Les réfugiés rohingyas au Bangladesh : limiter les conséquences d’une crise qui s’éternise
Les réfugiés rohingyas au Bangladesh : limiter les conséquences d’une crise qui s’éternise
Commentary / Asia 13 minutes

Les réfugiés rohingyas au Bangladesh : limiter les conséquences d’une crise qui s’éternise

La crise des réfugiés rohingyas au Bangladesh semble s’inscrire dans la durée. L'insécurité dans les camps surpeuplés s'accroît. Dans cet extrait de l’édition d’automne de la Watch List 2023, Crisis Group exhorte l'Europe à continuer de fournir une assistance humanitaire et à accueillir un plus grand nombre de réfugiés.

L’avenir est de plus en plus sombre pour les 750000 réfugiés rohingyas au Bangladesh, qui ont été chassés de l’ouest du Myanmar il y a plus de six ans. Le coup d’État de 2021 au Myanmar a amené au pouvoir les mêmes officiers militaires, dont la brutalité envers la minorité musulmane de l’État de Rakhine en 2016-2017 les avait poussés à franchir la frontière. Malgré l’insistance du régime à commencer le rapatriement, il a refusé de garantir la citoyenneté aux rapatriés. Parallèlement, la situation dans l’État de Rakhine est devenue plus complexe, en raison de la montée en puissance de l’Armée de l’Arakan, un groupe armé qui lutte pour une plus grande autonomie de la majorité bouddhiste de Rakhine et qui contrôle désormais une grande partie du centre et du nord de l’État.

Les réfugiés sont confrontés à des difficultés croissantes dans leurs camps surpeuplés. L’aide internationale a beaucoup diminué et les Nations unies ont été obligées de réduire d’un tiers l’aide alimentaire vitale en 2023. Parallèlement, l’insécurité grandit. La pauvreté et le désespoir menacent de créer un cercle vicieux poussant les réfugiés – en particulier les jeunes hommes – à rejoindre des gangs criminels et des groupes armés, alimentant ainsi la violence. Les femmes et les jeunes filles entreprennent des traversées risquées en bateau ou par voie terrestre (par le Myanmar et la Thaïlande) vers la Malaisie – leur voyage étant souvent payé par des hommes rohingyas qui les attendent pour les épouser. D’autres restent sur place et se marient souvent jeunes. Le Bangladesh, qui avait été félicité par le monde entier pour son accueil de la nombreuse population rohingya, commence à s’impatienter face à la charge que cela représente. En refusant de reconnaître que la crise va probablement s’éterniser et de planifier en conséquence, Dacca risque d’aggraver une situation déjà difficile.

L’UE et ses États membres pourraient contribuer à relever cet ensemble de défis en mettant en place les mesures suivantes :

  • Augmenter le financement de l’appel humanitaire de l’ONU au Bangladesh pour aider à répondre aux besoins des réfugiés rohingyas, afin d’éviter que les conditions dans les camps ne se détériorent davantage. Face à la montée de la violence, il est particulièrement important que l’UE renforce son soutien aux services de protection des réfugiés vulnérables, notamment les chefs de file communautaires et les jeunes hommes qui risquent d’être victimes de groupes armés, ainsi que les femmes confrontées à la violence de leurs partenaires. Ses États membres devraient également envisager d’accueillir les plus vulnérables en prévoyant une réinstallation dans un pays tiers.

  • Utiliser la position influente de l’UE au Bangladesh pour encourager Dacca à adopter une stratégie à long terme, en reconnaissant que la grande majorité des réfugiés resteront probablement dans le pays pendant des années. Même si l’intégration n’est peut-être pas politiquement réalisable, les réfugiés ont besoin d’un meilleur accès à l’éducation et de meilleures opportunités d’emploi afin de pouvoir vivre dans la dignité. L’UE devrait indiquer clairement que, si Dacca changeait de cap, elle serait prête à mobiliser des fonds supplémentaires pour des projets qui réduisent les besoins en aide humanitaire, tels que la génération de revenus et la construction d’abris durables.

