Briefing / Europe & Central Asia 3 minutes

Le nouveau gouvernement serbe tourne le dos à l’Europe

La Serbie s'est enfin dotée d'un nouveau gouvernement, mais d'un gouvernment profondément divisé entre des forces pro-occidentales et nationalistes. Confrontée à deux questions fondamentales, celle du statut du Kosovo et celle de la coopération avec le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY), elle doit choisir entre une voie vers l’intégration européenne et une autre vers l'isolationnisme.

Synthèse

La Serbie s'est enfin dotée d'un nouveau gouvernement, mais d'un gouvernment profondément divisé entre des forces pro-occidentales et nationalistes. Confrontée à deux questions fondamentales, celle du statut du Kosovo et celle de la coopération avec le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY), elle doit choisir entre une voie vers l’intégration européenne et une autre vers l'isolationnisme. La composition du gouvernement, une profonde crise de confiance parmi nombre de ses membres et la majorité nationaliste au parlement sont autant de signes que la seconde option sera probablement privilégiée. Les forces pro-occidentales ont essuyé de sérieux revers, le gouvernement est vulnérable à la manipulation des services de sécurité et des oligarques, et le système de responsabilité partagée des services de sécurité rendent d’autant plus improbable toute coopération avec le TPIY, en particulier pour les arrestations de Ratko Mladic et Radovan Karadzic. Bien que l’indépendance du Kosovo puisse déstabiliser le gouvernement, ce dernier pourrait surprendre, perdurer et s’avérer plus stable que prévu. Les pays occidentaux devraient s’attendre à ce que la Serbie s’éloigne de plus en plus de l’Europe pour se tourner vers Moscou.

Le processus de formation du gouvernement, qui a duré quatre mois, et les débats parlementaires qui l’ont accompagné ont montré que la tendance à classer les partis dans les catégories « démocratique » et « non-démocratique » était dépassée. Ils ont également clairement révélé la nature fondamentalement antioccidentale et ultranationaliste du Parti démocratique de Serbie (DSS) du Premier ministre Kostunica, idéologiquement bien plus proche du Parti radical serbe (SRS) de Vojislav Seselj, inculpé pour crimes de guerre, et du Parti socialiste (DS) de Serbie (SPS) de Milosevic que du Parti démocrate du Président Tadic.

Craignant l’appel à l’organisation de nouvelles élections qui laisseraient encore une fois la Serbie sans gouvernement pendant quatre mois et pourraient porter le SRS au pouvoir, les gouvernements occidentaux ont de nouveau soutenu les « démocrates » serbes et fait fortement pression sur le DS pour qu’il forme un gouvernement avec le DSS. Mais cela pourrait bien avoir un effet négatif, en portant préjudice aux partis pro-occidentaux de manière inattendue. Entre autres choses, les pays occidentaux ne peuvent plus compter sur le DS et le G17+ pour faire pression de manière efficace sur le DSS et le Parlement pour qu’ils envisagent la politique étrangère différemment. Ces partis sont aujourd’hui trop faibles par rapport à la majorité parlementaire nationaliste et au Premier ministre. La stratégie de l’Union européenne qui consiste à utiliser la perspective d’intégration et d’adhésion de la Serbie afin d’assouplir sa position sur le Kosovo est également particulièrement problématique sous le gouvernement actuel. L’UE et les États-Unis, avec leurs nombreuses concessions, ont épuisé la plupart de leurs leviers, et disposent aujourd’hui de moins d’outils politiques avec lesquels ils pourraient influencer Belgrade qu’auparavant.

Bruxelles et Washington ne devraient pas céder à la tentation peu judicieuse d’amadouer la Serbie pour acheter son feu vert à l’indépendance du Kosovo. Depuis février 2007, l’UE répète qu’elle souhaite relancer les négociations autour de l’Accord de stabilisation et d'association (ASA) et ne plus insister sur l’arrestation des plus grands criminels de guerre comme pré-condition. Les conditions nécessaires établies pendant les longues tractations autour du nouveau gouvernement, c’est-à-dire le contrôle de M. Tadic et du DS sur les ministères-clés, ne seront peut-être pas respectées dans la nouvelle coalition. Certains, au sein de l’UE, pensent toujours qu’en renouant avec la Serbie via l’ASA ils pourront encourager les forces pro-européennes et soulager le pays de la perte officielle du Kosovo, mais c’est une vision erronée. Le nouveau gouvernement préfèrera le Kosovo à l’Europe ; l’apaisement affaiblirait mais ne renforcerait pas les forces pro-occidentales ; et à court terme en tous cas, il est peu probable que les forces de sécurité procèdent à l’arrestation des criminels de guerre.

