Report / Middle East & North Africa 5 minutes

Hamas: les défis de l’intégration politique

Le Hamas, mouvement islamiste considéré comme une organisation terroriste par les États-Unis et l’Union européenne (UE) et ennemi juré d’Israël, entrera bientôt au Parlement palestinien. Porté par une vague de popularité sans précédent et ayant dépassé toutes les attentes lors des récentes élections municipales, le Hamas pourrait faire son entrée au sein du cabinet de l’Autorité palestinienne.

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Synthèse

Le Hamas, mouvement islamiste considéré comme une organisation terroriste par les États-Unis et l’Union européenne (UE) et ennemi juré d’Israël, entrera bientôt au Parlement palestinien. Porté par une vague de popularité sans précédent et ayant dépassé toutes les attentes lors des récentes élections municipales, le Hamas pourrait faire son entrée au sein du cabinet de l’Autorité palestinienne. Ceci aurait certainement des conséquences considérables : les palestiniens dépendent fortement de l’Occident et d’Israël, qui ont tous deux menacé de couper les ponts si le Hamas rejoignait l’Autorité palestinienne. Jusqu’à présent, les États-Unis et l’UE ont choisi d’ignorer les islamistes plutôt que de traiter ouvertement avec eux. Par conséquent, l’Occident n’a que très peu d’influence sur un mouvement qui se sent plus fort et qui s’est enhardi. La perspective d’une Autorité palestinienne affaiblie qui prendrait des mesures énergiques à l’encontre d’un Hamas renforcé ou celle d’un processus de paix renouvelé étant toujours aussi lointaines, la meilleure option pour la communauté internationale reste d’encourager le mouvement islamiste à entrer dans l’arène politique par un engagement progressif et conditionnel.

La participation du Hamas aux élections est le résultat d’une convergence d’intérêts hétérogènes. Pour Mahmoud Abbas, le président de l’Autorité palestinienne, assurer le respect du cessez-le-feu, réhabiliter l’image internationale des palestiniens et remettre de l’ordre dans les affaires intérieures nécessitait de traiter avec le Hamas. En échange de sa coopération, il a offert au Hamas de participer au pouvoir par une intégration en politique. La tactique d’Abbas a coïncidé avec les calculs du Hamas : celui-ci a connu un sursaut de soutien populaire lors du soulèvement, espérait un répit des assauts militaires israéliens et, avec un Fatah et une Autorité palestinienne plongés dans la confusion, a eu l’occasion de traduire son succès en pouvoir institutionnel. Initialement prévues pour juillet 2005, les élections parlementaires ont été reportées par des dirigeants du Fatah inquiets de la force du Hamas et convaincus qu’ils pourraient regagner du terrain si on leur en laissait le temps.

Les inquiétudes du Fatah n’étaient pas infondées mais sa réponse a de toute évidence été malavisée. Déjà fort il y a six mois, le Hamas apparaît bien plus fort aujourd’hui. Entre temps, le Fatah a continué à se déliter, rongé par des divisions internes, tandis que le Hamas a mûri. Les élections municipales, à l’issue desquelles ce dernier a facilement pris le contrôle de la plupart des zones urbaines, y compris des bastions traditionnels du Fatah comme Naplouse, donnent à penser que les islamistes sont en train de se présenter comme une alternative de choix face à une Autorité palestinienne discréditée par la corruption, le chaos et par son échec à mettre en œuvre son agenda politique. Aujourd’hui, des centaines de milliers de palestiniens vivent dans des localités gouvernées par le Hamas.

L’évolution au cours de ces derniers mois, lors desquels le Hamas s’est attaqué aux problèmes de gouvernance locale et a fait campagne pour un mandat au niveau national, donne une première idée de l’impact que pourrait avoir son intégration politique sur ses idées et sa conduite. De par son pragmatisme, voire sa volonté de traiter avec Israël sur les affaires opérationnelles quotidiennes, la façon de gouverner du Hamas manque d’originalité, demeurant similaire à celle de son prédécesseur. Les politiciens locaux insistent sur les questions de la bonne gouvernance, du développement économique et de la sécurité sociale et personnelle, reléguant délibérément les questions religieuses et le conflit avec Israël au second plan. À de rares exceptions près, ils n’ont pas encore essayé d’imposer leur vision d’une société islamiste.

Des signes de pragmatisme sont également visibles au niveau national. Bien plus que le Fatah, le Hamas s’est avéré être un acteur discipliné du cessez-le-feu et les officiers israéliens reconnaissent volontiers que ceci a contribué à une nette diminution de la violence. Certains dirigeants du Hamas ont récemment annoncé qu’ils n’excluaient pas de modifier la charte de leur mouvement, de négocier avec Israël ou d’accepter une trêve sur la base d’un retrait israélien et d’un retour aux frontières de 1967. Aujourd’hui, leur plateforme électorale est à cet égard plus proche des conceptions du Fatah que des principes fondateurs du Hamas.

