Le massacre de Goma assombrit la perspective des élections en RD Congo et l’avenir de la mission de l’ONU
Le massacre de Goma assombrit la perspective des élections en RD Congo et l’avenir de la mission de l’ONU
Congolese protesters use rocks to mount barricades along the road during a demonstration to demand justice for the murder of civilians killed during a protest against the presence of MONUSCO and EACRF in Goma, North Kivu province, September 4, 2023. REUTERS/Arlette Bashizi
Q&A / Africa 11 minutes

Le massacre de Goma assombrit la perspective des élections en RD Congo et l’avenir de la mission de l’ONU

Le 30 août, des troupes d’élite ont massacré plus de 50 civils qui se préparaient à protester contre ce qu’ils percevaient comme de l’ingérence étrangère dans l’est de la République démocratique du Congo, trois mois avant les élections. Le gouvernement a demandé à l’ONU un retrait «accéléré». Les experts de Crisis Group, Richard Moncrieff et Onesphore Sematumba, expliquent les enjeux.

Que s’est-il passé à Goma le 30 août et les jours suivants ?

Le 30 août, à l’aube, des soldats de la Garde républicaine et d’autres unités de l’armée ont pris d’assaut une église et une station de radio appartenant à une secte connue sous le nom d’Agano la Uwezo/Wazalendo (Église des patriotes, en kiswahili) à Goma, capitale de la province du Nord-Kivu, dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC). La secte avait annoncé son intention de manifester à la fois contre la mission de maintien de la paix des Nations unies (Monusco), et contre la force de la Communauté d’Afrique de l’Est, qui s’était déployée pour endiguer la violence des groupes armés dans l’est de la RDC en août 2022, et contre les ONG occidentales opérant dans la région. Les autorités provinciales avaient interdit la manifestation, mais les membres de la secte s’étaient néanmoins rassemblés dans l’église ce matin-là. Des témoins oculaires ont rapporté que des soldats d’élite, équipés comme s’ils étaient face à des opposants armés, avaient abattu des dizaines de civils, en avaient blessés et arrêtés beaucoup d’autres et avaient jeté les corps dans des camions militaires avant de mettre le feu à l’église.

Alors que des vidéos du carnage commençaient à circuler sur les réseaux sociaux, les autorités provinciales ont établi un bilan provisoire faisant état de six civils décédés et d’un policier qui avait été lynché par les habitants. Pendant ce temps, le gouverneur militaire du Nord-Kivu, le général Constant Ndima, a qualifié la secte de groupe de bandits armés, dans ce qui ressemblait à une tentative de justification du massacre. Le lendemain, le gouvernement a revu le nombre de victimes à la hausse, annonçant qu’il y avait eu 43 morts, 56 blessés et 138 détenus. Il a également déclaré que les personnes arrêtées seraient jugées pour des faits d’association de malfaiteurs et de participation à un mouvement insurrectionnel. (Les autorités provinciales ont par la suite revu le nombre de morts à la hausse, le passant à 51.) Dans un communiqué de presse incendiaire, le porte-parole du gouvernement, Patrick Muyaya, a cherché à incriminer la secte en accusant ses membres de porter atteinte à l’ordre public, affirmant qu’ils avaient lapidé à mort un officier de police, ce qui avait incité les forces de sécurité à intervenir. De nombreux observateurs estiment au contraire que le lynchage a eu lieu après que les soldats ont ouvert le feu.

Au lieu d’apaiser l’indignation du public face à cette attaque sans scru-pules, le cafouillage maladroit des autorités a attisé la colère.

Au lieu d’apaiser l’indignation du public face à cette attaque sans scrupules, le cafouillage maladroit des autorités a attisé la colère. Les habitants de Goma n’en revenaient pas de la brutalité sans précédent de l’attaque, même dans un pays qui ne brille pas par son respect des droits humains. Kinshasa a pris conscience de la réaction de l’opinion publique et a changé de discours. Le 1er septembre, le président Félix Tshisekedi a exigé que son gouvernement fasse la lumière sur cet « effroyable drame ». Après une visite éclair des principaux ministres du gouvernement à Goma le lendemain, les autorités ont arrêté deux officiers supérieurs de la Garde républicaine et quatre soldats pour leur implication présumée dans l’attaque, déclarant qu’ils seraient jugés dans les plus brefs délais. Kinshasa a également rappelé le gouverneur militaire, Ndima, à Kinshasa « pour consultations ». Constant Ndima est la plus haute autorité du Nord-Kivu depuis mai 2021, date à laquelle Félix Tshisekedi a imposé l’état de siège dans cette province et dans la province voisine de l’Ituri, afin de lutter contre les dizaines de groupes armés étrangers et locaux opérant dans la région.

