Présidentielle : une lueur d'espoir en Egypte
Présidentielle : une lueur d'espoir en Egypte
Op-Ed / Middle East & North Africa 3 minutes

Présidentielle : une lueur d'espoir en Egypte

En Egypte, l’absence de règles définies du jeu politique donne le ton de l’élection présidentielle qui se tiendra demain et après-demain: les enjeux sont élevés, tout semble être permis et la bataille pour le pouvoir sera âpre. De nombreuses questions restent en suspens : qui rédigera la nouvelle constitution ? Quelle autorité reviendra au chef de l’Etat, notamment au regard de sa relation avec le pouvoir législatif ? Quel rôle l’armée jouera-t-elle dans cette transition vers un nouveau système politique ? Les candidats à l’élection, du mouvement révolutionnaire aux islamistes en passant par les conservateurs, aspirent tous au pouvoir. L’élection pourrait être l’ultime tentative du Conseil suprême des forces armées (CSFA) de conduire une véritable transition politique dans le calme.

Le CSFA, constitué de vingt membres de l’élite militaire égyptienne autrefois dirigée par Moubarak, s’était placé en défenseur du mouvement de contestation lors de son accession au pouvoir. Mais sa gestion autoritaire et répressive de la transition et ses décisions ambivalentes lui ont coûté beaucoup du soutien dont il bénéficiait en février dernier. Il se retrouve aujourd’hui pris entre deux feux. Il estime être le seul agent national détenant la légitimité, la capacité et l’expérience nécessaire pour protéger le pays des menaces intérieures comme extérieures. Aujourd’hui, il doit répondre aux demandes de changement politique radical d’un mouvement de contestation très mobilisé et à la montée des islamistes, longtemps marginalisés. Ces développements vont à l’encontre de son conservatisme et de son attachement à la stabilité et à la continuité politique.

Il ne fait aucun doute que les généraux ne prennent pas plaisir à gouverner. Mais face à  l’insécurité chronique, la volatilité du Sinaï et l’agitation à Gaza, en Libye et au Soudan, ils ne souhaitent pas non plus laisser la place à un gouvernement civil inexpérimenté. Ils ne sont pas non plus prêts à accepter l’abrogation de leurs privilèges, qui comprennent un budget exempt du contrôle civil, une immunité quasi-totale et d’importants investissements liés à des secteurs clés de l’économie. Si elle est en retrait de la scène médiatique, l’armée n’a pas l’intention de laisser son influence décroître, comme a pu le suggérer le mouvement laïc, ni de voir l’équilibre des pouvoirs basculer en faveur d’un seul parti, particulièrement si celui-ci est islamiste.

Cependant, les actions prises par le CSFA ces derniers mois ne l’ont pas aidé dans cette démarche. En manipulant les partis pour monter les islamistes et les laïcs l’un contre l’autre, il les a tous deux aliénés. Les Frères musulmans et l’armée s’affrontent désormais sur l’organisation de l’après-transition. Face à la volonté militaire d’imposer un système présidentiel autoritaire privant le parlement de ses pouvoirs, les Frères se sont engagés dans une campagne tous azimuts, revenant sur leur promesse de ne pas présenter de candidat. Aucun des deux acteurs ne souhaite cette confrontation, mais à l’approche des élections, ils ne peuvent plus faire marche arrière.

Toutefois, il n’est peut-être pas trop tard. Les généraux doivent mettre en place aujourd’hui ce qu’ils auraient dû accomplir plus d’un an auparavant : instaurer un dialogue rassemblant tous les acteurs politiques du pays, les Frères musulmans, mais aussi les ultraconservateurs salafistes et le mouvement libéral de contestation, pour réconcilier leurs intérêts et leurs objectifs antagonistes, et ainsi préserver la paix. Il faut trouver un moyen de définir les caractéristiques du système politique futur, notamment les pouvoirs de la présidence, le comité de rédaction de la nouvelle constitution et la nature de la relation entre civils et militaires. Ces questions, fondamentales pour assurer la stabilité politique de l’Egypte, ne peuvent pas être ignorées.

À la veille du premier tour du scrutin, l’inquiétude est vive. La liste des candidats a été finalisée moins d’un mois avant le scrutin, à la suite de polémiques quant à la nomination de dernière minute (et disqualification) du guide général adjoint des Frères musulmans, Khairat El-Shater, et de l’ancien directeur des services de renseignements de l’ère Moubarak, Omar Suleiman. Si le CSFA arrivait à déterminer exactement quels sont les enjeux des élections, il pourrait faire d’un scrutin au potentiel explosif un exercice politique normalisé. Cela passe notamment par un accord avec les autres partis politiques définissant la relation d’autorité entre les différentes branches du gouvernement, et des garanties permettant aux différents intérêts d’être représentés et protégés. Cela pourrait être la dernière chance des généraux de promouvoir un système politique démocratique qui reflèterait la prouesse électorale des Frères musulmans et les aspirations démocratiques de la contestation tout en protégeant les intérêts militaires. Le CSFA devra également céder sa place au gouvernement élu. Mais finalement, le défi reste le maintien de l’ordre, du calme et de la dignité du peuple égyptien lors du scrutin.
 

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