  • Maintenir, dans la mesure du possible, l’aide humanitaire aux Rohingyas qui restent dans l’État de Rakhine. L’UE devrait travailler directement avec les prestataires de services locaux, qui pourraient aider à contourner les restrictions imposées par Nay Pyi Taw, et éviter de renforcer involontairement le régime ou de légitimer ses initiatives, telles que la fermeture prévue des camps pour les personnes déplacées à l’intérieur du pays. Pour améliorer la coordination au niveau national, l’UE devrait faire pression sur les Nations unies pour qu’elles nomment un résident permanent qui ait une expérience dans la coordination.

  • Continuer à soutenir les efforts internationaux visant à demander des comptes à l’armée du Myanmar pour les abus commis à l’encontre des Rohingyas et d’autres groupes au Myanmar, avant et depuis le coup d’État.

Des musulmans rohingyas attendent de pouvoir traverser la frontière avec le Bangladesh, dans un camp temporaire à l'extérieur de Maungdaw, dans le nord de l'État de Rakhine, Myanmar, 12 novembre 2017. Photo prise le 12 novembre 2017. REUTERS / Wa Lone

Les espoirs de rapatriement s’amenuisent

Pour les réfugiés rohingyas du sud du Bangladesh, les perspectives de retour au Myanmar s’éloignent, au moment même où les conditions de vie dans les camps deviennent de plus en plus difficiles. Depuis deux ans, le financement international des services de base et de survie a chuté de façon spectaculaire, alors que d’autres crises mobilisent l’attention et que les bailleurs de fonds s’épuisent. Le déficit est particulièrement important en 2023 : le plan de réponse conjoint à la crise humanitaire des Rohingyas étant financé à hauteur d’à peine 30 pour cent, les Nations unies ont été contraintes de réduire d’un tiers l’aide alimentaire. Elles ne dépensent plus que 0,27 dollar par jour pour les rations individuelles. D’autres services ont également été réduits. La diminution des budgets a contraint les Nations unies et les ONG internationales à licencier des réfugiés qui travaillaient en tant que volontaires payés à cause des restrictions imposées par le gouvernement bangladais alors que ce travail constituait l’une de leurs rares sources de revenus légales. Le monde est confronté aujourd’hui à de nombreuses autres situations d’urgence, dont la guerre de la Russie en Ukraine et il est donc probable que ce déclin se poursuivra dans les années à venir.

Parallèlement, la violence ne cesse d’augmenter dans les très vastes camps, dans lesquels des groupes armés et des réseaux criminels s’installent parmi les réfugiés. Pendant quelques temps, le groupe dominant a été l’Armée du salut des Rohingyas de l’Arakan (ARSA), qui avait mené les attaques au Myanmar en 2016-2017, déclenchant la campagne sans merci de l’armée contre les Rohingyas. Mais, en septembre 2021, l’ARSA est allée trop loin en tuant un éminent chef de file de la communauté rohingya, Mohib Ullah, ce qui a mobilisé l’attention des partenaires internationaux sur le problème de la montée de la violence dans les camps. Ce meurtre a incité Dacca à agir et les forces de sécurité ont commencé à sévir contre l’ARSA en arrêtant certains de ses membres.

D’autres groupes armés ont profité de l’affaiblissement de l’ARSA. Selon les autorités bangladaises, au moins onze d’entre eux sont désormais actifs dans les camps. L’année dernière, l’Organisation de solidarité avec les Rohingyas (RSO) est notamment montée en puissance, et a progressivement détrôné l’ARSA en prenant le contrôle de plusieurs camps. Nombre de ces groupes travaillent en étroite collaboration avec les syndicats du crime bangladais pour faire passer de la drogue – principalement du yaba (un mélange de méthamphétamine et de caféine), mais aussi de plus en plus de méthamphétamine en cristaux, beaucoup plus lucrative – à travers la frontière du Myanmar et vers les principaux marchés de Dacca et de Chattogram, une ville côtière du sud du pays.

