Briefing / Africa 2 minutes

La face cachée du conflit centrafricain

Loin des yeux des acteurs internationaux, les espaces ruraux centrafricains sont devenus des terroirs de violence avec en toile de fond le contrôle des territoires et du bétail. Ces violences affectent des populations très vulnérables et ont un impact croissant sur le Cameroun et le Tchad voisins.

Synthèse

Alors que la communauté internationale et le gouvernement de transition ont le regard braqué sur la capitale, Bangui, une bonne partie du monde rural, notamment à l’ouest et au centre de la République centrafricaine (RCA), est devenue un terroir de violence. La lutte qui oppose les combattants de l’ex-Seleka et les milices anti-balaka a conduit à une recrudescence des affrontements entre communautés d’éleveurs et d’agriculteurs depuis 2013. Ces affrontements forment maintenant un conflit dans le conflit loin des yeux des acteurs internationaux et du gouvernement de transition et déstabilisent davantage la Centrafrique. A l’aube d’une nouvelle saison de transhumance qui risque d’intensifier la guérilla rurale en cours, les acteurs internationaux et le gouvernement de transition doivent impérativement prendre en compte cette dimension de la crise dans leur stratégie de stabilisation et prévenir les risques immédiats de violence entre communautés d’éleveurs et d’agriculteurs.

Avant le déclenchement de la crise centrafricaine à la fin de l’année 2012, le pastoralisme était déjà depuis plusieurs années une source de violence en zone rurale, particulièrement entre éleveurs et agriculteurs. En libérant les ressentiments entre ces communautés et en associant les éleveurs à l’ex-Seleka, la crise a amplifié ces violences de manière exponentielle. Alors que le bétail est l’objet de la convoitise des miliciens anti-balaka et de l’ex-Seleka, les éleveurs répondent aux vols de leur cheptel par des représailles brutales car le bétail est la richesse des pauvres. Le basculement de jeunes éleveurs vulnérables dans les groupes armés, le délitement des structures traditionnelles de médiation entre agriculteurs et éleveurs, et l’arrivée comme chaque année de transhumants, notamment tchadiens, en Centrafrique risquent d’amplifier la guérilla rurale en cours.

Par ailleurs, depuis 2013, cette dernière a déjà forcé de nombreux éleveurs à se réfugier au Tchad et au Cameroun ou à migrer vers d’autres régions en Centrafrique au terme de longues marches. Ces déplacements forcés ont des effets dangereux tels que l’effondrement de la filière de l’élevage, la radicalisation de certains groupes d’éleveurs et le blocage de la transhumance entre le Tchad et la Centrafrique. Ces conséquences de long terme risquent d’entraver la stabilisation du pays et doivent être prises en considération.

Pour contenir la violence dans le monde rural à court terme :

  • Créer un réseau d’informations, coordonné par le Bureau de coordination des affaires humanitaires des Nations unies (OCHA) et le ministère centrafricain de l’Elevage, pour localiser les risques de confrontation violente entre, d’un côté, les éleveurs et, de l’autre, les anti-balaka et les communautés locales. Ce réseau doit servir de système d’alerte pour les autorités centrafricaines, les ONG et les forces internationales (la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation en RCA (Minusca) et la mission française Sangaris).
     
  • Inclure la lutte contre le trafic de bétail dans les missions de la cellule de lutte contre les trafics de diamants, d’or et d’ivoire intégrée à la Minusca, dont Crisis Group recommandait la création en juin 2014.
     
  • Désaturer les zones agricoles du Sud-Ouest du Tchad en organisant une concertation régionale entre les autorités tchadiennes, centrafricaines, camerounaises et les ONG sous l’égide de la Minusca pour identifier dans les trois pays des lieux d’installation pour éleveurs qui combinent pâturages et sécurité. Leur installation doit être temporaire et nécessite l’accord des communautés hôtes et des éleveurs.

Pour agir sur les causes de la violence dans le monde rural à moyen terme :

  • Donner un second souffle aux mécanismes traditionnels de médiation agriculteurs-éleveurs grâce à l’organisation, par des ONG spécialisées dans la prévention des conflits, de rencontres informelles entre les représentants des différentes communautés. Les forces internationales devraient s’assurer que l’interdiction de siéger au sein de ces arènes de concertation et d’échanges soit intégrée parmi les mesures de confiance aux groupes armés.
     
