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Guinée : sortir du bourbier électoral

Les élections législatives tant attendues en Guinée pourraient rapidement dégénérer et entrainer des violences en l’absence d’un consensus sur les procédures électorales.

Synthèse

Deux ans après la victoire d’Alpha Condé au terme de la première élection vraiment compétitive de l’histoire de la Guinée postcoloniale, le pays n’a toujours pas d’Assemblée nationale. Les élections législatives s’annoncent compliquées : les tensions ethniques avivées par l’élection de 2010 demeurent et le système électoral est au cœur de la controverse. Une étape a été franchie en septembre 2012, avec la création d’une nouvelle Commission électorale nationale indépendante (CENI), mais la situation s’est bloquée à nouveau en décembre autour de la question du fichier électoral. Le président Condé doit engager un dialogue franc avec l’opposition, tandis qu’il revient à la CENI d’arriver à une solution consensuelle à propos du fichier électoral. Le pouvoir et l’opposition, avec le soutien international, doivent consolider le système électoral. Des élections législatives apaisées et crédibles, sont indispensables pour doter le pays d’un parlement représentatif de sa diversité, donner sa place à l’opposition et équilibrer le dispositif institutionnel. Elles sont cruciales pour que l’espoir suscité par le remplacement de dirigeants militaires illégitimes par un président civil élu ne se transforme pas en désillusion.

Le dialogue direct, le Cadre de dialogue politique inclusif (CDPI), sur l’organisation des législatives s’est ouvert entre le pouvoir et l’opposition seulement le 27 décembre 2011, un peu plus d’un an après la prise de pouvoir d’Alpha Condé. Il s’est clos deux mois plus tard, sur un bilan limité. Entre mars 2012 et février 2013, il n’y a pas eu de dialogue direct, mais interventions, facilitations, consultations et annonces se sont succédé. Certaines questions ont été réglées ou mises de côté, mais l’opposition a maintenu son désaccord sur deux points fondamentaux : la CENI et le fichier électoral. Peu après une nouvelle manifestation interdite de l’opposition, le 27 août 2012, qui a suscité des troubles importants à Conakry, les autorités ont entrepris la création d’une nouvelle CENI, et le très controversé président sortant de la Commission a demandé à ce que son mandat ne soit pas renouvelé. Son successeur, Bakary Fofana, a présenté en décembre dernier un chronogramme fixant le scrutin au 12 mai 2013. Le temps du déblocage est-il donc venu ? S’agit-il là d’une manière particulière de dialoguer, avec des menaces, des accusations, des manœuvres et de l’agressivité, mais aussi avec des progrès ?

Les avancées des derniers mois sont en fait loin d’avoir réglé l’ensemble des controverses. La désignation des membres de la nouvelle CENI a ouvert un nouveau champ de tension, son président a été rapidement contesté et c’est à cette institution déjà controversée que la question cruciale du fichier électoral a été transférée. Le conflit a finalement éclaté sur ce point le 10 décembre, quand l’opposition a accusé Bakary Fofana d’avoir violé les règles de fonctionnement de la CENI en ne diffusant pas un rapport préparé par l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) sur ce sujet, et a envisagé d’appeler à sa démission. La tension est encore montée le lendemain, quand Fofana a annoncé les élections pour mai 2013 : l’opposition a rejeté cette date, soutenant que la plénière de la CENI n’avait pas été consultée sur ce point.

L’opposition a également protesté contre les faiblesses techniques et l’absence de transparence dans la relance de la révision des listes électorales ainsi que contre la non-prise en compte du vote des Guinéens de l’étranger. Le 29 janvier, l’opposition, élargie pour l’occasion à certains partis « centristes », a appelé à de nouvelles manifestations et a rejeté le dialogue direct soudain proposé par les autorités pour le 12 février, y voyant une simple manœuvre pour les amener à annuler leurs mobilisations. Une nouvelle réunion de la CENI, le 11 février, a vu la majorité pro-Condé de la commission valider le dispositif actuel de révision du fichier électoral, tandis que les commissaires issus de l’opposition quittaient la séance. La suspension de leur participation aux travaux de la commission est évoquée.

La situation reste donc préoccupante. Aller aux élections alors que l’opposition n’est pas d’accord avec le pouvoir sur des paramètres fondamentaux présente un gros risque. Les autorités prennent l’opposition de haut, et il leur a fallu presque une année entière avant d’appeler à nouveau au dialogue direct. L’opposition, pour sa part, continue de maintenir que le chef de l’Etat est arrivé au pouvoir par la fraude et qu’il ne veut pas vraiment aller aux élections, ou qu’il ne veut pas d’élections transparentes et consensuelles, et elle accuse le régime de favoritisme ethnique. La société civile, qui, unie, avait joué un rôle décisif à la fin des années 2000, est maintenant profondément divisée selon des lignes où affiliations politiques et ethniques se superposent largement. Des élections non consensuelles sur fond de controverses ethniques posent de multiples risques au niveau local comme au niveau national.

Par ailleurs, alors même que l’armée, également travaillée par la question ethnique, n’a avancé que lentement sur la réforme du secteur de la sécurité et que le niveau de tension reste élevée entre des forces de sécurité habituées à l’impunité et une population exaspérée par les violences militaires et policières, des troubles électoraux pourraient dégénérer gravement. Ils pourraient entre autres présenter une occasion rêvée pour ceux qui, dans l’armée, acceptent encore mal leur sujétion nouvelle au pouvoir civil.

