L’Amérique latine aux prises avec une nouvelle vague de criminalité
L’Amérique latine aux prises avec une nouvelle vague de criminalité
Commentary / Latin America & Caribbean 14 minutes

L’Amérique latine aux prises avec une nouvelle vague de criminalité

La menace du crime organisé en Amérique latine s'accroît et représente un risque pour la sécurité et les droits humains. Dans cet extrait de l’édition de printemps de la Watch List 2023, Crisis Group explique comment l'UE et ses Etats membres peuvent contribuer à résoudre ce problème.

 

Dans toute l’Amérique latine, le crime organisé et la montée concomitante de la violence menacent la sécurité des habitants et les gouvernements cherchent désespérément des réponses efficaces. Les chiffres absolus des homicides sont restés stables ces dernières années (même s’ils restent les plus élevés au monde), et ils ont même baissé dans des pays notoirement violents comme la Colombie et le Salvador, mais le tableau reste sombre. Environ un tiers des meurtres commis dans le monde se produisent chaque année en Amérique latine, et les autorités nationales attribuent la plupart d’entre eux au crime organisé. Les taux de meurtres sexistes ont augmenté dans plusieurs pays. Le comportement prédateur des groupes criminels a également déclenché et aggravé des situations d’urgence humanitaire telles que les déplacements massifs de population.

La géographie est l’une des principales raisons pour lesquelles l’Amérique latine est devenue un point chaud de la criminalité mondiale. Avec trois des plus grands pays producteurs de cocaïne au monde – la Colombie, le Pérou et la Bolivie – ainsi que les principaux sites d’exportation de cocaïne vers l’Europe et les Etats-Unis, la région joue un rôle clé dans les marchés clandestins de la drogue depuis plus de 40 ans. Alors que l’Amérique centrale, la Colombie et le Mexique sont depuis longtemps en proie à la violence, le changement des itinéraires et des réseaux du trafic de drogue ont entrainé des flambées de violence dans des pays tels que l’Equateur et le Costa Rica, qui étaient traditionnellement considérés comme sûrs et pacifiques par rapport à certains de leurs voisins. 

De nombreux facteurs ont contribué à l’insécurité publique réelle ou telle qu’elle est perçue. La production de drogue a atteint des volumes sans précédent et de nouveaux itinéraires rentables pour le trafic de stupéfiants dans des pays tels que le Paraguay et l’Argentine jouent également un rôle important. Les difficultés économiques généralisées en Amérique latine, qui sont devenues particulièrement aiguës pendant la pandémie, ont poussé davantage de personnes vers le crime organisé. La prévalence de la corruption dans la région a également permis à toute une série de marchés clandestins de s’implanter. Ces marchés ne se limitent pas au trafic de drogue : les réseaux criminels se livrent à la traite d’êtres humains, au vol de carburant, à l’exploitation forestière et minière illégale et à l’extorsion de fonds. Certaines organisations tentent de renforcer leur influence sur les entreprises légales et de consolider leur contrôle sur les communautés avec de nouvelles recrues et des sympathisants tout en élargissant leur base géographique. 

Le nouvel environnement criminel en Amérique latine a des répercussions au-delà de ses frontières. Les Etats membres de l’UE sont aux prises avec une recrudescence du trafic de cocaïne vers les côtes européennes, alors que le continent devient une destination d’exportation privilégiée pour cette drogue. La coopération intrarégionale de haut niveau en matière de lutte contre le trafic de stupéfiants et la criminalité organisée est engourdie. La coopération des Etats-Unis en matière de sécurité continue de jouer un rôle important en Amérique latine, mais il semblerait qu’elle soit en perte de vitesse, car l’aide financière pour le contrôle des stupéfiants et l’application de la loi dans la région – en particulier au Mexique, en Amérique centrale et en Colombie – a légèrement baissé au cours des dernières années.

