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Afghanistan : la communauté internationale doit rester déterminée

Synthèse

Tout n’est pas perdu en Afghanistan mais la situation n’augure rien de bon. La croissance de l’insurrection dans ce pays trahit un échec collectif à s’attaquer aux racines de la violence. Six ans après l’éviction du régime taliban, la communauté internationale peine à se mettre d’accord sur ce qu’il faut faire pour stabiliser le pays et à fixer un ensemble d’objectifs communs. L’amélioration à long terme des institutions afghanes est vitale tant pour la consolidation de l’État que pour la lutte contre l’insurrection mais, sans une approche plus stratégique, les ressources et l’attention accrues qui sont désormais mobilisées pour mettre fin au conflit pourraient bien s’avérer contreproductives en aggravant une tendance à se contenter de solutions trop rapides. Les tensions croissantes qui entourent le partage des tâches en Afghanistan risquent d’ébranler les fondations mêmes du multilatéralisme qui préside à l’action internationale dans ce pays, voire le futur de l’OTAN. Les États-Unis, qui exigent un plus grand engagement de la part des alliés, doivent prendre conscience de ce que leurs actions unilatérales affaiblissent la volonté des autres. Dans le même temps, ceux qui émettent des critiques sans s’engager eux-mêmes doivent reconnaître que l’intervention en Afghanistan est en fin de compte une affaire de sécurité à l’échelle mondiale et s’impliquer davantage.

Les capitales occidentales, par leurs mises en gardes et les mandats à court termes qu’elles imposent à leurs troupes, empêchent une véritable planification de l’action militaire en Afghanistan et font planer le doute quant à la fermeté de l’engagement international dans ce pays. Ceux qui se considèrent comme des acteurs majeurs de l’OTAN, par exemple l’Allemagne, la France ou l’Italie doivent assumer une plus grande partie des tâches, notamment les activités de combat. Alors que le peuple afghan, les insurgés et les pays voisins ont besoin de savoir, chacun pour des raisons différentes, qu’il existe une volonté ferme de résoudre la crise afghane, la communauté internationale est de plus en plus fragmentée, ce qui permet à l’insurrection de prendre de la vitesse et enhardit ceux qui trouvent leur intérêt dans la situation actuelle. Malgré des appels répétés à la “coordination”, les efforts de la communauté internationale souffrent de son incapacité à se mettre d’accord sur des plans d’action ou sur les priorités à suivre, même en ce qui concerne la lutte contre l’insurrection. Certains acteurs influents exercent des pressions de façon inopportune et prennent des initiatives déstabilisantes, par exemple la déclaration récente par le Royaume-Uni concernant des négociations avec les Taliban et le recrutement de milices. Des désaccords de fond persistent concernant d’autres points essentiels comme la lutte anti narcotique, les États-Unis continuant d’insister en faveur de l’éradication aérienne des champs d’opium malgré la résistance quasi-unanime des autres acteurs.

La tentative récente d’installer à la tête de la représentation des Nations unies en Afghanistan un ancien haut dirigeant politique à la carrière internationale, le britannique Paddy Ashdown, a échoué du fait du président Hamid Karzaï, apparemment soucieux de protéger la souveraineté afghane ainsi que sa propre autorité. Il demeure cependant essentiel qu’un homme fort assure la cohérence des efforts internationaux dans le pays, tant vis-à-vis des multiples acteurs en présence que dans leur approche de l’administration afghane. La communauté internationale n’a jamais disposé d’une autorité exécutive en Afghanistan mais elle contrôle la majeure partie des ressources militaires et financières. Aussi pourrait-elle mieux user de ce moyen de pression pour renforcer le principe de responsabilité et consolider les capacités du gouvernement au niveau central et, plus important, au niveau local, évolutions essentielles pour garantir État afghan stable et viable.

Malheureusement, les acteurs internationaux ont trop souvent créé des structures parallèles aux mains d’étrangers, comme les Équipes de reconstruction provinciale (PRT), même dans des zones où la situation sécuritaire n’exigeait pas une telle approche militarisée. Dans le même temps, ils ont toléré qu’une élite locale qui poursuit ses propres intérêts court-circuite le conseil de nomination aux postes dans l’administration ainsi que d’autres procédures importantes comme la sélection de candidats aux élections ou la réforme de la police. Les institutions étatiques naissantes sont également corrompues par la production florissante du pavot. Pour que cela change, la communauté internationale devra affronter ceux au pouvoir qui sont impliqués dans le trafic de drogue et faire pression en faveur d’une nouvelle approche nationale plus globale pour offrir de nouvelles possibilités de gagner leur vie aux personnes qui vivent actuellement de ce trafic.

