Maintenir des liens avec les régimes de transition à Bamako et à Ouagadougou
Maintenir des liens avec les régimes de transition à Bamako et à Ouagadougou
Commentary / Africa 13 minutes

Maintenir des liens avec les régimes de transition à Bamako et à Ouagadougou

Le Mali et le Burkina Faso sont confrontés à une insurrection jihadiste et à des troubles politiques. Dans cet extrait de l’édition de printemps de la Watch List 2023, Crisis Group souligne ce que l'UE et ses États membres peuvent faire pour éviter que ces deux pays ne tombent dans un isolement régional encore plus grand.

L’année écoulée a été plus meurtrière que jamais au Mali et au Burkina Faso, où les régimes militaires de transition peinent à faire reculer les insurrections jihadistes. Même si Bamako et Ouagadougou ont déployé d’importants efforts, notamment pour recruter et équiper leurs armées, ce qui leur a permis d’être plus offensives, la situation reste précaire. La violence jihadiste perdure dans le nord et le centre du Mali et elle a gagné une grande partie du Burkina Faso. Malgré la rhétorique triomphaliste de Bamako et de Ouagadougou, les avancées stratégiques contre les jihadistes au cours des derniers mois restent incertaines. L’Etat est quasi-inexistant dans des zones rurales comme Ménaka, dans le nord-est du Mali, ou dans le nord de la province du Soum, au Burkina Faso. Au mieux, les deux gouvernements gardent un contrôle limité de leur territoire autour des zones urbaines, où les jihadistes hésitent à s’aventurer. Mais même ces zones ne sont pas forcément sécurisées et nombre d’entre elles ont souffert de blocus jihadistes prolongés, en particulier au Burkina Faso.

Dans ce contexte d’insécurité, d’instabilité politique et d’alliances stratégiques changeantes, avec une augmentation de la violence contre les civils de la part de toutes les parties prenantes et des incertitudes quant à la transition vers un régime civil, la coopération entre l’Union européenne (UE) et ses Etats membres, d’une part, et les deux voisins africains, d’autre part, se heurte à des obstacles majeurs. Néanmoins, l’UE et ses Etats membres pourraient jouer un rôle constructif s’ils donnaient la priorité au maintien de l’engagement avec les deux pays. Pour réussir, ils devront résister à la tentation de considérer les relations avec Bamako et Ouagadougou exclusivement à travers le prisme de leurs rapports avec la Russie. Ils devront également comprendre qu’isoler l’un ou l’autre régime risquerait de radicaliser les partisans de la ligne dure au détriment des populations civiles de ces Etats et des intérêts européens.

Concrètement, l’UE et ses Etats membres devraient :

  • Maintenir le dialogue portant sur la transition vers un régime civil avec les autorités du Mali et du Burkina Faso, tout en minimisant les confrontations publiques, notamment sur les choix de partenariats diplomatiques et de sécurité, car celles-ci risqueraient de raviver de fortes tensions et ont peu de chances de modifier le comportement des autorités.
  • Reconnaître que les possibilités de partenariat en matière de sécurité avec le Mali ou le Burkina Faso sont très réduites à l’heure actuelle, et se concentrer davantage sur le maintien de canaux militaires (Mali) et les initiatives de protection des civils (Burkina Faso), encourager également les gouvernements à explorer des solutions non militaires à l’insécurité, y compris par le dialogue avec les communautés et les groupes entrés en rébellion.
  • Dans les deux pays, aider à préserver l’espace d’expression politique en apportant un soutien financier et technique aux militants et organisations vulnérables de la société civile — y compris les groupes de femmes et de jeunes — et mettre l’accent sur l’élaboration de programmes susceptibles d’aider ces militants à opérer en toute sécurité, tout en prenant des précautions appropriées pour éviter de créer des risques supplémentaires pour les bénéficiaires.
  • Dans les deux pays, explorer les moyens de soutenir la transition vers le retour à un régime civil, y compris (au Mali) par l’opérationnalisation de l’Autorité indépendante de gestion des élections.
  • Au Burkina Faso, continuer à aider les acteurs humanitaires et les ministères concernés à fournir une assistance humanitaire aux populations dans le besoin, notamment aux personnes déplacées à l’intérieur du pays, et à promouvoir le dialogue pour tenter d’apaiser les tensions intercommunautaires.
Yompoco Ilboudo, 73 ans, qui a fui les attaques des insurgés armés dans la région de Soum au Sahel, en compagnie d’autres femmes déplacées dans un camp informel pour personnes déplacées en périphérie de Ouagadougou, Burkina Faso, 19 novembre 2020. REUTERS / Zohra Bensemra

Des parallèles frappants

Alors que le Mali et le Burkina Faso continuent de lutter contre les jihadistes qui s’étendent vers le sud à travers le Sahel, les parallèles entre les deux voisins sont frappants, même si leur situation n’est pas tout à fait la même. L’insécurité qui a résulté de cette avancée jihadiste explique en partie les deux coups d’Etat militaires qui se sont déroulés dans les deux pays, au cours des trois dernières années. Les autorités actuelles de Bamako et de Ouagadougou ont, à des degrés différents, cherché à gagner le soutien de l’opinion publique avec un discours souverainiste d’autoglorification. Ils ont tous les deux expulsé les troupes que la France (l’ancienne puissance coloniale de la région) avait déployées pour contribuer à lutter contre les jihadistes. Les autorités maliennes ont opté pour un partenariat en matière de sécurité avec le groupe paramilitaire russe Wagner, et le gouvernement burkinabé pourrait décider de faire de même, alors qu’il semble se rapprocher de Moscou.

