Cameroun : la conférence générale anglophone mérite un soutien national et international
Cameroun : la conférence générale anglophone mérite un soutien national et international
Demonstrators carry banners as they take part in a march voicing their opposition to independence or more autonomy for the Anglophone regions, in Douala, Cameroon, on 1 October 2017.
Demonstrators carry banners as they take part in a march voicing their opposition to independence or more autonomy for the Anglophone regions, in Douala, Cameroon, 1 October 2017. REUTERS/Joel Kouam
Statement / Africa 8 minutes

Cameroun : la conférence générale anglophone mérite un soutien national et international

La conférence générale anglophone peut constituer une étape décisive dans le règlement de la crise anglophone, en cours depuis plus d'un an. Les organisateurs, les différents acteurs anglophones, la société civile, et les partenaires internationaux du Cameroun doivent pousser le gouvernement et les chefs de file séparatistes à dépasser leurs réticences.  

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L’International Crisis Group salue l’initiative de quatre représentants religieux (Eglise catholique, Eglise presbytérienne, mosquée centrale de Bamenda et mosquée centrale de Buea) d’organiser une conférence générale anglophone à Buea, dans la région du Sud-Ouest, au Cameroun. En avril 2018, Crisis Group avait proposé l’Eglise catholique comme potentiel médiateur du conflit dans les régions anglophones (Nord-Ouest et du Sud-Ouest). Le 25 juillet, le cardinal émérite Christian Tumi a annoncé que cette conférence aurait lieu les 29 et 30 août ; elle a depuis été repoussée aux 21 et 22 novembre. Ce report est bienvenu, car il devrait permettre de mieux préparer l’évènement et d’assurer la participation de toutes les parties concernées.

Le communiqué annonçant la conférence appelle le président de la République à initier le plus rapidement possible un dialogue national de fond sur la question anglophone. Il présente la conférence comme une étape préparatoire entre anglophones, visant à définir les questions devant être examinées lors du dialogue national et à désigner les personnalités qui représenteront les régions anglophones à cette occasion. Elle pourrait donc amener les différents acteurs anglophones à présenter une position commune, ou à défaut, à réduire leurs divergences.

Pour y parvenir, les organisateurs vont devoir persuader le gouvernement de permettre aux anglophones de la diaspora, y compris des séparatistes, de rejoindre leur pays sans risquer de se faire arrêter, et de relâcher des détenus anglophones, car il n’est pas possible d’organiser un dialogue sans y associer les séparatistes, étant donné leur réel poids politique et la menace sécuritaire qu’ils représentent. Ils devront aussi convaincre les séparatistes qu’une participation à cette conférence permettrait d’asseoir leur légitimité parmi les anglophones.

Les acteurs étrangers devraient faire pression sur le gouvernement et sur les séparatistes.

Cette initiative mérite d’être soutenue au niveau international. Les acteurs étrangers devraient faire pression à la fois sur le gouvernement et sur les séparatistes, de façon équivalente. Etant établis en grande partie à l’étranger, les chefs de file séparatistes, qui alimentent la lutte armée, y seront probablement sensibles. Certains resteront sourds à ces appels, mais dans un contexte particulièrement sombre, il importe de faire le maximum pour convaincre le plus grand nombre d’entre eux de confronter leurs points de vue avec d’autres anglophones dans l’espoir d’un compromis.

Cette conférence est une occasion importante pour rétablir la confiance entre les différents courants anglophones et instaurer un climat favorable à un dialogue national sur la question anglophone après la présidentielle, prévue en octobre prochain. En un an, le conflit en zone anglophone a déjà causé la mort d’au moins 400 civils, de 170 militaires et policiers et de centaines de combattants séparatistes, et fait plus de 250 blessés parmi les forces de sécurité. Les groupes armés séparatistes disposent désormais de plus d’un millier de combattants et contrôlent une partie significative des zones rurales et axes routiers. Selon les Nations unies, le Nord-Ouest et le Sud-Ouest comptent 180 000 déplacés en septembre et le Nigéria accueillait mi-août 25 085 réfugiés du conflit. La crise a récemment pris un tournant encore plus préoccupant : les populations sont prises pour cible par les deux parties, des milices progouvernementales se forment, et, au-delà de la dizaine de groupes armés séparatistes, des groupuscules purement criminels émergent.  