Des guerres intestines ont éclaté entre l’ARSA, le RSO et d’autres groupes. Le nombre de meurtres commis jusqu’à présent en 2023 est déjà plus élevé que pendant toute l’année 2022. Les victimes sont généralement de jeunes hommes ou des chefs de file au sein de la communauté, même si des femmes et des enfants sont parfois victimes de tirs croisés. Les enlèvements de réfugiés avec demande de rançon de la part des gangs, ont également explosé. Le bataillon de la police armée du Bangladesh, l’agence chargée de la sécurité des camps depuis 2020, n’a pas réussi à juguler les gangs. Il est également confronté à des allégations bien étayées, selon lesquelles ses membres racketteraientdétiendraient sans raison et même tortureraient les réfugiés.

Le Bangladesh et le régime militaire du Myanmar cherchent ... à commencer à rapatrier les réfugiés rohingyas dans l’État de Rakhine.

Dans ce contexte, le Bangladesh et le régime militaire du Myanmar cherchent, depuis le début de l’année 2023 et avec le soutien de la Chine, à commencer à rapatrier les réfugiés rohingyas dans l’État de Rakhine, après deux tentatives infructueuses en 2018 et 2019. Chaque pays a ses propres raisons de vouloir le retour des Rohingyas. Nay Pyi Taw espère pouvoir renforcer sa défense devant la Cour internationale de justice, où elle a été accusée de violer la convention sur le génocide, et alléger la pression internationale à la suite du coup d’État de 2021. Dacca a les yeux rivés sur les élections générales prévues en janvier 2024, avant lesquelles elle espère remporter une victoire en matière de politique étrangère qui atténuerait l’impatience de l’opinion publique face à l’accueil d’une population de réfugiés aussi importante. Quant à Pékin, elle cherche des occasions de se présenter comme un acteur international constructif, dans un contexte de tensions accrues avec Washington, et espère également obtenir un soutien supplémentaire de la part de Dacca et de Nay Pyi Taw en Asie.

Pourtant, malgré les assurances données par Dacca et Nay Pyi Taw, il est peu probable que la proposition de « projet pilote » qui permettrait à un premier contingent de 1176 réfugiés de retourner dans l’État de Rakhine, soit mis en œuvre. Le régime du Myanmar a envoyé plusieurs délégations rendre visite aux réfugiés au Bangladesh et, en mai, des dirigeants de réfugiés se sont même rendus à Maungdaw, dans le nord de l’État de Rakhine, pour une visite destinée à leur prouver qu’ils y étaient en sécurité. En septembre, à la suite d’une nouvelle série de réunions, le régime et le Bangladesh ont annoncé leur intention de rapatrier jusqu’à 3000 réfugiés d’ici la fin de l’année. Mais le Myanmar a refusé de répondre aux principales demandes des réfugiés, notamment en ce qui concerne la citoyenneté (que la plupart des Rohingyas n’ont pas), une position qui limitera probablement le nombre de candidats désireux de rentrer.

L’émergence de l’Armée de l’Arakan en tant que force politique dans l’État de Rakhine est un autre facteur qui complique le rapatriement. Depuis le coup d’État de 2021, le groupe a pris le contrôle d’une grande partie de la campagne dans le centre et le nord de l’État de Rakhine, y compris le long de la frontière avec le Bangladesh. Un rapatriement à grande échelle ne serait donc probablement possible qu’avec l’accord du groupe. Or, jusqu’à présent, il a été exclu des discussions entre les deux gouvernements.

En définitive, pour la plupart des réfugiés, le retour reste une perspective lointaine. Le désespoir absolu de la vie dans les camps du Bangladesh pourrait persuader une petite minorité de Rohingyas à rentrer malgré les risques, mais ce retour n’aurait rien de réjouissant. Les conditions dans l’État de Rakhine ne sont pas propices à un rapatriement sûr, digne et volontaire, et il est peu probable qu’elles le soient tant que le régime militaire sera au pouvoir.