Lorsque le procès des soldats s’est ouvert le 5 septembre, le procureur général de la RDC a déclaré que les accusés avaient agi indépendamment de l’État dans leur « entreprise macabre ». Mais la procédure s’est de plus en plus concentrée sur le rôle du Rwanda dans l’est de la RDC, notamment sur son soutien au mouvement rebelle M23, qui a refait surface après près d’une décennie de sommeil, attaquant des positions de l’armée dans le Nord-Kivu en 2021. Le 8 septembre, le commandant de la Garde républicaine à Goma, le colonel Mike Mikombe, a déclaré avoir été informé par les services de renseignement militaire que les personnes qui préparaient la marche étaient des « supplétifs du M23 ». Quelques jours plus tôt, le ministre de l’Intérieur, Peter Kazadi, avait déjà justifié le déploiement de l’armée le 30 août par une menace venant du Rwanda, notant que « les forces spéciales rwandaises avaient été déployées le long de la frontière [avec la RDC] ». Les forces spéciales de la Garde républicaine seraient donc entrées en action « pour rassurer la population et créer un effet dissuasif ».

En inscrivant leurs actions dans le cadre de la lutte contre le M23 et le Rwanda, les accusés et le gouvernement tentaient de justifier l’attaque du 30 août comme étant liée à la protection de Goma. Mais au fur et à mesure que le procès avançait, cette ligne de défense a commencé à perdre en crédibilité, les témoignages des uns et des autres mettant en évidence de graves problèmes dans la chaine de commandement de l’armée. Lors de son audition le 9 septembre, le chef des renseignements militaires pour le Nord-Kivu a ainsi accusé la Garde républicaine d’avoir tué des civils non armés, alors qu’il avait lui-même été désarmé sur ordre du colonel Mikombe : « Le commandant de la Garde républicaine m’a demandé d’arrêter de parler aux manifestants. Les manifestants n’étaient pas armés quand je leur ai parlé. J’étais sur place, et nous avons dénombré 42 morts et 33 blessés ».

Pourquoi cet incident est-il de mauvais augure pour les élections nationales prévues en décembre ?

La répression intervient dans un contexte de tensions généralisées à Goma. Les rebelles du M23, lourdement armés, ont régulièrement progressé sur la ville, déplaçant des milliers de personnes. De nombreux habitants en veulent à la Monusco, la force de l’ONU forte de 16000 personnes, qu’ils considèrent comme impuissante face à l’aggravation permanente de l’insécurité. En juin et juillet 2022, de violentes manifestations anti-Monusco ont entrainé la mort de cinq soldats de la paix et de 30 civils dans les villes de Goma, Béni, Butembo et Kasindi, dans le Nord-Kivu. Depuis lors, la force de l’ONU a fait profil bas. La colère populaire à l’égard des forces étrangères sur le sol congolais est désormais également dirigée contre la force est-africaine, que les habitants jugent tout aussi inefficace que la mission de l’ONU. La grogne contre Tshisekedi, qui est arrivé au pouvoir en promettant d’apporter la sécurité à l’est, est également palpable. Sa popularité dans le Nord-Kivu, une zone électorale importante, ne cesse de chuter à l’approche de l’élection présidentielle prévue en décembre.

Les habitants de Goma se plaignent également de l’état de siège qui ré-duit l’espace civique et restreint sévèrement les libertés politiques.

Les habitants de Goma se plaignent également de l’état de siège qui réduit l’espace civique et restreint sévèrement les libertés politiques. Depuis mai 2021, des membres du parlement national ainsi que des activistes de la société civile ont été arrêtés, jugés et emprisonnés pour avoir critiqué ou manifesté pacifiquement contre l’état de siège. Les autorités provinciales ont également réagi aux préavis de manifestations en avertissant les organisateurs qu’ils seraient « confrontés à la rigueur de la force de l’ordre » s’ils persistaient à manifester. Le maire de Goma avait émis des avertissements similaires avant le massacre du 30 août.

La popularité des mouvements politico-religieux en question complique encore les choses. La secte Wazalendo est l’un des nombreux groupes messianiques congolais dont le message religieux est mêlé à un discours politique axé sur la façon dont les étrangers mineraient la souveraineté congolaise. Ses dirigeants ont dénoncé les accords du gouvernement avec les « forces étrangères » (c’est-à-dire les partenaires en matière de sécurité et les ONG) et l’imposition de l’état de siège. Ils affirment s’inspirer de figures historiques telles que l’ancien Premier ministre Patrice Lumumba et le défunt chef religieux Simon Kimbangu.

