L’insurrection du Kamuina Nsapu, un danger de plus en RDC
L’insurrection du Kamuina Nsapu, un danger de plus en RDC
A screenshot of a video that went viral on social media networks, allegedly showing uniformed men shooting at unarmed villagers in the Kasai region of Democratic Republic of Congo, in mid-February 2017. SUDINFO/Daily Motion Video.
Commentary / Africa 12 minutes

L’insurrection du Kamuina Nsapu, un danger de plus en RDC

L’insurrection dans la région du Kasaï plonge ses racines dans les tensions locales, mais elle revêt désormais une dimension plus large, reflétant une profonde frustration face à la crise politique et économique que traverse le pays.

Depuis mi-2016, la province du Kasaï-Central, en République démocratique du Congo (RDC), est le théâtre d’une insurrection de la milice Kamuina Nsapu, constituée par les adeptes d’un chef traditionnel du même nom. Les combats de plus en plus violents se sont rapidement propagés aux provinces voisines du Kasaï, du Kasaï-Oriental et du Lomami. En janvier dernier, le bilan s’élevait à 400 morts et 216 000 déplacés, selon des sources humanitaires. Dans la ville de Tshimbulu, au moins 84 membres de la milice sont morts entre le 9 et le 13 février.

La situation est récemment devenue un sujet de préoccupation nationale et internationale. Après la diffusion sur les réseaux sociaux, en février, de vidéos semblant montrer une répression brutale par l’armée dans le Kasaï-Central, le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’Homme a appelé le gouvernement à mener une enquête. Le 12 mars, dans cette même province, six personnes ont été enlevées – deux membres, un Américain et une Suédoise, du Groupe d’experts des Nations unies chargé de contrôler la mise en œuvre des sanctions internationales, et quatre Congolais travaillant avec eux. La lumière doit être faite au plus vite sur les circonstances de cette disparition, incident inédit, notamment pour que le pays reste accessible aux journalistes et aux chercheurs internationaux.

L’insurrection de Kamuina Nsapu plonge ses racines dans les tensions locales dans la province du Kasaï-Central, mais la longue frustration politique et socioéconomique des habitants du Kasaï n’y est pas étrangère. La légitimité des gouvernements provinciaux et du gouvernement national dans la région est particulièrement faible. L’impasse politique au niveau national, provoquée par le maintien au pouvoir du président Joseph Kabila au-delà de la limite constitutionnelle de son mandat en décembre 2016 – impasse qui se poursuit en dépit de l’accord du 31 décembre 2016 signé par la majorité présidentielle et les dirigeants de l’opposition, prévoyant la mise en place d’un gouvernement d’union nationale et la tenue du scrutin présidentiel et des élections législatives et provinciales avant fin 2017 – et l’aggravation de la crise économique, accentuent cette tendance.

La Monusco, la plus importante mission de maintien de la paix de l’ONU, n’a qu’une capacité limitée pour répondre aux troubles civils ou à l’aggravation des conflits. Néanmoins, la présence militaire et des policiers de la mission dans les zones potentiellement sensibles pourrait dissuader les forces de sécurité de commettre des abus. La surveillance et les bons offices de la mission restent importants. La requête adressée le 10 mars dernier par le Secrétaire général de l’ONU au Conseil de sécurité sur l’envoi de policiers supplémentaires, notamment dans la région du Kasaï, en raison du « risque élevé de violence urbaine dans la prochaine période électorale », est particulièrement opportune. Le 29 mars, le Conseil de sécurité doit se prononcer sur d’éventuelles modifications du mandat de la Monusco.

While much of this violence is rooted in local causes, it directly challenges state authority, and serves as a warning that the political crisis at the national level is further destabilising the country’s provinces.

L’instabilité augmente dans la région du Kasaï mais aussi dans le Nord-Kivu, le Tanganyika et le Kongo-Central. La violence dans la province du Nord-Kivu a déjà affecté la préparation des élections, et cela pourrait se répéter dans d’autres régions à mesure que progresse l’enrôlement (enregistrement) des électeurs. Pour éviter cela, il est essentiel d’établir ou de renforcer des mécanismes de résolution des conflits au niveau local. Il est maintenant devenu impossible d’ignorer cette crise et un effort soutenu sur le plan politique et en matière de développement sera nécessaire pour le contenir et finalement y mettre fin.

This insurgency has its origins in local tensions in Kasai-Central province. However, it has quickly tapped into the long-running political and socio-economic frustration in the Kasai provinces, and is also tied to national politics. The national and provincial governments’ legitimacy in the region is particularly weak. The crisis is now impossible to ignore and will require sustained effort on the political and development fronts to contain and eventually reverse.

A map showing the location of Kananga and five states in Democratic Republic of Congo. CRISIS GROUP

Kasaï : les frustrations d’un bastion d’opposition

La région du Kasaï, divisée depuis le « découpage » de 2015 en cinq provinces, est l’une des plus pauvres de la RDC. Selon un rapport de la Banque mondiale de 2012, le revenu par habitant dans le Kasaï-Central, épicentre de l’insurrection, est inférieur à 200 dollars par mois, l’un des plus faibles du pays, malgré les richesses de son sol et de son sous-sol. Les indicateurs de développement humain, notamment la mortalité infantile et l’analphabétisme parmi les femmes et les filles, y sont au rouge.

