La Tunisie saura-t-elle montrer l’exemple ?
La Tunisie saura-t-elle montrer l’exemple ?
Op-Ed 3 minutes

La Tunisie saura-t-elle montrer l’exemple ?

L’impact psychologique de l’attentat suicide en Tunisie le 25 novembre qui a coûté la vie à douze membres de la garde présidentielle est peut-être plus important que celui des attaques contre les touristes étrangers en mars et juin 2015 au Bardo et à Sousse. La garde présidentielle est un corps d’élite assurant la protection du président, du Parlement, et de la présidence du gouvernement. Le symbole est extrêmement fort. L’objectif des commanditaires a été, sans nul doute, d’approfondir les divisions au sein de la société et de la classe politique en mettant en lumière un Etat incapable d’assurer sa propre sécurité, y compris dans la capitale.

Depuis quelques semaines, l’activité des groupes djihadistes armés s’est accrue dans une zone de près d’une centaine de kilomètres entre le Mont Chaambi près de la frontière algérienne à l’ouest, et la région de Sidi Bouzid dans le centre du pays. Deux groupes armés de près de 200 personnes recrutent parmi la population locale sur fond de détresse sociale et économique afin de sanctuariser leur position et faire face aux attaques de l’armée. L’un d’eux, Okba Ibn Nafa, s’est allié à Al-Qaida au Maghreb Islamique (AQMI). L’autre, Jounoud Al Khilafa, toujours dans le sérail d’AQMI, semble se rapprocher de l’organisation de l’Etat islamique. Positionnés dans le centre du pays, les deux groupes locaux espèreraient une détérioration du conflit en Libye, qui selon eux faciliterait l’arrivée de renforts libyens par le sud de la Tunisie, permettant ainsi de déstabiliser le pays par une série d’attaques spectaculaires. Ceci produirait une onde de choc dans l’Algérie voisine, laquelle représenterait, en réalité, pour la plupart des jihadistes, la cible principale.

En Tunisie, contrairement à la France, les civils ne sont pour l’instant pas visés, excepté les occidentaux. Les commanditaires des attentats ne veulent pas se mettre à dos les populations locales pouvant rejoindre leur cause. Ils veulent montrer qu’ils sont plus forts que l’Etat, qu’ils sont en mesure de frapper n’importe où et n’importe quand. Or, ceci est absolument faux. La Tunisie est loin d’être un « Etat en faillite ». Malgré certains dysfonctionnements sécuritaires, la police et la garde nationale ont déjoué de nombreuses attaques et l’Etat tient le coup.

Pourtant chaque attentat est politisé, ce qui dans le contexte actuel pourrait constituer un risque. Les divisions au sein du parti du président Béjï Caid Essebsi, Nida Tounes, sont nombreuses. Les opposants à la cohabitation entre Nida Tounes et le parti islamiste An-Nahda pourraient manipuler à outrance le débat politique. Certains estiment que le système politique et l’administration publique sont bloqués du fait d’une « alliance contre nature » entre islamistes et non-islamistes. D’autres sont désespérés et ont le sentiment que le pouvoir politique est exercé par des élites de l’ombre corrompues, qu’il n’y a donc plus rien à espérer, et que tous leurs problèmes sont liés à des règlements de compte entre responsables politiques, économiques et sécuritaires. Ceci explique en partie la large dépolitisation des couches populaires. Une réponse à la dernière vague d’attentat sous couvert de politique partisane risque ainsi de nourrir les tensions sociales si certaines institutions – ou pays voisins – deviennent au final des boucs émissaires : gouvernement, Nida Tounes, An-Nahda, présidence de la République, journalistes, militants des droits de l’homme, corps sécuritaires soit disant faibles et infiltrés, Libye etc.

Une question demeure : quelle réponse apporter aux défis sécuritaires ? Nombre de citoyens ont besoin d’être rassurés sur la capacité des forces de sécurité à répondre de manière ferme à cette montée de violence djihadiste. Certains affirment que l’Etat doit conduire une guerre sans merci contre le terrorisme qu’elle qu’en soit le prix en terme de respect des droits humains (peine de mort, jugement sommaire etc). Les premières mesures annoncées par le chef du gouvernement ont été fermes : état d’urgence pendant 30 jours, couvre-feu nocturne dans la région du grand Tunis pour une durée indéterminée et fermeture des frontières avec la Libye pendant quinze jours. Espérons qu’elles ne conduiront pas à une vague d’arrestations non ciblées qui feraient à moyen terme le jeu des jihadistes tentant de rendre les forces de sécurité responsables de l’injustice subie par de nombreux Tunisiens, notamment ceux des zones déshéritées.

La tenue d’un congrès national contre le terrorisme, unissant le pays et dépolitisé, est aujourd’hui nécessaire. Bien que les causes du phénomène djihadiste soient très nombreuses et complexes, la Tunisie peut en élaborant une réponse originale et proportionnée montrer l’exemple à de nombreux Etats, y compris en Europe. Loin d’une réponse strictement technique et sécuritaire, la Tunisie doit réformer en profondeur les institutions des forces de sécurité afin d’améliorer leur efficacité et éviter la radicalisation des franges les plus fragilisées de sa population. Réduire le fossé grandissant entre le citoyen ordinaire et le pouvoir politique, ne pas utiliser l’attaque à des fins politiques et personnelles, encourager un discours public franc, sincère et uni, et ne pas céder à la tentation de restaurer la barrière de la peur entre la population et l’institution sécuritaire sont essentiels à court terme.

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