Les défis sécuritaires de l'après Kadhafi
Les défis sécuritaires de l'après Kadhafi
Against Seeming Odds, Assistance Comes to Derna
Against Seeming Odds, Assistance Comes to Derna
Op-Ed / Middle East & North Africa 3 minutes

Les défis sécuritaires de l'après Kadhafi

Deux mois après la mort de Kadhafi, les divisions persistent en Libye. Comme l’illustre la recrudescence de violence,les milices locales contestent la transition politique actuelle. Tant qu’un gouvernement plus légitime ne sera pas formé, ces brigades armées, qui ont joué un rôle crucial dans la chute du régime de Kadhafi, constitueront une menace pour la sécurité du pays. Trouver une solution quant à leur avenir doit être une priorité absolue.

À l’heure actuelle, 125 000 Libyens seraient encore armés et membres de plus d’une centaine de brigades qui s’institutionnalisent progressivement. Elles imitent l’organisation de l’armée régulière et exercent des activités indépendantes bien établies, telles que le recrutement de membres, l’enregistrement d’armes ou encore l’arrestation et la détention de suspects. À défaut de prendre ces milices locales en considération, le processus de reconstruction étatique risque d’en pâtir.

Grâce à sa large reconnaissance internationale, le Conseil national de transition (CNT) s’est rapidement imposé comme figure de proue du mouvement révolutionnaire libyen. Sur le terrain, cependant, la réalité était tout autre. Le soulèvement populaire était extrêmement décentralisé, avec des milices armées et des groupuscules militaires dispersés tant à Tripoli qu’à l’est et à l’ouest du pays. La Libye a été libérée de manière fragmentée et par des groupes de rebelles locaux non associés au CNT qui ont utilisé force et négociations pour parvenir à leurs fins. Après la mort de Kadhafi, un grand nombre de milices ont ainsi émergé avec le sentiment qu’elles peuvent légitimement se proclamer libératrices nationales. Toutes ont sacrifié le sang de leurs membres dans les combats et là où elles sont intervenues, elles ont assuré la sécurité des citoyens.

Les problèmes posés par les différentes brigades reflètent le paysage politique morcelé duquel elles ont émergé. Le CNT a hérité d’un pays doté d’une longue tradition de gouvernements locaux divisés et de ministères indécis favorisant la méfiance envers l’autorité centrale. Les transfuges du régime de Kadhafi, qui ont érigé l’armée rebelle et le CNT, sont accusés par les combattants d’avoir appartenu à l’ancien régime. Par ailleurs, les clivages entre les régions et entre islamistes et laïques alimentent un climat de suspicion généralisée. Dans ce contexte, l’abondance d’armes ne fait qu’intensifier l’insécurité.

Les conseils locaux civils et militaires, bien qu’ils l’aient reconnue, demeurent réticents face à l’autorité autoproclamée du CNT. Le Conseil était dirigé depuis Benghazi, un bastion antigouvernemental de l’est qui fournissait un lieu sûr pour les rebelles. Ses instigateurs ont encouragé les villes de l’ouest à se soulever, mais sans pouvoir les soutenir de façon adéquate. Aux moments décisifs, coincés sur les fronts de l’est, ils se sont mués en observateurs passifs des événements qui se déroulaient à Tripoli et ailleurs.

Les rebelles de l’ouest, en revanche, se sont regroupés en milices autonomes, autoarmées et autoentraînées. La majorité de leurs membres étaient des civils (des comptables, des avocats, des étudiants ou des ouvriers) luttant sous la houlette des conseils militaires locaux pour assurer la sécurité sur leurspropres terres. Ainsi, les milices sont enracinées géographiquement et s’identifient aux régions qu’elles ont défendues. Au-delà de la sécurisation de leurs zones, elles possèdent rarement un agenda politique clair ou adhèrent à une idéologie particulière.

L’instauration d’une Libye stable est une nécessité. Kadhafi a centralisé le pouvoir sans construire d’État central. Ses successeurs doivent s’efforcer de faire l’inverse. Que le CNT veuille rassembler les milices sous une autorité centrale est compréhensible mais les obstacles sont énormes. Un exécutif dépourvu de légitimité ne peut raisonnablement exiger de son peuple un effort de démobilisation et de désarmement, au risque que cela se retourne contre lui. Pour l’heure, toute tentative dans ce sens serait vaine. Mais, cela ne signifie pas qu’il faille rester les bras croisés, l’apathie étant aussi dangereuse que la hâte.

Tant que des institutions nationales crédibles et légitimes ne seront pas développées, notamment dans les secteurs de la défense, du maintien de la sécurité et des services publics, les Libyens demeureront sceptiques à l’égard de la transition politique actuelle. De même, ils seront enclins à garder leurs armes ainsi qu’à préserver le régime des brigades irrégulières. Le CNT doit communiquer clairement, agir avec transparence, et collaborer étroitement avec les conseils locaux militaires sur toutes les questions liées au désarmement, à la démobilisation et la réintégration (DDR) des combattants. Ensemble, ils doivent trouver un accord sur l’application de règles communes aux combattants armés – particulièrement en matière de traitement des détenus – et joindre leurs efforts pour réintégrer les membres de l’armée rebelle, notamment les plus jeunes d’entre eux. L’autorité centrale devra prendre des mesures claires, mais la démobilisation des milices et leur désarmement devra reposer sur un choix délibéré de leur part. Il ne s’agit pas de réformer à leur détriment. Face à cette situation, la communauté internationale doit offrir son assistance technique sans interférer dans les affaires libyennes et éviter toute complaisance à l’égard du futur État, dont l’avenir est prometteur mais toujours fragile.
 

Subscribe to Crisis Group’s Email Updates

Receive the best source of conflict analysis right in your inbox.