A l’intérieur de la crise burundaise (II) – quand WhatsApp remplace la radio
A l’intérieur de la crise burundaise (II) – quand WhatsApp remplace la radio
Un chauffeur de taxi-vélo utilise la radio de son téléphone portable pour écouter les informations en attendant la clientèle, dans un quartier de l’opposition à Bujumbura le 22 juillet 2015, le lendemain de l’élection présidentielle du 21 juillet. AFP PHO
Un chauffeur de taxi-vélo utilise la radio de son téléphone portable pour écouter les informations en attendant la clientèle, dans un quartier de l’opposition à Bujumbura le 22 juillet 2015, le lendemain de l’élection présidentielle du 21 juillet. AFP PHOTO/PHIL MOORE
Commentary / Africa 3 minutes

A l’intérieur de la crise burundaise (II) – quand WhatsApp remplace la radio

Depuis la libéralisation de la presse au début des années 90, les médias burundais ont traversé de nombreuses crises politiques et économiques. Mais la crise actuelle, qui a débuté il y a un an lors de la candidature du président Nkrurunziza à un troisième mandat, illustre à la fois un recul historique de la liberté de la presse et une mutation du système d’information au Burundi. En effet, pour le meilleur et pour le pire, les réseaux sociaux ont comblé le vide laissé par la disparition des radios indépendantes les plus écoutées du pays. Bien qu’utiles pour une population privée d’autres moyens de communication et accessibles grâce aux téléphones portables, les réseaux sociaux ne peuvent remplacer le journalisme professionnel.

Un recul historique pour la liberté de la presse

La fermeture des principales radios du Burundi en mai 2015 a été à la fois une fin et un commencement. Dans un pays où la radio était la source principale d’information pour 90 pour cent de la population, la destruction de Bonesha FM+, Radio Publique Africaine (RPA), Isanganiro, Radio Télévision Renaissance et Rema FM a été le résultat d’une épreuve de force engagée depuis au moins 2010. Bien avant la crise électorale de 2015, plusieurs affaires retentissantes ont illustré les rapports tendus entre le pouvoir et le monde des médias : l’emprisonnement pendant un an du journaliste Hassan Ruvakuki pour avoir enquêté sur un groupe armé (en première instance, ce dernier avait été condamné à la perpétuité avant d’être condamné à trois ans de prison en appel et d’être libéré pour « raison de santé » en 2013), la bataille autour de la nouvelle loi sur les médias en 2012/2013 qui a été contestée devant le tribunal de la Communauté d’Afrique de l’Est, l’incarcération de Bob Rugurika, directeur de la RPA, suite aux investigations menées par sa radio sur l’assassinat de trois sœurs italiennes (en février 2015, sa libération a donné lieu à une mobilisation spontanée sans précédent au Burundi).

Pour le meilleur et pour le pire, les réseaux sociaux ont comblé le vide laissé par la disparition des radios indépendantes les plus écoutées du pays.

La crise électorale de 2015 a porté cette épreuve de force à son paroxysme : les médias se sont retrouvés au cœur du champ de bataille au sens propre comme au sens figuré. Lors du putsch manqué du 13 et 14 mai 2015, les insurgés ont vainement tenté de s’emparer de la radio télévision nationale (RTNB) et Rema FM, proche du pouvoir, a été détruite par des opposants au troisième mandat. Au lendemain de la tentative de prise du pouvoir, la reprise en main de la capitale par les forces loyalistes a abouti à la destruction en tout ou en partie des locaux de Bonesha, RPA, Isanganiro et Radio Renaissance. En juin 2015, les autorités judiciaires ont refusé la reprise d’activités de ces quatre radios et, en août dernier, une commission d’enquête a établi des « complicités » entre certains dirigeants de médias privés et les putschistes. Sur cette base, le procureur a lancé des mandats d’arrêt contre plusieurs journalistes.

En raison du climat de menaces, d’intimidations et de violences ayant suivi le coup d’Etat manqué, environ une centaine de journalistes burundais (soit un tiers de la profession) ont choisi l’exil. Certains ont dû leur salut à l’aide discrète de leurs confrères étrangers ou/et de chancelleries compréhensives. Couvrir les évènements se déroulant au Burundi est même devenu dangereux pour les médias étrangers qui ne sont plus les bienvenus (le correspondant burundais de Radio France Internationale a été tabassé par les services de sécurité en 2015 et deux journalistes travaillant pour le quotidien français Le Monde ont été arrêtés et expulsés en février 2016). Refusant d’être réduits au silence par le pouvoir, des journalistes burundais en exil se sont engagés dans un journalisme de résistance en continuant à faire leur travail de l’étranger. Ils ont bénéficié du soutien de certains bailleurs et de la solidarité professionnelle de structures étrangères pour obtenir temps d’antenne, moyens de survie et outils de travail. Aujourd’hui ce journalisme de résistance est multiforme : outre l’information factuelle diffusée par le collectif SOS Medias Burundi, certains journalistes burundais ont créé des programmes diffusés en ligne (Humura et Inzamba par exemple) et d’autres ont des partenariats avec des radios hôtes leur fournissant la structure technique nécessaire à l’exercice de leur profession. Cette solidarité professionnelle n’est pas sans risque comme l’a prouvé en octobre 2015 l’arrestation par les services de renseignement congolais d’un journaliste burundais et de deux collègues congolais travaillant pour une radio congolaise de la ville d’Uvira (Le messager du peuple) dans la province du Sud-Kivu. Cette radio amie diffusait un magazine politique burundais produit par la RPA, la bête noire du régime burundais.

Des journalistes burundais en exil se sont engagés dans un journalisme de résistance en continuant à faire leur travail de l’étranger.

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