Pour contribuer à relever ces défis, l’UE et ses Etats membres devraient : 

  • Aider les gouvernements partenaires à lutter contre les pots-de-vin et la corruption en combinant des politiques volontaristes et une application efficace de la législation, tout en s’appuyant sur des services de police axés sur le renseignement et en renforçant l’échange d’informations transfrontalier. 
  • Pour renforcer la sécurité des personnes, il faudrait soutenir les efforts visant à réduire l’impunité en investissant dans les capacités de poursuite, protéger les victimes et les témoins en accompagnant la mise en place de canaux de signalement sécurisés et de centres d’hébergement, et proposer des alternatives à la criminalité grâce à des programmes sociaux et de création d’emplois. 
  • Dynamiser les programmes d’assistance technique et de renforcement des capacités de l’UE en matière de lutte contre la criminalité, notamment le programme d’assistance à la lutte contre la criminalité transnationale organisée en Europe et en Amérique latine (EL PAcCTO) et le programme de coopération entre l’Amérique latine, les Caraïbes et l’Union européenne sur les politiques de lutte contre la drogue (Copolad).
  • Profiter du prochain sommet de juillet entre l’UE et la Communauté des Etats d’Amérique latine et des Caraïbes (Celac) pour mettre en place un programme de travail sur la criminalité organisée avec les dirigeants de la région, en se focalisant sur des sujets difficiles tels que la coopération intrarégionale, les négociations avec les gangs criminels et les moyens de rediriger les efforts de lutte contre les stupéfiants pour ne plus se concentrer principalement sur les populations les plus pauvres et les plus vulnérables. 
Emilio, tueur à gage de 22 ans, pose à côté de son petit frère avec un fusil d’assaut allemand doté d’un lance-grenades. Mexique, avril 2019. CRISIS GROUP / Falko Ernst

Nouvelles tendances, crimes anciens

La faiblesse des institutions démocratiques, le niveau élevé de corruption et les inégalités extrêmes ont fait de l’Amérique latine un terrain fertile pour le crime organisé. L’insécurité et l’instabilité majeures qui sont le résultat de la criminalité organisée ont commencé à s’installer dans les années 1980. Certains éléments de l’activité criminelle organisée traditionnelle subsistent encore – notamment le recours à la violence sélective et la complicité avec les forces politiques et les entreprises légitimes – mais les activités illégales lucratives aujourd’hui ne ressemblent guère à leur incarnation d’origine.

Les mesures de répression prises par les Etats, souvent avec le soutien des Etats-Unis, ont notamment fait voler en éclats les organisations hiérarchiques traditionnelles qui opéraient sous un commandement central et participaient à de multiples activités illicites telles que la production et le commerce de drogues mais aussi les meurtres et les enlèvements. Les archétypes des cartels de la drogue – tels que Medellín ou Cali en Colombie, ou le Golfe ou Guadalajara au Mexique – ont cédé la place à des groupes criminels plus petits et dynamiques, qui recherchent de nouvelles opportunités illicites plutôt que de s’appuyer sur des marchés stables. La Colombie abrite aujourd’hui toute une série de groupes purement criminels qui évoluent parallèlement à d’autres groupes armés qui combinent des objectifs ostensiblement révolutionnaires à des sources de revenus illicites. On estime qu’un total de 24 000 combattants sont enrôlés dans des groupes armés et dans la criminalité organisée à la fois dans les zones urbaines et rurales. Le nombre de groupes criminels au Mexique a doublé entre 2010 et 2020, atteignant plus de 200 selon l’analyse de données réalisée par Crisis Group

La survie des petites entreprises criminelles n’est bien entendu pas toujours assurée. Dans le Guerrero et le Michoacán au Mexique, ou dans le Cauca et le Nariño en Colombie, les groupes clandestins se livrent régulièrement à des guerres de territoire. Les chefs criminels ont généralement des carrières courtes : la mort, l’arrestation et l’extradition sont des dénouements courants. Mais les économies criminelles au sens large sont devenues plus résistantes, en partie parce que les flux de revenus de ces groupes – qui leur permettent d’acheter la protection politique et l’impunité judiciaire – sont devenus moins vulnérables aux fluctuations soudaines.

