Report / Asia 3 minutes

Les musulmans sri lankais pris entre deux feux

Durant presque tout le conflit qui dure depuis 25 ans au Sri Lanka, l’attention s’est portée sur la confrontation entre la majorité cingalaise et la minorité tamoule.

Synthèse

Durant presque tout le conflit qui dure depuis 25 ans au Sri Lanka, l’attention s’est portée sur la confrontation entre la majorité cingalaise et la minorité tamoule. L’opinion des musulmans, qui représentent 8% de la population et se considèrent comme un groupe ethnique à part entière, a en grande partie été ignorée. Il est vital de comprendre leur rôle dans le conflit et de prendre leurs aspirations politiques en considération pour parvenir à un règlement de paix durable. Si un nouveau processus de paix est lancé, les musulmans devront y participer, mais il faudra dans ce cas prendre des mesures plus rapidement afin d’assurer leur sécurité et leur engagement politique, sachant que, l’un comme l’autre, le gouvernement et le LTTE ont l’intention de poursuivre le conflit. Ce qui implique le contrôle de la milice Karuna, un gouvernement local et national plus coopératif, de meilleurs mécanismes de protection des droits humains et une stratégie politique sérieuse qui mesure les inquiétudes de la minorité dans l’est du pays.

Au moins un tiers des musulmans vit dans le nord et l’est, régions affectées par le conflit, et portent donc un intérêt particulier à la résolution du conflit. Ils ont souvent été confrontés à de dures épreuves, notamment de la part des rebelles tamouls, les Tigres de libération de l’Eelam tamoul (LTTE). Les musulmans sont victimes, depuis 1990, de nettoyages ethniques, de massacres et de déplacements forcés de la part des insurgés.

L’accord de cessez-le-feu (CFA) de 2002 a déçu nombre de musulmans. Il ne prévoyait pas leur représentation lors des pourparlers de paix, et beaucoup craignaient qu’un accord donnant le contrôle exclusif du nord et de l’est au LTTE, même s’il s’agissait d’un accord fédéral, porte gravement préjudice à leurs intérêts. En dépit des négociations entre les chefs musulmans et le LTTE, ils ont continué à être la cible de violentes attaques. Depuis la reprise des actions militaires à grande échelle, durant l’été 2006, les musulmans sont de nouveau pris dans les combats dans l’est du pays. Des dizaines de personnes ont été tuées et des centaines déplacées. Ils sont également entrés en conflit avec un nouveau groupe paramilitaire pro-gouvernemental, la milice Karuna. Le souvenir de l’oppression exercée par le LTTE est toujours présent, et de profonds désaccords avec les Tamouls sur la possession des terres et des ressources existent toujours dans l’est.

Les dirigeants politiques musulmans ont souvent été divisés, parce qu’ils représentaient des expériences historiquement différentes et des réalités géographiquement diverses, ainsi que des divergences personnelles et politiques. Les musulmans de l’est et du nord du pays, véritablement touchés par le conflit, ont des interprétations radicalement différentes de celles des musulmans qui vivent au sud, avec les cingalais. Cependant, un consensus existe sur des questions importantes et ils s’accordent sur le souhait de développer une approche plus unitaire du conflit.

Les musulmans n’ont jamais eu recours à la rébellion armée pour affirmer leur position politique, bien que certains aient collaboré avec les forces de sécurité et que quelques-uns aient fait partie des premiers groupes de militants tamouls. La crainte de voir émerger un mouvement armé au sein de la communauté musulmane, peut-être sous couvert d’idéologie islamiste, existe depuis le début des années 1990, mais beaucoup se sont employés à canaliser leurs frustrations dans le processus politique et la négociation avec le gouvernement et les militants tamouls, à différentes périodes.

Rien ne peut garantir que cet engagement en faveur de la non-violence se poursuivra, compte tenu de la frustration visible chez les jeunes musulmans dans la province orientale. Il y a, dans certaines zones, des groupes armés musulmans, mais ils sont modestes et ne représentent pas de véritable menace pour la sécurité. Les craintes quant à l’émergence de mouvements islamistes armés semblent exagérées, ce souvent à des fins politiques. De petites bandes sont entrées dans des activités semi-criminelles et sont impliquées dans des conflits intra-religieux, mais il est probable qu’elles jouent un rôle dans les affrontements intercommunautaires si le conflit continue à menacer la sécurité des coreligionnaires.

Certes, certains musulmans s’intéressent de plus en plus à des versions plus fondamentalistes de l’islam, et de violents affrontements ont eu lieu entre les mouvements ultra-orthodoxe et soufi. Ce type de violence demeure cependant limité et la plupart des musulmans font preuve d’une grande tolérance envers d’autres doctrines et confessions. Néanmoins le conflit, au moins en partie, a poussé certains musulmans à canaliser leurs frustrations et questions identitaires dans des conflits religieux.

