Report / Middle East & North Africa 3 minutes

Comprendre l'islamisme

Face aux évènements spectaculaires et violents du 11 septembre 2001, de nombreux observateurs et décideurs occidentaux ont eu tendance à mêler toutes les formes d'islamisme, les taxant de radicales et les traitant comme hostiles.

  • Share
  • Enregistrer
  • Imprimer
  • Download PDF Full Report

Synthèse

Face aux évènements spectaculaires et violents du 11 septembre 2001, de nombreux observateurs et décideurs occidentaux ont eu tendance à mêler toutes les formes d'islamisme, les taxant de radicales et les traitant comme hostiles. Cette approche est fondamentalement erronée. L'islamisme ou l'activisme islamique (que nous considérons ici comme synonymes) comporte un certain nombre de courants très différents, dont seuls quelques uns sont violents et seule une petite minorité justifie d'être combattue. L'Occident doit adopter une stratégie différenciée qui tienne compte de l'éventail des tendances au sein de l'islamisme politique, qui reconnaisse que même les plus modernistes des islamistes sont profondément opposés à la politique américaine actuelle et déterminés à renégocier leurs relations avec l'Occident, une stratégie qui comprenne que le conflit israélo-palestinien purulent, l'occupation de l'Irak et la façon dont la "guerre contre le terrorisme" est menée contribue de manière significative à renforcer l'appel lancé par les tendances djihadistes les plus virulentes et les plus dangereuses

Pour comprendre les différents courants de l'activisme islamique, il faut distinguer les Chiites des Sunnites. Le concept de "l'Islam politique" est apparu pour la première fois à la suite de la révolution iranienne de 1979, et l'activisme chiite était alors perçu comme la menace la plus inquiétante. Toutefois, le Chiisme reste la composante minoritaire de l'Islam (les Sunnites constituent plus de 80% des Musulmans). Les Chiites sont généralement des minorités dans les pays où ils se trouvent. La forme d'activisme chiite la plus répandue et naturelle a donc été communautaire et consiste à défendre tout d'abord les intérêts de la communauté chiite face aux autres populations et à l'État. Pour cette raison et aussi en raison du rôle politique principal joué par les docteurs de la loi islamique (oulémas) et les autorités religieuses, l'islamisme chiite a su maintenir un remarquable degré de cohésion et ne s'est pas fragmenté en segments d'activisme antagonistes comme l'islamisme sunnite.

L'islamisme sunnite (sur lequel sont aujourd'hui braqués la plupart des craintes et des projecteurs occidentaux) est perçu dans une large mesure comme uniformément fondamentaliste, radical et menaçant pour les intérêts occidentaux. Toutefois, il ne s'agit pas d'un mouvement monolithique. Au contraire, il a pris trois formes distinctes, chacune ayant sa propre vision du monde, son mode opératoire et ses acteurs caractéristiques:

  • Politique: les mouvements islamiques politiques (al-harakât al-islamiyya al-siyassiyya), illustrés par l'Association des Frères Musulmans en Égypte et ses ramifications (notamment en Algérie, Jordanie, Koweït, Palestine, Soudan et Syrie) ainsi que par des mouvements aux racines locales tels que le Parti Justice et Développement (Adalet ve Kalkinma Partisi, AKP) en Turquie, et le Parti pour la Justice et le Développement (PJD) au Maroc qui cherchent à accéder au pouvoir politique au niveau national. Ces derniers acceptent désormais l'État-nation, opèrent dans son cadre constitutionnel, rejettent la violence (sauf en cas d'occupation étrangère), présentent une vision réformiste plutôt que révolutionnaire et invoquent des normes démocratiques universelles. L'acteur caractéristique de cette forme est le militant politique.
     
  • Missionnaire: les missions islamiques de conversion (al-da'wa), qui prennent deux formes principales, illustrées par le très structuré mouvement Tablighi d'une part et la très floue Salafiyya d'autre part. Dans les deux cas, la conquête du pouvoir politique n'est pas l'objectif; le but primordial est la préservation de l'identité musulmane, de la foi islamique et de l'ordre moral face aux forces de l'incroyance, et les acteurs caractéristiques sont les missionnaires (du'ah) et les oulémas.
     
  • Djihadiste: la lutte armée islamique (al-jihad) possède trois variantes: interne (qui combat les régimes musulmans considérés comme impies); irrédentiste (qui se bat pour délivrer un territoire gouverné par des non Musulmans ou sous occupation); et globale (qui combat l'Occident). L'acteur caractéristique est, bien sûr, le combattant (al-mujahid).

Toutes ces variétés de l'activisme sunnite tentent de réconcilier tradition et modernité, de préserver les aspects de la tradition considérés comme essentiels en s'adaptant de diverses façons aux conditions modernes; toutes puisent dans la tradition, empruntent de manière sélective à l'Occident et adoptent des éléments de modernité. Elles diffèrent sur la manière d'appréhender le principal problème que rencontre le monde musulman, et sur ce qu'elles croient nécessaire, possible et recommandable de faire.

Les islamistes politiques mettent en exergue la mauvaise gouvernance des États musulmans et l'absence de justice sociale et privilégient la conduite de réformes politiques devant être accomplies par l'action politique (en préconisant de nouvelles politiques, en concourant lors des élections, etc.). Les missionnaires islamistes dénoncent la corruption des valeurs islamiques (al-qiyam al-islamiyya) et l'affaiblissement de la foi (al-iman) et privilégient une forme de réarmement moral et spirituel qui fasse de la vertu individuelle le préalable à toute bonne gouvernance ainsi qu'au salut collectif. Les islamistes djihadistes dénoncent le poids oppressif des forces militaires et politiques non musulmanes au sein du monde islamique et privilégient la résistance armée.

