misrata :

Nous voyons mal quelle est la place de l’ONU dans tout ça. Quel est le lien entre ce que font les Français et ce que le représentant de l’ONU a dit vouloir faire ? L’accord qui doit être signé à Paris va-t-il remplacer le Plan d’action ?[fn]Entretien téléphonique de Crisis Group, Misrata, 23 mai 2018.Hide Footnote

Crisis Group phone interview, Misrata, 23 May 2018.Hide Footnote

Le processus en cours sous l’égide de l’ONU repose sur le Plan d’action dévoilé en septembre 2017 par Ghassan Salamé, le représentant spécial du secrétaire général de l’ONU pour la Libye. Salamé mène actuellement des consultations pour préparer une conférence nationale qui réunira un large éventail d’acteurs politiques libyens et doit être une étape majeure vers les élections, une constitution et l’unification institutionnelle du pays. Néanmoins, les responsables français disent que leur initiative vise à soutenir les efforts de l’ONU, pas à les supplanter, et a lieu sous l’égide de l’ONU.[fn]Entretiens téléphoniques de Crisis Group, responsables français, Paris, 25-27 mai 2018.Hide Footnote

Crisis Group phone interviews, French officials, Paris, 25-27 May 2018.Hide Footnote

Les acteurs politiques libyens ont aussi fait part de leur inquiétude concernant la présence ou l’absence (y compris parce que certains ont choisi de rester à l’écart) des différents acteurs à la rencontre de Paris. Les invités libyens comprennent Faïez Serraj, chef du gouvernement à Tripoli, reconnu au niveau international ; Khalifa Haftar, à la tête de l’Armée nationale libyenne, qui contrôle une bonne partie de l’Est de la Libye ; Aghela Saleh, président de la Chambre des représentants élue en juin 2014 et basée dans la ville de Tobruk, à l’Est du pays ; et Khaled Mishri, président récemment élu du Haut conseil d’Etat, une assemblée sise à Tripoli destinée selon l’Accord politique libyen de décembre 2015 à jouer un rôle consultatif. Chacun d’entre eux sera accompagné d’une délégation de quatre personnes.

Un certain nombre de personnalités libyennes ont par ailleurs été invitées à as-sister à la rencontre, mais n’auront pas à signer l’accord

Un certain nombre de personnalités libyennes ont par ailleurs été invitées à assister à la rencontre, mais n’auront pas à signer l’accord. Cette approche à deux niveaux a suscité du ressentiment en Libye. Une délégation de la ville de Misrata, une force militaire et politique cruciale de l’Ouest de la Libye, a refusé de faire le déplacement jusqu’à Paris lorsqu’elle a été informée du fait qu’elle ne serait pas traitée sur un pied d’égalité avec les quatre autres délégations.[fn]Entretien téléphonique de Crisis Group, responsable politique de Misrata, Misrata, 27 mai 2018.Hide Footnote

Crisis Group phone interview, Misratan politician, Misrata, 27 May 2018.Hide Footnote

Comme Crisis Group l’a fait valoir, négocier via des personnalités sans bâtir un consensus plus large au sein du paysage politique et militaire a toutes les chances d’être contre-productif.[fn]Voir le briefing Moyen-Orient et Afrique du Nord de Crisis Group N°57, Libya’s Unhealthy Focus on Personalities, 8 mai 2018.Hide Footnote Par le passé, cette approche a fait entrave aux efforts de paix, et la France est bien placée pour le savoir : une rencontre entre Serraj et Haftar en juillet 2017, accueillie par Macron, a donné lieu à une séance photo mais les deux hommes sont vite revenus sur la plupart de leurs engagements.[fn]La rencontre du 25 juillet 2017 entre Serraj et Haftar à La Celle Saint-Cloud, près de Paris, a donné lieu à une déclaration conjointe mais les deux hommes n’ont pas mis en œuvre la plupart des engagements pris. Voir « Libye – Déclaration conjointe (25 juillet 2018) », ministère français des Affaires étrangères, https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/dossiers-pays/libye/evenements/article/libye-declaration-conjointe-25-07-17.Hide Footnote Si les quatre dirigeants invités et les institutions qu’ils représentent sont essentiels pour parvenir à la paix, la Libye reste une entité fragmentée et les acteurs susceptibles de jouer un rôle néfaste sont nombreux. Ces quatre individus ne suffisent pas à prendre la mesure des divisions idéologiques, tribales et politiques qui traversent le pays ; ils les ont en fait approfondies. Un certain nombre de groupes armés des petites villes de l’Ouest de la Libye ont publié une déclaration pour signifier qu’ils considéraient que la rencontre de Paris ne les représentait pas.[fn]Déclaration de quatorze groupes armés de l’Ouest de la Libye, 27 mai 2018.Hide Footnote