Une grande partie du pouvoir des groupes criminels peut désormais être attribuée à l’influence croissante qu’ils exercent sur les communautés dans lesquelles ils opèrent. En Colombie, des groupes tels que le Clan du Golfe – aujourd’hui l’organisation criminelle la plus importante du pays – offrent des contreparties tels que de nouveaux bâtiments scolaires et distribuent même des jouets pour gagner des partisans dans les territoires où ils s’implantent. Mais ces groupes ne comptent pas uniquement sur ces contreparties pour assoir leur domination : le recours à l’enfermement forcé – qui permet aux groupes d’exiger que les habitants restent chez eux et n’aillent pas au travail ou à l’école – s’est généralisé. Plus de 100 000 personnes ont été victimes d’enfermement forcé en 2022, dont de nombreux membres des communautés indigènes et afro-colombiennes de la côte pacifique. Les groupes criminels et autres groupes armés sont particulièrement intéressés à prendre le contrôle de ces communautés, car elles sont généralement situées à proximité de points d’exportation vers les marchés internationaux ou de territoires cruciaux pour les activités illicites. 

Dans certains cas, des groupes criminels locaux louent des territoires à des entrepreneurs qui cherchent à produire ou à transporter des drogues, qui sont ensuite expédiées vers les marchés mondiaux. Ce modèle de franchise et de partenariat a permis aux marchés des drogues illicites de se développer et de se diversifier. Même si la production et le transport de drogues d’origine végétale restent une activité criminelle importante au Mexique, le pays est également devenu un acteur majeur de la production et du trafic de méthamphétamine et d’opiacés synthétiques vers les Etats-Unis. Les saisies de fentanyl au Mexique ont augmenté de plus de 1 000 pour cent depuis 2018. Les énormes profits tirés du commerce des drogues de synthèse financent les guerres de territoire entre les cartels de Jalisco et de Sinaloa, à l’origine d’une grande partie de la violence meurtrière dans le pays. En Colombie, le Clan du Golfe imposerait des taxes aux trafiquants de drogue qui traversent son territoire, selon le plaidoyer proposé aux tribunaux américains par son ancien chef extradé Dairo Antonio Úsuga, alias Otoniel. Le Clan gère également des itinéraires de trafic de migrants à travers la brèche du Darién, entre la Colombie et le Panama. Il se livre aussi à des extorsions de fonds et entretient de nombreuses relations avec des entreprises privées légitimes dans le nord du pays.

Le pays affiche désormais un taux d’homicide qui est celui qui augmente le plus rapidement dans la région, 2022 ayant été l’année la plus meurtrière depuis que les statistiques sont enregistrées.

Ailleurs en Amérique latine, de nouveaux bastions de criminalité se sont installés dans des zones qui offrent des avantages stratégiques aux trafiquants de drogue et permettent de tisser de nouveaux liens entre les organisations transnationales, les gangs locaux et les fonctionnaires corrompus des tribunaux, des prisons et des forces de police. Les villes portuaires de Guayaquil en Equateur et Rosario en Argentine ainsi que le Costa Rica, le Panama et le Paraguay ont connu des flambées de violence exceptionnelles. En Equateur, des groupes criminels ont intimidé les communautés locales en recourant à des tactiques violentes comme la pendaison de cadavres à un pont piétonnier, les bombes dans des magasins et des zones résidentielles et la décapitation de membres de groupes rivaux. Le pays affiche désormais un taux d’homicide qui est celui qui augmente le plus rapidement dans la région, 2022 ayant été l’année la plus meurtrière depuis que les statistiques sont enregistrées. L’expansion au Brésil du Premier commandement de la capitale (Primeiro Comando da Capital) – la plus grande bande criminelle du pays et l’une des plus puissantes d’Amérique latine – explique en grande partie la récente flambée de violence meurtrière dans l’est du Paraguay, juste de l’autre côté de la frontière brésilienne. 

L’expansion et la diversification des groupes criminels en Amérique latine ont entrainé une recrudescence des extorsions de fonds et des crimes contre l’environnement. Ces activités illicites sont moins rentables que le trafic de drogue, mais elles sont devenues de plus en plus attrayantes parce qu’elles génèrent des revenus relativement stables à moindre risque et qu’elles permettent de renforcer le contrôle des communautés. Dans les pays du nord de l’Amérique centrale (El Salvador, Guatemala et Honduras), les extorsions de fonds représenteraient jusqu’à 1,1 milliard de dollars par an. En Colombie, selon des sources militaires, les cas d’extorsion signalés ont augmenté de 40 pour cent au cours des trois premiers mois de 2023 par rapport à la même période de l’année précédente. 

