Report / Middle East & North Africa 3 minutes

La transition politique en Mauritanie: Bilan et perspectives

Synthèse

Le 3 août 2005, une junte menée par Ely Ould Mohamed Vall, directeur général de la Sûreté nationale, et Mohamed Ould Abdel Aziz, commandant du bataillon de la sécurité présidentielle (BASEP), s’est emparée du pouvoir en République Islamique de Mauritanie. Ce coup d’état répond à l’impopularité croissante et au manque de légitimité du régime déchu, et manifeste une volonté de rompre avec le passé. Pourtant, les personnalités impliquées dans le coup ainsi que la méthode utilisée s’inscrivent dans la continuité. Les nouveaux dirigeants devront démontrer que les changements l’emportent sur le statu quo et qu’ils respectent l’état de droit. La communauté internationale qui a, dans un premier temps, émis des objections de pure forme à l’encontre du coup d’état, a rapidement accepté le nouveau gouvernement. Elle devra maintenant l’inciter à tenir ses engagements, en particulier sur la transition démocratique et le calendrier de sa mise en œuvre.

Les dirigeants du Conseil militaire pour la justice et la démocratie (CMJD) ont justifié le coup d’état par la volonté “de mettre fin aux pratiques totalitaires du régime” qui ont “engendré une dérive dangereuse pour l’avenir du pays”. Ils se sont engagés à “créer les conditions favorables d’un jeu démocratique ouvert et transparent sur lequel la société civile et les acteurs politiques auront à se prononcer librement”. Toutefois, certaines contradictions pourraient faire obstacle à ces volontés affichées.

Les Mauritaniens ne veulent plus d’un système dans lequel les postes sont attribués selon des préférences tribales, un clientélisme qui avait atteint un niveau inédit sous le régime d’Ould Taya. Or le nouvel homme fort du gouvernement et certains autres putschistes étaient déjà au coeur de l’ancien pouvoir. Il est probable qu’ils préfèreront tout simplement tourner la page plutôt que d’enquêter sur les pratiques du régime déchu et de réparer les injustices. Le fait qu’Ould Mohamed Vall et Ould Abdel Aziz appartiennent au même groupe tribal, lequel jouissait d’une position avantageuse sous l’ancien régime, pousse à s’interroger sur la volonté affichée du nouveau gouvernement de rompre avec le clientélisme de son prédécesseur, et pourrait porter les germes d’éventuelles tensions.

Les autorités de transition se sont engagées à remettre le pouvoir à des institutions légitimes dans des délais raisonnables : un référendum constitutionnel est prévu le 26 juin 2006, des élections municipales et législatives le 19 novembre 2006, et des élections sénatoriales et présidentielles le 11 mars 2007. Durant ses premiers mois au pouvoir, le gouvernement transitoire a connu une évolution favorable. Les autorités consultent régulièrement les partis politiques. Le calendrier électoral n’est ni trop court (ce qui empêcherait les partis politiques de s’organiser) ni trop long. Et le gouvernement a rapidement mis en place une commission électorale (CENI) dont l’indépendance n’est pas contestée. Néanmoins, certaines mesures demeurent essentielles:

  • En attendant l’élection d’un nouveau parlement, le gouvernement doit éviter les décisions unilatérales et mettre en place un cadre de concertation régulière entre le pouvoir et les principaux partis politiques. De même, la commission électorale doit consulter les partis de façon plus systématique, consultation qui aurait été souhaitable lors de la mise sur pied des commissions électorales régionales et départementales.
     
  • Les autorités doivent lutter contre la corruption endémique et l’extrême concentration des richesses entre quelques groupes oligarchiques dont les attaches sont à la fois économiques, politiques et sécuritaires. Les rivalités entre ces groupes seront certainement attisées par l’émergence de revenus liés à l’exploitation pétrolière, qui doit débuter au cours de l’année. Le régime a déjà pris quelques mesures contre la corruption (création de l’Inspection générale de l’État, ratification de conventions internationales, enquête sur l’ancien ministre du pétrole). Mais il doit encore garantir que les lois encadrant l’attribution de marchés publics soient respectées, remettre en cause le monopole d’importation et/ou de distribution de certains produits par des groupes privés, et mener une lutte systématique contre le trafic, notamment de cigarettes, mené dans la partie nord du pays par le grand banditisme. De manière générale, le nouveau régime devra encourager l’établissement de l’état de droit. Il s’agit de réformes en profondeur délicates à mettre en œuvre. Il semble évident que le pouvoir ne pourra les achever durant le temps limité de la transition mais il doit tout du moins, en étroite concertation avec les forces politiques, engager le pays sur cette voie. Les autorités de transition, dont le numéro un et le numéro deux sont apparentés à l’un des groupes oligarchiques, doivent notamment éviter tout favoritisme.
     
