Burundi : anatomie du troisième mandat de Nkurunziza
Burundi : anatomie du troisième mandat de Nkurunziza
Op-Ed / Africa 5 minutes

Burundi : anatomie du troisième mandat de Nkurunziza

Le 1er juin dernier à Mugamba (province de Bururi), Pierre Nkurunziza a lancé un ultimatum.

« Du haut d’une camionnette, micro à la main, sous très haute protection de l’armée et de la police », rapporte l’AFP, le président burundais a ordonné aux insurgés de cette commune du Sud du pays de déposer les armes dans les quinze jours : « Téléphonez à vos frères qui ont pris les armes, dites-leur que nous leur donnons quinze jours pour qu’ils y renoncent […] Quinze jours, pas plus. Dites-leur cela ». Hasard ou préméditation, la fin de cet ultimatum devrait coïncider avec la reprise prévue des discussions à Arusha, en Tanzanie, entre le gouvernement et l’opposition.

La crise politique, déclenchée en avril 2015 par l’annonce de la candidature du président Nkurunziza à un troisième mandat, n’en finit pas de s’approfondir depuis sa réélection en juillet 2015. Tandis que chaque camp s’arc-boute sur ses positions, les morts s’accumulent.

La crise socio-humanitaire en gestation, l’insécurité physique, politique et économique d’une partie de la population, la peur et le fait que le Burundi soit privé de contre-pouvoirs institutionnels et de médias libres, créent les conditions idéales d’un pourrissement et d’une ethnicisation du conflit.

Une volonté d’ethniciser le conflit

Au début de la crise, en avril 2015, la candidature du président Nkurunziza à un troisième mandat a clivé son parti, le Conseil national pour la défense de la démocratie-Forces de défense de la démocratie (CNDD-FDD), et a conduit à son éclatement. Maintenant dominé par les éléments les plus radicaux du CNDD-FDD, le régime a fortement ethnicisé son discours. Des responsables publics dénoncent pêle-mêle une domination tutsie (les Tutsis représentent 14 pour cent de la population, les Hutus 85 pour cent) au sein des organisations de la société civile et de la presse, un complot tutsi qui serait soutenu par le président du Rwanda Paul Kagame, et le silence sur les massacres commis par les pouvoirs tutsi depuis l’indépendance. Certains responsables publics ont appelé à la violence et tenu des propos discriminatoires. Néanmoins, la population ne semble pas retomber dans le piège des divisions ethniques : les affrontements n’ont pas pris une tournure communautaire et n’impliquent pour l’instant que les militants de l’opposition et les forces de sécurité.

La fin programmée d’Arusha ?

Sur le plan politique, le pouvoir affiche clairement sa volonté de mettre fin à la démocratie de consensus d’Arusha, un système de partage obligatoire du pouvoir entre la majorité hutue et la minorité tutsie, instauré en 2000 pour sortir de la guerre civile et socle des institutions au cours de la dernière décennie.

Sous couvert du « dialogue national » lancé en janvier dernier, les radicaux du CNDD-FDD cherchent à remettre en cause par le bas l’accord de paix. Boycottées par les Forces nationales de libération (FNL), un important mouvement politique hutu, et l’opposition en exil, ces consultations « populaire » qui se déroulent sous l’égide de la Commission nationale du dialogue interburundais, ont tout d’un monologue du parti au pouvoir. « Nous devons avoir une nouvelle Constitution […] selon laquelle le président élu règne jusqu’à ce qu’il soit fatigué, règne à vie », a déclaré le député Nzeyimana Nestor (CNDD-FDD) lors de la cérémonie d’ouverture le 19 janvier. Le ton était donné.

La remise en question de la fabrique sociale burundaise

Le poison de la division ethnique, la peur et la pauvreté grandissantes minent la cohésion sociale et la coexistence politique, déjà fragiles avant la crise. En un an, celle-ci a poussé quelque 265 000 burundais à l’exil. Nombreux sont ceux qui ont retrouvé les camps trop familiers de Tanzanie ou se sont réfugiés chez des parents au Rwanda. Outre les opposants, des ruraux, des étudiants, des hommes d’affaires et une bonne partie de l’élite économique et politique ont quitté le pays. Environ un tiers des journalistes vit désormais à l’étranger et la jeunesse urbaine de Bujumbura paie un lourd tribut à la crise.

