Briefing / Middle East & North Africa 2 minutes

L’exception tunisienne : succès et limites du consensus

Pour éviter une répétition de la crise politique de l'an dernier, la Tunisie a besoin de garanties susceptibles de préserver le compromis national au-delà des élections de 2014.

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Synthèse

De juillet à décembre 2013, la Tunisie a connu une crise politique dont les éléments de sortie n’étaient pas fournis d’avance, mais dont l’issue était assez claire : violences ou compromis. Depuis la promulgation de la Constitution et la nomination d’un nouveau gouvernement indépendant dit de technocrates, remplaçant la troïka emmenée par le parti islamiste An-Nahda, en janvier 2014, le pays est entré dans une nouvelle phase de transition. Si celle-ci semble moins agitée que la précédente, son issue demeure tout aussi incertaine. L’enjeu de la période actuelle est de prolonger le consensus issu du dialogue national et de préparer le prochain rendez-vous électoral, qui va suspendre en partie le compromis, tout en prévenant le retour de la polarisation. Plutôt que de se concentrer de manière exclusive sur un partage du pouvoir qui implique l’équilibre électoral entre islamistes et sécularistes, les forces politiques devraient aussi envisager les scénarios les plus inattendus, s’entendre pour limiter le pouvoir des gagnants et garantir la sérénité des perdants.

Les élections présidentielle et législatives censées se tenir avant la fin de 2014 selon les dispositions transitoires de la Constitution pourraient, en effet, engendrer nombre de laissés pour compte et produire la majorité suffisante pour qu’islamistes et sécularistes constituent un front excluant l’autre. Dans tous les cas, les résultats pourraient être remis en cause et la polarisation extrême ressusciter, malgré le caractère consensuel et démocratique de la nouvelle Constitution.

Si les chefs des principaux partis affirment que les résultats du scrutin seront équilibrés, dans le même temps, les bases militantes reportent leurs espoirs politiques sur celui-ci. Nombre d’islamistes estiment qu’ils récupéreront le pouvoir après les élections à la tête d’une nouvelle coalition gouvernementale, pendant que certaines franges sécularistes comptent sur le gouvernement du nouveau Premier ministre, Mehdi Jomaa, pour « désislamiser » l’administration – suffisamment, du moins, pour que le prochain rendez-vous électoral leur apparaisse crédible et équitable.

La scène politique est en pleine mutation et l’alliance envisagée par les deux principales formations, l’islamiste An-Nahda et le séculariste Nida Tounes, pourrait entrainer, à l’issue des élections, la marginalisation de nombre de partis et personnalités politiques. Quant au scénario d’une large alliance parlementaire intégrant les représentants des organisations les plus importantes, celui-ci implique un résultat électoral équilibré entre islamistes et sécularistes, qui est, pour l’heure, hypothétique.

Plusieurs difficultés pourraient, en effet, remettre en question ces scénarios de coalition et d’équilibre des forces : reproduction des grandes lignes du code électoral de 2011 qui avait encouragé l’inflation des listes électorales et bénéficié au camp islamiste resté uni ; précarité de la situation économique, sociale et sécuritaire ; désaffection à l’égard du politique et donc fort taux d’absentéisme ; et diminution de la capacité d’encadrement des partis et de la centrale syndicale.

Les grandes forces politiques devraient donc conserver l’esprit de compromis de la dernière sortie de crise tout en acceptant la compétition politique. Elles devraient également se rassurer mutuellement à propos de la transparence du scrutin et  s’acco­r­der sur des règles minimales d’acceptation réciproque ainsi que des objectifs politiques extraconstitutionnels, notamment économiques et sécuritaires. Enfin, réfléchir aux règles du jeu de la gouvernance quelle que soit l’issue des prochaines élections permettrait de rassurer chaque camp et d’ancrer la stabilité politique dans une optique de démocratisation de l’Etat plutôt que de calculs de partage du pouvoir.

Tunis/Bruxelles, 5 juin 2014

I. Overview

From July to December 2013, Tunisia experienced a political crisis that had two possible outcomes: violence or consensus. The January 2014 adoption of a new constitution confirmed that compromise had prevailed. With the nomination of an independent technocratic government to replace the An-Nahda-led Troika, the country’s transition entered a new phase – less troubled than the preceding one but with an outcome just as uncertain. The challenge is to prolong the consensus that emerged from the national dialogue and prevent the return of political polarisation, even through potentially divisive elections. Rather than focusing only on power-sharing – which will work only in the event of reasonable balance between Islamists and secularists at the ballot box – stakeholders should prepare too for other results, particularly by limiting the power of electoral winners and offering assurances to losers.

The legislative and presidential elections scheduled to take place by the end of 2014 under the transitional provisions of the new constitution could cause new spoilers to emerge and produce a majority sufficient for either Islamists or secularists to form a coalition that excludes the other. With such high stakes, losers may be tempted question the vote’s credibility and resuscitate the polarisation of last year, despite the consensual and democratic character of the new constitution.

The leaders of the major parties, for the time being, are seeking to reduce the uncertainty of the next elections by agreeing to share power. But much of their rank-and-file hopes to win outright. Many Islamists believe they will return to power at the head of a new governmental coalition; some secular fringes count on the government of Prime Minister Mehdi Jom’a to “de-Islamise” the civil service before the elections occur, at least sufficiently for them to deem the elections fair.

The political scene is shifting fast. The alliance contemplated by the two largest political forces – An-Nahda and the secular party Nida Tounes – could marginalise a number of smaller parties and political personalities. The scenario of a wider parliamentary coalition, integrating all the most important political forces, assumes an electoral equilibrium between Islamists and secularists that remains hypothetical.

Several obstacles could prevent the projected coalitions forming or results that are balanced. These include the readoption of the 2011 electoral law, which in the case of the 2011 elections encouraged the proliferation of electoral lists and benefited a more united Islamist camp; and the fragile economic, social and security context. Growing public disillusionment and low voter turnout, together with the diminishing influence of political parties and the trade union, make results even less predictable.

Tunisia’s major political forces would benefit from preserving the spirit of compromise that helped resolve its last crisis, even in the midst of their campaigns. Beyond electoral transparency, they should reach an accord, in advance of the vote, on minimum guarantees against the next government adopting a “winner-takes-all” approach and agree beforehand to its main objectives, notably with regard to economic and security policy. Deliberating on the basic rules of governance, regardless of the outcome of the upcoming vote, would reassure all sides and anchor political stability in a broader process of democratisation, rather than a narrow power-sharing deal.

Tunis/Brussels, 5 June 2014

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