  • Le nouveau gouvernement, bien qu’il ne possède ni la légitimité ni l’autorité nécessaires pour enquêter ou juger les exactions du régime précédent, doit apaiser les tensions ethniques. Le discours parfois ambigu des nouveaux dirigeants concernant l’expulsion de près de 100000 noirs africains vers le Sénégal et le Mali en 1989/1991 reprend trop souvent le discours officiel de la période Taya. Certaines communautés touchées par ces évènements attendent, à défaut de réparation, au moins la reconnaissance des préjudices et souffrances qu’elles ont subis.

La communauté internationale devra, pendant cette période de fragilité institutionnelle, contribuer à la stabilité du pays en maintenant les coopérations en cours et les programmes d’aide. Elle devra appuyer les efforts pour une transition réussie, notamment en renforçant l’indépendance de la commission électorale en la dotant d’une aide matérielle et technique. Surtout, elle doit clairement exiger du nouveau pouvoir le plein respect de ses engagements. Un coup d’état est un événement inquiétant, particulièrement dans une région où la prise du pouvoir par la force est fréquente. Le passage à la démocratie et à l’état de droit dans des délais acceptables est de l’intérêt de tous.

Le Caire/Bruxelles, le 24 avril 2006

Executive Summary

On 3 August 2005, a junta led by Ely Ould Mohamed Vall, director-general of the Sûreté National, and Mohamed Ould Abdel Aziz, commander of the presidential security battalion, seized power in the Islamic Republic of Mauritania. The coup, which responded to the growing unpopularity and declining legitimacy of President Maaouya Ould Sid’Ahmed Taya’s regime, signifies a break with the past but also reflects significant continuity in terms both of method and personalities. The new leaders must demonstrate they are in the business of promoting change rather than preserving the status quo and they will uphold the rule of law. The international community, which quickly accepted the government after mostly formal objections to how it came to power, will need to press it to respect its commitments, in particular on the issue of the promised democratic transition and its timetable.

The leaders of the Military Council for Justice and Democracy claimed their coup was intended to “end the regime’s totalitarian practices”, which had “led to a deviation that endangered the country’s future”, and vowed “to create favourable conditions for an open and transparent democratic game in which civil society and political actors can freely participate”. Yet, a number of contradictions are liable to undermine these stated good intentions.

Mauritanians wish to break with the way power has been concentrated in the hands of a few tribal groupings, a syndrome that reached unprecedented levels under Ould Taya. However, the country’s new strongman and some of his colleagues are pillars of the old power structure and almost certainly will want to turn the page rather than examine it, redress past injustices and shed light on the practices of the previous regime. That Ould Mohamed Vall and Ould Abdel Aziz belong to the same tribal group, one which was highly privileged under the old regime, raises the question whether they truly intend to change its clientelist patterns and could fuel political tensions before long.

The Military Council has promised to organise a return to legitimate institutions within a reasonable timetable: a constitutional referendum is scheduled for 26 June 2006, municipal and legislative elections for 19 November 2006, and senatorial and presidential elections for 11 March 2007. Over its first months, the regime has taken welcome steps. Political parties are consulted; the electoral calendar is neither too short (which would have prevented parties from organising) nor too long. An electoral commission whose independence is widely acknowledged has been established. Still, more is needed:

  • Until parliament has been elected, the government should establish a framework for regular consultation with the main political parties, as these have requested, and avoid unilateral decisions. Likewise, the electoral commission should work more closely with the parties, which it failed to do when it established regional and departmental commissions.
     
  • The new leaders must move to limit endemic corruption and the extraordinary accumulation of wealth in the hands of a few oligarchic groups with connections in the economic, political and security spheres. Rivalry among these groups inevitably will be exacerbated by oil-related money. The regime has taken some anti-corruption measures, including creating an inspector general’s office, ratifying international conventions and investigating the ex-oil minister. But it needs to fairly allocate public contracts, challenge private import and distribution monopolies, and more systematically fight trafficking, notably of cigarettes in the north, which is linked to armed banditry, as well as encourage the rule of law generally. Such deep and controversial reforms cannot be completed in the short transition but at a minimum the government should work closely with other national political forces to take initial steps. Its first challenge, given that its two most important leaders are closely linked to one of these oligarchic groups, will be to avoid favouritism.
     
  • The government lacks the legitimacy and authority to investigate, let alone prosecute, the former regime’s wrongs but it should alleviate ethnic tensions. The new leaders’ at times ambiguous discourse about the forced expulsion of roughly 100,000 black Africans into Senegal and Mali in 1989-1991 too often echoes what was said during the Taya regime. Some of the victimised communities expect, if not reparations, then at a minimum recognition of their losses and suffering.

During this period of institutional fragility, the international community should promote stability by maintaining cooperative agreements and aid programs. It should back efforts for a successful transition, notably by bolstering the electoral commission’s independence through material and technical aid. Most importantly, it should call unequivocally on the new leaders to abide by their commitments. A military coup is a disquieting precedent, above all in a region that has had too many. The early establishment of a law-bound democracy within a reasonable timetable is in the interests of all.

Cairo/Brussels, 24 April 2006

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