  • Encourager la diffusion grâce aux radios communautaires soutenues par les ONG locales et les organismes religieux de messages de coexistence pacifique rappelant les intérêts communs et les échanges entre éleveurs et cultivateurs, en ciblant les femmes qui jouent traditionnellement un rôle clé dans les relations intercommunautaires.
     
  • Veiller à inclure dans les programmes d’activités génératrices de revenus mis en œuvre par les ONG internationales les éleveurs sans troupeaux réfugiés au Tchad et au Cameroun ainsi que ceux qui sont encore en Centrafrique.
     
  • Réaliser une étude socioéconomique par l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) pour étudier des pistes de relance de l’élevage là où la situation sécuritaire le permet.

Nairobi/Bruxelles, 12 décembre 2014

I. Overview

While the international community and the transitional government focus on Bangui, the capital, most of the rural areas, in particular the west and centre of the Central African Republic (CAR), have turned into fields of violence. The fierce struggle between the ex-Seleka and anti-balaka militiamen has led to a surge of intercommunal clashes between pastoralist and farming communities since 2013. These clashes have formed a conflict-within-the-conflict that further destabilises the country, away from the international spotlight and the attention of the transitional government. Ahead of a new transhumance period that may intensify the ongoing rural warfare, the transitional government and the international community should focus closely on preventing the escalation of violence between pastoralist and farming communities by making this aspect of the CAR crisis an integral part of their stabilisation strategy.

Before the CAR crisis began at the end of 2012, pastoralism had been a source of violence in rural areas for several years, notably between pastoralist and farming communities. The crisis has further exacerbated resentment and violence between these groups because of the herdsmen’s perceived links to ex-Seleka members. Livestock is coveted both by anti-balaka and ex-Seleka militiamen, and pastoralists often respond to cattle thefts with brutal retaliations as cattle is the wealth of the poor. The enrolment of vulnerable young herdsmen in armed groups, the crumbling of traditional agro-pastoralist mediation structures and the yearly coming of pastoralists, especially Chadians, to CAR may amplify the ongoing bush warfare.

Since 2013, this rural war has forced many pastoralist communities to take refuge in Chad and Cameroon or to flee to other CAR regions, often after having walked for a long time. These displacements are exacting a heavy toll, causing the collapse of the livestock farming sector, the radicalisation of some pastoralist groups and the blockage of transhumance movements between Chad and CAR. These long-term obstacles to the stabilisation of the country must be addressed.

To contain rural violence in the short term:

  • Create an information network, coordinated by the UN Office for the Coordination of Humanitarian Affairs (OCHA) and the CAR livestock ministry, in order to locate the areas at risk of violent confrontation between, on the one hand, pastoralists and, on the other, anti-balaka and local communities. This network must serve as an early warning mechanism for CAR authorities, NGOs and international forces (the UN Multidimensional Integrated Stabilization Mission in the Central African Republic (MINUSCA) and the French mission Sangaris).
     
  • Include the fight against cattle theft and trafficking into the mandate of a MINUSCA cell against diamond, gold and ivory trafficking, whose creation has been recommended by Crisis Group since June 2014.
     
  • Reduce cattle density in south-western Chad by organising a regional consultation between Chadian, CAR, Cameroonian authorities and NGOs, under the aegis of MINUSCA, in order to identify in those countries safe areas with pasturelands for pastoralists. This should be a temporary settlement that requires the agreement of the host communities and the pastoralists.

To address the causes of rural violence in the medium term:

  • Revive traditional agro-pastoralist mediation mechanisms through organisation of informal meetings between representatives of the different communities by conflict prevention NGOs. As confidence-building measures, international forces should forbid armed groups to get involved in these mechanisms.
     
  • Broadcast messages through community radios run by churches and local NGOs recalling common interests and exchanges between pastoralists and farmers. These messages should especially be circulated among women who usually play a key role in these intercommunity exchanges.
     
  • Include in livelihood activity programs led by international NGOs the pastoralists without livestock who took refuge in Chad and Cameroon and those still living in CAR.
     
  • Launch a feasibility study by the UN Food and Agricultural Organization (FAO) to restart livestock breeding where the security situation permits it.

Nairobi/Brussels, 12 December 2014

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