Declaration by fourteen Libyan armed groups from western Libya, 27 May 2018.Hide Footnote

Des représentants de l’ONU, de l’Union Européenne, de l’Union africaine, de la Ligue arabe et de quinze de ses Etats membres seront aussi présents. Parmi eux figurent des pays comme les Emirats arabes unis, le Qatar, l’Egypte et la Turquie, qui sont en conflit ouvert ailleurs dans la région. Que la France ait réussi à les persuader de d’assister au sommet est une réussite remarquable et une indication d’une possible convergence internationale sur la Libye.[fn]Entretien téléphonique de Crisis Group, responsable français, Paris, 27 mai 2018. Mais certains pays occidentaux, dont quelques-uns comme l’Italie, les Etats-Unis et le Royaume-Uni jouent un rôle important dans le processus diplomatique en Libye, ont exprimé leur scepticisme quant à ce qu’un diplomate européen a qualifié d’« obstination » française, en référence à l’insistance de l’Elysée sur la tenue de la rencontre à la date prévue en dépit de leurs doutes.[fn]Entretien téléphonique de Crisis Group, diplomate européen, Tripoli, 23 mai 2018. Plusieurs diplomates occidentaux ont estimé que la rencontre n’avait pas été suffisamment préparée et conseillé au gouvernement français de peaufiner le document. Entre le moment où l’idée d’un sommet a émergé, début mai, et sa tenue effective, il ne s’est passé que trois semaines. Selon ces responsables étrangers, la détermination de la France à accueillir ce sommet s’explique par le fait que Macron a besoin d’un succès de politique étrangère après avoir échoué à convaincre le président américain Donald Trump de ne pas se retirer de l’accord sur le nucléaire iranien. Entretiens téléphoniques de Crisis Group, diplomates occidentaux, 24-26 mai 2018.Hide Footnote L’un des pays voisins de la Libye estime que la rencontre ne reflète que les priorités de la France, et ne peut pas, de ce fait, créer un consensus international. Selon un diplomate égyptien :

Nous sommes très favorables à la tenue d’élections et à ce que cette période de transition prenne fin le plus tôt possible. Mais cela doit être fait correctement et nous ne comprenons pas pourquoi la France précipite les choses. Si le processus électoral est bâclé, il laissera un grand vide derrière lui.[fn]Entretien téléphonique de Crisis Group, diplomate égyptien, Le Caire, 24 mai 2018.Hide Footnote

Crisis Group phone interview, Egyptian diplomat, Cairo, 24 May 2018.Hide Footnote

Les faiblesses du projet d’accord

La dernière version du projet d’accord que la France voudrait soumettre aux dirigeants libyens fixe quatre objectifs : organiser des élections avant la fin 2018 ; soutenir l’adoption d’un cadre constitutionnel ; réduire les profondes fractures au sein des institutions sécuritaires ; et unifier les institutions financières, elles aussi divisées. Ces objectifs sont à priori très louables, mais les élections, en particulier, sont tributaires d’un calendrier arbitraire et probablement impossible à respecter. Il sera difficile d’organiser des élections cette année car les parties libyennes doivent encore se mettre d’accord sur le type d’élections qu’elles veulent organiser (présidentielle et/ou législatives) et dans quel ordre. Certains veulent à tout prix qu’une élection présidentielle se tienne au plus vite, tandis que d’autres affirment que des élections risqueraient, dans le contexte actuel, d’approfondir les divisions existantes. D’autres encore préfèrent maintenir le statu quo qui leur permet de rester au pouvoir. 

