Révolution iranienne : la nouvelle phase
Révolution iranienne : la nouvelle phase
Iran: Gaza, “Axis of Resistance” and Nuclear Calculations
Iran: Gaza, “Axis of Resistance” and Nuclear Calculations
Op-Ed / Middle East & North Africa 4 minutes

Révolution iranienne : la nouvelle phase

 « Une nouvelle phase de la Révolution », c’est ainsi que le Commandant en chef des Gardiens de la Révolution, le Général Mohammad Ali Jafari, a publiquement décrit les évènements qui se sont précipités ces dernières semaines en Iran.

La formule doit être prise au sérieux tant elle émane d’une des figures clés du réseau qui domine désormais le pays. Les Gardiens de la Révolution, ou Pasdarans, dont Ahmadinejad est issu, sont l’armée idéologique de l’Iran devenue au fil des années un Etat dans l’Etat, réseau de cooptation d’une seconde génération de leaders islamiques contrôlant des pans entiers de l’économie ainsi que les programmes technologiques et militaires les plus sensibles, nucléaire en tête.

La prise de contrôle du processus électoral le 12 juin dernier parachève la conquête par les Gardiens de la Révolution de tous les instruments de pouvoirs de la République islamique. La notion de coup d’état est inexacte pour rendre compte d’une conquête qui s’est effectuée à l’échelle d’une décennie entière. La confiscation probable de l’élection présidentielle n’en est que la phase finale et la plus visible.

Cette ultime étape exigeait la confrontation directe avec la faction rivale, celle qui s’inscrit dans le sillage de l’ancien Président Hashemi Rafsandjani, figure clé de l’oligarchie islamique, plus importante encore que celle de Mir Hossein Moussavi. En quelques semaines cette rivalité latente est devenue une lutte à mort sans « terrain d’entente », pour reprendre les termes mêmes du Général Jafari.

Cet antagonisme concerne la nature même du système islamique. Le pragmatisme prôné par Rafsandjani impliquait des révisions fondamentales des principes directeurs de la République islamique à l’intérieur, dans le domaine économique tout particulièrement, aussi bien qu’à l’extérieur, où l’ancien président prônait le dialogue avec les Etats-Unis. En 1994, n’avait il pas offert à la société pétrolière américaine Conoco un contrat d’exploitation d’un montant de un milliard de dollars avant même de considérer les offres européennes ou asiatiques ?

La multiplication des références au modèle américain est la marque de fabrique du réseau Rafsandjani. Think tanks directement calqués sur le modèle de ceux de Washington, réseau d’universités privées et de business school réservée à la jeunesse dorée iranienne, il n’est pas jusqu’à la campagne présidentielle de 2005, où des jeunes filles en rollers distribuaient les tracts vantant les mérites du candidat Rafsandjani et au cours de laquelle rares furent les télévisions occidentales qui n’eurent dans le champ de leur caméra des slogans politiques rédigés… en anglais. Rafsandjani a construit sa stratégie politique en cultivant les stéréotypes anglo-saxons pour mieux promouvoir une image de modernité destinée à flatter la fascination de la jeunesse iranienne pour l’Amérique et à attirer les capitaux occidentaux. Ce calcul, loin de correspondre à une adhésion au modèle américain, visait en fait à se concentrer sur les bénéfices économiques d’un rapprochement avec Washington, lui imposant, en réalité, de sérieuses limites.

Le calcul de fond consistait à réduire progressivement l’écart avec l’Occident sans renoncer au cadre islamique. L’équation était limpide, la République islamique de plus en plus confondue avec une oligarchie islamique renouerait avec la prospérité avec l’aide des investissements occidentaux, dissuadant les Iraniens de mettre à bas le modèle, pacte tacite de non agression dont l’économie serait le ciment.

Aux yeux des conservateurs, c’est précisément cette équation qui était intenable. Ce « pragmatisme » et ses révisions entameraient immanquablement un processus de révision des dogmes fondateurs de la République islamique. Sous couvert d’organiser l’adaptation du système, l’expérience ne pourrait déboucher que sur une accélération croissante des transformations au point de finir par imposer son rythme aux acteurs du système islamique et de les dépasser.

On n’insistera jamais assez sur le fait que les stratèges de la République islamique ont tiré profit de l’expérience historique de la chute de l’Union Soviétique. Le cœur du régime craint avant tout la figure d’un Gorbatchev islamique. Une nouvelle présidence réformiste dans un contexte international marqué à la fois par un héritage de tensions et, surtout, par une offre de dialogue émanant des Etats-Unis, matérialisait cette crainte.

Du point de vue des Gardiens de la Révolution, l’enjeu de l’affrontement en cours n’est plus un conflit de doctrine ou de stratégie quant à l’avenir du système. Il porte sur la survie du système face à ceux qui le menacent – un ensemble qui inclut désormais les réformateurs. La formule du Général Yadollah Javani est sans équivoque : « Il y a deux courants, ceux qui défendent et soutiennent la Révolution et ceux qui essayent de la renverser ». L’enjeu est politique : la Révolution n’est pas un évènement passé, elle se poursuit.

L’enjeu final de cette lutte est, selon Jafari, « la relance de la Révolution et la clarification de ses buts aussi bien au-dedans qu’au dehors de l’Iran ». Les implications de cette formule sont multiples. Au plan intérieur, c’est avec la Russie et la Chine plutôt qu’avec les démocraties occidentales que l’Iran compte relever ses immenses défis économiques et résister aux sanctions. Au plan international, si la porte n’est pas complètement fermée à la possibilité d’un dialogue avec Washington, le nouveau pouvoir est avant tout mandaté pour l’endiguer au maximum afin d’en édulcorer les possibles effets politiques et sociaux. Enfin c’est vers l’avènement de l’Iran comme principale puissance régionale que convergent les efforts des Gardiens de la Révolution. Dans les prochains mois, le culte de la nation et de son indépendance pourrait être porté à son paroxysme par le nouveau pouvoir. L’accéleration du programme nucléaire et le renforcement de ceux qui sont favorables à son éventuelle militarisation risquent d’en être une manifestation.

Les Gardiens de la Révolution n’ignorent rien des dangers qui sous-tendent cette stratégie, en particulier le l’aggravation probable des tensions avec l’Occident. La mise en garde adressée par le Général Jafari aux gouvernements occidentaux tentés par « un discours et une conduite hostiles » n’est pas une menace en l’air. Bras armé de la Révolution, les unités spéciales des Pasdarans sont passées maîtres dans l’art de conduire les représailles hors des frontières de l’Iran. En ces jours de crise, nul ne peut dire avec certitude à quoi pense le noyau central du régime. Mais est-ce vraiment se hasarder que d’imaginer l’Iraq, l’Afghanistan et la proximité des troupes américaines et européennes au coeur de ses réflexions.


 

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