Savoir laquelle de ces trois perspectives prévaudra dans le moyen et long terme revêt une très grande importance pour le monde musulman et l'Occident. Tandis que l'Occident en général et les États-Unis en particulier devraient être plus modestes à l'égard de leur capacité à influencer le débat entre islamistes, ils devraient être également conscients de la manière dont leurs politiques l'affectent. En adoptant une approche bulldozer refusant la distinction entre les formes modernistes et fondamentalistes de l'islamisme, les décideurs politiques américains et européens risquent de provoquer deux effets aussi indésirables l'un que l'autre: soit le rapprochement des différents courants de l'activisme islamique, atténuant ainsi les divergences qui auraient pu autrement être exploitées de manière fructueuse, soit la mise hors-jeu des tendances modernistes et non violentes par les djihadistes.

Le Caire/Bruxelles, 2 mars 2005

Executive Summary

Reacting to the spectacular and violent events of 11 September 2001, many Western observers and policy-makers have tended to lump all forms of Islamism together, brand them as radical and treat them as hostile. That approach is fundamentally misconceived. Islamism -- or Islamic activism (we treat these terms as synonymous) -- has a number of very different streams, only a few of them violent and only a small minority justifying a confrontational response. The West needs a discriminating strategy that takes account of the diversity of outlooks within political Islamism; that accepts that even the most modernist of Islamists are deeply opposed to current U.S. policies and committed to renegotiating their relations with the West; and that understands that the festering Israeli-Palestinian conflict, the war occupation of Iraq, and the way in which the "war against terrorism" is being waged all significantly strengthen the appeal of the most virulent and dangerous jihadi tendencies.

In understanding the different streams of Islamic activism, the starting point is to distinguish between Shiite and Sunni Islamism. The concept of "political Islam" first appeared in the wake of the 1979 Iranian revolution, with Shiite activism then viewed as the most worrying threat. In fact, however, because Shiism is the minority variant of Islam (Sunnis constitute over 80 per cent of Muslims) and because Shiites typically are minorities in the states in which they find themselves, the most widespread and natural form of Shiite activism has been communal -- defending the interests of the Shiite community in relation to other populations and to the state itself. For this reason, and also because of the leading political role played by scholars and religious authorities, ('ulama] Shiite Islamism has remained unified to a remarkable degree and has not fragmented into conflicting forms of activism as has Sunni Islamism.

Sunni Islamism -- on which most Western emphasis is today placed, and about which most fears are held -- is widely viewed as uniformly fundamentalist, radical, and threatening to Western interests. Yet it is not at all monolithic. On the contrary, it has crystallised into three main distinctive types, each with its own worldview, modus operandi and characteristic actors:

  • Political: the Islamic political movements (al-harakât al-islamiyya al-siyassiyya), exemplified by the Society of the Muslim Brothers in Egypt and its offshoots elsewhere (including Algeria, Jordan, Kuwait, Palestine, Sudan and Syria) and by locally rooted movements such as the Justice and Development Party (Adalet ve Kalkinma Partisi, AKP) in Turkey, and the Party for Justice and Development (Parti pour la Justice et le Développement, PJD) in Morocco, whose purpose is to attain political power at the national level. These now generally accept the nation-state, operate within its constitutional framework, eschew violence (except under conditions of foreign occupation), articulate a reformist rather than revolutionary vision and invoke universal democratic norms. The characteristic actor is the party-political militant.
     
  • Missionary: the Islamic missions of conversion (al-da'wa), which exists in two main variants exemplified by the highly structured Tablighi movement on the one hand and the highly diffuse Salafiyya on the other. In both cases political power is not an objective; the overriding purpose is the preservation of the Muslim identity and the Islamic faith and moral order against the forces of unbelief, and the characteristic actors are missionaries (du'ah), and the 'ulama.
     
  • Jihadi: the Islamic armed struggle (al-jihad), which exists in three main variants: internal (combating nominally Muslim regimes considered impious); irredentist (fighting to redeem land ruled by non-Muslims or under occupation); and global (combating the West). The characteristic actor is, of course, the fighter (al-mujahid).

All these varieties of Sunni activism are attempts to reconcile tradition and modernity, to preserve those aspects of tradition considered to be essential by adapting in various ways to modern conditions; all select from tradition, borrow selectively from the West and adopt aspects of modernity. Where they differ is in how they conceive the principal problem facing the Muslim world, and what they believe is necessary, possible and advisable to do about it.

Political Islamists make an issue of Muslim misgovernment and social injustice and give priority to political reform to be achieved by political action (advocating new policies, contesting elections, etc.). Missionary Islamists make an issue of the corruption of Islamic values (al-qiyam al-islamiyya) and the weakening of faith (al-iman) and give priority to a form of moral and spiritual rearmament that champions individual virtue as the condition of good government as well as of collective salvation. Jihadi Islamists make an issue of the oppressive weight of non-Muslim political and military power in the Islamic world and give priority to armed resistance.

Which of these three main outlooks will prevail in the medium and longer term is of great importance to the Muslim world and to the West. While the West in general and the U.S. in particular ought to be modest about their ability to shape the debate among Islamists, they also should be aware of how their policies affect it. By adopting a sledge-hammer approach which refuses to differentiate between modernist and fundamentalist varieties of Islamism, American and European policy-makers risk provoking one of two equally undesirable outcomes: either inducing the different strands of Islamic activism to band together in reaction, attenuating differences that might otherwise be fruitfully developed, or causing the non-violent and modernist tendencies to be eclipsed by the jihadis.

Cairo/Brussels, 2 March 2005

Subscribe to Crisis Group’s Email Updates

Receive the best source of conflict analysis right in your inbox.