Kananga, la capitale du Kasaï-Central, est le lieu de naissance d’Etienne Tshisekedi, chef historique du parti d’opposition Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS) et, jusqu'à sa mort le 1er février 2017, dirigeant du Rassemblement, la coalition de l’opposition. Aux élections présidentielle et législatives de 2011, Tshisekedi et l’UDPS ont largement dominé dans la région, obtenant près de trois quarts des suffrages. Lorsque Kabila a été déclaré vainqueur, le sentiment de s’être fait voler l’élection s’est fortement répandu dans la région. Le Premier ministre, Samy Badibanga, originaire du Kasaï-Central, faisait partie des parlementaires dissidents de l’UDPS qui, en 2011, ont pris leur siège au mépris du boycott décidé par le parti.

L’UDPS a refusé de participer aux dernières élections provinciales, en 2006, et est donc absent des parlements et des gouvernements provinciaux, tous dominés par la majorité au pouvoir.

De nombreuses autres personnalités politiques viennent des provinces du Kasaï, mais les habitants déplorent qu’aucun Kasaïen n’ait jamais dirigé le pays, et estiment que leurs représentants n’ont pas investi dans l’économie locale.

Le phénomène du Kamuina Nsapu

C’est une problématique assez banale dans la vie politique congolaise, la politisation de l’installation d’un chef traditionnel, qui a mis le feu aux poudres. Avec la montée généralisée d’un sentiment de mépris vis-à-vis du gouvernement, le chef a réussi à mobiliser des soutiens dans sa lutte contre le régime.

En 2016, l’Etat a refusé de reconnaitre la nomination traditionnelle de Jean-Pierre Mpandi en tant que Kamuina Nsapu, le titre traditionnel du chef de Bajila Kasanga, un groupement de plusieurs villages dans le secteur de Dibataie, à environ 70 kilomètres au sud-est de Kananga, près de la frontière avec le Kasaï-Oriental.

Selon des observateurs locaux, Mpandi n’a pas été reconnu parce qu’il était proche de l’opposition et refusait de soutenir la majorité présidentielle. En RDC, les chefs traditionnels font partie intégrante de l’administration publique, reçoivent un salaire et administrent des unités territoriales comme les villages. Pour être reconnus et maintenir leur position et leur autorité, ils sont souvent contraints de s’aligner sur un parti politique pro-régime.

Le chef et les autorités de l’Etat sont alors entrés dans une logique de confrontation. Mpandi a critiqué le régime dans un discours nationaliste aux accents xénophobes, dénonçant la présence de mercenaires étrangers et ce qu’il a qualifié de « gouvernement d’occupation ». En avril 2016, les autorités provinciales ont dépêché des forces de sécurité dans la chefferie, à la recherche d’armes. Lors de cette perquisition, une des femmes du chef aurait été molestée par les forces de sécurité. Mpandi a condamné ce procédé, accusé les autorités et les forces de sécurité de harceler la population, et les a chassées de la zone. Pour lui et ses partisans, l’Etat et tous ses représentants, y compris la Commission électorale nationale indépendante (CENI), étaient devenus des ennemis.

It took a fairly commonplace local problem, the politicisation of the installation of a hereditary chief, Kamuina Nsapu, to ignite a cocktail of frustrations.

Le 12 août 2016, Mpandi, certains de ses fidèles et plusieurs membres des forces de sécurité ont été tués. Certains partisans du chef ne croient pas à sa mort. A partir de début décembre, les attaques contre les institutions de l’Etat se sont intensifiées, et la violence s'est étendue aux provinces du Kasaï, du Kasaï-Oriental et du Lomami. Selon des observateurs locaux, de nombreux jeunes hommes et garçons ont rejoint la milice. Ils suivent des rituels et portent des amulettes, censées apporter l’invulnérabilité, ont parfois des fusils, probablement dérobés aux forces de sécurité.

Les demandes de l’insurrection sont difficiles à identifier, mais quatre éléments ressortent des entretiens menés par Crisis Group à Kananga : la restitution du corps du Kamuina Nsapu pour les funérailles, consentie par le gouvernement lors de pourparlers avec la famille mi-mars ; des compensations à la famille du Kamuina Nsapu et la réparation des hôpitaux et des écoles endommagés, au sujet desquelles le gouvernement a exprimé son accord ; le développement économique et social de la région ; et la libération des militants et des civils arrêtés, une demande que le gouvernement a partiellement satisfaite en février quand il a relâché environs 60 prisonniers, avant de promettre en mars d’autres libérations.

Cependant, quand des porte-paroles autoproclamés du groupe sont apparus dans les médias locaux fin février, les demandes avaient pris une dimension plus nationale, comme la mise en œuvre rapide de l’accord du 31 décembre 2016. Ceci reflète des frustrations plus profondes alors que le régime continue de s’accrocher au pouvoir.

