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Somalie : le plus difficile reste à venir

Les Tribunaux islamiques somaliens se sont effondrés de façon encore plus spectaculaire qu’ils n’avaient émergé. En un peu moins d’une semaine en décembre 2006, les forces éthiopiennes et somaliennes du gouvernement fédéral de transition (GFT) ont tué des centaines de combattants islamistes et ont dispersé les autres dans une offensive éclair.

Synthèse

Les Tribunaux islamiques somaliens se sont effondrés de façon encore plus spectaculaire qu’ils n’avaient émergé. En un peu moins d’une semaine en décembre 2006, les forces éthiopiennes et somaliennes du gouvernement fédéral de transition (GFT) ont tué des centaines de combattants islamistes et ont dispersé les autres dans une offensive éclair. Le 27 décembre, le Conseil des tribunaux islamiques somaliens a prononcé sa dissolution et le pouvoir politique est retourné aux chefs de clans. Il s’agit d’un énorme succès pour l’Éthiopie et les États-Unis, qui craignaient l’émergence d’un refuge pour les extrémistes islamistes d’Al-Qaeda et autres comme celui des Taliban en Afghanistan, mais il est encore trop tôt pour affirmer que les malheurs de la Somalie sont finis. Une bonne partie du sud du pays connaît désormais un vide politique que l’inefficace GFT n’est pas capable de combler. Certains éléments des Tribunaux islamiques, notamment les militants Shabaab et leurs associés d’Al-Qaeda, sont restés en grande partie intacts et font planer la menace d’une éventuelle guerre de guérilla. Pour obtenir la paix, le GFT doit se reconstituer en tant que gouvernement d’unité nationale mais il ne montre pas de signes de volonté très encourageants à cet égard. Aussi la communauté internationale doit-elle exercer une plus grande pression.

La défaite des Tribunaux indique le retour de la politique clanique dans le sud de la Somalie. Alors que les Tribunaux tiraient principalement leur soutien du clan Hawiye, le GFT est perçu comme étant dominé par les intérêts du clan Darod. Les dirigeants du GFT ont renforcé cette perception en poursuivant des politiques qui ont plus encore isolé les Hawiye, notamment un appel aux troupes étrangères et à la réinstallation du gouvernement à Jowhar puis à Baïdoa plutôt qu’à Mogadiscio. L’isolement des Hawiye et les insuffisances du GFT ont créé un vide dans lequel les Tribunaux islamiques se sont développés entre juin et décembre 2006, apportant un degré de paix et de sécurité inédit dans le sud depuis plus de quinze ans. Mogadiscio a été réunifiée, la rue désarmée et les ports et les aéroports ont été réouverts. En décembre, les Tribunaux islamiques avaient bien étendu leur contrôle, dépassant leur seule base de Mogadiscio pour contrôler la majeure partie du territoire situé entre la frontière kenyane et la région autonome du Puntland dans le nord-est. Le GFT était lui confiné à Baïdoa sous la protection de ses alliés éthiopiens. Les communautés locales semblaient prêtes à tolérer une stricte interprétation de la charia (loi islamique) en échange de la paix et de la sécurité.

Sur le plan politique, la Somalie est à peu près revenue là où elle était au moment de la formation du GFT en octobre 2004. Le gouvernement est faible, impopulaire et mû par les factions et le vide de pouvoir est rapidement comblé par les mêmes chefs de factions et autres seigneurs de la guerre que les Tribunaux islamiques avaient renversés il y a moins d’un an. De nombreux habitants de Mogadiscio déplorent la défaite des Tribunaux islamiques ; ils se sentent menacés par le GFT et sont consternés par la présence des troupes éthiopiennes dans la capitale. Mogadiscio est inondée d’armes et le GFT et les troupes éthiopiennes ont déjà fait l’objet d’attaques à plusieurs reprises. Le risque potentiel de violence grave est presque palpable.

La victoire militaire de l’Éthiopie a seulement permis de démanteler la partie la plus visible des Tribunaux islamiques, à savoir l’autorité administrative régionale dans le sud de la Somalie (qui englobe Mogadiscio), qui servait essentiellement de plateforme politique pour les intérêts du clan Hawiye.