Le gouvernement craint que ces sectes n’intensifient leurs manifestations et galvanisent l’opposition à Kinshasa, ce qui aggraverait les difficultés en matière de sécurité, déjà très sérieuses. Cette préoccupation n’est pas nouvelle, et le massacre de Wazalendo n’est pas le premier du genre. En 2020, la police a lancé un assaut contre les lieux de culte du mouvement politico-religieux Bundu dia Kongo fondé par Ne Muanda Nsemi, tuant au moins 55 personnes dans la province du Kongo Central et à Kinshasa, avant d’incendier les églises du groupe. Aucun membre des forces de sécurité n’a été sanctionné pour cet incident.

Les préparatifs ont bien avancé et les élections pourraient désormais avoir lieu en décembre, mais le massacre du 30 août remet sérieusement en doute la capacité du gouvernement à gérer les manifestations inévitables au cours de la prochaine campagne (entre novembre et décembre) et de la période qui suivra l’annonce des résultats, à partir de fin décembre. Cet incident fait suite à de violentes répressions de marches de l’opposition, par exemple à Kinshasa, le 20 mai.

En quoi la force de l’ONU est-elle mêlée aux événements ?

La présence militaire de l’ONU en RDC remonte à 24 ans. Entre 1999 et 2010, une force de l’ONU avait été déployée pour surveiller un cessez-le-feu entre les troupes gouvernementales et les rebelles soutenus par l’étranger qui contrôlaient des régions entières de l’est du pays. Elle a ensuite participé aux efforts de réunification du pays. En 2010, la Monusco a pris le relai, tentant de consolider la paix, notamment en protégeant les civils. Mais treize ans plus tard, les groupes armés continuent à sillonner les campagnes, piller les ressources naturelles de la région et tuer des civils. Il serait injuste d’imputer l’insécurité à la Monusco, ou de suggérer que la mission n’apporte rien à la région (comme nous le verrons plus loin, la force est dans certains endroits la seule source de sécurité pour des communautés très vulnérables), mais il est indéniable que la mission de l’ONU n’est pas parvenue à accomplir sa tâche principale. La sécurité n’est pas revenue dans la région ; les habitants de Goma sont profondément déçus et réclament de façon de plus en plus appuyée le départ des forces de maintien de la paix.

Kinshasa a longtemps entretenu des relations difficiles avec la mission de l’ONU, même si elles se sont améliorées pendant quelque temps après la prestation de serment de Tshisekedi en tant que président en janvier 2019. Le 20 décembre 2021, le gouvernement et la Monusco ont convenu d’un plan de transition pour un retrait « ordonné et responsable » d’ici fin 2024, selon les termes de Bintou Keita, représentante spéciale du secrétaire général des Nations unies en RDC et cheffe de la Monusco.

Kinshasa a réalisé que l’argument consistant à imputer les meurtres aux méthodes subversives présumées de la secte ne tiendrait pas longtemps et a décidé de s’en prendre, elle aussi, à la force de l’ONU.

L’incident du 30 août pourrait toutefois avoir sérieusement envenimé les rapports entre le gouvernement et la Monusco. Kinshasa a réalisé que l’argument consistant à imputer les meurtres aux méthodes subversives présumées de la secte ne tiendrait pas longtemps et a décidé de s’en prendre, elle aussi, à la force de l’ONU. Le 1er septembre, le ministre des Affaires étrangères Christophe Lutundula a demandé au Conseil de sécurité de l’ONU de faire avancer immédiatement un plan de transition accéléré prévoyant le début du retrait de la Monusco d’ici la fin de l’année 2023. Dans une longue lettre adressée au Conseil, Christophe Lutundula cite, entre autres, « les derniers incidents malheureux survenus à Goma le 30 août 2023, qui ont entrainé la perte de vies humaines » parmi les raisons qui justifieraient la demande de départ rapide de la force de l’ONU. Le Conseil n’a pas encore répondu. Même si la lettre laisse place à l’interprétation, l’effet recherché pourrait être d’avancer la date de début du retrait à avant les élections plutôt qu’après, mais cet arrangement pourrait devenir caduc au vu des éventuels changements de priorités de la campagne qui démarre en novembre. Pour autant, le changement de ton est frappant et pourrait teinter les relations entre Kinshasa et New York tout au long de l’année 2024.

