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Sri Lanka : Limiter les dégâts du retour de la guerre

Le Sri Lanka a replongé dans la guerre civile et on ne peut espérer la reprise d’un processus de paix avant longtemps.

Synthèse

Le Sri Lanka a replongé dans la guerre civile et on ne peut espérer la reprise d’un processus de paix avant longtemps. Le 2 janvier 2008, le gouvernement renonçait à un accord de cessez-le-feu passé avec les Tigres de libération de l’Eelam tamoul (LTTE). Cette décision a formalisé la reprise des combats en cours depuis 2006 et présage du pire. La crise humanitaire qui frappe le pays s’aggrave chaque jour un peu plus, les deux camps commettent de plus en plus de violations des droits de l’Homme et ceux qui appellent à la paix sont réduits au silence. Les chances de voir un nouveau cessez-le-feu ou l’ouverture de négociations sont actuellement bien ténues étant donné que le gouvernement, malgré des déclarations officielles en faveur d’une solution politique, est sous l’influence de ses éléments les plus durs et semble résolu à privilégier une action militaire. Pour l’heure, les acteurs internationaux doivent s’efforcer de limiter les dégâts : protéger les civils des conséquences de la guerre et apporter leur soutien à ceux qui se battent pour préserver les institutions démocratiques du Sri Lanka.

En plus des combats nourris dans le nord du pays, les premières semaines de 2008 ont vu l’assassinat d’un ministre du gouvernement et d’un député Tamoul de l’opposition, plusieurs attentats à la bombe à Colombo, une vague d’attaques meurtrières sur des civils dans le sud à majorité cingalaise et de nombreuses disparitions et morts de non-combattants dans le nord et dans l’est. On estime que plus de 5000 combattants et civils ont été tués au cours des deux dernières années. Au moins 140 000 ont fui les combats qui se sont intensifiés dans le nord et un plus grand nombre encore vont probablement devoir partir à leur tour si l’armée poursuit son avancée dans le territoire contrôlé par les Tigres. Si le gouvernement poursuit l’approche militaire qu’il a adoptée dans l’est du pays pour mener sa campagne dans le nord, les civils et leurs possessions sont en grand danger. 

Cette reprise des violences incombe pour une grande part au LTTE ; ses violations du cessez-le-feu et les abus commis contre la population sous son contrôle ont poussé le gouvernement vers la guerre. La stratégie des Tigres était de restaurer son soutien populaire en provoquant une réaction nationaliste parmi les Cingalais ; cela a marché mais les insurgés pourraient finalement regretter leurs actes. Le président Mahinda Rajapaksa a également fait une erreur : en comptant sur les extrémistes cingalais, il les a laissé imposer des objectifs qui ne peuvent être atteints que par une action militaire.

L’armée et une bonne partie des responsables du gouvernement pensent pouvoir défaire ou affaiblir de façon permanente les Tigres d’ici la fin de l’année. Le LTTE a beaucoup souffert au cours des derniers dix-huit mois : il a perdu la zone qu’il contrôlait dans la province de l’Est ; les routes par lesquelles ses armes sont habituellement acheminées ont été coupées ; ses combattants ont été tués par centaines, peut-être par milliers ; et l’armée de l’air et les forces spéciales opèrent des attaques ciblées sur certains hauts gradés du mouvement. Mais les Tigres conservent une force de combat redoutable. Alors que l’armée progresse lentement vers le nord, ils se battent à partir de positions bien défendues. Même en imaginant que les Tigres pourraient être défaits sur le plan militaire, on ne voit pas très bien comment le gouvernement pourrait pacifier et contrôler les vastes zones de langue tamoule dans le nord, sous domination du LTTE depuis une décennie ou plus.

Le gouvernement prétend qu’une campagne militaire ouvrira la voie à une solution politique. Promettant d’“éradiquer le terrorisme”, il affirme vouloir détruire les Tigres ou les forcer à rendre les armes et à s’engager dans des négociations et dans le jeu politique démocratique aux côtés d’autres partis tamouls et musulmans. Mais après avoir promis pendant plus d’un an d’entreprendre des réformes constitutionnelles substantielles une fois que le Comité des représentants de tous les partis (APRC) les auraient recommandées, il se contente à présent de proposer la “mise en œuvre complète” du Treizième amendement à la constitution adopté il y a déjà un certain temps. Même dans le meilleur des cas, les pouvoirs limités qui seraient ainsi transférés vers le nord et l’est ne suffiront probablement pas à convaincre Tamouls et Musulmans, même s’il s’agirait assurément d’un bon début à condition que le gouvernement agisse en toute sincérité. Mais étant donné que le président Rajapaksa a choisi de compter sur les partis cingalais fortement nationalistes pour maintenir son gouvernement au pouvoir, ceci semble fort improbable.

