Bref aperçu des élections au Burundi
Bref aperçu des élections au Burundi
A supporter of the ruling party the National Council for the Defense of Democracy - Forces for the Defense of Democracy (CNDD-FDD) attends the opening of the campaign in Gitega, central Burundi, on April 27, 2020.
A supporter of the ruling party the National Council for the Defense of Democracy - Forces for the Defense of Democracy (CNDD-FDD) attends the opening of the campaign in Gitega, central Burundi, on 27 April 2020. Tchandrou Nitanga / AFP
Q&A / Africa 11 minutes

Bref aperçu des élections au Burundi

Le 20 mai, dans le contexte de l’épidémie de Covid-19, les Burundais éliront un nouveau président ainsi que leurs futurs députés et conseillers municipaux. Dans ce Q&A, Crisis Group analyse les différents scénarios pour ces élections et les difficultés auxquelles le nouveau président sera confronté.

Quel est le contexte politique de ces élections?

Les élections au Burundi, prévues pour le 20 mai, devraient désigner un nouveau président. Le président sortant, Pierre Nkurunziza, ne se présente pas, laissant ainsi la place à Evariste Ndayishimiye comme candidat du parti au pouvoir. Cependant, peu de Burundais s’attendent à des élections équitables, et beaucoup redoutent une contestation violente des résultats. L’année dernière, le gouvernement a intensifié sa campagne de répression en déployant des forces de sécurité et la milice Imbonerakure, constituée de jeunes du parti au pouvoir, pour réprimer l’opposition politique. Le climat de peur et de rancœur qui en résulte a été aggravé par une crise économique prolongée et un système de contributions forcées imposé par le gouvernement, qui a été mis en place officiellement pour financer les élections même s’il est généralement admis qu’il a financé l’Imbonerakure.

Alors que la frustration populaire est à son comble et que le chef de l’opposition Agathon Rwasa avertit qu’il n’acceptera pas une élection « volée », on craint de plus en plus qu’un scrutin contesté ne conduise à des violences, à l’instar de ce que le pays a connu en 2015 lorsque la candidature controversée de Nkurunziza pour un troisième mandat a suscité des manifestations de rue, un coup d’État manqué, une violente répression et l’exode de plus de 400 000 personnes. La poursuite de la violence au Burundi pourrait également contribuer à l’instabilité régionale dans la région des Grands Lacs, déjà en proie à des tensions entre voisins, à l’activité de groupes armés et à la violence par procuration dans l’Est de la République démocratique du Congo.

Peu de Burundais s’attendent à des élections équitables, et beaucoup redoutent une contestation violente des résultats.

Depuis 2015, Nkurunziza a empêché tout contrôle sur le pays et le gouvernement a rejeté toute intervention extérieure dans la gestion des élections. En 2019, un dialogue inter-burundais, facilité par le bloc régional de la Communauté d’Afrique de l’Est (CAE), a échoué sans qu’un accord ait été trouvé entre le gouvernement et les chefs de file de l’opposition (dont beaucoup sont en exil) sur ce qui constituerait une norme minimale acceptable pour l’ouverture de l’espace politique dans le pays. Les médias internationaux et nationaux indépendants et la société civile ont également été largement bâillonnés par des restrictions de voyage, des suspensions de licences et d’autres mesures.

L’Union africaine, quant à elle, n’a pu déployer qu’une petite partie des 200 observateurs militaires et des droits humains que Nkurunziza avait accepté de recevoir en 2016. Il semblerait également que la CAE ne serait pas en mesure de déployer une équipe d’observation à temps pour les élections ; les autorités burundaises ont invoqué l’épidémie de Covid-19 comme raison pour mettre les observateurs en quarantaine pendant quatorze jours à leur arrivée, bien qu’il ne soit pas certain que la décision ait été réellement prise pour des raisons légitimes de santé publique, étant donné que le gouvernement a par ailleurs minimisé l’importance de l’épidémie. Il est donc peu probable qu’une évaluation externe crédible de l’équité des élections se concrétise.

Quels sont les principaux candidats à la présidence ?

Sept candidats à la présidence participeront au premier tour des élections. Evariste Ndayishimiye, candidat du parti au pouvoir, et Agathon Rwasa, depuis longtemps le chef de file de l’opposition, qui ont tous deux combattu comme rebelles dans la guerre civile burundaise de 1993 à 2005, forment le peloton de tête et sont un symbole de l’influence toujours très présente des anciens combattants sur la politique nationale. Si Ndayishimiye se présente comme le successeur naturel de Nkurunziza et Rwasa comme le candidat du changement, en réalité les différences ne sont pas si marquées. Les deux hommes promettent aux Burundais de mettre en œuvre des programmes qui privilégient principalement le développement économique.

