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Népal : la paix reportée

Les progrès du Népal sur la voie d’une paix durable sont aujourd’hui gravement compromis mais rien ne semble encore irréparable.

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Synthèse

Les progrès du Népal sur la voie d’une paix durable sont aujourd’hui gravement compromis mais rien ne semble encore irréparable. Les élections de l’Assemblée constituante (AC) ont été reportées une nouvelle fois, reflétant les échecs de mise en œuvre de l’Accord de paix global (APG) signé en novembre 2006 et le manque de volonté à s’en tenir au processus sur lequel on s’était entendu alors. Les responsables politiques népalais se sont désormais engagés à forger un nouveau consensus et à organiser les élections d’ici la mi-avril 2008 mais ils leur reste toujours à régler les problèmes qui avaient provoqué leurs précédents reports. À la suspicion ambiante entre les partis – notamment entre le Congrès népalais (CN) qui domine le gouvernement et les Maoïstes, qui n’y sont toujours pas représentés – fait écho la confiance vacillante de la population : quelles que soient les promesses qu’on leur fait, les électeurs estiment en général que les politiciens préfèrent s’accrocher au pouvoir plutôt que rendre des comptes à l’électorat. L’ensemble des partis doivent de toute urgence donner un nouvel élan au processus de paix et s’efforcer de regagner la confiance du public et de gagner en légitimité. La communauté internationale peut les y aider mais elle doit également maintenir la pression afin de garder le processus de paix et les élections sur les rails.

Dès le départ, le processus de paix s’est davantage fondé sur une convergence d’intérêts que sur une vision commune. La menace d’une monarchie renaissante a poussé les partis dominants et les maoïstes à s’allier, mais le seul véritable intérêt qu’ils partagent encore aujourd’hui est de se maintenir au pouvoir. Même lorsque les élections semblaient être en bonne voie, aucun parti n’avait vraiment foi en les appels qui s’élevaient alors pour une plus large participation de la population au processus constitutionnel.  La pression populaire pour faire avancer ce processus n’est sans doute pas un sujet d’inquiétude pour les responsables politiques. La société civile est divisée et le public n’a pas beaucoup d’options à sa portée pour faire pression sur la classe politique ; elle pourrait en dernier recours organiser un mouvement de masse mais cette option demeure pour le moment fort improbable. Il n’y a pas beaucoup de place pour des propositions constructives et l’opposition parlementaire est faible et sans assise constitutionnelle.

Le plan de paix n’était pas défaillant en lui-même mais son succès dépendait de la volonté de tous les partis de réformer leur comportement politique, changement qui aurait dû s’opérer avec la mise en œuvre des engagements pris, à commencer par l’accord de novembre 2005 signé entre les partis dominants et les maoïstes. Le plan de paix repoussait également le règlement d’un certain nombre de questions cruciales à une date ultérieure non précisée. L’érosion d’une plateforme commune n’est donc pas surprenante. Le consensus qui existait sur le partage du pouvoir s’en va en fumée pour des problèmes de loyauté partisane et des querelles liées au népotisme. Face à la perspective des prochaines élections, les manœuvres se sont multipliées et l’unité a faibli encore davantage. Bien que le dialogue ne soit pas rompu, les récriminations entre les partis se sont amplifiées.

De nouvelles options vont probablement se faire jour, bien qu’aucune encore n’apparaisse comme suffisamment attrayante pour susciter un soutien décisif. Il se peut que l’éventualité d’une nouvelle “alliance nationaliste” (qui pousse maoïstes et chefs rebelles du CN à courtiser l’électorat royaliste) serve pour l’heure de tactique de négociation mais elle ne fait que souligner la fragilité de l’alliance actuelle entre les sept partis au gouvernement. Or, cette fragilité n’est pas sans conséquences : la constitution intérimaire ne peut fonctionner sans l’unité de ces partis. Ceux qui tiennent les rennes du pouvoir, de même que le Palais et l’Armée, ne seront sans doute pas déçus en cas d’un nouveau report des élections, mais la nation n’a aucun bénéfice à tirer de la prolongation de la situation actuelle. Une telle évolution pourrait assurer une certaine stabilité à Katmandou et donner un second souffle à une nouvelle formule de partage du pouvoir, mais les jeux politiques dans la capitale reflètent de moins en moins les réalités d’un pays en pleines turbulences.