Le terme “communauté internationale” renvoie ici aux États-Unis et à leurs alliés occidentaux, les acteurs dominants en Afghanistan. Les puissants voisins de ce pays ont surtout joué un rôle négatif durant le conflit. Le fait que les insurgés aient pu trouver refuge au Pakistan pour leurs structures de contrôle et de commandement et y recruter des hommes est un facteur majeur de la violence. L’Iran a par moments joué un rôle constructif, notamment lors des négociations qui ont conduit à l’Accord de Bonn de 2001, mais il utilise probablement l’Afghanistan comme intermédiaire dans ses relations avec Washington, qui continuent par ailleurs de se détériorer. S’ils veulent que l’Afghanistan se stabilise, les États-Unis doivent comprendre que les intérêts de ce pays par rapport à une région proche difficile peuvent parfois différer de leurs propres intérêts.

La Mission des Nations unies en Afghanistan (MANUA) a perdu une trop grande partie de son rôle en tant que leader ces dernières années. Ceci tient en partie à la façon dont l’engagement international a été structuré, avec différentes nations et institutions (notamment l’OTAN) chacune à la tête d’un secteur particulier et selon un ordre de priorité. De plus, l’ONU n’a pas pris l’initiative d’exercer les fonctions de leader/coordinateur des efforts internationaux mentionnées dans son mandat.

Le 11 septembre 2001, le monde a observé les conséquences que peut avoir un État failli sur la sécurité à l’échelle de la planète. Si la communauté internationale ne reste pas en Afghanistan pour terminer ce qu’elle a entrepris, le prix à payer pourrait être exorbitant, entraînant en particulier :

  • un retour à la guerre civile entre des factions divisées par ethnie et par région ;
     
  • un narco-État avec des institutions contrôlées par de multiples gangs criminels organisés ;
     
  • la région sud, dominée par l’ethnie pachtoune, largement abandonnée à l’anarchie ; et
     
  • l’intervention accrue des puissances régionales qui cherchent à protéger leurs intérêts.

Un Afghanistan instable dans lequel les extrémistes seraient bien établis poserait un grave problème à la sécurité dans le monde. Les gouvernements occidentaux doivent admettre l’importance d’une part de tuer la menace dans l’œuf puis de présenter des arguments bien plus convaincants qu’ils ne l’ont fait par le passé à des opinions publiques qui semblent de moins en moins prêtes à accepter de nouvelles morts, et d’autre part l’importance de l’engagement à long terme des ressources appropriées.

Une coordination plus efficace entre militaires, entre civils et entre les deux est nécessaire. Il faut réconcilier les priorités avec les intérêts, afin de veiller à ce que :

  • de véritables efforts soient faits pour mettre en place des mécanismes de coordination ;
     
  • les pays qui contribuent par l’envoi de soldats soient prêts à déployer leurs troupes où que leur présence soit nécessaire dans le pays et dans le cadre de mandats appropriés ;
     
  • les efforts internationaux portent sur la consolidation des institutions plutôt que sur le soutien à des acteurs afghans individuels ;
     
  • l’on s’efforce de mettre fin à la culture de l’impunité ; et que 
     
  • les intérêts stratégiques dans la région soient réévalués afin de réorienter les efforts pour faire face au problème du Pakistan de façon réaliste et pour maintenir autant que possible l’Afghanistan à l’écart de l’affrontement Iran/États-Unis.

Il ne s’agit pas aujourd’hui de pointer du doigt ou de revenir sur des engagements déjà pris. Ni les opinions publiques occidentales ni le peuple afghan n’ont une patience infinie ; leur soutien s’épuisera si l’on ne met pas fin rapidement à la dérive actuelle. En dehors de ses déclarations officielles, la communauté internationale n’a pas visé assez haut en Afghanistan, cédant aux exigences des réseaux clientélistes plutôt que respectant les souhaits des Afghans ordinaires qui demandent à la fois que leurs responsables rendent des comptes et de pouvoir participer à la consolidation de la paix. Tout en travaillant sur leurs propres points faibles, les internationaux doivent également demander au gouvernement de Kaboul de rendre compte de ses échecs. La situation n’est pas désespérée mais elle est mauvaise et il faut de toute urgence y apporter une réponse collective.

Kaboul/Bruxelles, 6 février 2008

Executive Summary

Afghanistan is not lost but the signs are not good. Its growing insurgency reflects a collective failure to tackle the root causes of violence. Six years after the Taliban’s ouster, the international community lacks a common diagnosis of what is needed to stabilise the country as well as a common set of objectives. Long-term improvement of institutions is vital for both state building and counter-insurgency, but without a more strategic approach, the increased attention and resources now directed at quelling the conflict could even prove counterproductive by furthering a tendency to seek quick fixes. Growing tensions over burden sharing risk undermining the very foundations of multilateralism, including NATO’s future. The U.S., which is demanding more commitment by allies, must realise that its unilateral actions weaken the will of others. At the same time, those sniping from the sidelines need to recognise that the Afghan intervention is ultimately about global security and do more.

