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Pakistan : l’extrémisme violent et les madrasas de Karachi

En 2002, le président Pervez Musharraf déclarait vouloir prendre des mesures énergiques contre les groupes sectaires et jihadistes violents et vouloir réglementer les madrasas (écoles religieuses) sur lesquelles ils s’appuient.

Synthèse

En 2002, le président Pervez Musharraf déclarait vouloir prendre des mesures énergiques contre les groupes sectaires et jihadistes violents et vouloir réglementer les madrasas (écoles religieuses) sur lesquelles ils s’appuient. Cinq ans plus tard, le programme de réforme initié par son gouvernement tourne au désastre. Les groupes qui ont été interdits continuent d’opérer ouvertement dans la plus grande ville du Pakistan, Karachi, et ailleurs avec le soutien de réseaux de mosquées et de madrasas. La communauté internationale doit faire pression sur le président Musharraf pour qu’il respecte ses engagements, en particulier la mise en œuvre d’un contrôle efficace sur les madrasas et l’organisation d’élections nationales libres et justes en 2007. La communauté internationale devrait également réorienter l’aide de ses donateurs : plutôt que de continuer à apporter une aide aux efforts vains du gouvernement de réformer les écoles religieuses, cette aide devrait se destiner à l’amélioration d’un enseignement public médiocre.

Les madrasas de Karachi, qui ont formé et envoyé des combattants jihadistes en Afghanistan et dans le Cachemire indien, illustrent bien les échecs du gouvernement pakistanais et leurs conséquences sur la stabilité interne aussi bien que sur la sécurité régionale et internationale. En 2006, Karachi a été secouée par des actes de violence politique bien relayés par les médias. Trois attentats-suicides distincts ont entraîné la mort d’un diplomate américain, l’assassinat du chef du plus important groupe politique chiite et l’élimination de l’ensemble des dirigeants d’un groupe militant sunnite aux prises avec ses rivaux pour le contrôle des mosquées.

Toutes les madrasas de la ville ne sont pas des centres actifs d’activisme jihadiste mais même celles qui n’entretiennent pas de lien direct avec des groupes violents mettent en avant une idéologie qui apporte une justification religieuse à de telles attaques. Tirant parti de l’urbanisation anarchique rapide et non réglementée de Karachi et de l’importante population jeune, appauvrie et mécontente qu’elle abrite, les madrasas se sont multipliées à grande vitesse au cours des vingt dernières années. Étant donné la mollesse des efforts de réforme du gouvernement, ces madrasas sans statut légal contribuent de diverses façons au climat d’anarchie qui règne à Karachi : par l’occupation illégale de terrains, par des affrontements violents entre groupes militants rivaux et par l’usage du prêche pour relayer les appels à la violence sectaire et au jihad.

Le gouvernement pakistanais n’a encore pris aucune des mesures nécessaires et trop longtemps attendues qui permettraient de contrôler l’extrémisme religieux à Karachi et dans le reste du pays. Lorsque la pression internationale ou les événements le lui imposent, Musharraf promet de prendre des actions vigoureuses mais ces déclarations périodiques ne sont jamais suivies d’effets. Le manque de conviction des efforts gouvernementaux découle en premier lieu de la dépendance de Musharraf vis-à-vis de la droite religieuse et en particulier de la Jamiat Ulema-e-Islam, qui contrôle le plus grand réseau de madrasas déobandies du pays et fait partie de la coalition au pouvoir au Baloutchistan. Musharraf a besoin de ces alliés pour contrer l’opposition civile que forment le Parti populaire du Pakistan et la Ligue musulmane du Pakistan-Nawaz qui ont dominé la scène politique pakistanaise durant la période démocratique des années 1990.

Les plans de réformes sont annoncés en fanfare avant d’être abandonnés. Les madrasas demeurent ainsi non-officielles ou sont déclarées en vertu de lois qui ne sont pas mises en application effective. Le contenu sectaire et jihadiste du programme d’enseignement des madrasas est resté inchangé et il n’existe aucun contrôle des flux financiers qui passent par les madrasas et autres institutions religieuses. L’absence d’une autorité unique qui disposerait, sous contrôle parlementaire, du pouvoir de réglementer les écoles religieuses a profité à ceux qui s’opposent à la réforme. Les pouvoirs en la matière sont dispersés entre de multiples ministères et entre les divers niveaux de gouvernement. Les tentatives de “recentrer” les programmes des madrasas par l’introduction de divers cours non religieux se sont également avérées vaines, la plupart des madrasas refusant de coopérer avec les très modestes réformes proposées par le gouvernement. Dans tous les cas, l’introduction de cours laïcs ne serait que de peu de secours si elle ne s’accompagne pas de profonds changements dans le programme d’enseignement religieux afin d’empêcher que celui-ci n’encourage le jihad et le sectarisme violent.