En outre, fixer une date limite pour l’organisation d’élections sans une préparation adéquate et sans que les parties ne se soient engagées publiquement à respecter les résultats ne peut que susciter des tensions.

D’un point de vue purement technique, la tenue d’élections cette année est également irréaliste. Ni le cadre juridique, ni le cadre constitutionnel ne sont en place, et il parait difficile de surmonter cet obstacle à court terme. En outre, fixer une date limite pour l’organisation d’élections sans une préparation adéquate et sans que les parties ne se soient engagées publiquement à respecter les résultats ne peut que susciter des tensions. Les responsables français disent qu’ils envisagent de reformuler cette référence à une date limite dans l’accord final pour indiquer qu’il serait « préférable » que les élections se tiennent avant la fin de l’année 2018.[fn]Entretien téléphonique de Crisis Group, responsable français, Paris, 27 mai 2018.Hide Footnote

Crisis Group phone interview, French official, Paris, 27 May 2018.Hide Footnote

Les objectifs affichés n’accordent pas non plus une attention suffisante aux conditions nécessaires au succès du processus. L’accord proposé reste vague sur le calendrier concernant l’approbation du projet de constitution, que l’Assemblée constituante a rédigée et approuvée en 2017. Or, les élections devront être organisées selon un cadre constitutionnel définissant les pouvoirs et les responsabilités des responsables élus. Les parties prenantes libyennes doivent décider si elles veulent amender la Déclaration constitutionnelle provisoire de 2012, organiser un référendum sur le projet (contesté en particulier à l’Est et par les minorités ethniques) de l’Assemblée constituante, ou réviser ce projet avant un référendum. Reste à déterminer, et c’est là le cœur du débat, si la tenue d’élections exige l’adoption d’une constitution approuvée au niveau national, ou si des orientations constitutionnelles seraient suffisantes.

La solution avancée par le projet d’accord pour réduire la fracture au sein des institutions de sécurité pose également problème. Elle exige des parties libyennes qu’elles s’engagent à soutenir les pourparlers du Caire, l’effort actuel qui vise, sous l’impulsion de l’Egypte, à unifier l’appareil militaire libyen. Ce dialogue – à ce jour l’unique initiative sur la sécurité du processus de paix – a réuni des officiers de l’Armée nationale libyenne de Haftar et quelques officiers de haut rang de l’Ouest de la Libye qui soutiennent le gouvernement reconnu par la communauté internationale. Il exclut de nombreux autres acteurs du secteur très fragmenté de la sécurité en Libye. La France, qui a soutenu militairement Haftar à l’Est par le passé, a annoncé en mars qu’elle soutenait les pourparlers du Caire.[fn]Déclaration publiée sur la page Facebook de l’ambassade de France en Libye, 26 mars 2018, https://www.facebook.com/AMFRLI/.Hide Footnote Néanmoins, des acteurs libyens et internationaux se demandent ouvertement si l’Egypte est le pays le mieux placé pour coordonner un dialogue sur la sécurité, étant donné son parti-pris pour Haftar. Il serait préférable de mener une discussion élargie sur les moyens de trouver des solutions viables et plus inclusives dans le domaine de la sécurité et de mettre davantage l’accent sur le rôle que les Nations unies pourraient jouer pour accompagner la restructuration de l’appareil sécuritaire libyen.