Parallèlement, le gouvernement bangladais refuse d’envisager des solutions viables pour résoudre la crise des réfugiés. Insistant sur le fait qu’un rapatriement rapide est la seule solution, il a imposé des restrictions sur le fonctionnement des camps et les libertés des réfugiés qui sont telles que les Rohingyas dépendent presque entièrement de l’aide extérieure et que les organisations humanitaires sont contraintes de continuer à opérer dans l’urgence, plutôt que de se préparer à un déplacement prolongé. Le gouvernement a également déplacé environ 30000 Rohingyas à Bhasan Char, une île composée de silt et au raz de l’eau située à près de 40 km du continent, où ils sont davantage exposés aux cyclones, ce qui ajoute une nouvelle dimension à leur vulnérabilité. Les politiques de Dacca, qui consistent à refuser aux réfugiés le droit de travailler et à les obliger à vivre dans des abris temporaires, tout en restant à l’intérieur de camps clôturés ou à Bhasan Char, augmentent le coût de la réponse humanitaire à un moment où le financement international est en baisse.

Si elle ne change pas, la politique du Bangladesh risque d’aggraver une situation déjà difficile dans les années à venir. L’aggravation des conditions de vie des réfugiés rohingyas les poussera inévitablement à adopter des stratégies de survie dangereuses. Si les conditions dans les camps ne s’améliorent pas, les personnes qui ne trouvent pas de solution risquent d’être de plus en plus enclines au militantisme, à mesure que le temps passe. Les hommes et les garçons pourraient s’enrôler dans des groupes armés ou des gangs. Les jeunes filles et les femmes risqueraient de se retrouver contraintes à accepter des mariages de mineurs ou des mariages arrangés en Malaisie, qui les obligent à affronter des traversées périlleuses organisées par des passeurs sans scrupules pour rejoindre leurs nouveaux époux. Les Rohingyas se lancent de plus en plus dans le dangereux voyage vers la Malaisie par voie terrestre, en passant par le Myanmar et la Thaïlande, où ils risquent d’être arrêtés pour avoir enfreint les lois sur l’immigration. Lors de nouvelles réductions des rations alimentaires en juin, une augmentation des cas de violence entre partenaires intimes a été constatée.

La situation dans l’État de Rakhine

Les conditions de vie se dégradent également pour la plupart des Rohingyas qui vivent encore dans l’État de Rakhine. Plus de 120000 d’entre eux restent confinés dans les camps de personnes déplacées mis en place il y a plus de dix ans. La plupart n’ont pas de nationalité et ils dépendent tous de l’aide internationale pour manger et pour les services de base. Le cyclone Mocha, qui a frappé l’État de Rakhine en mai, anéantissant plusieurs camps, a montré la vulnérabilité de cette population. Nay Pyi Taw a déclaré que 117 Rohingyas avaient été tués, mais d’autres sources avancent un chiffre plus élevé. Le régime a ensuite bloqué un plan d’acheminement de l’aide proposé par les Nations unies, ainsi qu’une proposition pour faire transiter l’aide par la frontière avec le Bangladesh.

Le régime avance maintenant lentement vers un plan de fermeture de certains camps de personnes déplacées, mais tout comme le discours sur le rapatriement, ce projet pourrait être un stratagème pour soigner son image en réduisant le nombre de musulmans de Rakhine déplacés. Le manque de planification et d’assistance visant à veiller au bien-être des résidents des camps est flagrant, ceux qui ont été relogés jusqu’à présent attendent dans des sites de réinstallation délabrés à proximité des anciens camps, où ils ont encore moins accès à un soutien social.