Le régime Condé ne peut pas se contenter de mettre en avant sa volonté de rigueur dans la gestion publique et ses ambitions en matière de développement, il doit savoir pacifier l’arène politique. De plus, la crédibilité des élections est plus importante encore que leur tenue rapide, même si après avoir perdu autant de temps, le régime doit évidemment aller aux élections le plus vite possible, en tout cas avant décembre 2013. Pour y arriver, un dialogue est incontournable. Si la marche aux élections sera forcément marquée par des tensions, il faut réduire au maximum les points de friction, mener un véritable dialogue et reconstruire un minimum de confiance dans le dispositif électoral. Il faut par ailleurs s’employer à renforcer la capacité du système politique – justice, administration territoriale, forces de l’ordre, CENI, partis politiques – et de la société civile à faire face de façon correcte et crédible aux conflits qui ne manqueront pas d’émerger au cours du long parcours électoral qui reste à accomplir.

Dakar/Bruxelles, 18 février 2013

Executive Summary

Two years after President Alpha Condé’s victory in the first really competitive election in the history of postcolonial Guinea, the country still does not have a national assembly. Forthcoming legislative elections look set to be complicated: ethnic tensions, compounded by the 2010 polls, remain high and the electoral system is deeply controversial. The establishment of a new Independent National Electoral Commission (INEC) in September 2012 was an important step, but progress stalled again in December on the issue of the voter register. President Condé must engage in a genuine dialogue with the opposition and the INEC must reach a consensual solution on the register. With international support, the government and opposition must consolidate the electoral system. Peaceful and credible legislative elections are essential to establish a parliament that reflects the country’s diversity, give the opposition a real voice, restore checks and balances, and prevent the hope raised by the replacement of illegitimate military leaders with an elected civilian president turning into disillusionment.

Direct dialogue between the government and opposition on the legislative elections started more than a year after Alpha Condé came to power, with the Inclusive Framework for Political Dialogue (Cadre de dialogue politique inclusif, CDPI). It ended two months later with limited results. Between March 2012 and February 2013, there were no further direct talks, but instead a series of interventions, facilitations, consultations and announcements. Some questions have been settled and others brushed aside, but the opposition still strongly disagrees on two key issues: the INEC and the voter register. Soon after a banned opposition protest on 27 August 2012, which led to widespread disorder in the capital Conakry, the government pledged to reconstitute the INEC, and the commission’s controversial president asked that his mandate not be renewed. His successor, Bakary Fofana, presented in December a timetable setting the elections for 12 May 2013. Does this signal a way forward? Did this peculiar form of dialogue, with accusations, manoeuvres and anger, eventually yield progress?

Although there has been some headway, the level of polarisation remains high. The appointment of the new INEC members created fresh friction, with its new president rapidly coming under fire, and it is this contentious institution that must resolve the key problem of the electoral register. Tension on that issue boiled over on 10 December, when the opposition accused Fofana of violating the procedures of INEC by refusing to release a report on the register prepared by the International Organisation of Francophonie (Organisation internationale de la francophonie, OIF), and considered calling for his resignation. Fofana’s announcement, the following day, that elections would be held in May 2013 raised the temperature further: the opposition rejected that date, arguing that the INEC plenary had not been consulted.

The opposition also protested against the technical weaknesses and lack of transparency in the process of revising the electoral register, as well as the lack of preparation for the Guinean diaspora’s vote. On 29 January, the opposition, allied with a number of “centrist” parties, called for new demonstrations and dismissed the direct dialogue called for by the authorities as a ploy to have them cancel the protest. During a new INEC meeting to discuss the electoral register on 11 February, the majority supporting President Condé voted to endorse the controversial revision while opposition commissioners walked out. They might decide to suspend permanently their participation.

In sum, the situation remains worrisome. Holding elections while the government and opposition disagree on fundamental issues is dangerous. The government shows contempt for the opposition and took almost a year to engage in dialogue. The opposition maintains that President Condé was elected through fraud and prefers to avoid elections (or, at least, does not want transparent and consensual polls). It accuses the regime of ethnic favouritism. Civil society, which played a key role at the end of the 2000s, is now divided along political and ethnic lines. Controversial elections against the backdrop of ethnic disputes raise many risks at both local and national levels.

Electoral turmoil could degenerate into significant violence. Security sector reform has made limited progress and tension remains very high between the security forces, accustomed to impunity and also affected by ethnic disputes, and the population, exasperated by police and army brutality. Electoral troubles could offer opportunities to those in the armed forces who have not fully accepted their new submission to civilian authority.

The Condé regime cannot simply talk about its good governance and development ambitions: it must also iron out political tensions. Moreover, it is more important that the vote is credible than that it takes place in May – although with so much time already lost it should take place as soon as possible and certainly before December 2013. For this to happen, dialogue is vital. The road to the elections will be rocky, but it is crucial to keep friction to a minimum, maintain serious dialogue between the parties and rebuild trust in the electoral apparatus. It is also necessary to strengthen the capacity of the political system – the judiciary, territorial administration, security forces, INEC, political parties – and for civil society to manage in a proper and credible manner the conflicts that will inevitably emerge during the long electoral journey ahead.

Dakar/Brussels, 18 February 2013

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