Ndayishimiye est fortement ancré dans l’appareil gouvernemental et suscite le respect de nombreux généraux de l’armée, en particulier ceux avec lesquels il a servi en tant qu’ancien rebelle. En effet, il a été l’un des principaux dirigeants militaires du Conseil national pour la défense de la démocratie – Forces pour la défense de la démocratie (CNDD-FDD) lorsque celui-ci était un groupe rebelle dominé par les Hutu, et avant qu’il ne devienne ce qui est aujourd’hui le parti politique au pouvoir. Par la suite, pendant les quinze années de présidence de Nkurunziza, Ndayishimiye a occupé divers postes au sein du gouvernement, jusqu’à devenir secrétaire général du CNDD-FDD. Il a été nommé candidat du parti à la présidence en janvier de cette année.

Des diplomates et des membres du CNDD-FDD ont déclaré à Crisis Group que Ndayishimiye n’était pas le choix initial du président pour prendre sa place. Ils affirment que Nkurunziza, qui a appuyé la nomination de son allié Pascal Nyabenda, le président de l’Assemblée nationale (la chambre basse du parlement du Burundi), n’a accepté la candidature de Ndayishimiye qu’après un puissant lobbying de la part des généraux de l’armée.

Pour sa part, Rwasa a dirigé le mouvement rebelle hutu Paliphehutu-FNL pendant la guerre et l’a, après avoir signé un accord de cessez-le-feu avec le gouvernement en 2006, enregistré comme parti politique en 2009. En 2015, l’ancien chef rebelle est devenu le candidat présidentiel choisi pour une coalition d’opposition. Bien qu’il ait ensuite appelé au boycott des élections pour protester contre la décision de Nkurunziza de se présenter pour un troisième mandat, la coalition de Rwasa est restée en lice et a remporté 11 pour cent des voix, s’assurant ainsi 21 sièges parlementaires. Se résignant à la victoire de Nkurunziza, il a ensuite accepté la vice-présidence de l’Assemblée nationale en 2015, au grand dam de certains de ses partisans et d’autres figures de l’opposition qui estimaient qu’il avait vendu son âme. En février 2019, il a créé son parti actuel, le Congrès national pour la liberté (CNL), qu’il dirige aujourd’hui alors qu’il est appelé aux urnes.

Les deux hommes ont lancé leur campagne le 27 avril. Ndayishimiye a entamé sa campagne à Gitega, la nouvelle capitale politique du pays, qui est située dans son fief provincial, la province de Gitega. Il était accompagné de Nkurunziza. Rwasa a commencé sa campagne dans sa ville natale de Ngozi, dans le nord du Burundi. La campagne se terminera officiellement le 17 mai. Le 20 mai, le premier tour des élections présidentielles sera combiné avec les scrutins parlementaires et municipaux. La commission électorale devrait annoncer les résultats une semaine plus tard. Si aucun des candidats à l’élection présidentielle n’obtient une majorité de 50 pour cent, un second tour sera organisé dans les quinze jours. Conformément à la loi électorale du pays, c’est à la Cour constitutionnelle qu’il reviendra de proclamer les résultats définitifs.

Comment le Covid-19 a-t-il affecté les règles du jeu électoral?

Le Burundi a annoncé début avril que la pandémie de Covid-19 n’empêcherait pas la tenue de ses élections nationales. Contrairement à ses voisins des Grands Lacs, l’Ouganda et le Rwanda, le Burundi n’a imposé pratiquement aucune restriction à la circulation de la population dans le pays, une politique qui a permis à de grandes foules de se rassembler dans les stades et dans les rues pendant la campagne. Le porte-parole de Nkurunziza a déclaré que le Burundi était sous protection divine, ce qui limiterait la propagation du virus, et les autorités ont fourni des informations limitées au public sur la manière de se protéger de la maladie. Le virus a à peine été évoqué par les deux principaux candidats dans leurs discours politiques.

Malgré l’absence de mesures pour faire face à la pandémie, le Burundi semble jusqu’à présent avoir été épargné par le fléau de la maladie, même si le peu de tests disponibles ne permet pas d’avoir une vue complète de la situation. Selon son ministère de la Santé, le pays a, à ce jour, déclaré 42 cas, un décès et vingt guérisons.

Le Covid-19 a permis au gouvernement de prendre des mesures qui semblent jouer en sa faveur sur le plan politique.

