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L’Armée de résistance du Seigneur : échec et mat ?

Le manque de volonté politique a contrarié les efforts pour arrêter la saga meurtrière de l’Armée de résistance du Seigneur (LRA), mais la diplomatie vigoureuse menée par l'Union africaine (UA), une offensive militaire immédiate et des initiatives civiles complémentaires peuvent mettre fin au calvaire de milliers de personnes.

Synthèse

L’Armée de résistance du Seigneur (LRA) est toujours une menace mortelle pour les populations civiles dans trois Etats d’Afrique centrale. Après la rupture en 2008 du cessez-le-feu et des négociations pour le règlement pacifique de cette insurrection vieille d’une génération, l’armée ougandaise a lancé un premier assaut qui s’est soldé par un échec. Depuis trois ans, des opérations en demi-teinte ont échoué à empêcher ce groupe armé, numériquement insignifiant mais atrocement efficace, de tuer plus de 2 400 civils, d’enlever plus de 3 400 individus et de contraindre environ 440 000 personnes à la fuite.

En 2010, le président ougandais Yoweri Museveni a retiré environ la moitié de ses forces mobilisées afin de poursuivre des objectifs politiquement plus rentables. La méfiance congolaise entrave les opérations en cours, tandis qu’une initiative de l’Union africaine (UA) avance au ralenti. Pour vaincre la LRA, une action militaire vigoureuse et une diplomatie volontariste sont nécessaires. L’Ouganda doit tirer parti du nouvel, et peut-être bref, engagement américain en reprenant l’offensive militaire ; Washington doit inciter les dirigeants des pays de la région à coopérer et surtout, l’UA doit assumer ses responsabilités de garante de la sécurité continentale. Dès qu’elle le fera, l’Ouganda et les Etats-Unis devront placer leurs efforts dans le cadre de son initiative.

La tentative de l’armée ougandaise en décembre 2008 d’écraser la LRA en détruisant ses camps dans le Nord-est de la République démocratique du Congo (RDC) a très mal tourné. Son dirigeant, Joseph Kony, s’est échappé et a organisé des représailles pendant les mois suivants qui ont fait des centaines de morts parmi les civils. L’opération Lightning Thunder, soutenue par les Etats-Unis, est devenue une campagne d’usure, l’armée ougandaise pourchassant de petits groupes de combattants dispersés et très mobiles dans la dense forêt. Cette offensive l’a menée au Sud-Soudan et en République centrafricaine (RCA) et elle a enregistré quelques succès. Mais l’opération s'est essoufflée au milieu de l’année 2010, permettant à la LRA de continuer à piller des villages, à enlever des centaines de personnes et à enrôler de nouvelles recrues dans la zone des trois frontières. Comme le Conseil de sécurité des Nations unies l’a déclaré le 14 novembre, cette situation doit impérativement cesser.

Les raisons de l’échec de l’opération militaire sont politiques. Museveni a revu à la baisse l’opération originale pour poursuivre d’autres objectifs censés accroitre son capital politique national et international. Depuis que la LRA ne constitue plus une menace pour l’Ouganda, la pression des membres de l’opposition ou des dirigeants de communautés pour mettre fin à la LRA a largement diminué. Les efforts des forces pourchassant les combattants de la LRA en RDC ont été entravés par le refus de l’armée congolaise de coopérer et d’accorder l’accès aux zones affectées par la guérilla. L’Ouganda a envahi la RDC à la fin des années 1990, pillé ses ressources naturelles et suscité la méfiance durable du président Joseph Kabila.

Alors que les élections prévues fin 2011 se rapprochent, l’armée congolaise a demandé le retrait des militaires ougandais et, en attendant la décision officielle, leur a interdit de quitter leur campement. La plupart des commandants supérieurs et combattants de la LRA sont en RCA mais pourraient à tout moment revenir en RDC et trouver un refuge sûr du fait de la liberté de mouvement réduite de l’armée ougandaise. Le président de la RCA, François Bozizé ne fait pas confiance à cette dernière, jalouse son soutien américain et lui a ordonné de se retirer des zones diamantifères. Il pourrait entraver davantage l’opération en cours s’il estime que son armée ne reçoit pas suffisamment de contreparties pour sa collaboration.

Il n’y a pas de perspective réaliste d’une fin négociée du problème de la LRA, étant donné l’échec des négociations de Juba et de l’absence d’intérêt de Museveni et de Kony à relancer le dialogue après plus de trois années de combats. Au lieu de cela, l’UA sous la pression de certains Etats membres et des Etats-Unis, a annoncé fin 2010 qu’elle avait l’intention d’autoriser une mission énergique contre la LRA et de coordonner les efforts régionaux. Toutefois, elle s’est heurtée à l’incapacité de concilier les différences avec et entre les principaux Etats membres et les donateurs.