D’autres éléments de cette formation, par exemple les dirigeants des militants Shabaab, demeurent (en grande partie) intacts et se sont dispersés à travers le pays, menaçant de mener une longue guerre. Une frappe aérienne de l’armée américaine le 8 janvier 2007 aurait blessé Aden Hashi ‘Ayro, un important chef des Shabaab, et tué plusieurs de ses gardes mais n’aurait réussi à détruire aucune des principales cibles visées. Une deuxième attaque aérienne américaine a été lancée le 23 janvier mais aucune information concernant les cibles et l’impact de cette attaque n’a été communiquée dans l’immédiat. Le réseau local de mosquées, écoles et entreprises privées qui avait soutenu la propagation des enseignements salafistes et de leurs variantes extrémistes est resté en place et continue de se développer grâce aux généreuses contributions du secteur privée et des associations (caritatives) islamiques.

Il n’est pas certain que les islamistes, y compris leurs éléments jihadistes les plus extrêmes, puissent organiser un retour au pouvoir. Cela dépend en grande partie de la capacité du GFT à restaurer la stabilité et à gagner le soutien du public dans le sud de la Somalie. Mais les premières mesures adoptées, par exemple la déclaration de l’état d’urgence ou le renvoi du président du parlement, qui avait activement contribué aux efforts pour entamer un dialogue avec les Tribunaux islamiques et envisager un compromis, ne sont pas prometteuses.  Le GFT devrait :

  • annuler l’état d’urgence et rétablir le président du parlement dans ses fonctions ;
     
  • reconstituer le gouvernement en tant que véritable gouvernement d’unité nationale, avec la participation des dirigeants crédibles des communautés qui ont soutenu les Tribunaux islamiques ;
     
  • mettre en place dans le même temps des autorités représentatives dans les principales municipalités, notamment à Mogadiscio et Kismayo, afin d’assurer une stabilité politique et de gérer la sécurité locale sur le court terme ;
     
  • abandonner le concept de désarmement forcé, en particulier à Mogadiscio, au profit d’un plan de désarmement volontaire négocié ; et
     
  • s’atteler aux tâches pour lesquelles il a été formé initialement, c’est-à-dire faire progresser le processus de réconciliation nationale, achever la transition vers un gouvernement permanent et terminer son travail d’ici 2009, date à laquelle il est prévu d’organiser des élections.

Par ailleurs, le remplacement rapide des troupes éthiopiennes par une mission multilatérale de maintien de la paix plus importante est essentiel pour atténuer la rancœur du public envers ce qu’il considère comme une occupation étrangère. Toutefois, ceci prendra probablement des semaines, voire des mois, aussi est-il d’autant plus important pour le GFT d’agir rapidement pour que cette mission n’arrive pas trop tard. L’Éthiopie, dont la conception de ses propres intérêts sécuritaires pourrait la laisser indifférente, et les États-Unis, qui doivent faire preuve d’une compréhension plus poussée de la lutte contre le terrorisme dans le pays que l’approche étroite qu’ils ont généralement suivie depuis plusieurs années, doivent désormais assumer une lourde responsabilité dans la consolidation de la paix en Somalie. Ils doivent pousser le GFT à prendre les mesures décrites plus haut afin de se transformer en un organe national plus représentatif. La communauté internationale devrait également contribuer à faire passer le message au gouvernement, dans l’immédiat lors du sommet de l’Union africaine à la fin du mois de janvier mais aussi par le biais du Groupe de contact international sur la Somalie, organe intergouvernemental de coordination informelle qui doit se réunir le 9 février.

Nairobi/Bruxelles, 26 janvier 2007

I. Overview

Somalia’s Islamic Courts fell even more dramatically than they rose. In little more than a week in December 2006, Ethiopian and Somali Transitional Federal Government (TFG) forces killed hundreds of Islamist fighters and scattered the rest in a lightning offensive. On 27 December, the Council of Somali Islamic Courts in effect dissolved itself, surrendering political leadership to clan leaders. This was a major success for Ethiopia and the U.S. who feared emergence of a Taliban-style haven for al-Qaeda and other Islamist extremists, but it is too early to declare an end to Somalia’s woes. There is now a political vacuum across much of southern Somalia, which the ineffectual TFG is unable to fill. Elements of the Courts, including Shabaab militants and their al-Qaeda associates, are largely intact and threaten guerrilla war. Peace requires the TFG to be reconstituted as a genuine government of national unity but the signs of its willingness are discouraging. Sustained international pressure is needed.