Maintenir l’unité d’une nation de plus en plus mécontente exige davantage qu’une simple redistribution des pouvoirs. Cela demande des actions concrètes plutôt que les habituelles négociations rondement menées dans les coulisses du pouvoir, qui sont de moins en moins crédibles. Les deux armées en présence commencent à exercer une influence croissante sur les positions des deux camps ; ni l’une ni l’autre n’ont été défaites et chacune d’entre elles voudraient poser ses propres règles. Les combattants maoïstes ont déjà quitté leurs cantonnements en nombre ; lorsque les Nations unies auront terminé leurs vérifications, des milliers de combattants auront rendu les armes mais aucun plan réaliste n’a été élaboré pour assurer leur réintégration dans la société. Les structures parallèles mises en place par les maoïstes, notamment la Ligue des jeunes communistes (YCL), qui était déjà dirigée par des officiers de l’Armée de libération populaire (PLA), maintiennent leur emprise sur une bonne partie du pays. Ailleurs, les mouvements identitaires poursuivent leurs calculs politiques et ne font rien pour garantir l’ordre public. La démission de plusieurs parlementaires Madhesi, y compris un ministre du Congrès népalais, pour former un nouveau parti donne à penser que les troubles Tarai pourraient bien finalement affecter le jeu politique national.

Étant donnée l’instabilité dont il souffre, le Népal risque de retomber dans le conflit même si aucun parti en jeu n’entreprend d’actions en ce sens. Il reste toujours deux armées intactes prêtes à se battre. Cette structure fondamentalement combative fait échec à toute tentative d’instaurer la confiance entre les parties. La population, qui a perdu ses illusions, ne sera guère enthousiaste à l’idée de défendre des partis qui n’ont pas tenu leurs promesses de réformes et se contentent de briguer un nouveau mandat. Beaucoup craignent qu’on ait déjà raté l’opportunité de garantir la paix et le changement institutionnel. Ce sont les groupes militants qui ont à y gagner. Le seul signe positif en vue est que la totalité des partis admettent que la mise en œuvre des accords existants est une priorité. Si, dans le même temps, ils montrent une volonté de réunir les conditions nécessaires à la tenue d’élections d’ici la mi-avril 2008 comme promis, il pourrait s’ensuivre un véritable soutien populaire et la stabilisation du pays.

Les sept partis au pouvoir (gouvernement et Maoïstes) devraient :

  • préserver l’unité du pays en combinant des mesures immédiates d’instauration de la confiance, par la réaffirmation conjointe de la vision partagée reprise dans l’APG, par le développement de procédures de prise de décision consensuelles et par la négociation transparente d’un accord de partage du pouvoir afin de ramener les maoïstes au sein du gouvernement, y compris si nécessaire par un remaniement ministériel et des discussions quant à la forme que prendra le gouvernement consensuel à l’issue des élections ;
     
  • démontrer leur engagement, les maoïstes en cessant leurs activités parallèles et autres violations de l’APG, et les autres partis en montrant l’exemple et en respectant leurs propres engagements de manière non partiale ;
     
  • entamer des discussions avec les autres partis représentés au parlement ou inscrits pour les élections et avec la société civile afin de générer un soutien plus large au processus électoral et au processus de paix, notamment grâce à des mécanismes spécifiques permettant d’établir un consensus ;
     
  • évaluer les progrès de la mise en œuvre de l’Accord de paix global et des accords consécutifs, donner mandat aux comités prévus dans ces accords (qui rendront compte de leurs travaux au public régulièrement) et se pencher sur les problèmes qui avaient été ignorés lors des précédentes négociations en entamant des discussions sur des thèmes comme la réforme du secteur de la sécurité (RSS) ;
     