Dynamique politique

L’insurrection du Kamuina Nsapu est devenue le symbole du mécontentement généralisé des populations du Kasaï. La défense des coutumes et pratiques traditionnelles a trouvé une résonance particulière. La mort de Tshisekedi a balayé l’espoir qu’un nouveau gouvernement dirigé par l’UDPS calme la situation. Récemment, dans un nouveau signe d’escalade, les insurgés ont également ciblé les institutions catholiques, pour des raisons obscures.

Le gouvernement a créé une nouvelle zone opérationnelle militaire qui couvre les provinces du Kasaï, du Kasaï-Central et du Kasaï-Oriental. De nombreux renforts militaires ont été déployés et la ville de Kananga est de plus en plus militarisée. Mal payés, mal commandés et peu entrainés, les membres des services de sécurité sont souvent accusés d’avoir excessivement recours à la force. En décembre 2016, la Monusco a dépêché des renforts militaires dans la zone, puis des observateurs des droits humains.

Face aux soupçons d’abus commis par les forces armées congolaises (FARDC), s’appuyant sur un faisceau d’indices, et la découverte de charniers dans la zone, le Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’Homme a annoncé une enquête. Ainsi mis sous pression, le gouvernement a fait savoir fin février qu’il avait déployé une mission militaire pour enquêter sur les évènements et renforcer le système de justice militaire dans la zone. Mi-mars, le gouvernement a annoncé l’arrestation de sept membres des FARDC.

La réponse politique a été tardive. L’Assemblée provinciale, par exemple, n’a pas encore mis sur pied de mission d’enquête, faute de moyens. Le ministre de l’Intérieur Shadari s’est finalement rendu sur place le 12 mars, accompagné notamment de députés de l’opposition, et a pu s’entretenir avec la famille du Kamuina Nsapu. Le 16 mars, la mission parlementaire a publié des recommandations entre autres sur l’installation de nouveaux animateurs (responsables) pour l’administration provinciale et l’opérationnalisation de mesures visant à gérer et résoudre les conflits avec les chefs coutumiers. Le 17 mars, le gouvernement a annoncé un compromis moins ambitieux, auquel il est arrivé avec la famille du Kamuina Nsapu. Il inclut un accord sur l’enterrement du chef, des mesures sur les prisonniers ainsi que sur la désignation d’un nouveau chef. Néanmoins, il est peu probable que cet accord résoudra le conflit, et le ministre Shadari a lui-même reconnu que des poches d’insécurité persisteront.

Faire face aux conséquences

Le conflit a des conséquences humanitaires et politiques considérables. Si les communautés déplacées et affectées ne sont pas en mesure de préparer la prochaine saison de plantation, l’insécurité alimentaire augmentera. Sur le plan politique, la CENI se prépare à lancer l’enregistrement des électeurs dans les provinces du Kasaï, mais dans les zones touchées par le conflit, des bureaux ont été détruits et le personnel a été menacé. Les déplacés internes doivent voter là où ils se sont inscrits, ce qui peut être problématique. Le sentiment antigouvernemental a une forte résonance parmi les civils, et beaucoup d’électeurs des zones pro-opposition risquent de ne pas s’enregistrer. Rétablir la sécurité et regagner la confiance de la population, y compris des déplacés, est une priorité absolue.

While local measures are important, maintaining the path toward elections to ensure representative government structures is ultimately the only way out of this quagmire.

L’accord politique du 31 décembre prévoit l’organisation simultanée d’élections nationales et provinciales vers la fin de 2017. Des élections locales devront suivre. Vu l’importance de ces scrutins et les dynamiques locales de conflit, des mécanismes légitimes de médiation et de règlement des différends devraient être mis en place par des groupes locaux et provinciaux, avec le soutien, le cas échéant, du gouvernement national et des acteurs internationaux, avant que les élections puissent être organisées aux niveaux provincial et local. En dépit de l’accord du 31 décembre qui prévoit leur organisation simultanée, il faut envisager de dissocier les élections nationales et les élections provinciales, ces dernières contribuant au coût et aux retards potentiels. En parallèle, le gouvernement devrait démilitariser le maintien de l’ordre.

Le manque de progrès des négociations sur la mise en œuvre de l’accord du 31 décembre, en particulier le retard dans l’installation d’un gouvernement dirigé par l’opposition, accentue les tensions. La dynamique de ce conflit n’est pas isolée. En janvier 2017, des affrontements ont éclaté dans le Kongo-Central et la capitale Kinshasa entre les forces de sécurité et le mouvement Bundu dia Kongo (BDK), qui, lui aussi, associe mysticisme et message politique populiste, exploitant la légitimité fragile des institutions politiques nationales et les problèmes économiques.

Si aucun de ces conflits locaux ne peut à lui seul changer de façon fondamentale la situation au niveau national, ils risquent néanmoins de compromettre le processus d’enregistrement des électeurs, et donc l'intégrité et le calendrier des futures élections. Or, si des mesures locales sont importantes dans la résolution des conflits, la poursuite du processus électoral, qui doit permettre la mise en place de structures de gouvernance représentatives, reste la seule voie de sortie du bourbier congolais.

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