Il est clair que le nouveau gouvernement prévoit de poursuivre ses réformes économiques de manière graduelle, mais le changement social et politique risque de déclencher des conflits entre le DS et le DSS. Leur véritable pomme de discorde portera sur la politique étrangère, le second essayant de poursuivre ses politiques nationalistes et sa logique de confrontation. M. Kostunica tentera certainement de dissimuler ses politiques nationalistes dignes de l’ère Milosevic derrière les inclinations pro-occidentales de M. Tadic. Ceci rendra la tâche plus difficile pour Washington et Bruxelles de mettre la Serbie face à des questions de fond, même si l’on ne sait pas encore combien de temps M. Tadic acceptera d’être utilisé pour défendre la ligne de M. Kostunica, surtout en ce qui concerne le TPIY et le Kosovo.

Les disputes à propos du gouvernement ont éloigné encore davantage le DS et le DSS. Les cinq jours dont a disposé le chef radical Tomislav Nikolic en tant que président du Parlement ont révélé la grande faiblesse de la nouvelle constitution : une dictature autorisée par le Parlement serait possible. Cette faiblesse pourrait devenir une grande menace après la décision sur le statut du Kosovo. Les pays occidentaux devraient s’accoutumer à une Serbie qui, depuis des années, est anti-européenne, favorable à la Russie et qui s’obstine dans son dangereux nationalisme autodestructeur.

Belgrade/Bruxelles, 31 mai 2007

I. Overview

Serbia finally has a new government but one that is deeply divided between pro-Western and nationalist forces. Facing two difficult issues – Kosovo status and cooperation with the International Criminal Tribunal for the former Yugoslavia (ICTY) – its choice is between moving towards European integration or on to a more isolationist path. The government’s composition, deep mistrust among many of its members and the parliament’s nationalist majority suggest it will follow the second option. Pro-Western forces have suffered a significant setback, the government is vulnerable to manipulation by the security services and oligarchs, and the system of divided responsibility for the security services renders unlikely serious cooperation with the ICTY, especially the arrests of Ratko Mladic and Radovan Karadzic. Although Kosovo independence could destabilise the government, it may surprise and last far longer and prove more stable than expected. The West should prepare for Serbia turning increasingly away from Europe and towards Moscow.

The four-month government formation process and accompanying parliamentary debates demonstrated that categorisation of Serbia’s parties as “democratic” and “non-democratic” is outdated. They also clearly revealed the deep, anti-Western and ultra-nationalist nature of Premier Kostunica’s Democratic Party of Serbia (DSS), which is ideologically much closer to the Serbian Radical Party (SRS) of war crimes indictee Vojislav Seselj and Milosevic’s Socialist Party of Serbia (SPS) than to President Tadic’s Democratic Party (DS).

Fearing that new elections might be called that would leave Serbia without a government for another four months and possibly bring the SRS to power, Western governments once again supported Serbia’s “democrats” and strongly pressed the DS to form a government with the DSS. But their success may well prove Pyrrhic, harming the pro-Western parties in unanticipated ways. For one, the West can no longer count on the DS and G17+ to press the DSS and the parliament effectively for a different foreign policy. Those parties are now too out of step with the nationalist parliamentary majority and the premier. The European Union’s strategy of using the prospect of integration and accession to soften Serbia’s stance on Kosovo is also highly problematic under the current government. The EU and U.S. have given away most of their leverage through repeated concessions and now have even fewer policy tools with which to influence Belgrade than before.

Brussels and Washington should resist the temptation of appeasing Serbia further in a misguided effort to purchase acceptance of Kosovo’s independence. Since February 2007, the EU has been saying that it is willing to restart Stabilisation and Association Agreement (SAA) talks and no longer insist on as a precondition the arrest of the most notorious war criminals. The requirement set during the long haggling over a new government – that Tadic and the DS control the power ministries – is not guaranteed under the new coalition. Some in the EU still believe that by re-engaging Serbia via the SAA they can encourage pro-European forces and ease the pain of Kosovo’s formal loss, but this is misguided. The new government will choose Kosovo over Europe; appeasement would weaken, not strengthen pro-Western forces; and in the short term at least, security structures are unlikely to arrest war criminals.

The new government does plan to continue gradual economic reforms but social and political change risks bogging down in disputes between the DS and DSS. The real point of contention between the two will be foreign policy, as the latter attempts to continue nationalist and confrontational policies. Kostunica is likely to try to hide his Milosevic-era nationalist policies behind Tadic’s pro-Western inclinations, making it difficult for Washington and Brussels to confront Serbia effectively on key issues, though it is uncertain how long Tadic will permit himself to be used to defend the Kostunica line, particularly on the ICTY and Kosovo.

The squabbling over a government deepened the DS-DSS rift. Radical leader Tomislav Nikolic’s five days as parliament speaker exposed a serious weakness in the new constitution – the possibility of a parliament-authorised dictatorship – that could become a real threat following a Kosovo status decision. The West may well have to accustom itself to a Serbia that for a number of years is anti-Europe, pro-Russia and unrepentant in its dangerously self-destructive nationalism.

Belgrade/Brussels, 31 May 2007

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