L’Amérique latine, qui abrite environ la moitié des forêts tropicales du monde, et en particulier la forêt amazonienne, est également un haut lieu de la criminalité environnementale. Dans de nombreux cas, ce commerce illicite recoupe d’autres économies criminelles, telles que le trafic de drogue : les troncs d’arbres évidés, par exemple, sont utilisés pour dissimuler des cargaisons de cocaïne. Les trafiquants ont aussi utilisé l’élevage de bétail pour blanchir de l’argent, ce qui contribue également à la déforestation au Brésil, en Colombie et en Bolivie. Les journalistes et les défenseurs de l’environnement – y compris les dirigeants autochtones – figurent en bonne place parmi les victimes des groupes criminels opérant dans la jungle.

La violence sexiste a également augmenté dans certaines régions, exacerbée par le climat général d’impunité et de violence brutale entretenu par les groupes criminels. L’Etat de Zacetacas, dont la situation au nord du Mexique en a fait un site convoité par les gangs qui exploitent les routes de la traite, connait le quatrième taux d’homicide le plus élevé des 32 Etats du pays. Le nombre de disparitions de femmes dans l’Etat de Zacetacas a augmenté de 50 pour cent en 2022, la plupart des victimes étant âgées de dix à dix-neuf ans. D’autres types de violence sexiste se sont également développés à mesure que les opérations criminelles prenaient de l’ampleur.

Ces changements dans les structures et le fonctionnement de la criminalité organisée ont coïncidé avec des changements dans les relations entre les groupes criminels organisés et le système politique. Plutôt que de chercher à s’approprier les institutions de l’Etat ou d’affronter les forces de sécurité pour défendre leur racket, les groupes criminels ont discrètement tissé des réseaux d’influence avec les autorités et les communautés locales, combinant l’intimidation violente avec des techniques sophistiquées de cooptation, notamment en finançant des campagnes électorales pour le candidat local de leur choix ou en empêchant certains candidats de faire campagne dans certaines zones. Il est alors plus probable que les autorités ferment les yeux sur les activités de ces groupes, voire qu’elles y collaborent.

Rechercher une approche efficace

Certaines politiques de lutte contre la criminalité organisée en Amérique latine ont eu des effets positifs, mais ces effets ont eu tendance à se dissiper rapidement. Les gouvernements latino-américains, qui cherchent désespérément à apaiser les craintes de leurs citoyens, se sont tournés vers des approches de type « main de fer » (mano dura), qui combinent l’application coercitive de la loi, le déploiement de forces militaires dans les services de police nationaux, des détentions massives et des sanctions de plus en plus sévères. Mais ces approches n’ont pas éradiqué la criminalité organisée à moyen ou à long termes. Elles l’ont plutôt poussée à adopter de nouvelles configurations qui lui permettent d’éviter les mesures de répression de l’Etat ou d’y échapper, parfois en bénéficiant de la complicité d’agents publics. Par exemple, les politiques répressives sévères menées dans le nord de l’Amérique centrale ont transformé les prisons en plaques tournantes où les gangs s’organisent, consolident leur identité et développent leurs activités d’extorsion. L’approche mano dura a également entrainé une augmentation des exécutions extrajudiciaires, souvent par des forces parapolicières. 

Une approche radicalement différente – à savoir ouvrir un dialogue avec les groupes criminels afin de les démobiliser – s’est également avérée décevante à long terme. La plupart des initiatives de démobilisation des groupes criminels ont été sapées par des taux élevés de récidive parmi les anciens membres de la base. Prenons l’exemple de ce qui s’est passé après que les paramilitaires colombiens ont déposé les armes entre 2003 et 2006 : sur les quelque 55 000 combattants démobilisés, 20 pour cent ont commis des crimes entre 2003 et 2012. 

Les gouvernements d’Amérique latine ont adopté une série de stratégies pour lutter contre la violence criminelle.

