Diplomatie, retenue militaire et patience sont les seuls remèdes pour la Libye
Diplomatie, retenue militaire et patience sont les seuls remèdes pour la Libye
Against Seeming Odds, Assistance Comes to Derna
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Op-Ed / Middle East & North Africa 3 minutes

Diplomatie, retenue militaire et patience sont les seuls remèdes pour la Libye

« L’Etat islamique » (EI) médiatise avec beaucoup d’habileté les atrocités qu’il commet, poussant les Etats à réagir dans l’émotion. Après l’Irak et la Syrie, c’est maintenant la Libye qui est concernée. La décapitation de 21 chrétiens égyptiens a conduit l’Egypte à bombarder des camps d’entraînements sur la côte libyenne et à lancer une offensive diplomatique auprès du Conseil de sécurité des Nations unies (ONU) pour qu’il autorise des opérations militaires. Les exemples assez peu concluants de l’Irak et de la Syrie –sans même évoquer la campagne de l’OTAN en Libye de 2011 – devraient pourtant faire réfléchir : bombarder ne peut pas tenir lieu de stratégie politique, d’autant qu’en Libye, pays majoritairement sunnite, l’EI ne peut se nourrir des mêmes revendications sectaires qui l’aident en Irak et en Syrie.

Le groupe contrôle un territoire restreint, avec guère plus de 1 000 hommes, répartis dans quelques villes déclarées sous son contrôle, telles que Derna, Sirte ou Nawfiliya. Plus que des objectifs militaires et stratégiques concrets, les attaques récentes sur les champs pétroliers et les assassinats et enlèvement, tout comme la mise en scène des décapitations, sont conçues pour semer la peur et le chaos. Il ne faut donc pas être dupe des cris d’alarme de tous ceux qui, à Tobrouk comme à Tripoli, agitent la menace extremiste pour obtenir des soutiens extérieurs.

La vraie menace stratégique, c’est la fragmentation de la Libye : c’est elle, qui en créant l’anarchie dans laquelle trafics en tous genres prospèrent, prépare un terrain propice aux djihadistes, qui peuvent alors se présenter comme les gardiens de l’ordre. Le risque existe que l’EI puisse attirer des individus en mal de protection, d’autres groupes islamistes, des criminels, des anciens fidèles de Kadhafi ou des membres de tribus qui ont perdu leur influence après 2011. Des combattants étrangers se sont réfugiés dans des villes comme Derna, où des campements d’entrainement djihadistes ont été implantés. Des groupes radicaux venus des pays du Sahel ont été repérés au sud-ouest de la Libye ; ils pourraient un jour chercher à déstabiliser des États fragiles tels que le Niger et le Mali. Mais ce n’est pas en bombardant qu’on arrête cette évolution, bien au contraire : le sud libyen n’est pas encore le sanctuaire djihadiste décrit par certains, et une opération militaire lancée dans un pays aujourd’hui divisé entre deux pouvoirs concurrents ne réglerait rien, et pourrait même aider les mouvements extremistes en leur fournissant un adversaire commode.

La priorité est donc de donner sa chance à la politique et à la diplomatie. La Libye est aujourd’hui divisée entre un pouvoir qui se présente comme modéré à Tobrouk, mais que se adversaires présentent comme kaddafiste, et un pouvoir issu de la révolution à Tripoli, que ses adversaires présentent comme dangereusement islamiste. Ces deux caricatures ne font pas justice d’une réalité complexe où ambitions personnelles et appartenances tribales jouent leur rôle. A Tobrouk comme à Tripoli, les responsables politiques semblent plus préoccupés d’asseoir leur pouvoir que d’empêcher la croissance de l’EI. Il faut donc résister aux demandes d’armes des deux camps, et au contraire renforcer l’embargo aujourd’hui en vigueur, et constamment violé.

Cela ne sera possible que si la communauté internationale retrouve une vraie unité sur la Libye, au lieu d’y importer ses combats : la lutte menée par l’Egypte contre les frères musulmans ne saurait justifier l’appui au général Haftar, qui repose sur l’illusion d’une solution militaire qui écraserait les « islamistes ». L’intérêt de la France et des européens n’est pas de s’engager dans des opérations militaires et d’exclure les durs des deux camps, mais au contraire de soutenir l’envoyé spécial de l’ONU Bernardino León, pour qu’il les attire dans une négociation inclusive. Les négociations conduites sous l’égide de l’ONU mettent du temps à aboutir, mais elles restent la meilleure chance de paix. Et surtout, il faut à tout prix préserver ce qui reste de l’unité de la Libye, une banque centrale indépendante et une gestion autonome de la ressource pétrolière. L’alternative est catastrophique : une guerre qui aura tous les moyens financiers de durer parce que chaque camp captera une partie de la rente.

Les Européens ne voient aujourd’hui la Libye que sous l’angle humanitaire : de nouveaux « boat people » qui profitent de l’effondrement de l’Etat libyen pour tenter de gagner à partir d’une côte qui n’est plus gardée l’eldorado européen. Mais la réalité est un enjeu stratégique de première importance : si l’Etat libyen n’est pas préservé, c’est un croissant jihadiste, de Boko Haram au Nigeria à l’Etat islamique en Syrie qui se dessine aux portes de l’Europe. Et la solution n’est pas militaire, mais politique.
 

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