Quant aux Rohingyas qui vivent à Rakhine en dehors des camps, leurs droits fondamentaux ne sont toujours pas protégés et les effets combinés du conflit, de la Covid-19, du coup d’État et du cyclone Mocha n’ont fait qu’aggraver leurs difficultés. Beaucoup se sentent coincés entre l’Armée de l’Arakan et l’armée du Myanmar, qui a menacé d’arrêter les chefs de communautés s’ils coopéraient avec la bureaucratie du groupe armé ethnique. L’émergence de l’Armée de l’Arakan a cependant permis d’améliorer les relations entre les Rohingyas et les communautés de l’ethnie rakhine. Très populaires parmi les Rakhines, les chefs de file du groupe ont souligné que c’était les Birmans majoritaires, plutôt que les musulmans, qui étaient le véritable ennemi du peuple rakhine. L’Armée de l’Arakan a également pris des mesures pour intégrer les Rohingyas dans les échelons inférieurs de sa bureaucratie et a assoupli les restrictions de circulation dans les zones qu’elle contrôle. Les tensions récentes entre l’Armée de l’Arakan et l’ARSA dans le nord de l’État de Rakhine risquent toutefois d’anéantir certains de ces progrès fragiles, car les craintes d’une nouvelle insurrection des Rohingyas au sein de l’ethnie Rakhine pourraient alimenter le sentiment anti-Rohingya.

Ce que l’UE peut faire

Tout d’abord, l’UE est l’un des plus grands bailleurs de fonds humanitaires au monde et en tant que tel, elle devrait augmenter son aide aux réfugiés rohingyas en répondant à l’appel humanitaire des Nations unies. Bruxelles a généralement maintenu un bon niveau de soutien aux appels en faveur des Rohingyas au cours des six dernières années, et les États membres de l’UE fournissent un financement supplémentaire limité. En juillet, l’UE a débloqué 12,5 millions d’euros supplémentaires pour répondre aux besoins humanitaires des habitants du Myanmar et des Rohingyas au Bangladesh. Mais la situation désastreuse – et qui s’aggrave rapidement – dans les camps, justifie largement l’augmentation du financement, en particulier à court terme. L’UE est très présente au Bangladesh, notamment à Cox’s Bazar (le district du sud où se trouvent la plupart des camps) mais elle devrait également collaborer avec d’autres bailleurs de fonds pour stabiliser le financement global destiné aux réfugiés et veiller à ce que les besoins fondamentaux des Rohingyas – nourriture, logement, santé et éducation – soient satisfaits dans le cadre de l’action humanitaire menée par les Nations unies. Face à la montée de la violence et de l’insécurité, Bruxelles devrait également donner plus de fonds aux organisations d’aide fournissant des services de protection, qui luttent pour faire face à l’insécurité en augmentation dans les camps, et accompagner la mise en œuvre de solutions alternatives pour les personnes les plus menacées.

Les États membres de l’UE, quant à eux, devraient suivre l’exemple d’acteurs tels que les États-Unis et le Canada en s’engageant à réinstaller un certain nombre de réfugiés rohingyas, en particulier parmi les plus vulnérables. Le Bangladesh a récemment autorisé la réinstallation pour la première fois depuis 2010. (Il était réticent jusque-là parce qu’il craignait que cela encourage davantage de Rohingyas à rejoindre le pays). La réinstallation dans un pays tiers n’aidera qu’une petite partie des réfugiés mais elle changera la vie de ces personnes, et cela pourrait avoir d’autres effets positifs. Elle pourrait également améliorer le climat des discussions avec le gouvernement bangladais en démontrant l’engagement de l’Europe à prendre des mesures concrètes pour atténuer la crise.

Deuxièmement, il serait important que l’UE pousse le gouvernement bangladais plus fermement lorsqu’il s’agit des paramètres qu’il fixe pour la réponse aux réfugiés. La règlementation de Dacca empêche les réfugiés de travailler légalement, ce qui les rend presque entièrement dépendants de l’aide internationale – une situation insoutenable étant donné la chute brutale des promesses d’assistance. L’UE, que les Bangladais perçoivent comme neutre dans leur politique intérieure et qui est un partenaire commercial essentiel (représentant près de 40 pour cent des exportations), devrait encourager Dacca à assouplir les restrictions à l’emploi et à la circulation des Rohingyas, ce qui permettrait aux agences humanitaires de proposer davantage qu’une aide d’urgence.

Bruxelles devrait indiquer clairement à Dacca qu’elle serait en mesure de mobiliser des fonds pour des initiatives à plus long terme qui réduiraient la dépendance des Rohingyas à l’aide humanitaire.