Compte tenu de ces expériences, les gouvernements d’Amérique latine ont adopté une série de stratégies pour lutter contre la violence criminelle. Au Salvador, le président Nayib Bukele s’est taillé une renommée régionale tout en attisant les critiques internationales en amenant le nombre de meurtres dans son pays à un niveau historiquement bas l’année dernière, grâce à un « état d’exception » qui a permis l’arrestation et l’emprisonnement de 65 000 membres présumés de gangs, dont 15 pour cent de femmes. Le Salvador compte aujourd’hui la plus grande population carcérale par habitant au monde, avec quelque 2 pour cent de sa population adulte derrière les barreaux. Les défenseurs des droits humains ont exprimé des préoccupations légitimes concernant les politiques d’incarcération de masse de Bukele, affirmant qu’elles avaient fait un usage excessif de la force, conduit à l’érosion des droits légitimes des suspects et ébranlé les institutions démocratiques du pays. Crisis Group et d’autres organisations ont également exprimé leur inquiétude quant à la pérennité de la situation sécuritaire actuelle. Les effets tangibles sur la sécurité publique ont cependant apporté à Bukele une popularité exceptionnelle. Malgré l’interdiction constitutionnelle de briguer un autre mandat, il est probable qu’il soit réélu en 2024.

D’autres responsables politiques de la région cherchent à reproduire le modèle de sécurité du Salvador. Les candidats en tête de peloton pour l’élection présidentielle guatémaltèque de juin – Carlos Pineda, Sandra Torres et Zury Ríos – se sont explicitement inspirés de Bukele. Le président de gauche du Honduras a également pris des mesures de sécurité d’urgence pour lutter contre l’extorsion. 

En revanche, le président colombien Gustavo Petro a emprunté une voie très différente pour résoudre les problèmes de sécurité de son pays. Une série de politiques connues sous le nom de « paix totale » s’attaque à réduire la violence et à protéger les civils, surtout dans les zones rurales touchées par les conflits, en recherchant le dialogue et des conditions de cessez-le-feu avec les groupes armés et les groupes criminels, notamment l’Armée de libération nationale (ELN), les dissidents des anciennes Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) et le Clan du Golfe. L’ouverture d’un dialogue avec autant d’organisations armées distinctes présente bien entendu de nombreuses complications. La loi colombienne interdit tout dialogue politique avec des groupes criminels organisés, ce qui signifie que l’objectif de toute discussion doit être la démobilisation et la poursuite des membres conformément au système judiciaire normal. De son côté, Washington reste sceptique vis-à-vis des discussions avec les groupes criminels, en particulier alors qu’un certain nombre de leurs dirigeants sont poursuivis aux Etats-Unis. 

Cette politique reste pourtant l’initiative phare de Gustavo Petro. Les négociations devraient se poursuivre avec l’ELN à Cuba en mai, et des pourparlers pourraient bientôt être ouverts avec un groupe dissident (une scission) des FARC, aujourd’hui démobilisées. Mais le gouvernement a rompu un cessez-le-feu précaire avec le Clan du Golfe après avoir allégué que le groupe avait incité à la violence lors d’une grève minière, notamment en brulant des camions, en bloquant des routes et en tentant d’attaquer un aqueduc à Tarazá, dans la département d’Antioquía.

L’approche de Petro est en partie motivée par sa lecture des causes de la résistance et de l’influence des groupes armés, qui s’expliquent par l’absence d’autres opportunités économiques pour les résidents ruraux, mais aussi par les échecs du cadre mondial d’interdiction des stupéfiants. Selon son gouvernement, les stratégies de lutte contre les stupéfiants mises en place par les gouvernements latino-américains depuis les années 1980 et soutenues par Washington ont généré d’énormes incitations économiques à l’activité illicite tout en punissant les maillons les plus faibles et les plus vulnérables de la chaine d’approvisionnement en stupéfiants. C’est ainsi que cette situation a créé les conditions permettant aux groupes armés illégaux de trouver des recrues et des ressources. Petro s’efforce de briser ce cycle avec son effort de paix totale. 

