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Fin de transition au Rwanda: Une libéralisation politique nécessaire

Neuf ans après le génocide de 1994, le Rwanda se trouve à la croisée des chemins. La période de transition prévue par les accords d’Arusha doit s'achever dans moins d'un an par un référendum constitutionnel suivi d'élections pluralistes, symbole de la démocratisation réussie du pays.

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Synthèse

Neuf ans après le génocide de 1994, le Rwanda se trouve à la croisée des chemins. La période de transition prévue par les accords d’Arusha doit s'achever dans moins d'un an par un référendum constitutionnel suivi d'élections pluralistes, symbole de la démocratisation réussie du pays. Or, aujourd'hui, les libertés civiques et politiques sont fortement limitées et aucune indication n’apparaît dans les ébauches de projet constitutionnel que l'opposition politique aura une chance de participer à ces élections sur un pied d'égalité avec le Front Patriotique Rwandais (FPR), au pouvoir depuis 1994.

Le contrôle des activités des partis politiques était jusqu’à présent justifié par la fragilité de la situation sécuritaire qu'a vécu le Rwanda depuis 1994, en état de guerre quasi permanente avec les héritiers du régime d'Habyarimana sur le territoire de la RDC. La présence des milices hutu rwandaises au Congo, puis le soutien politique et militaire ininterrompu du régime Kabila depuis 1998 ont maintenu une pression sécuritaire continue sur le pays. La restriction de l'espace politique s'explique aussi par la perception critique qu'a le FPR du multipartisme et de la compétition politique pluraliste, inspirée par l'échec de la transition du début des années quatre-vingt dix et son dérapage incontrôlé menant directement au génocide.

Face au risque d'une compétition électorale fondée exclusivement sur la mobilisation ethnique, le FPR veut avant tout refonder la vie politique rwandaise, à travers l'éducation de la population et la responsabilisation des leaders politiques. Le leadership rwandais explique que le changement des mentalités est la condition indispensable au plein exercice des droits et libertés civiques. Ainsi, depuis trois ans, les partis politiques ont été soit décapités soit forcés d'accepter le consensus imposé par le FPR. La presse indépendante a été muselée et la société civile doit survivre entre répression et cooptation. Le FPR concentre la quasi totalité du pouvoir militaire, politique ou économique et ne tolère aucune critique ou remise en cause de sa gestion du pays. Les opposants ont été contraints à l'exil, et les discours contestataires à la clandestinité. Au nom de l'impératif d'unité et de réconciliation nationale, les différents segments de la société rwandaise ne peuvent s’exprimer librement, soumis à une idéologie paternaliste et autoritaire.

Mais le FPR devrait reconnaître que cet autoritarisme, quelque soit sa motivation, travaille contre les objectifs mêmes du mouvement et produit sa propre dynamique d’opposition. La répression de la critique par le gouvernement contribue à radicaliser l’opposition, à la fois à l'intérieur et à l'extérieur du Rwanda. Un “pacte de sang”, “Igihango” a même été scellé entre certains héritiers du “Hutu power” et certains rescapés du génocide. Ce genre d’alliance apporte une dangereuse légitimité à l'opposition armée hutu, alors que son discours ne reconnaît pas clairement le génocide. Dans un contexte régional incertain, et au moment où le gouvernement rwandais s'apprête à libérer des dizaines de milliers de prisonniers à travers les juridictions gacaca, et à rapatrier et démobiliser une bonne partie de son armée ainsi que des combattants rebelles, cette montée en puissance de l’opposition armée, et la propagation du révisionnisme et du négationnisme qui l’accompagne présente un danger pour la stabilité du pays.

Le gouvernement rwandais a honoré ses engagements vis-à-vis du processus de paix congolais et retiré ses troupes des Kivus. Il lui appartient aujourd’hui de montrer la même bonne volonté pour la gestion de la fin de la transition. Le FPR doit permettre à la critique publique de s’exprimer et ne peut rester juge et partie de la compétition politique. Une institution neutre, comme un bureau de l’ombudsman, disposant d’une indépendance politique, administrative et financière du régime, doit pouvoir fixer des règles équitables pour la compétition politique, et définir les limites des libertés d’expression et d’association, afin d’éviter tout abus de langage et appel à la haine ethnique.

ICG ne propose pas que toute surveillance et restriction des activités des partis, de la société civile et des medias soient levée. La situation sécuritaire externe et la fragilité de la stabilité interne incitent à une veille active et une prudence sans relâche. Mais la réglementation des partis doit être au delà de toute manipulation partisane et fondée des critères imposés par une autorité totalement indépendante et non par le FPR. Le gouvernement rwandais doit donner une chance à la société rwandaise de s’auto réguler, d’assumer ses responsabilités vis-à-vis du génocide et de forger elle-même les fondations de la réconciliation, sans lui en imposer de force toutes les modalités. Le gouvernement devrait tendre la main à l’opposition en exil, en lui offrant de participer à un débat national sur l’avenir du pays.

L'année qui s'annonce sera cruciale pour la crédibilité du processus de refondation constitutionnelle et celle des échéances électorales et des institutions post-transition. La communauté internationale ne peut rester silencieuse et complice de la dérive autoritaire du régime rwandais. Elle ne peut financer des élections qui n’offrent aucune garantie politique d’un minimum d’équité entre les forces en présence. Aujourd'hui, huit mois avant la fin de la transition, le gouvernement rwandais doit se résoudre à une libéralisation politique obligée.

Nairobi/Bruxelles, 13 novembre 2002

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