Cette hémorragie vide le pays de ses forces vives et illustre la rupture du pacte entre le régime d’un côté, et certains groupes sociaux de l’autre (les citadins de la capitale, la communauté tutsie qui craint un nouveau génocide et la vieille garde de l’armée).

Une crise humanitaire en gestation

Par ailleurs, l’économie est durement touchée. Des secteurs dynamiques tels que l’hôtellerie et la construction sont en berne, l’approvisionnement du pays en pétrole devient problématique, les échanges économiques entre la capitale et le monde rural sont perturbés. Les prix grimpent, et la demande intérieure s’effondre.

Tandis que les écoles ont de sérieux problèmes de fonctionnement, la malnutrition, le manque de médicaments et les épidémies saisonnières, vulnérabilités chroniques du Burundi, s’accentuent. Selon de récentes estimations du World Food Program, 4,6 millions de Burundais sont en situation d’insécurité alimentaire (sur une population de 10 millions de personnes) et un demi-million ont besoin d’aide alimentaire d’urgence. Dans la capitale Bujumbura, le nombre d’enfants souffrant de malnutrition sévère a doublé entre octobre et décembre 2015.

Des difficultés propres aux zones de conflit apparaissent : restriction de l’accès humanitaire dans les quartiers contestataires, enfants traumatisés, augmentation des cas de viol, notamment. Face à la détérioration des conditions de vie des Burundais, le plan de réponse humanitaire des Nations unies est largement sous-financé.

L’indispensable dialogue

Le 21 mai dernier, le régime et l’opposition burundais étaient appelés à se rencontrer sous l’égide du facilitateur de la Communauté d’Afrique de l’Est (EAC), l’ancien président tanzanien Benjamin Mkapa. Attendue depuis cinq mois, cette réunion s’est transformée en rendez-vous manqué : des acteurs importants de l’opposition (le Cnared) n’y étaient pas conviés et il n’y a pas eu de discussion directe entre le gouvernement et les quelques opposants présents.

Le dialogue est pourtant indispensable pour sortir de l’impasse et éviter que l’histoire douloureuse du pays ne se répète.

Au cœur de la confrontation actuelle se trouve la question suivante : « faut-il ou non changer le système institutionnel d’Arusha ? ». Y répondre par le débat démocratique peut permettre d’élaborer un nouveau consensus post-Arusha et conduire le Burundi vers une paix durable.

Pour encourager les parties à s’engager dans de véritables pourparlers, les garants de l’accord de paix d’Arusha disposent de plusieurs leviers : la suspension sélective de l’aide, le changement des modalités de financement du contingent burundais de la mission de maintien de la paix en Somalie, voire le renvoi de ce contingent. Dans cette perspective, une meilleure coordination entre les acteurs internationaux est nécessaire.

Une nécessaire implication des acteurs internationaux

Pour éviter la dérive vers un conflit ethnique, les Nations unies, l’Union européenne et l’Union africaine devraient appliquer des sanctions contre tous ceux qui tiennent des discours d’incitation à la haine et aux discriminations, et se mettre d’accord sur le déploiement au Burundi de plusieurs centaines d’observateurs des droits humains et de policiers internationaux, voire d’une force d’intervention en cas d’urgence. Le suivi des discours d’incitation à la haine devrait être renforcé pour prendre en compte les acteurs locaux que sont les Imbonerakure et les administrateurs communaux.

Afin d’atténuer au maximum l’impact de la crise économique et sociale sur les populations, les bailleurs devraient débloquer des fonds pour le plan de réponse humanitaire des Nations unies, et mettre en place un dispositif de suivi de la situation économique, nutritionnelle et sanitaire permettant de réagir rapidement et d’adapter au mieux la réponse aux besoins.

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