Enjeux et perceptions des différents acteurs

La tenue de la conférence générale anglophone n’est nullement garantie. Elle suscite des réticences au sein du gouvernement et parmi les chefs de file de la mouvance séparatiste, alors que la majorité des populations anglophones, les dirigeants de la mouvance fédéraliste, les partisans de la décentralisation et les figures de la société civile y semblent favorables.

Pour qu’elle ait lieu et puisse porter ses fruits, l’autorisation et le soutien du gouvernement sont nécessaires. Or, s’il ne s’est pas officiellement opposé à la tenue de la conférence, son porte-parole a mis en doute l’impartialité du cardinal Tumi et indiqué que les mesures d’apaisement demandées par les chefs religieux telles qu’un cessez-le-feu, la libération des militants anglophones et la participation des séparatistes à la conférence étaient inacceptables.

Cette attitude reflète la stratégie du pouvoir qui mise sur une solution militaire et espère éliminer les groupes armés avant l’élection. Ainsi, en plus de renforcer son dispositif sécuritaire, il encourage depuis quelques mois la formation de milices « d’autodéfense » progouvernementales et attise les divisions entre anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, dans l’espoir que cela pousse la population anglophone à se retourner contre les séparatistes. Les plus cyniques au sein du gouvernement convoitent l’idée que l’élection présidentielle n’ait pas lieu dans les régions anglophones, bastion habituel de l’opposition. Le soutien au président Biya que la France a récemment exprimé à plusieurs reprises renforce le pouvoir dans cette approche.

Pourtant, cette posture est contreproductive. Interdire la conférence ou faire obstacle à son bon déroulement nuirait à l’image du gouvernement à l’intérieur et à l’extérieur du pays, et renforcerait la perception selon laquelle il est opposé au dialogue. Cela apporterait plus de crédit aux séparatistes et aux groupes armés auprès des populations anglophones et des partenaires internationaux. A terme, s’opposer à la conférence, continuer à réprimer les séparatistes anglophones et à incarcérer leurs confrères plus modérés poserait les jalons d’une guerre civile dévastatrice, susceptible de menacer la stabilité du pays et la survie du régime. Depuis juillet dernier, des attaques ont en effet lieu dans les régions francophones (Ouest et Littoral) et certains chefs de file séparatistes demandent aux francophones de quitter les régions anglophones et les menacent de représailles. D’ores et déjà, l’appareil sécuritaire est sous pression, comme en témoigne la multiplication des désertions de militaires en zone anglophone ; une vingtaine d’entre eux ont même rejoint les groupes armés séparatistes.

La conférence pourrait permettre au gouvernement d’identifier des interlocuteurs crédibles pour un dialogue national sur la question anglophone.

Depuis le début de la crise fin 2016, des centaines d’activistes anglophones ont été détenus pour des motifs politiques. D’autres sont soupçonnés de soutien à des groupes armés. Plusieurs jugements ont été prononcés, mais d’autres procédures judiciaires sont encore en cours et des individus sont en détention en attente d’un procès. La question des détenus risque d’être une pierre d’achoppement dans le règlement pacifique de ce conflit, qui passe au minimum par la remise en liberté de ceux qui n’ont ni incité, ni commis d’actes de violences.  

Le gouvernement devrait prendre à revers les chefs de file séparatistes en encourageant la tenue de la conférence, en reconnaissant publiquement son bien-fondé, en garantissant les conditions logistiques et sécuritaires à sa tenue, et en permettant à la diaspora anglophone d’y participer. La conférence pourrait par ailleurs permettre au gouvernement d’identifier des interlocuteurs crédibles pour un dialogue national sur la question anglophone après l’élection présidentielle.

Les séparatistes, quant à eux, semblent s’opposer fermement au projet de conférence. Les pertes qu’ils infligent à l’armée camerounaise renforcent leur conviction, de même que ce qu’ils perçoivent comme leurs récentes avancées diplomatiques. C’est le cas notamment des deux auditions au congrès américain en juin sur la crise anglophone et Boko Haram et de la déclaration le même mois d’une cinquantaine de parlementaires allemands appelant leur gouvernement à revoir l’aide économique au Cameroun et à sanctionner les auteurs de violations des droits humains, en cas de nouvelle escalade de la crise anglophone. Par ailleurs, les figures séparatistes au sein de la diaspora craignent probablement de perdre l’initiative au bénéfice des activistes de l’intérieur du pays si la conférence a lieu.