Le Covid-19 a cependant permis au gouvernement de prendre des mesures qui semblent jouer en sa faveur sur le plan politique. Le 15 avril, le ministère des Affaires étrangères du Burundi a annulé les préparatifs visant à permettre à la diaspora burundaise — qui est généralement plus proche des partis d’opposition — de voter, privant ainsi 12 933 électeurs inscrits à l’étranger de leur droit de vote. Le ministère a fait valoir que la commission électorale n’avait pas la capacité d’organiser des élections dans les ambassades burundaises à l’étranger, étant donné les diverses restrictions auxquelles ces pays étaient confrontés. Comme nous l’avons déjà mentionné, le 10 mai, les autorités ont déclaré que vingt observateurs de la CAE seraient soumis à une quarantaine de quatorze jours à cause du virus, les empêchant de facto de surveiller les élections. Dans le même temps et pour des raisons qui ne sont toujours pas claires, le gouvernement a également expulsé l’équipe de l’Organisation mondiale de la santé chargée de soutenir le Burundi dans sa riposte contre le Covid-19, obligeant ses fonctionnaires à quitter le pays.

En théorie, le président Nkurunziza pourrait également décider d’une suspension de dernière minute des élections, en utilisant le virus comme excuse pour prolonger son mandat. L’article 116 de la Constitution burundaise permet au président de déclarer l’état d’exception, ce qui lui donnerait de vastes pouvoirs pour « prendre toutes les mesures exigées par [les] circonstances ».

Quels sont les scénarios possibles si les élections ont bien lieu?

La période précédant les élections a déjà été entachée par diverses formes de violence, qui pourraient s’intensifier si les résultats sont contestés.

Au cours de l’année dernière, les services de sécurité et l’Imbonerakure ont à plusieurs reprises réprimé l’opposition, dont beaucoup de membres ont été intimidés, arrêtés arbitrairement, tués ou ont disparu, selon la Commission d’enquête des Nations unies sur le Burundi. La répression permanente de l’opposition et la recrudescence des affrontements entre partisans et opposants du parti au pouvoir ces dernières semaines ont contribué à créer un climat encore plus tendu à l’approche du jour des élections.

Pendant ce temps, les responsables du CNL et du CNDD-FDD restent, chacun de leur côté, convaincus que leur propre parti remportera les élections, positions qui conduiront presque certainement à des litiges après la proclamation des résultats. Alors que Rwasa a annoncé qu’il ne permettrait pas que l’élection soit « volée », les responsables du CNDD-FDD estiment que les structures de leur parti et leur capacité à inscrire et à mobiliser les électeurs dans tout le pays ne peuvent que leur assurer la victoire. Un diplomate africain de haut rang connaissant bien le pays a déclaré à Crisis Group que « le CNDD-FDD a passé les cinq dernières années à faire campagne, et non à gouverner ». Il a de fortes chances de gagner, pas nécessairement en raison de sa popularité, mais parce que les larges ramifications de son appareil politique lui donnent un avantage comparatif par rapport à l’opposition.

Même si le parti au pouvoir perdait les élections, l’absence d’observation externe crédible laisse la possibilité de manipuler les résultats. Un ancien initié du CNDD-FDD a déclaré à Crisis Group : « si le CNDD-FDD perd, il se débrouillera autrement », laissant entendre que le parti pourrait même truquer le vote.

Malgré la forte répression à laquelle sont confrontés les groupes d’opposition, Rwasa et le CNL ont encore suffisamment de fidèles pour appeler les manifestants à descendre dans la rue s’ils veulent provoquer un scénario similaire à celui de 2015. Ce serait un pari risqué, avec des coûts potentiellement très élevés. Nkurunziza a déjà déclaré qu’il ne tolérerait pas un appel à la violence pendant ces élections et a déclaré que « des ordres clairs avaient été donnés aux forces de l’ordre, à l’armée et aux services de renseignement ». Le fait que Rwasa décide ou non d’appeler à manifester pourrait également dépendre en partie de la possibilité de le gratifier en lui offrant un autre poste gouvernemental, par exemple une fonction de haut niveau au parlement. Certains diplomates évoquent l’accession de Rwasa à la vice-présidence de l’Assemblée nationale après les élections de 2015, cinq ans seulement après être entré dans la clandestinité à la suite d’une accusation de déstabilisation du pays de la part des autorités ; ils considèrent que cela pourrait être un avant-gout de ce qui va se passer dans les prochains jours. Contrairement au CNL, les autres partis d’opposition ne pourront probablement pas organiser de manifestations de rue car ils n’ont pas de foules à mobiliser et beaucoup de leurs membres ont fui le pays en 2015.

Des sources dans la région, dont un diplomate de haut niveau, un observateur qui rencontre fréquemment des responsables du CNDD-FDD et un haut responsable du gouvernement, ont déclaré à Crisis Group qu’elles craignaient que la principale menace pour la stabilité ne vienne pas d’une contestation des résultats des élections par Rwasa, mais plutôt de Nkurunziza. Ces sources redoutent que le président sortant, qui jouit toujours d’une loyauté écrasante au sein de l’Imbonerakure, ne déclare l’état d’exception pour s’accrocher au pouvoir en suspendant les élections ou en refusant de se retirer dans les délais prévus, une action qui pourrait diviser le CNDD-FDD et provoquer des scissions au sein des services de sécurité entre les partisans de Nkurunziza et ceux qui soutiennent Ndayishimiye.