Enfin, les dispositions du projet d’accord relatives aux aspects économiques sont également inappropriées. La dernière version consultable de ce projet se contente d’appeler à l’unification « immédiate » des institutions technocratiques vitales pour le bon fonctionnement de l’économie, sans fournir plus de détails. Les différentes parties prenantes, en Libye et au sein de la communauté internationale, s’accordent pour dire que la Banque centrale et les autres institutions de l’Etat qui se sont scindées lorsque le conflit actuel a éclaté en 2014 doivent se réunifier, mais les avis divergent sur le modus operandi et sur les noms de ceux qui devraient diriger ces institutions. Les Libyens conviennent également volontiers du fait que la gouvernance économique doit être renforcée par des mesures concrètes permettant de mettre un terme aux problèmes endémiques qui ont des conséquences directes sur la vie de la population : les pénuries de liquidités, la flambée du coût de la vie, la corruption et la spéculation entre le marché des changes officiel et le marché noir. Les diplomates français disent qu’ils sont en train d’adapter la formulation de l’accord à ce sujet, afin de proposer un remède plus concret aux difficultés économiques et financières de la Libye.[fn]Entretien téléphonique de Crisis Group, diplomate français, Paris, 27 mai 2018.Hide Footnote

Crisis Group phone interview, French diplomat, Paris, 27 May 2018.Hide Footnote

IV. Conclusion : bâtir un soutien plus large et affiner les principaux détails avant de chercher à signer un accord contraignant

Il reste encore beaucoup de chemin à parcourir pour qu’un effort de paix aboutisse. Une étape importante sera de se mettre d’accord sur une stratégie politique, sécuritaire et économique intégrée et viable qui obtiendrait l’adhésion d’un large éventail d’acteurs libyens et de leurs soutiens internationaux, et sur son application. L’initiative française ne permettra pas d’y parvenir, mais elle a l’ambition d’établir un calendrier et d’obtenir des engagements qui demanderaient, pour être tenus, un soutien plus large et une analyse opérationnelle plus poussée.

Si le sommet de Paris apparaissait aux yeux des Libyens comme un nouveau grand raout international aboutissant à la signature d’un accord impossible à mettre en œuvre.

La France devrait, par conséquent, réviser en profondeur le texte du projet d’accord et demander à ses quatre invités de s’engager à respecter une déclaration de principes sur des mesures politiques, sécuritaires et économiques indispensables – plutôt que d’exiger qu’ils signent un accord –, et utiliser cette déclaration de principes comme plateforme pour forger un consensus, en coordination avec l’initiative de l’ONU. Cela impliquerait d’ouvrir un débat sur une feuille de route politique et de se concentrer sur la définition des critères de décision avant de fixer une date précise pour un évènement aussi déterminant que des élections. Il faudrait également examiner ouvertement le potentiel et les limites du dialogue du Caire sur la sécurité et encourager l’adoption d’une stratégie économique pour la Libye, réaliste et applicable étape par étape.

Comme ailleurs, les perceptions comptent beaucoup dans une Libye très fragmentée. Permettre aux quatre invités de Paris de signer un accord risque de donner l’impression que d’autres parties prenantes, absentes à Paris, sont délibérément tenues à l’écart, ce qui aurait pour seul effet de les pousser à s’opposer à son contenu. Si le sommet de Paris apparaissait aux yeux des Libyens comme un nouveau grand raout international aboutissant à la signature d’un accord impossible à mettre en œuvre, cela pourrait être contre-productif en créant des attentes irréalistes qui, une fois déçues, alimenteraient des discours concurrents et incompatibles et exacerberaient les tensions. Une déclaration de principes aurait également des allures de mise en scène, mais elle serait moins contestable, en particulier si les quatre dirigeants libyens invités à Paris la soutenaient sans la signer. La conférence de Paris atteindrait ainsi son objectif principal : donner un nouvel élan au processus de paix libyen sans préjuger des résultats et laisser du temps pour garantir une large adhésion à un programme plus concret.

Bruxelles, 28 mai 2018

Contributeur

Senior Analyst, Libya
claudiagazzini

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