Tracer la voie à suivre

L’UE et ses Etats membres devraient soutenir les efforts régionaux pour réduire l’impact de la criminalité organisée sur la sécurité des personnes dans la région, ainsi que les défis qu’elle représente pour l’Etat de droit et les politiques pacifiques et démocratiques. Ils devraient également s’efforcer de fonctionner comme un contre-pouvoir aux approches musclées, qui pourraient trop facilement bénéficier d’un soutien politique lorsque les communautés vivent dans la peur. En guise d’alternative, l’UE et les Etats membres devraient défendre des initiatives qui combinent le renforcement des capacités pour une application humaine et efficace de la loi avec des programmes économiques et sociaux, y compris ceux qui visent à fournir des moyens de subsistance licites aux communautés appauvries. En particulier : 

Tout d’abord, l’UE et les Etats membres devraient soutenir des politiques solides de lutte contre la corruption – y compris la mise en place de contrôles financiers plus stricts et d’agences d’audit indépendantes pour superviser les finances publiques – et s’efforcer de renforcer les activités de police basées sur le renseignement pour contribuer à garantir l’application de ces politiques. L’échange systématique d’informations entre les gouvernements européens et latino-américains pourrait également contribuer à dynamiser les efforts en matière d’application de la loi. L’UE devrait également soutenir les initiatives de réforme des prisons pour empêcher qu’elles ne soient utilisées comme centres opérationnels par les groupes criminels et pour offrir aux détenus davantage de possibilités de formation et d’éducation avant leur libération. 

Les bailleurs de fonds européens et autres devraient s’attacher à aider les gouvernements régionaux à réduire les taux d’impunité et à renforcer la sécurité des victimes.

Deuxièmement, les bailleurs de fonds européens et autres devraient s’attacher à aider les gouvernements régionaux à réduire les taux d’impunité et à renforcer la sécurité des victimes. Pour ce faire, ils devraient soutenir les efforts visant à renforcer les capacités d’enquête des parquets, créer de nouveaux canaux permettant aux victimes et aux témoins de partager des informations sur les crimes, et ouvrir des refuges pour les personnes vulnérables qui ont signalé des crimes violents, y compris les femmes. Ils devraient également se concentrer sur les initiatives communautaires de réduction de la violence, telles que l’emploi et les programmes sociaux pour les jeunes en situation de vulnérabilité, afin de lutter contre la criminalité et la violence qu’elle engendre.

Troisièmement, l’UE et les Etats membres devraient envisager de soutenir et de promouvoir davantage les efforts de coopération régionale existants pour lutter contre le trafic de drogue. Il s’agit notamment du partenariat naissant entre l’Equateur et la Colombie pour protéger leur frontière commune et d’un effort mené par le Brésil pour réduire la déforestation en Amazonie, qui pourraient servir de tremplin à des programmes de partenariat régional à plus grande échelle. Parallèlement, les bailleurs de fonds européens pourraient investir davantage dans les initiatives d’assistance technique pour lutter contre le crime organisé et le trafic de drogue, telles que EL PAcCTO et Copolad, continuer à accompagner les efforts de renforcement de la coopération policière en Amérique latine, y compris avec l’agence embryonnaire Ameripol, tout en révisant les programmes pour être plus en phase avec les activités criminelles en pleine mutation dans la région. 

Quatrièmement, le sommet UE-Celac qui se tiendra en juillet, après une interruption de huit ans, est l’occasion de mettre en place un programme de travail sur la criminalité organisée avec les dirigeants de la région. Les sujets à l’ordre du jour pourraient inclure la manière dont l’UE serait susceptible de promouvoir une plus grande coopération intrarégionale en matière de sécurité, les questions relatives aux négociations avec les groupes criminels – y compris les conditions limitées dans lesquelles elles pourraient être appropriées – et la manière de recadrer les efforts internationaux de lutte contre les stupéfiants afin que l’accent soit mis non plus sur les subalternes dans les réseaux de trafic (qui comprennent des personnes très vulnérables pratiquant une agriculture de subsistance), mais plutôt en ciblant les segments des chaines d’approvisionnement qui ont plus de valeur, notamment en luttant plus efficacement contre les flux financiers

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