  • réviser le rôle du ministère de la Paix et de la Reconstruction aux mains du CN et envisager de créer un mécanisme mettant en jeu l’ensemble des partis pour surveiller l’accord de paix sous le contrôle d’un organisme indépendant ;
     
  • recentrer leurs efforts sur le processus constitutionnel, en instaurant des mécanismes en vue de la participation du public afin de garantir que ce processus a un sens et de convaincre les Népalais que les élections sont une affaire sérieuse ;
     
  • élaborer un plan de sécurité publique viable pour restaurer la confiance en la police, faire respecter l’autorité de la loi et mettre fin à l’impunité des acteurs aussi bien étatiques que non-étatiques, et rétablir le gouvernement local sur la base au minimum d’un consensus entre les sept partis et la communauté ; et
     
  • se concentrer davantage sur l’inclusion politique, en commençant par mettre en œuvre les accords relatifs à la représentation des femmes, des janajatis, des Madhesis, des Dalits et des autres groupes.

Les acteurs internationaux devraient quant à eux :

  • s’accorder sur un message commun insistant sur la nécessité d’une feuille de route pour les élections, offrir leur soutien et rappeler à tous que la reconnaissance internationale ne peut se faire qu’à la condition d’un engagement prouvé envers la paix et la démocratie ;
     
  • la mission des Nations unies au Népal (MINUN) devrait continuer à clarifier son rôle et améliorer la communication avec le public pour contrer les critiques concernant son manque de transparence ; et
     
  • les bailleurs ne devraient soutenir que les projets qui ont reçu l’approbation de la totalité des parties et qui sont de toute évidence compatibles avec les objectifs du processus de paix, y compris en renforçant la gouvernance locale pour contribuer à l’instauration de la confiance et à la fourniture de services aux communautés locales, afin de leur donner le sentiment qu’elles reçoivent les dividendes de la paix.

Katmandou/Bruxelles, 18 décembre 2007

I. Overview

Nepal’s progress toward lasting peace is seriously but not yet irreparably faltering. A further postponement of constituent assembly (CA) elections reflected the weak implementation of the November 2006 Comprehensive Peace Agreement (CPA) and lack of will to follow the agreed process. Leaders have now vowed to forge a new consensus and agreed to hold the elections by mid-April 2008 but have yet to address the problems that led to past postponements. Suspicions among the parties – especially between Nepali Congress (NC), which dominates the government, and the Maoists, who remain outside – are echoed in ebbing public confidence: whatever promises they hear, most voters believe the politicians prefer to stay in power rather than face the electorate. All parties urgently need to inject new momentum into the peace process and take steps to win back trust and earn legitimacy. The international community can support them in this but must also maintain pressure to keep the polls and peace process on track.

The peace process from the outset was based more on a convergence of interests than a common vision. The threat of a resurgent monarchy prodded mainstream parties and Maoists into alliance, but their major remaining shared interest is continuation in power. Even when elections seemed to be on track, no party paid more than lip service to calls for broader public participation in the constitutional process. Popular pressure to move the process ahead is not likely to worry political leaders. Civil society is divided, and the public has few openings to channel its pressure; the ultimate option of a mass movement is, for now, improbable. Constructive proposals have little outlet; parliamentary opposition is weak and without constitutional standing.

The peace plan was not inherently flawed, but it depended on all parties reforming their political behaviour, a process that should have been founded on implementing commitments starting from the November 2005 agreement between the mainstream parties and the Maoists. It also left many crucial issues to be negotiated at an unspecified date. The erosion of a common platform is not surprising. The consensus on power sharing that existed is foundering on partisanship and disputes over patronage. The prospect of impending polls has added to manoeuvring and further weakened unity. Although all parties are still talking, mutual recrimination has grown.