Demander une accélération du retrait de la Monusco à la suite de la tuerie de Goma est une manœuvre politique qui pourrait renforcer la popularité de Tshisekedi. La décision du Mali d’ordonner le retrait de la mission de l’ONU mandatée pour opérer sur son territoire trouve un écho favorable auprès de nombreux Congolais, du moins si l’on en croit les messages publiés sur les réseaux sociaux. Pourtant, le retrait précipité des troupes de l’ONU des régions de l’est de la RDC où elles constituent le seul rempart, aussi faible soit-il, contre les dérives des groupes armés pourrait avoir des conséquences néfastes. Les dizaines de milliers de personnes déplacées à l’intérieur du pays, regroupées dans des camps autour des bases de la Monusco en Ituri, ainsi que d’autres communautés vulnérables, seraient particulièrement menacées. Un retrait des Nations unies, en particulier s’il est précipité, conjugué à l’incapacité des forces armées nationales à mettre un terme aux combats dans l’est, mettrait le prochain président de la RDC face au défi urgent et considérable consistant à combler le vide sécuritaire laissé par la force onusienne.

Le massacre aura-t-il des conséquences politiques et que peut-on faire pour éviter qu’il ne se reproduise ?

Les événements du 30 août ont mis en lumière les énormes lacunes du dispositif sécuritaire mis en place par Félix Tshisekedi dans l’est du pays et risquent d’assombrir sa campagne pour un nouveau mandat. Alors que la population congolaise était globalement favorable à l’armée dans sa lutte contre le M23, elle a perdu ses illusions lorsque des soldats – de surcroit des membres de la Garde républicaine, placée sous l’autorité directe de Tshisekedi – se sont retournés sans vergogne contre leurs compatriotes, y compris des femmes et des enfants. 

Conscient de l’impact potentiellement néfaste sur sa candidature à un second mandat, Tshisekedi a rapidement contré les tentatives du gouverneur militaire de justifier les abus des forces de sécurité et les messages accusateurs du porte-parole du gouvernement qui ont suivi. En traduisant en justice les six officiers militaires impliqués dans le massacre, Tshisekedi cherche probablement à se distancier de la Garde républicaine. Reste à voir si cette démarche convaincra les observateurs de l’innocence présumée du gouvernement dans cette affaire. De nombreux Congolais se demandent comment une unité militaire relevant de la présidence a pu se déployer aussi massivement, avec autant de véhicules, et comment elle a pu tirer sur la population et transporter les morts et les blessés dans un camp militaire, sans aucun contrôle de ses supérieurs dans la capitale.

L’état de siège ... s’ajoute aux nombreux griefs de la popula-tion dans l’est, alors que le président n’indique pas vouloir desserrer l’emprise de l’armée.

L’état de siège, quant à lui, s’ajoute aux nombreux griefs de la population dans l’est, alors que le président n’indique pas vouloir desserrer l’emprise de l’armée. Alors même que la constitution limite l’ état de siège à une durée de quinze jours, renouvelable après évaluation, l’état de siège actuel est en place sans interruption depuis mai 2021 et n’apporte aucune amélioration notable à la situation générale en matière de sécurité. Les organisations internationales de défense des droits humains, entre autres, ont lancé des appels répétés pour qu’il soit levé. Du 14 au 16 août, Félix Tshisekedi a organisé, à Kinshasa, une table ronde réunissant des acteurs politiques et des membres de la société civile de l’est du pays, dont la majorité a exhorté les autorités à lever immédiatement l’état de siège. Le gouvernement a jusqu’à présent ignoré leurs appels et, le 30 août, a prolongé la mesure de quinze jours. Nombreux sont ceux qui soupçonnent l’armée d’utiliser le contrôle offert par l’état de siège pour s’enrichir sur le dos de la population.

La priorité de Tshisekedi devrait être de mettre en place les mesures nécessaires pour sécuriser autant que possible le Nord-Kivu à l’approche des élections, tout en mettant immédiatement fin à l’état de siège, qui ne fait qu’attiser les griefs locaux. Il devrait également redoubler d’efforts pour éradiquer la violence et l’impunité au sein de ses propres forces de sécurité, afin d’éviter que ne se reproduise une tragédie comme celle du 30 août, car le risque ne peut qu’augmenter dans un contexte de tensions de plus en plus fortes, à l’approche de la campagne électorale. Le fait que la justice militaire ait rapidement organisé le procès des auteurs présumés des meurtres de Goma est une mesure positive. Mais les autorités devraient s’assurer, grâce à une enquête sérieuse, que toutes les personnes impliquées, y compris les membres de la hiérarchie militaire à Goma et à Kinshasa, seront tenues responsables de leurs actes. Quant au retrait de la Monusco, toutes les parties concernées – le gouvernement et les Nations unies – devraient maintenir leur engagement à veiller à ce qu’il se déroule sans heurts grâce à un plan de transition consensuel. Il n’est dans l’intérêt de personne d’agir dans la précipitation au moment où une élection potentiellement périlleuse se profile.

Contributors

Project Director, Great Lakes (Interim)
Analyst, Democratic Republic of Congo and Burundi
SEMATUMBA

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