Les musulmans ont eu tendance à faire des propositions de paix à la va-vite et subordonnées à la politique des partis majoritaires tamoul et cingalais. Les zones musulmanes autonomes existent toujours dans l’est mais il semble peu probable que le gouvernement actuel les tolère. Les musulmans s’inquiètent des plans de Colombo pour le développement et la gouvernance de la région, car ils n’ont pas véritablement impliqué de consultation des minorités ethniques et ne semblent pas comprendre de vrai transfert de compétences des pouvoirs vers les communautés locales.

À plus long terme, seul un règlement politique total du conflit pourra permettre de tenter de résoudre les injustices faites aux musulmans depuis si longtemps et d’entrer dans une phase de réconciliation. Le LTTE, en particulier, doit se pencher sur son passé de négociations avec les musulmans s’il veut jouir d’une certaine crédibilité dans le futur processus de paix dans lequel les musulmans seront impliqués. Seul un règlement équitable, qui affronte de manière adéquate les inquiétudes cingalaises, tamoules et musulmanes, sera en mesure de limiter la désillusion croissante chez la nouvelle génération de Sri Lankais musulmans.

Colombo/Bruxelles, 29 mai 2007

Executive Summary

Throughout much of the 25-year Sri Lankan conflict, attention has focused on the confrontation between the majority Sinhalese and the minority Tamils. The views of the country’s Muslims, who are 8 per cent of the population and see themselves as a separate ethnic group, have largely been ignored. Understanding their role in the conflict and addressing their political aspirations are vital if there is to be a lasting peace settlement. Muslims need to be part of any renewed peace process but with both the government and LTTE intent on continuing the conflict, more immediate steps should be taken to ensure their security and political involvement. These include control of the Karuna faction, more responsive local and national government, improved human rights mechanisms and a serious political strategy that recognises minority concerns in the east.

At least one third of Muslims live in the conflict-affected north and east and thus have a significant interest in the outcome of the war. They have often suffered serious hardship, particularly at the hands of the Tamil rebel group, the Liberation Tigers of Tamil Eelam (LTTE). Since 1990 Muslims have been the victims of ethnic cleansing, massacres and forced displacement by the insurgents.

The 2002 ceasefire agreement (CFA) was a disappointment to many Muslims. They had no independent representation at the peace talks, and many feared that any agreement that gave the LTTE exclusive control of the north and east, even in a federal arrangement, would be seriously detrimental to their own interests. Despite talks between Muslim leaders and the LTTE, they continued to suffer violent attacks. Since the resumption of large-scale military action in mid-2006, Muslims have again been caught up in the fighting in the east. Dozens have been killed and thousands displaced. They have also come into conflict with a new, pro-government Tamil paramilitary group, the Karuna faction. Memories of LTTE oppression are still fresh, and rancorous disputes with Tamils over land and resources remain potent in the east.

Muslim political leaders have often been divided, representing different historical experiences and geographical realities as well as personal and political differences. Muslims in the east and north – who have been fundamentally affected by the conflict – often have very different views from those who live in the south among the Sinhalese. Nevertheless, there is consensus on some key issues and a desire to develop a more united approach to the conflict.

Muslims have never resorted to armed rebellion to assert their political position, although some have worked with the security forces, and a few were members of early Tamil militant groups. Fears of an armed movement emerging among Muslims, perhaps with a facade of Islamist ideology, have been present since the early 1990s, but most have remained committed to channelling their frustrations through the political process and negotiating with the government and Tamil militants at different times.

There is no guarantee that this commitment to non-violence will continue, particularly given the frustration noticeable among younger Muslims in the Eastern province. In some areas there are Muslim armed groups but they are small and not a major security threat. Fears of armed Islamist movements emerging seem to be exaggerated, often for political ends. Small gangs have been engaged in semi-criminal activities and intra-religious disputes, but there is a danger they will take on a role in inter-communal disputes if the conflict continues to impinge upon the security of co-religionists.

There is increasing interest among some Muslims in more fundamentalist versions of Islam, and there have been violent clashes between ultra-orthodox and Sufi movements. This kind of violence remains limited and most Muslims show considerable tolerance to other sects and other faiths. Nevertheless, the conflict is at least partly responsible for some Muslims channelling their frustrations and identity issues into religious disputes.

Muslim peace proposals have tended to be reactive, dependent on the politics of the major Tamil and Sinhalese parties. Muslim autonomous areas in the east are being pursued but seem unlikely to be accepted by the present government. Muslims are concerned about Colombo’s plans for development and governance in the east, which have not involved meaningful consultation with ethnic minorities and do not seem to include significant devolution of powers to local communities.

In the longer term, only a full political settlement of the conflict can allow historical injustices against the Muslims to be addressed and begin a process of reconciliation. The LTTE, in particular, needs to revisit the history of its dealings with the Muslims if it is to gain any credibility in a future peace process in which the Muslims are involved. Only an equitable settlement, in which Sinhalese, Tamil and Muslim community concerns are adequately addressed, can really contain the growing disillusionment among a new generation of Sri Lankan Muslims.

Colombo/Brussels, 29 May 2007

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