L’Ouganda et les trois pays directement concernés espéraient que cette initiative entrainerait un financement occidental supplémentaire pour leurs armées, mais sont peu intéressés par une supervision politique de l’UA ou des programmes civils. Les Etats-Unis souhaitent que l’Union européenne (UE), principal donateur de l’UA, partage son fardeau. Cependant, l’UE préfère que l’UA endosse un rôle politique et n’est pas disposée à financer les armées africaines engagées. L’Ouganda est réticente à concéder une part de sa liberté militaire et politique à l’UA.

Frustrés par le manque d’efficacité de l’opération Lightning Thunder, les Etats-Unis ont annoncé le 14 octobre 2011 le déploiement d’une centaine de militaires pour assister l’armée ougandaise -- la majorité à Kampala, le reste pour conseiller sur le terrain. Cette action participe d’une intensification de leur engagement politique et militaire contre la LRA. Ils ont également proposé de former plus de combattants congolais et ont fourni de l’équipement à l’armée centrafricaine afin d’obtenir un assentiment politique pour cette nouvelle opération. Les quelques conseillers sur le terrain devraient accroitre les performances de l’armée ougandaise. Toutefois, à un an des élections, l’administration Obama reste prudente quand il s’agit de déclencher une autre intervention militaire à l’étranger. Ce déploiement, cela a été clairement dit, sera de court terme.

L’armée ougandaise, même avec l’aide de conseillers américains, est un instrument imparfait pour vaincre la LRA. Les gouvernements comme les populations de la région s’en méfient en raison de ses abus passés et de son incapacité à protéger les civils. La présence militaire de Kampala hors de ses frontières alors que la LRA ne menace plus directement ses intérêts fait planer le doute sur sa volonté de vraiment achever le travail. Pourtant, l’armée ougandaise est indispensable car personne d’autre n’est prêt à envoyer des troupes de combat compétentes pour faire le travail. Le soutien américain, à la fois militaire et politique, est important mais sans doute temporaire. Les financements de l’UA et les programmes civils sont utiles mais ne peuvent à eux seuls arrêter la violence de la LRA.


L’Ouganda, avec les conseils et le soutien des Etats-Unis, devrait sans perdre de temps lancer une nouvelle attaque contre la LRA, si possible alors que la plupart de ses commandants et combattants sont encore en Centrafrique et avant qu’ils ne retournent en RDC, dans un environnement opérationnel plus restrictif pour l’armée ougandaise. Dans le cadre de leur mission de conseil, les Etats-Unis doivent veiller à ce que cette dernière fasse de la protection des civils et de l’accès humanitaire ses priorités et accepte d’être tenue responsable pour ses actions.


Dans le même temps, si ce nouvel activisme est payant sur le terrain, l’UA doit accélérer la mise en œuvre de son initiative. L’ajouter à l’équation est essentiel pour obtenir l’engagement politique des pays concernés en conférant une légitimité continentale à cette lutte. Les éléments centraux de l’initiative de l’UA doivent être la nomination d’un envoyé spécial pour faciliter les relations entre Kinshasa et Kampala et l’autorisation d’une mission multinationale et multidimensionnelle -- ce que l’UA appelle la Force d’intervention régionale (FIR). Elle impliquera seulement les troupes des pays actuellement engagés contre la LRA, principalement les Ougandais, mais elle devrait reposer sur un cadre opérationnel et légal unique pour l’armée ougandaise et celles des autres pays et créer des structures militaires de coordination. Une fois que la FIR sera en place, tous les efforts anti-LRA devraient être placés officiellement sous son égide.


Les planificateurs de l’UA doivent travailler étroitement avec les Etats-Unis pour s’assurer que, dès le début, l’initiative de l’UA privilégie les mêmes principes que ceux que Washington doit promouvoir auprès de l’armée ougandaise. Les bailleurs de fonds, notamment l’UE, doivent financer le volet complémentaire civil, en particulier le programme de défection pour les combattants de la LRA. Seule une telle approche multidimensionnelle est susceptible d’apporter la paix dans la région des trois frontières et de commencer à soigner les blessures physiques et sociales que le long cauchemar de la LRA a infligées aux populations.

Nairobi/Bruxelles, 17 novembre 2011

Executive Summary

The Lord’s Resistance Army (LRA) remains a deadly threat to civilians in three Central African states. After a ceasefire and negotiations for peaceful settlement of the generation-long insurgency broke down in 2008, Uganda’s army botched an initial assault. In three years since, half-hearted operations have failed to stop the small, brutally effective band from killing more than 2,400 civilians, abducting more than 3,400 and causing 440,000 to flee. In 2010 President Museveni withdrew about half the troops to pursue more politically rewarding goals. Congolese mistrust hampers current operations, and an African Union (AU) initiative has been slow to start. While there is at last a chance to defeat the LRA, both robust military action and vigorous diplomacy is required. Uganda needs to take advantage of new, perhaps brief, U.S. engagement by reinvigorating the military offensive; Washington needs to press regional leaders for cooperation; above all, the AU must act promptly to live up to its responsibilities as guarantor of continental security. When it does, Uganda and the U.S. should fold their efforts into the AU initiative.