Quelles devraient être les principales priorités de tout nouveau président?

Le 21 août, si tout se passe comme prévu, le président Nkurunziza se retirera et son successeur entamera son premier mandat de sept ans, héritant d’un pays profondément appauvri et politiquement divisé. Le nouveau président devra relever de nombreux défis s’il veut réussir à panser les plaies de cette nation profondément divisée. Quatre défis en particulier seront essentiels pour déterminer s’il peut assurer un certain degré de paix, de sécurité et de stabilité au Burundi.

Le nouveau président devra relever de nombreux défis s’il veut réussir à panser les plaies de cette nation profondément divisée.

Tout d’abord, le nouveau président, qu’il s’agisse de Ndayishimiye ou de Rwasa, devra consolider son propre pouvoir. Si Ndayishimiye gagne, il devra trouver un équilibre entre un Nkurunziza réticent à le choisir comme candidat du parti au pouvoir et les généraux du CNDD-FDD qui ont soutenu sa candidature en janvier de cette année. Avec son rang de Guide suprême du patriotisme et de président du Conseil des sages du CNDD-FDD, Nkurunziza sera hiérarchiquement au-dessus de Ndayishimiye au sein du parti et restera donc influent. Si Rwasa est élu, il devra s’assurer de la loyauté de l’armée et des services de renseignement, qui sont principalement composés de partisans du CNDD-FDD.

Deuxièmement, le nouveau président devra travailler rapidement pour relancer une économie burundaise en perte de vitesse. La confiance des investisseurs a été ébranlée après la crise politique de 2015 et le niveau de vie dans tout le pays a sensiblement baissé depuis lors. Le nouveau président devra renouer avec les institutions financières internationales et les bailleurs de fonds, y compris les alliés occidentaux traditionnels du Burundi, et discuter des moyens d’améliorer la situation économique désastreuse du pays. Ndayishimiye a déjà exprimé son désir de sortir le Burundi de son isolement relatif auprès des partenaires internationaux, dont beaucoup sont prêts à soutenir le pays à condition que Nkurunziza quitte le pouvoir. Entre-temps, Rwasa a également mis l’accent sur l’attraction des investissements étrangers. Un nouvel engagement économique des partenaires internationaux devra s’accompagner d’une pression durable pour l’ouverture de l’espace politique, la fin des violations des droits humains et le retour en toute sécurité des réfugiés et de la diaspora.

Troisièmement, le nouveau président devra s’efforcer d’améliorer la sécurité régionale en mettant un terme aux différends avec son voisin, le Rwanda. Les relations entre les deux pays ont dégénéré en 2015, le Burundi accusant son voisin du nord d’avoir soutenu les officiers de l’armée impliqués dans le putsch manqué de 2015 contre Nkurunziza. Pendant cette période, les responsables rwandais ont insisté sur les relations étroites du Burundi avec les rebelles rwandais. Pour l’instant, les tensions entre les deux pays restent élevées, Nkurunziza accusant Kigali d’avoir soutenu l’attaque d’un groupe armé contre une position militaire burundaise en novembre 2019, faisant au moins huit morts et des dizaines de disparus. Le Rwanda a réfuté cette accusation ainsi que celle selon laquelle il soutiendrait RED-Tabara, un groupe rebelle burundais basé en République démocratique du Congo. Cependant, malgré des années d’accusations réciproques, les responsables des deux pays sont au moins restés en contact pour discuter de la manière d’atténuer la propagation transfrontalière du Covid-19.

Enfin, le nouveau président devra se pencher sur la santé publique. Si le Burundi semble jusqu’à présent avoir eu la chance d’éviter une épidémie majeure de Covid-19, rien ne garantit que cela durera – et il n’y a aucune certitude que les données actuelles soient exactes. Les rassemblements de masse pendant la campagne électorale ainsi que la liberté de déplacement à l’intérieur du pays le jour des élections et plus tard pourraient entraîner un pic de cas de Covid-19. Si une épidémie devait se déclarer, quelle qu’en soit la raison, le nouveau président aura un énorme défi à relever. Le mauvais système de santé du Burundi, avec un nombre limité de lits en soins intensifs et de respirateurs, ne serait pas en mesure de traiter un grand nombre de cas, ce qui pourrait contraindre le nouveau président à rétablir les liens avec les partenaires internationaux et régionaux et à demander de l’aide encore plus rapidement que prévu. Plutôt que d’attendre le pire, le nouveau président devrait commencer par solliciter l’aide immédiate des bailleurs de fonds internationaux pour développer les tests et renforcer les autres compétences clés nécessaires à la détection, au suivi et à la lutte contre la maladie.

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