The Courts’ defeat signals the return of clan-based politics to southern Somalia. Whereas the Courts drew their support predominantly from the Hawiye clan, the TFG is widely perceived as dominated by Darod clan interests. TFG leaders reinforced this perception by pursuing policies that further alienated the Hawiye, notably an appeal for foreign troops and the government’s relocation to Jowhar and then Baidoa, instead of Mogadishu. Hawiye alienation and TFG inadequacies left a vacuum into which the Courts expanded between June and December 2006, bringing a degree of peace and security unknown to the south for more than fifteen years. Mogadishu was reunited, weapons removed from the streets and the port and airport reopened. By December, the Courts had expanded from their Mogadishu base to control most of the territory between the Kenyan border and the autonomous region of Puntland in the north east, while the TFG was confined to Baidoa, protected by its Ethiopian backers. Communities seemed prepared to tolerate a strict interpretation of Sharia law in return for peace and security.

Politically, Somalia has now been returned roughly to where it was when the TFG was formed in October 2004. The government is weak, unpopular and faction ridden, and the power vacuum in southern Somalia is rapidly being filled by the same faction leaders and warlords the Courts overthrew less than a year ago. Many Mogadishu residents resent the Courts’ defeat, feel threatened by the TFG and are dismayed by the presence of Ethiopian troops in the capital. Mogadishu is awash with weapons, and there have already been hit-and-run attacks on TFG and Ethiopian troops. The potential for serious violence is just below the surface.

Ethiopia’s military victory has dismantled only the most visible part of the Courts: the regional administrative authority in south central Somalia (including Mogadishu), which served essentially as a political platform for Hawiye clan interests. Other elements, including the militant Shabaab leadership, remain largely intact and have dispersed throughout the country, threatening to wage a long war. A U.S. air strike on 8 January 2007 apparently wounded Aden Hashi ‘Ayro, a prominent Shabaab commander, and killed some of his guards but failed to destroy any top targets. A second U.S. airstrike was launched on 23 January, but information on the targets and impact was not immediately available. The grassroots network of mosques, schools and private enterprises that has underpinned the spread of Salafist teachings and their extremist variants remains in place and continues to expand thanks to generous contributions from Islamic charities and the private sector.

Whether the Islamists, including their more extreme jihadi elements, can stage a comeback in some fashion depends largely on whether the TFG restores stability and wins public support across southern Somalia. Early steps such as declaring a state of emergency and deposing the speaker of the parliament, who had been prominent in efforts to engage the Courts in dialogue and compromise, have not been promising. It should:

  • rescind the state of emergency and reinstate the speaker of parliament;
     
  • reconstitute the cabinet as a genuine government of national unity, including credible leaders from the communities that backed the Courts;
     
  • establish at the same time representative authorities for key municipalities, including Mogadishu and Kismaayo, in order to provide political stability and manage local security over the short term;
     
  • give up the notion of forcible disarmament, especially in Mogadishu, and instead negotiate a plan for voluntary disarmament; and
     
  • take up the tasks for which it was originally formed: to advance the process of national reconciliation, complete the transition to a permanent government and work its way out of a job by 2009 when elections are supposed to be held.

The rapid replacement of Ethiopian troops with a broader, multilateral peacekeeping mission is also essential to defuse public resentment towards what is considered a foreign occupation. This process is likely – at best – to take months, not weeks, however, making early moves by the TFG on the above agenda all the more essential if there is still to be a peace to keep. Ethiopia, whose conception of its security interests may leave it indifferent to the task, and the U.S., which must show a more sophisticated understanding of fighting the country’s terrorism potential than the narrow one it has mostly followed there for many years, now bear a significant responsibility to consolidate peace in Somalia. They must push the TFG to take the above steps to transform itself into a more inclusive national body. This message should also be carried by the broader international community, most immediately at the end-of-January African Union Summit, as well as through the International Contact Group on Somalia, the informal governmental coordination body scheduled to meet on 9 February.

Nairobi/Brussels, 26 January 2007

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