Pendant ce temps, les divisions ethniques deviennent de plus en plus marquées. Le coût humanitaire de la guerre afflige surtout les régions de langue tamoule. À Colombo, les forces de sécurité ont procédé à de nombreuses arrestations, souvent arbitraires, de Tamouls en vertu des règlements d’exception. Mais les Musulmans sont sous la pression tant du Tamil Makkal Viduthalai Puligal (TMVP), un groupe paramilitaire qui s’est séparé du LTTE et agit avec la bénédiction du gouvernement, que de changements territoriaux et administratifs proposés par le gouvernement. La fameuse “libération” de la province de l’Est n’a apporté ni développement ni démocratie ; elle s’est plutôt caractérisée par un régime militaire et des tensions ethniques croissantes. Le gouvernement perdra une occasion de proposer une alternative démocratique au LTTE dans l’est s’il ne parvient pas à contrôler le TMVP avant une série d’élections prévues à partir de mars 2008.

Du point de vue des droits de l’Homme et de la gouvernance, la crise continue de plus belle ; les institutions judiciaires étant paralysées, les responsables d’abus jouissent d’une certaine impunité. Les nombreuses commissions d’enquêtes ad hoc n’ont abouti à rien depuis deux ans mais les disparitions et meurtres politiques continuent, notamment à Jaffna et dans d’autres régions du nord. Le LTTE et le TMVP continuent de recruter et d’employer des enfants soldats malgré leurs promesses répétées aux agences des Nations Unies et autres.

Le conflit actuel est pire que celui qui a précédé le cessez-le-feu de 2002. La campagne anti-insurrection du gouvernement est plus brutale et arbitraire, les activités criminelles et la terreur que font régner les forces tamoules qui lui sont liées sont plus importantes et plus flagrantes et le rôle joué par les idéologues chauvins cingalais au sein du gouvernement plus prononcé. L’implication présumée de forces pro-gouvernementales dans l’assassinat de politiciens tamouls est particulièrement gênante. Les Tigres ont entièrement militarisé le quotidien dans les zones qu’ils contrôlent et ils ont repris leurs attaques brutales sur des civils cingalais, décidés à provoquer des représailles encore plus violentes.

Aussi décourageantes que soient les circonstances actuelles, le gouvernement devrait se tenir prêt à saisir n’importe quelle occasion qui se présenterait de soutenir un nouveau processus de paix. En attendant, la communauté internationale doit faire usage de son influence, pour le moment limitée, pour empêcher une nouvelle détérioration de la situation tout en élaborant des stratégies pour renforcer les forces modérées et non violentes toujours acquises à une solution juste et pacifique et pour trouver un terrain d’entente – bien au-delà de l’État unitaire mais bien loin d’un État tamoul – afin de favoriser une solution politique durable une fois que les conditions politiques seront meilleures. Il faudra pour cela faire pression sur les Tigres et leurs partisans pour qu’ils abandonnent le terrorisme et le séparatisme et, dans le même temps, encourager un nouveau consensus dans le sud en soutien aux réformes constitutionnelles et de l’État.

Colombo/Bruxelles, 20 février 2008

Executive Summary

Sri Lanka is in civil war again, and there are no prospects of a peace process resuming soon. On 2 January 2008, the government announced its withdrawal from a ceasefire agreement with the Liberation Tigers of Tamil Eelam (LTTE). This formalised a return to conflict that has been underway since 2006 but also presaged worse to come. The humanitarian crisis is deepening, abuses of human rights by both sides are increasing, and those calling for peace are being silenced. There is no present chance of a new ceasefire or negotiations since the government, despite pro forma statements in favour of a political solution, is dependent on hardliners and appears intent on a military decision. International actors must concentrate for now on damage limitation: protecting civilians from the war’s worst effects and supporting those working to preserve Sri Lanka’s democratic institutions.