Les efforts du gouvernement et les financements fournis par les donateurs devraient plutôt se consacrer à un meilleur soutien du système d’enseignement public et à la réforme de celui-ci, notamment par la suppression des chapitres au programme ayant un contenu sectaire, pro-jihad ou anti-minorités. Les donateurs doivent suivre de près la réforme du programme scolaire public et veiller à ce qu’il soit mis en œuvre sur le long terme.

Tirant parti de la faiblesse du gouvernement militaire, les madrasas et les partis religieux ont contré toutes les tentatives qui ont été faites pour réglementer les écoles religieuses. Le gouvernement, en faisant des promesses qu’il n’a pas tenues, n’a fait qu’enhardir les forces extrémistes et sectaires, ce qui a contribué de façon considérable à la violence qui frappe Karachi et l’ensemble du pays. Les chances de briser les liens qui existent entre madrasas et extrémisme violent seraient plus grandes si les élections nationales de cette année étaient démocratiques, libres et justes. Dans ce cas, il est probable que les partis religieux seront marginalisés et que les partis modérés nationaux (qui présentent une volonté politique bien plus grande de mettre en œuvre des réformes sérieuses) reviendront au pouvoir.

Islamabad/Bruxelles, 29 mars 2007

Executive Summary

More than five years after President Pervez Musharraf declared his intention to crack down on violent sectarian and jihadi groups and to regulate the network of madrasas (religious schools) on which they depend, his government’s reform program is in shambles. Banned sectarian and jihadi groups, supported by networks of mosques and madrasas, continue to operate openly in Pakistan’s largest city, Karachi, and elsewhere. The international community needs to press President Musharraf to fulfil his commitments, in particular to enforce genuine controls on the madrasas and allow free and fair national elections in 2007. It should also shift the focus of its donor aid from helping the government’s ineffectual efforts to reform the religious schools to improving the very weak public school sector.

Karachi’s madrasas, which have trained and dispatched jihadi fighters to Afghanistan and Indian-administered Kashmir, offer a valuable case study of government failures and consequences for internal stability and regional and international security. In 2006, the city was rocked by high-profile acts of political violence. In three separate attacks, suicide bombers killed a U.S. diplomat, assassinated the head of the most prominent Shia political group and wiped out the entire leadership of a Sunni militant group locked in a struggle for control over mosques with its Sunni rivals.

Not all madrasas in the city are active centres of jihadi militancy but even those without direct links to violence promote an ideology that provides religious justification for such attacks. Exploiting Karachi’s rapid, unplanned and unregulated urbanisation and its masses of young, disaffected and impoverished citizens, the madrasa sector has grown at an explosive rate over the past two decades. Given the government’s half-hearted reform efforts, these unregulated madrasas contribute to Karachi’s climate of lawlessness in numerous ways – from illegal land encroachment and criminality to violent clashes between rival militant groups and use of the pulpit to spread calls for sectarian and jihadi violence.

The Pakistan government has yet to take any of the overdue and necessary steps to control religious extremism in Karachi and the rest of the country. Musharraf’s periodic declarations of tough action, given in response to international events and pressure, are invariably followed by retreat. Primarily responsible for the half-hearted efforts is his dependence on the religious right, particularly his coalition partner in the Balochistan government, the Jamiat Ulema-e-Islam (JUI), which runs the largest network of Deobandi madrasas. He needs these allies to counter his civilian opposition, the Pakistan People’s Party (PPP) and Pakistan Muslim League-Nawaz (PML-N), which dominated politics during the democratic interlude of the 1990s.

Plans are announced with much fanfare and then abandoned. As a result, madrasas remain either unregistered or registered under laws that have no effective implementation. The sectarian, jihadi content of the madrasa curriculum is untouched, and there is no meaningful control over money flows into and through madrasas and other religious institutions. The absence of a single agency, under parliamentary control and with the requisite authority to regulate the madrasa sector, has empowered opponents of reform. Powers are scattered among multiple ministries and levels of government. Attempts to “mainstream” madrasa curricula through introduction of a range of non-religious classes have also proved futile, with most madrasas refusing to cooperate with very modest government reforms. In any case, the introduction of secular courses would only be of slight value unless there were also deep changes in the religious curriculum to end the promotion of violent sectarianism and jihad.

Government efforts, and donors’ money, should instead go towards increased support and reform of the public school system, including removal of the sectarian, pro-jihad, and anti-minority portions of its curriculum. Donors must monitor the reform of that public school curriculum closely and make sure that it is implemented with the requisite long-term commitment.

Exploiting the military government’s weakness, the religious parties and madrasa unions have countered all attempts to regulate the madrasa sector. By backtracking, the government has further emboldened sectarian and extremist forces, resulting in a significant contribution to the violence that plagues Karachi and indeed the rest of the country. The prospects for breaking the links between the madrasa sector and violent extremism would increase if the national elections this year are democratic, free and fair. If they are, it is likely that the religious parties will be marginalised and the national-level moderate parties – with much greater political will to enact meaningful reforms – returned to power.

Islamabad/Brussels, 29 March 2007

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