Pourtant, il est aussi dans l’intérêt des chefs de file séparatistes de soutenir l’initiative du cardinal Tumi et d’y participer. S’y refuser reviendrait à apparaitre auprès des acteurs internationaux comme hostile au dialogue et à un règlement pacifique du conflit ; ils pourraient aussi perdre la sympathie de la population. Tout comme le gouvernement, les séparatistes risquent d’entrainer le pays dans une guerre civile dont personne ne sortirait gagnant et qui causerait d’énormes souffrances à la population. Participer à la conférence leur permettrait d’amorcer des négociations en vue d’une amnistie. De plus, s’ils parvenaient à obtenir la libération des militants anglophones, ou à défaut des principaux meneurs, cela renforcerait leur crédibilité auprès de la population anglophone. En retour, ils devraient s’engager à respecter le cessez-le-feu exigé par les organisateurs de la conférence.

Assurer le succès de la conférence

Pour que la conférence soit un succès, le gouvernement et les chefs de file séparatistes doivent modérer leurs positions.

Pour que la conférence soit un succès, le gouvernement et les chefs de file séparatistes doivent modérer leurs positions. Au cas où ils s’y refusent, il reviendra aux partenaires internationaux du Cameroun de faire pression sur les deux parties. Les dirigeants anglophones non séparatistes devraient s’engager encore plus pleinement en faveur de l’initiative.

  • Ce que devraient faire le cardinal Tumi et son équipe

Les organisateurs de la conférence devraient dès à présent négocier directement avec le gouvernement, les groupes séparatistes et les autres activistes anglophones, et si possible y associer les partenaires internationaux du Cameroun, afin de définir les dispositions permettant d’assurer la participation des différents acteurs – par exemple, garantir l’accès au territoire camerounais aux représentants de la diaspora anglophone. Ils devraient également chercher à associer la Conférence épiscopale nationale du Cameroun, ainsi que les évêques anglophones à toutes les étapes du processus.

Dans un second temps, si le gouvernement autorise la tenue de la conférence, les organisateurs devront définir un format de discussions efficace. L’idée d’associer toutes les composantes de la société anglophone est louable, car cela conférerait une plus grande légitimité à la fois aux résolutions issues de la conférence et aux personnes désignées pour représenter les régions anglophones à un éventuel dialogue national. Toutefois, les organisateurs devraient tenir compte du risque qu’un tel format complique la prise de décision et prévoir des débats en petits groupes pour dégager des consensus sur les questions clés.

  • Ce que devraient faire les représentants anglophones non séparatistes et la société civile

La conférence représenterait une occasion unique pour la société civile anglophone, les élus, les dirigeants fédéralistes et les partisans de la décentralisation de se faire entendre. Bien qu’ils soient en majorité favorables à la conférence, ils n’ont pas clairement manifesté leur soutien jusqu’ici. Ils devraient s’engager davantage pour mobiliser les populations anglophones et les encourager à promouvoir ouvertement le projet de conférence.

Les élus et membres anglophones du gouvernement, ainsi que la Commission pour le bilinguisme et le multiculturalisme – organisme créé en janvier 2018 par le président Biya en réponse à la crise anglophone – devraient plaider pour ce projet de conférence auprès du chef de l’Etat. Cela les aiderait à regagner en crédibilité aux yeux des populations anglophones, qui les perçoivent largement comme des relais de la « domination francophone » plutôt que comme des défenseurs de leurs communautés. De même, les chefs de file de l’opposition et de la société civile en zone francophone devraient soutenir la démarche de leurs homologues anglophones.  

  • Ce que devraient faire les partenaires internationaux du Cameroun

Les partenaires internationaux du Cameroun, en particulier les Etats-Unis, la France, l’Union européenne, le Vatican et l’Union africaine, devraient encourager la tenue de la conférence comme potentielle première étape vers un règlement pacifique du conflit. Ils pourraient en ce sens indiquer clairement que toute entrave à cette conférence, ou refus d’y participer, risquerait d’aboutir à des sanctions contre des individus faisant obstacle à la paix, que ce soit du côté du gouvernement ou des séparatistes, et à une réévaluation de la coopération sécuritaire avec le Cameroun. Les abus contre les populations commis par les deux parties justifieraient à eux seuls de telles mesures.

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