In addition to heavy fighting in the north, the first weeks of 2008 have seen the assassinations of a government minister and a Tamil opposition member of parliament, multiple bombings in Colombo, a wave of deadly attacks on civilians in the majority Sinhalese south, and widespread disappearances and killings of non-combantants in the north and east. More than 5,000 combatants and civilians are estimated to have been killed over the past two years. At least 140,000 have fled intensified fighting in the north, and more are likely to be forced out if the military continues its push into Tiger-controlled territory. If the government’s military approach in the east is a precedent for its conduct of the northern campaign, civilians and their property are at grave risk.

Much of the blame for the resumption in violence lies with the LTTE; its ceasefire violations and abuses of the population under its control pushed the government towards war. The Tiger strategy was to shore up internal support by provoking a Sinhala nationalist reaction; it worked, although the insurgents may come to regret their approach. President Mahinda Rajapaksa has also overplayed his hand. Relying on support from Sinhala extremists, he has let them set an agenda that allows only for a military approach.

The military and much of the government leadership believe they can defeat or permanently weaken the Tigers by the end of 2008. The LTTE has been badly hurt over the past eighteen months: it has lost the areas it controlled in the Eastern Province; its arms routes have been disrupted; hundreds, perhaps thousands, of its fighters have been killed; and senior commanders are now vulnerable to targeted elimination, either from air force bombs or special forces. But the Tigers remain a formidable fighting force. While the army has been inching forward in the north, they are fighting back from well-defended positions. Even assuming the Tigers can be defeated militarily, it remains unclear how the government would pacify and control the large Tamil-speaking areas in the north that have been under LTTE domination for a decade or more.

The government argues its military campaign will clear the way for a political solution. Vowing to “eradicate terrorism”, it says it aims to destroy the Tigers or force them to disarm and enter democratic politics and negotiations alongside other Tamil and Muslim parties. But after promising for more than a year to undertake substantial constitutional reforms once the All-Party Representative Committee (APRC) recommended them, it now proposes only to “fully implement” the constitution’s long-existing Thirteenth Amendment. The limited devolved powers for the north and east that this would represent are unlikely even in the best case to be sufficient to win over many Tamils or Muslims, though they could be a useful start if implemented sincerely. Since President Rajapaksa has chosen to depend on strongly Sinhala nationalist parties for his government’s survival, however, this seems unlikely.

Meanwhile, ethnic divisions are deepening. The humanitarian costs of the war are concentrated in Tamil-speaking areas. In Colombo, security forces have conducted large, often indiscriminate arrests of Tamils under emergency regulations. But Muslims are under pressure from both the Tamil Makkal Viduthalai Puligal (TMVP), a paramilitary group which broke from the Tigers and operates with the government’s blessing, and government-sponsored land and administrative changes. The much touted “liberation” of the Eastern Province has failed to bring development or democracy; instead it has been characterised by military rule and rising ethnic tensions. The government will lose an opportunity to set up a democratic alternative to the LTTE in the east if it fails to rein in the TMVP ahead of a series of elections scheduled to begin in March 2008.

The human rights and governance crisis continues unabated, with paralysis of the institutions empowered to investigate and prosecute, and consequent impunity for abusers. The many ad hoc commissions of inquiry of the past two years have accomplished nothing, while disappearances and political killings continue, especially in Jaffna and other parts of the north. Both the Tigers and the TMVP continue to recruit and make use of child soldiers, despite repeated pledges to UN agencies and others not to.

The current conflict is worse than what preceded the 2002 ceasefire. The government’s counter-insurgency campaign is more brutal and indiscriminate, the terror and criminal activities of its Tamil proxy forces more extensive and blatant, and the role of chauvinistic Sinhala ideologues in government more pronounced. The suspected involvement of pro-government forces in the assassinations of Tamil politicians is particularly disturbing. The Tigers have fully militarised life in areas under their control and returned to brutal attacks on Sinhalese civilians, intent on provoking even worse retaliation.

As unpromising as present circumstances are, the government should be alert to any opportunities that arise to promote a new peace process. Meanwhile, the international community needs to use its limited leverage for the time being to prevent further deterioration, while developing strategies to strengthen the moderate, non-violent forces still committed to a peaceful and just settlement and to build the middle ground – significantly beyond the unitary state but far short of a separate Tamil state – that will be necessary if a lasting political solution is to gain traction once political conditions are better. This will require pressing the Tigers and their supporters to abandon terrorism and separatism, while simultaneously encouraging a new consensus in the south in support of constitutional and state reforms.

Colombo/Brussels, 20 February 2008

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