Mais tout n’est pas aussi encourageant. Le Hamas continue d’essayer d’accommoder à la fois sa base populaire et ses branches clandestines, qui adhèrent aux vues divergentes de tendances rivales au sein du mouvement et sont au moins partiellement vulnérables aux pressions de la Syrie et de l’Iran. La plupart des israéliens, et bon nombre de palestiniens, s’inquiètent du potentiel militaire du Hamas. En Israël, on soupçonne que cette organisation attend le bon moment après la période post-électorale pour lancer une nouvelle vague d’attentats grâce à un arsenal reconstitué et amélioré. Sans doute plus significatif est-il le fait que le Hamas n’a ni renoncé à la violence ni reconnu l’existence d’Israël

Il semblerait donc que l’intégration soit en cours, sans que l’on puisse dire si elle aboutira ou si elle est le pari le plus sûr. Mais y a-t-il une alternative ? Sa situation militaire, et plus encore politique, ne permet pas à l’Autorité palestinienne de désarmer le Hamas. Depuis sa prise de fonctions, le président Abbas est paralysé par un système politique sclérosé et il a plus d’une fois joué son avenir politique sur des élections inclusives et réussies. Sans perspective d’incorporation politique et en l’absence d’un processus diplomatique crédible, le Hamas (et, avec lui, la plupart des autres organisations armées) reprendra probablement ses attentats contre Israël. À l’heure actuelle, on peut encore espérer que, en impliquant le Hamas plus activement dans la gouvernance locale et nationale, sa participation à la stabilité de la région et aux coûts politiques d’une rupture l’éloigneront progressivement de la voie militaire.

Confrontée au défi d’une nouvelle réalité palestinienne émergente, la communauté internationale n’a, dans sa majeure partie, pas réagi. Bien que leurs politiques diffèrent sur certains points, tant les États-Unis que l’UE évitent (en fait, les américains l’excluent) d’être en contact avec les organisations islamistes ; ils refusent de financer les projets mis en œuvre dans les municipalités tenues par le Hamas et ont menacé d’interrompre leur assistance à l’Autorité palestinienne si elle admettait le Hamas en son sein. Cette attitude a eu plusieurs effets, essentiellement négatifs : elle a exclu les palestiniens des financements des donateurs occidentaux ; rompu le contact avec de larges pans de la population ; mis en danger la durabilité des projets et réduit la responsabilité des acteurs dans le cadre de ces projets. Dans le même temps, le Hamas a gagné en force, grâce à une réaction nationaliste violente face à ce qui a été perçu comme une ingérence de la part de l’étranger, et il participe aux élections sans avoir à satisfaire à une quelconque condition préalable. 

Les pays occidentaux n’ont rien fait qui aurait pu avoir un impact positif, comme essayer de modeler les politiques du Hamas en exploitant son désir évident d’obtenir une légitimité et une reconnaissance internationales. L’Occident a toutes les raisons de différer tout accord formel au niveau national, au moins jusqu’à ce que le Hamas ait renoncé aux attentats contre des civils et ne s’oppose plus à la coexistence de deux États. Mais l’approche actuelle (boycotter le Hamas tout en facilitant sa participation aux élections ; faciliter sa participation sans rechercher par un quelconque engagement des concessions réciproques) n’a aucun sens.

Sans conférer une légitimité immédiate au Hamas, entamer des négociations avec ses responsables nationaux, ni rayer son nom de la liste des organisations terroristes, l’UE (qui jouit d’une plus grande flexibilité que les États-Unis en ce domaine) devrait encourager les islamistes à se concentrer sur les affaires quotidiennes et faciliter un processus en vue d’une éventuelle intégration politique et d’un démantèlement militaire.  La soudaine immobilisation du Premier ministre Ariel Sharon a compliqué plus encore une situation déjà très confuse. User de l’influence économique et politique occidentale pour tenter de stabiliser la Palestine serait la meilleure option.

Amman/Bruxelles, 18 janvier 2006

 

Executive Summary

Hamas, the Islamist movement designated a terrorist organisation by the U.S. and EU and considered a mortal enemy by Israel, will soon join the Palestinian legislature. Riding an unprecedented wave of popularity and having exceeded virtually all expectations in recent municipal contests, it could end up sitting at the Palestinian Authority’s (PA) cabinet table. Consequences would likely be far-reaching: Palestinians are hugely dependent on the West and Israel, and both have threatened to cut ties should Hamas join the PA. So far, the U.S. and EU essentially have opted to ignore the Islamists rather than deal with them upfront – the end result being a movement that feels stronger, more emboldened, and over which the West has precious little leverage. With the prospect as remote as ever of a renewed peace process or a weakened PA cracking down on a strengthened Hamas, the international community’s best remaining option is to maximise the Islamist movement’s incentives to move in a political direction through a policy of gradual, conditional engagement.

