Report / Africa 3 minutes

Afrique centrale : les défis sécuritaires du pastoralisme

Une régulation inclusive du pastoralisme, qui a apaisé les tensions dans certaines zones du Sahel, devrait être étendue à la République démocratique du Congo (RDC) et à la République centrafricaine (RCA) avant que les conflits liés à la progression du pastoralisme vers le sud ne prennent de l’ampleur.

  • Share
  • Enregistrer
  • Imprimer
  • Download PDF Full Report

Synthèse

La pénétration du pastoralisme qui s’accentue depuis plusieurs années en Afrique centrale génère des conflits à la fois fréquents et ignorés dans un monde rural où l’empreinte de l’Etat est particulièrement faible. Ces conflits s’intensifient sous l’effet conjugué de plusieurs facteurs : l’insécurité croissante, le changement climatique qui pousse les pasteurs toujours plus au sud, l’éclatement des couloirs traditionnels de transhumance, notamment transfrontaliers, l’extension des cultures et l’augmenta­tion des cheptels qui entrainent une compétition accrue sur les ressources naturelles. Même si les défis sécuritaires du pastoralisme ne sont pas de même intensité dans les trois pays étudiés dans ce rapport (Tchad, République centrafricaine et République démocratique du Congo), ils ont deux dénominateurs communs : l’impéra­tif d’une prise en compte de ce problème par les pouvoirs publics et la nécessité d’une régulation de la transhumance qui inclue les différents acteurs concernés.

Bien que, dans les pays sahéliens comme le Tchad, le pastoralisme soit une source de richesse considérable et permette de créer des interdépendances économiques fortes entre agriculteurs et éleveurs, de nombreux conflits émergent dans le sillage des troupeaux. Ces conflits relèvent habituellement de la compétition pour l’eau et les pâturages. Mais ils prennent une tournure plus complexe dans la région concernée – Tchad, République centrafricaine (RCA) et Nord-Est de la République démocratique du Congo (RDC) – pour deux raisons : les écosystèmes pastoraux ne s’arrêtent pas aux frontières des Etats et la transhumance ouvre de nouveaux fronts pionniers en Afrique centrale.

Les transhumances transfrontalières, notamment celle des éleveurs tchadiens en RCA, s’accompagnent de violents affrontements entre transhumants et populations locales. Bien avant que n’éclate la crise centrafricaine à la fin de l’année 2012, ces phénomènes avaient déjà pris une ampleur alarmante : suite au pillage de leurs villages par les transhumants, plusieurs milliers de Centrafricains ont fui et trouvé refuge dans des camps de déplacés au Nord du pays. Ces violences ont été facilitées par la faiblesse de la coopération bilatérale entre le Tchad et la RCA sur la question de la transhumance, par la modification des itinéraires, par l’évolution du profil des pasteurs et des convoyeurs de bétail et leur militarisation croissante.

Plus au sud, la récente migration d’éleveurs peul mbororo, qui sont originaires de plusieurs pays d’Afrique centrale, en Province orientale, à la périphérie de la RDC, génère une cohabitation inhabituelle et des tensions avec les populations et les autorités congolaises. Oscillant entre la répression et l’apaisement suite au moratoire sur l’expulsion de ces éleveurs décidé en 2012, les autorités congolaises n’ont pas apporté à ce jour de réponse efficace aux problèmes posés par leur installation récente en Province orientale. Leur régularisation temporaire doit être envisagée et doit s’ac­compagner d’un vrai bénéfice économique pour la Province, notamment grâce au développement volontariste de l’élevage dans ces espaces très faiblement peuplés.

Contrairement aux pays sahéliens comme le Niger ou le Tchad, qui reçoivent le soutien de partenaires internationaux pour répondre aux défis du pastoralisme et prennent des mesures encore partielles mais réelles pour atténuer ce type de conflits, la RCA et le Nord-Est de la RDC ne régulent pas la transhumance et sont incapables de faire face aux violences. En outre, les gouvernements congolais et centrafricain sont absorbés par d’autres priorités sécuritaires. Mais si le pouvoir situé à des centaines ou des milliers de kilomètres peut se permettre de négliger les violences récurrentes liées au pastoralisme, les populations rurales qui en sont les principales victimes ne le peuvent pas. Ces problèmes s’inscrivent dans un temps long et peuvent dégénérer en conflits intercommunautaires très violents : ils constituent l’ar­rière-plan des affrontements entre Peul et milices anti-balaka en Centrafrique en ce moment.