The Ugandan army’s attempt in December 2008 to crush the LRA, originally an insurgency in northern Uganda but now a deadly, multinational criminal and terror band, by destroying its camps in north-eastern Democratic Republic of Congo (DRC) went badly wrong. Joseph Kony, the group’s leader, escaped and quickly organised reprisals that left hundreds of civilians dead in the following months. The U.S.-backed Operation Lightning Thunder became a campaign of attrition, as the Ugandan army began hunting small, scattered and highly mobile groups of fighters in thick forest. It followed them into South Sudan and the Central African Republic (CAR) and scored some early successes, but the operation lost steam in mid-2010, allowing the LRA to go on plundering villages and seizing hundreds of captives and new recruits in the tri-border area. As the UN Security Council agreed on 14 November 2011, this must stop.

The reasons for military failure are at root political. Museveni scaled down the operation to pursue other ventures he felt would win him greater political capital at home and abroad. Since the LRA has not been able to operate within Uganda for years and no longer endangers its security, few opposition politicians or community leaders there demand its defeat. Efforts to pursue it in the DRC are dogged by the host’s refusal to cooperate and grant access to LRA-affected areas. Uganda invaded in the late 1990s, plundered DRC resources and earned President Kabila’s lasting mistrust. As Congolese elections, still scheduled for late 2011, draw near, the army has demanded the Ugandans pull out and, while waiting for the official decision, forbidden them to leave camp. Most LRA senior commanders and fighters are now in the CAR but could return to the DRC at any time and, with the Ugandans restrained, find safe haven. CAR President Bozizé distrusts Uganda’s army, envies its U.S. support, has ordered it to withdraw from diamond areas and could hamper operations further unless satisfied his own army is benefiting.

There is no prospect of a negotiated end to the LRA problem, given the collapse of the multi-year Juba process and the lack of any apparent interest on the part of either Museveni or, especially, Kony to go that route again after three more years of fighting. Instead, the AU, under pressure from some member states and the U.S., announced in late 2010 that it would authorise a forceful mission against the LRA and coordinate regional efforts. A year and counting, however, planning has foundered over its inability to reconcile differences with and between key member states and donors. Uganda and the three directly affected countries hoped the AU initiative would open the door to more Western funding for their armies but are little interested in political guidance or civilian programs. The U.S. wanted the European Union (EU), the AU’s main donor, to share some of its burdens. However, the EU prefers the AU to act politically and is reluctant to finance the armies. Uganda resists ceding any of its military and policy freedom to the African regional body.

Frustrated with the ineffectiveness of Operation Lightning Thunder, the U.S. announced on 14 October that it would deploy about 100 troops to assist the Ugandan army – a majority to stay in Kampala, the rest to advise in the field. The move is part of a broader ramping up of its political and military engagement against the LRA. It has also offered to train more Congolese soldiers and has given equipment to the CAR army in order to win the operation political space. The few score field advisers should be able to improve the Ugandans’ performance. However, the Obama administration, a year from its own elections, is cautious about testing U.S. tolerance of another overseas military commitment. The deployment, it has made clear, will be short term.

The Ugandan army, even with U.S. advisers, is a flawed and uncertain instrument for defeating the LRA. Due to its record of abuses and failures to protect civilians, the governments and populations of the LRA-affected countries distrust it. That Kony no longer presents a direct threat to its interests leaves room for scepticism about Kampala’s political will to see the military job through to the end. But the Ugandan army is also essential, because no one else is prepared to send competent combat troops to do the job. U.S. support, both military and political, is important but may be short-lived. AU money and civilian programs are helpful but cannot stop LRA violence.

Uganda, with U.S. advice and support, should, therefore, lose no time in launching a reinvigorated attack on the LRA, if possible while most of the group’s senior commanders and fighters are still in the CAR and before they can return to the DRC’s more restrictive operational environment. A key part of the advice the U.S. should press on the Ugandan army is the need to prioritise protecting civilians, provide access to humanitarian agencies and accept stricter accountability for its actions.

At the same time, if this new activism is to succeed, the AU must break its political deadlock and put its initiative in play. Adding the AU to the equation is vital to rally the political commitment of Uganda, the DRC, the CAR and South Sudan by giving the undertaking clear continent-wide legitimacy. The central elements of the initiative should be appointment of a special envoy to smooth relations between Kinshasa and Kampala and authorisation of a multinational and multi-dimensional mission – what AU planners call the Regional Intervention Force (RIF). This will likely involve only those troop contributors presently engaged against the LRA, primarily the Ugandans, but should introduce a new, common operational and legal framework for the Ugandan and host armies and create new military structures to improve coordination between them. Once the RIF exists, their anti-LRA efforts should be placed under its umbrella.

The AU planners should work closely with the U.S. to ensure that from the start the African organisation’s initiative prioritises the same principles as Washington needs to press bilaterally on the Ugandan army. Donors, particularly the EU, should meanwhile fund complementary civilian work, especially to entice LRA fighters to leave the bush. Only such a multi-dimensional approach is likely to bring peace to the tri-border area and begin the slow task of healing the physical and social wounds the long LRA nightmare has inflicted.

Nairobi/Brussels, 17 November 2011

 

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