Hamas’s electoral participation results from a convergence of disparate interests. For President Abbas, securing the ceasefire, rehabilitating the Palestinians’ international standing, and putting the domestic house in order required a deal with Hamas. In exchange for cooperation, he offered power-sharing through political integration. Abbas’s gambit coincided with Hamas’s calculations: it had experienced a surge in popular support during the uprising, was eager for a respite from Israeli military assaults, and, with both Fatah and the PA in disarray, saw an opportunity to translate its success into institutional power. Though originally scheduled for July 2005, parliamentary elections were postponed by Fatah leaders concerned about Hamas’s strength and convinced that with more time they would recover lost ground.

Fatah’s concerns were not misplaced but its response was plainly misguided. Strong half a year ago, Hamas appears far stronger now. In the intervening months, Fatah has continued to fray, consumed by internal divisions, while Hamas has come of age. Municipal elections, in which they handily won control of most urban areas, including traditional Fatah bastions like Nablus, suggest the Islamists are establishing themselves as the alternative of choice to a PA discredited by corruption, chaos and a failure to realise its political agenda. Today, hundreds of thousands of Palestinians live in localities ruled by Hamas.

The record of the last several months, as Hamas rubbed elbows with issues of local governance and campaigned for national office, offers a preliminary, mixed picture of how political integration might affect its outlook and conduct. In its pragmatism, and even willingness to deal with Israel on day-to-day operational affairs, Hamas rule at the local level has been almost boringly similar to its predecessor. Local politicians emphasise themes of good governance, economic development, and personal and social security, leaving specifically religious issues and the conflict with Israel to the background. With only scant exceptions, they have yet to try to impose their vision of an Islamist society.

Nationally, too, signs of pragmatism can be detected. Far more than Fatah, Hamas has proved a disciplined adherent to the ceasefire, and Israeli military officers readily credit this for the sharp decline in violence. In recent statements, Hamas leaders have not ruled out changing their movement’s charter, negotiating with Israel, or accepting a long-term truce on the basis of an Israeli withdrawal to the 1967 lines. Today, their electoral platform is in these respects closer to Fatah’s outlook than to Hamas’s founding principles.

There is a less encouraging side. Hamas continues to straddle its public and clandestine wings, subject to competing views from different leadership elements, and at least partially susceptible to Syrian and Iranian pressures. Most Israelis, and not a few Palestinians, are worried about its armed potential, and there is widespread suspicion in Israel that the organisation simply is biding its time, waiting for the post-electoral period to launch a new wave of attacks with a replenished and improved arsenal. Perhaps most significantly, it has neither renounced violence, nor accepted Israel’s existence.

All this suggests that integration is a work in progress, neither a sure thing nor the safest of bets. But what is the alternative? The PA is not in a military, let alone a political, position forcibly to disarm Hamas. Since taking office, Abbas has been paralysed by a sclerotic political system, and he has more than once staked his political future on successful, inclusive elections. Without the prospect of political incorporation, and in the absence of a credible diplomatic process, Hamas – and, along with it, most other armed organisations – is likely to resume sustained attacks against Israel. What remains, for now, is the possibility that by incorporating Hamas more deeply into local and national governance, its stake in overall stability and the political costs of a breakdown gradually will steer it away from the military path.

Confronted with the challenge of a newly emerging Palestinian reality, the international community has, for the most part, taken a pass. While there are important differences in policy, both the U.S. and EU avoid (and in the American case, bar) contacts with the Islamist organisation, deny funding to projects with Hamas-run municipalities, and have threatened to halt assistance to the PA if Hamas joins it. This attitude has had several, essentially negative, results: estranging Palestinians from Western donors; losing touch with an increasingly large segment of the population; jeopardising project sustainability; and reducing accountability. Meanwhile, Hamas has gained strength from a nationalist backlash against perceived foreign interference and is participating in elections without having to fulfil any prior condition.

Western countries have not done the one thing that might have had a positive impact: try to shape Hamas’s policies by exploiting its clear desire for international recognition and legitimacy. There is every reason for the West to withhold formal dealings at a national level, at least until it renounces attacks against civilians and drops its opposition to a two-state solution, but the current confused approach – boycotting Hamas while facilitating its electoral participation; facilitating its participation without seeking through some engagement reciprocal concessions – makes no sense at all.

Without conferring immediate legitimacy on Hamas, engaging its national officials or removing it from the terrorism list, the EU in particular – which has more flexibility than the U.S. in this regard – should encourage the Islamists to focus on day-to-day matters and facilitate a process of potential political integration and gradual military decommissioning. With Prime Minister Sharon’s sudden incapacitation, an already impossibly perplexing situation has become more confused still. Using Western economic and political leverage to try to stabilise the Palestinian arena would be far from the worst possible investment.

Amman/Brussels, 18 January 2006

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