Si les autorités tchadiennes, de concert avec des partenaires internationaux comme l’Agence française de développement (AFD) et l’Union européenne (UE), ont entrepris de sécuriser les parcours de transhumants, d’adapter la législation pastorale et de renforcer la filière élevage, la Centrafrique et la RDC doivent encore se doter d’un système de régulation de la transhumance et peuvent pour cela s’inspirer de certaines initiatives mises en œuvre au Tchad. Les deux pays devraient les combiner avec des mesures de cohabitation entre Peul et population locale en RDC et avec une charte sur la transhumance entre Tchadiens et Centrafricains qui permette une régulation participative de celle-ci en RCA.

Les mesures préconisées dans ce rapport peuvent être entreprises dès maintenant en RDC, où le gouvernement s’efforce de relancer l’agriculture. En revanche, en Centrafrique, elles ne pourront être mises en œuvre que lorsque le pays aura surmonté la crise actuelle et que les tensions entre N’Djaména et Bangui seront apaisées. Toutefois, sous l’égide de l’organisation régionale en charge de l’élevage, débattre de la question de la transhumance avant le début de la saison en octobre pourrait être une occasion de renouer et normaliser les relations entre les deux pays à partir d’un problème concret et dangereux.

Executive Summary

The southward seasonal migration of pastoralists with their cattle is a source of friction that has long been ignored in Central Africa. In the last few years, conflicts between pastoralists and local communities have intensified because of a combination of factors: worsening security; climate change, which drives herdsmen further south; the multiplication of migration roads, especially transnational routes; the expansion of cultivated areas and an increase in cattle herds, which have deepened the competition for natural resources. Though security challenges related to pastoralism are not equally serious in the three countries examined in this report (Chad, Central African Republic and Democratic Republic of Congo), governments should take them seriously and promote a regulation of transhumance that includes all relevant actors.

Pastoralism generates wealth and economic interdependence between farmers and cattle herders in some African countries, but it also causes tension and conflicts. Most of these result from competition for vital resources such as water or pasture­lands. In Chad, the Central African Republic (CAR) and north-east Democratic Republic of Congo (DRC), the conflicts appear to be especially complex, mainly because pastoral ecosystems go beyond national borders and transhumance creates new settlement fronts.

Transnational livestock migrations, particularly by Chadian herdsmen to CAR, have led to clashes between pastoralists and the local population. Even before the start of the CAR crisis in late 2012, violence had taken an alarming turn: after Chadian pastoralists looted their villages, several thousand CAR inhabitants fled their home and sought refuge in internally displaced camps in the country’s north. Weak bilateral cooperation between Chad and CAR on transhumance has contributed to an increase in violence, a change in cattle migration roads, and the emergence of new groups of pastoralists and livestock farmers with different motives and more weapons.

In Orientale Province, in DRC, the recent migration of Peul Mbororo herdsmen from several Central African countries has led to an often tense coexistence with the local population and the Congolese authorities. The latter have at times cracked down on pastoralists, at others started to accept their presence – a moratorium on expulsions was implemented in 2012. But the government has not provided an adequate and effective response to problems caused by the recent settlement of pastoralists in Orientale Province. It should consider their temporary regularisation, which would likely bring economic benefits to the province, in particular through the development of cattle farming in low-populated areas.

Some Sahel countries such as Niger or Chad have received support from donors to regulate pastoralism and have tried to mitigate conflicts. For their part, the CAR and DRC do not regulate transhumance and are unable to deal with increasing violence between communities. Moreover, other priorities top their security agenda. But while national authorities, located hundreds or thousands of kilometres away from the rural areas affected, ignore frequent violence related to pastoralism, local populations, which are the main victims, cannot afford to do so. Deep-rooted issues can degenerate into intercommunal conflicts, and constitute a major factor in the confrontation between the Fulanis and anti-balaka militias in CAR.

The CAR and DRC should regulate the movement of pastoralists by considering some of the measures implemented in Chad. Chadian authorities, together with international partners such as the French Development Agency (AFD) and the European Union (EU), undertook to secure cattle migration roads, amend the pastoral code and reinforce the cattle farming sector. The CAR and DRC should also take steps to improve peaceful coexistence between the Fulani community and the Congolese population, including by promoting a transhumance charter between the populations of Chad and the CAR.

The Congolese government, which intends to boost the agricultural sector, could carry out these measures immediately. In the CAR, implementation depends on the current crisis ending and tension between N’Djamena and Bangui calming. But discussing transhumance under the supervision of the regional organisation in charge of pastoralism before the cattle migration starts this year could be an opportunity to normalise relations between both countries and tackle a dangerous problem.

Subscribe to Crisis Group’s Email Updates

Receive the best source of conflict analysis right in your inbox.