Dans le cadre de cet effort, Bruxelles devrait indiquer clairement à Dacca qu’elle serait en mesure de mobiliser des fonds pour des initiatives à plus long terme qui réduiraient la dépendance des Rohingyas à l’aide humanitaire, telles que des possibilités d’emploi et des hébergements durables. L’UE pourrait, par exemple, indiquer qu’au-delà de la mise à disposition de ses propres fonds, elle serait susceptible d’organiser une conférence des bailleurs de fonds pour réunir des engagements de financement, comme elle l’a fait lors de l’événement qu’elle a coorganisé en 2020 avec les États-Unis, le Royaume-Uni et le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés. Cet événement avait permis de recueillir 600 millions de dollars de nouvelles promesses de financement pour les programmes humanitaires. Mais avant qu’une nouvelle conférence ne puisse être organisée, Dacca devrait modifier son approche de la crise des réfugiés, en acceptant que la grande majorité d’entre eux resteront au Bangladesh pendant des années.

Troisièmement, l’UE et les États membres devraient envoyer un signal clair en matière de rapatriement. Compte tenu de la crise au Myanmar, les chances que les réfugiés rohingyas puissent rentrer chez eux n’ont fait que s’amenuiser. Tout en respectant la volonté des réfugiés qui pourraient néanmoins vouloir entreprendre ce retour, l’UE devrait indiquer clairement qu’elle s’oppose au projet pilote actuel, étant donné l’incapacité du régime militaire à garantir un rapatriement sûr, digne et volontaire.

Quatrièmement, l’UE devrait également maintenir son soutien aux Rohingyas dans l’État de Rakhine, qui ont subi à la fois le conflit et la crise économique, et sont ainsi devenus encore plus dépendants de l’aide internationale depuis le coup d’État. Cela ne sera pas chose aisée. Depuis le coup d’État, le régime militaire a renforcé les restrictions portant sur l’aide humanitaire, notamment en limitant les autorisations de voyage requises pour se rendre dans l’État de Rakhine, en bloquant les visas pour le personnel international et en mettant en place une nouvelle loi sur les organisations qui donne à la junte un plus grand contrôle sur les groupes d’aide.

Pour les bailleurs de fonds comme l’UE, ces restrictions ne font que renforcer l’urgence de transférer autant de fonds que possible à des partenaires locaux, notamment des ONG et des organisations communautaires, qui peuvent plus facilement contourner ces restrictions. Pour travailler avec ces groupes et garantir la sécurité de leur personnel et de leurs bénéficiaires, Bruxelles devra probablement assouplir ses exigences habituelles en matière d’enregistrement des partenaires, de services bancaires et de reporting. Une coordination étroite avec d’autres acteurs, en particulier les Nations unies, sera également essentielle pour garantir que les fonds soient alloués de manière efficace et utile. Pour renforcer l’efficacité de l’équipe pays des Nations unies, l’UE devrait inciter les responsables des Nations unies à nommer un coordinateur résident permanent dès que possible, afin de pourvoir le poste laissé vacant par le départ du dernier coordinateur en novembre 2021. La nouvelle personne responsable devrait avoir les compétences et l’expérience nécessaires pour relever les défis spécifiques au Myanmar.

Enfin, l’UE et les États membres devraient continuer à soutenir les mécanismes internationaux de responsabilisation qui visent à demander des comptes aux auteurs d’exactions, notamment de violences sexuelles liées au conflit, commises à l’encontre des Rohingyas au Myanmar lors de la répression militaire de 2016-2017. Les principaux mécanismes de ce type sont la Cour pénale internationale et le Mécanisme d’enquête indépendant pour le Myanmar, un organe que les Nations unies ont chargé de recueillir des éléments de preuve en vue de futures procédures pénales. Leurs efforts rappellent aux auteurs potentiels qu’une présomption criminelle – et la perspective de poursuites – poursuivra ceux qui choisissent de commettre des atrocités.

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