Other options are now likely to come into focus, although none yet appears attractive enough to win critical support. Talk of a new “nationalist alliance” – with Maoists and renegade NC leaders courting the royalist constituency – may for now be a bargaining tactic but underlines the seven-party grouping’s fragility. This has constitutional ramifications: the interim constitution cannot function without seven-party unity. Those in power, as well as the palace and the army, might not be disappointed with another deferral of elections but prolongation of the current limbo has little to offer the nation. It could provide stability in Kathmandu and a new lease on life for a modified power-sharing formula but the capital’s political games increasingly fail to reflect the realities of a turbulent country.

Holding an increasingly fractious nation together requires more than reapportioning the Kathmandu spoils. It needs action rather than the usual quick-fix backroom deals which command less and less credibility. The two armed forces have started to exert greater influence on the positions of the sides; neither has been defeated, and each would like to establish its own red lines. Maoist fighters have already left the cantonments in large numbers; on completion of the UN verification process, thousands of disqualified personnel will be discharged with no realistic plan for how to deal with them. Maoist parallel structures, notably the Young Communist League (YCL), which is already led by People’s Liberation Army (PLA) commanders, still hold sway over much of the country. Elsewhere identity-based movements have left political calculations in flux and law and order in tatters. The resignation of Madhesi parliamentarians, including an NC minister, to form a new party suggests the Tarai unrest may finally be impinging on national power games.

In this inherently unstable situation, Nepal risks slipping back toward renewed conflict even if no party actively seeks it. Two intact armies remain ready to fight. This fundamentally adversarial structure blocks other confidence-building efforts. A disillusioned public will have little appetite to defend parties which have betrayed their promises to reform and seek a new mandate. Many fear the opportunity for securing peace and institutional change is already lost. More militant groups stand to gain. The one hopeful sign is growing recognition in all parties that implementation of existing agreements is a priority. If this is coupled with the will to create conditions for holding elections by mid-April 2008 as promised, it could produce a genuine popular endorsement and stabilise the country.

The seven parties (government and Maoists) should:

  • preserve unity through a combination of immediate confidence-building measures, jointly reaffirming the CPA’s shared vision, developing consensual decision-making procedures and transparently negotiating a durable power-sharing deal to bring the Maoists back into government, including if necessary a cabinet reshuffle and discussions on the shape of a post-electoral consensus government;
     
  • demonstrate commitment through behaviour – with the Maoists halting parallel activities and other abuses of the CPA, and other parties setting an example by fulfilling their own commitments in a non-partisan fashion;
     
  • engage with other parties represented in the legislature or registered for the elections and with civil society to build broader support for the electoral and peace process and avoid charges of narrow self-interest, including considering specific mechanisms for consensus building;
     
  • review progress on implementing the CPA and subsequent agreements, establish mandated committees (and report to the public regularly on their progress) and tackle the gaps in earlier negotiations by initiating discussions on such issues as security sector reform (SSR);
     
  • review the role of the NC-led Ministry of Peace and Reconstruction and consider forming an all-party mechanism to oversee the peace deal, backed by an independent monitoring body;
     
  • refocus on the constitutional process, developing mechanisms to bring in the public in order to ensure it is meaningful and convince Nepalis elections are serious;
     
  • develop a viable public security plan to rebuild confidence in the police, uphold the rule of law and end impunity whether of state or non-state actors and reestablish local government based at a minimum on seven-party and community consensus; and
     
  • increase the focus on political inclusiveness, starting by implementing agreements on representation of women, janajatis, Madhesis, Dalits and other groups.

International actors should:

  • agree on a common message pressing for a realistic roadmap to elections, offering support and reminding all that international recognition is conditional upon demonstrated commitment to peace and democracy;
     
  • UN Mission in Nepal (UNMIN) should continue to clarify its role, improving communication with the public to counter criticism about lack of transparency; and
     
  • donors should only support projects with all-party approval and demonstrably in line with peace process goals, including strengthening local governance to contribute to confidence-building and service-delivery to local communities to convey the sense of a peace dividend.

 

Kathmandu/Brussels, 18 December 2007

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