The caveats and short-term mandates imposed by many Western capitals on their troops hinder real planning and raise doubts about the depth of commitment. Countries that consider themselves major players in NATO such as Germany, France and Italy need to assume a greater share of the burden, including the combat burden. While the Afghan people, the insurgents and neighbouring countries each in their own way need to know that resolve is strong, the international community is increasingly fragmented, allowing the insurgency to gain momentum and further emboldening spoilers. Despite growing calls for “coordination”, international efforts are marred by inability to agree on priorities and plans, even with regard to counter-insurgency. Some influential actors are pressing untimely and destabilising initiatives, such as the UK’s recent public talk of negotiations with the Taliban and recruitment of militias. There are major disagreements over other vital areas such as counter-narcotics, with the U.S. continuing to press for aerial eradication of opium poppies despite resistance from nearly every other actor.

The recent attempt to install a senior and dynamic former British political leader and international official, Paddy Ashdown, as a strengthened UN representative was scuttled by President Hamid Karzai, apparently out of concern for Afghan sovereignty and his own authority. A stronger hand, however, remains essential to bring coherence to international efforts, both among the multiple players and in their approach to the Afghan administration. The international community has never had executive authority in Afghanistan, but it controls most military and financial resources. This leverage should be better used to build Afghan capacity and accountability at central and, even more importantly, local levels which would be the ultimate guarantor of a stable, sustainable state.

Unfortunately international players have too often created parallel foreign structures such as Provincial Reconstruction Teams (PRTs), even in areas where the security situation does not call for such a militarised approach, while tolerating subversion by a self-interested local elite of important procedures like the vetting of candidates at elections and the appointments board for government positions, as well as police reform. The nascent institutions of state are also being corrupted by burgeoning poppy production. If this is to change, the international community will need to stand up to those in power who are involved in the drugs business, as well as press for a comprehensive, national approach to building alternative livelihoods.

The term “international community” in this context means the U.S. and its Western allies, the dominant players in Afghanistan. The country’s powerful neighbours have mostly played negative roles during the conflict. The ability of the insurgents to enjoy sanctuary for their command and control structures in Pakistan and to recruit there are major factors in the violence. Iran has at times been constructive, notably in negotiation of the Bonn Agreement in 2001, but is likely to use Afghanistan as a theatre in which to hurt the Americans through proxies if its relations with Washington continue to deteriorate. If Afghanistan is to be stabilised, the U.S. must understand that the country’s interests with regard to the tough neighbourhood in which it lives may sometimes differ from its own.

The UN mission (UNAMA) has lost too much of its policy leadership role in recent years. This is partly the result of the way international engagement has been designed, with the lead in various sectors divided among individual nations and other institutions – most strikingly NATO – being prioritised. In addition, the UN has failed to seize the initiative and perform the function of coordinator and driver of international efforts set out in its mandate.

The world witnessed on 11 September 2001 the consequences that a failed state can have for global security. If the international community does not stay the course in Afghanistan, the price could be inordinately high, including:

  • a return to civil war, with factions divided along regional and ethnic lines;
     
  • a narco-state with institutions controlled by multiple organised criminal gangs;
     
  • a Pashtun-dominated south largely abandoned to lawlessness; and
     
  • increased intervention by regional powers seeking to protect their interests.

Such an unstable Afghanistan, in which extremists have a strong foothold, would again pose a serious threat to global security. Western governments need to acknowledge the importance of defeating this threat at its source and then present the case far more convincingly than they have done to publics which appear increasingly unwilling to accept casualties or long-term commitment of adequate resources.

Streamlined military-to-military, civilian-to-military and civilian-to-civilian coordination is required. Priorities and interests must be reconciled, with a view to ensuring that:

  • there is genuine commitment to coordination mechanisms;
     
  • troop-contributing countries are prepared to deploy their forces, with the required mandates, wherever in the country they are needed;
     
  • the focus of international efforts is on institution building rather than supporting individual Afghan players;
     
  • the culture of impunity is tackled; and
     
  • strategic interests in the region are reassessed, leading to efforts to address the Pakistan problem realistically and to insulate Afghanistan as much as possible from the U.S.-Iran confrontation.

This is not a time for finger pointing or scaling down commitments. Neither Western publics nor the Afghan people have boundless patience; their support will disappear if the drift is not halted quickly. Other than rhetorically, the international community has aimed too low in Afghanistan, pandering to patronage networks rather than respecting the wishes of ordinary Afghan men and women for accountability and more inclusive peacebuilding. While addressing their own shortcomings, the internationals must also hold the Kabul government accountable for its failings. The situation is not hopeless, but it is bad, and an urgent collective effort is needed to tackle it.

Kabul/Brussels, 6 February 2008

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