On trouve également des parallèles dans la vulnérabilité croissante des civils dans les deux pays. Au Mali et au Burkina Faso, les opérations militaires contre les jihadistes ont entrainé une hausse de la violence contre les civils par les forces étatiques et leurs alliés comme par les groupes jihadistes. Des organisations nationales et internationales de défense des droits humains ont fréquemment fait état d’abus, notamment d’arrestations, d’exécutions et de tortures de civils par les forces armées nationales, les jihadistes, le groupe Wagner au Mali et les groupes d’autodéfense pro-gouvernementaux (connus sous le nom de Dana Ambassagou au Mali et de Volontaires pour la défense de la patrie, ou VDP, au Burkina Faso). Par ailleurs, la volonté des autorités de ces deux pays à rendre le pouvoir aux civils selon le calendrier convenu en 2022 avec la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) apparait toujours peu évident. L’annonce par le gouvernement malien de la tenue d’un référendum constitutionnel le 18 juin est une évolution positive, mais elle ne suffit pas à dissiper les doutes quant à la capacité des autorités à organiser l’élection présidentielle prévue pour février 2024.

Un régime polarisant à Bamako

Au Mali, les colonels qui ont organisé les coups d’Etat de 2020 et 2021 semblent avoir plus ou moins unifié l’appareil sécuritaire qui les soutient et restent largement populaires, tout en restant prompts à réprimer leurs détracteurs. Des voix dissonantes commencent à se faire entendre au sein de la classe politique et de la société civile mais le régime peut compter sur une légion d’activistes prêts à harceler ceux qui sont considérés comme ses adversaires. La réaction brutale à l’intervention de la représentante de la société civile Aminata Dicko au Conseil de sécurité de l’ONU en janvier 2023 en est l’exemple. Aminata Dicko a dénoncé des violations des droits humains commises par les forces maliennes et russes dans le pays, affirmant (en contredisant la position officielle de Bamako) que la situation sécuritaire dans le pays ne s’était pas améliorée depuis l’arrivée du groupe Wagner fin 2021. Le 5 février, peu de temps après son intervention, le gouvernement malien a déclaré Guillaume Ngefa-Atondoko Andali, chef de la division des droits de l’homme de la mission de maintien de la paix de l’ONU (Minusma), persona non grata, et lui a donné 48 heures pour quitter le pays. L’annonce faisait spécifiquement référence à son rôle dans le choix de Dicko pour prendre la parole devant les Nations unies. Le gouvernement a également arrêté récemment deux activistes de la société civile, une femme et un homme, quelques jours après qu’ils aient fait des déclarations considérées comme critiques à l’égard de la transition.

La dérive autoritaire de Bamako renforce les inquiétudes quant à la volonté des autorités en place de garder le pouvoir. Ces craintes prennent une nouvelle dimension avec le renforcement du contrôle de l’espace civique par le gouvernement, ses tentatives de mise à l’écart de l’ancienne classe politique et la multiplication des initiatives visant à consolider l’assise politique du président de la transition.

Les autorités de transition [de Bamako] semblent plus que jamais considérer la Russie comme un partenaire clé et leur principal allié.

En matière de politique étrangère au Mali, les autorités ont choisi la Russie comme principal partenaire militaire en 2021, tournant le dos à la France. L’invasion russe de l’Ukraine en février 2022 a accentué la brouille du Mali avec ses autres partenaires occidentaux. Par ailleurs, les accusations d’exactions contre les civils, y compris de violences sexuelles, s’accumulent contre le groupe Wagner, le gouvernement et les milices locales, dans le cadre de leurs opérations renforcées contre les jihadistes dans le centre du pays. L’Etat a réfuté ces accusations mais a refusé de laisser la Minusma enquêter sur les abus présumés, après lui avoir imposé un certain nombre de restrictions. Malgré tout, ces opérations ont renforcé la popularité du régime à Bamako, qui semble considérer que son nouveau partenariat avec la Russie contribue à stabiliser son assise. Le ministre russe des Affaires étrangères, Serguei Lavrov, s’est rendu à Bamako en février, et les autorités de transition semblent plus que jamais considérer la Russie comme un partenaire clé et leur principal allié.

Parallèlement, les relations de Bamako avec ses voisins et partenaires traditionnels sont difficiles. Le Mali a été suspendu de la Cedeao. Ses relations avec des alliés clés, tels que la Côte d’Ivoire et le Niger, restent tendues, alors que Bamako réoriente sa diplomatie vers les régimes de transition à Ouagadougou et Conakry. Le régime s’est même brouillé avec ses voisins et partenaires de longue date, notamment en détenant 49 soldats ivoiriens pendant environ six mois, les accusant d’être des mercenaires venus déstabiliser le régime.

Au plan interne, la mise en œuvre de l’accord de paix de 2015 entre le gouvernement et les groupes armés séparatistes non étatiques dans le nord du Mali semble être au point mort. Les tensions entre les groupes armés signataires et le gouvernement sont particulièrement fortes. Les deux parties s’accusent mutuellement de ne pas respecter l’accord et le gouvernement a récemment fait voler des avions militaires au-dessus de Kidal, le quartier général de la Coordination des mouvements de l’Azawad (Coalition de groupes armés rebelles). Ce survol a été largement considéré comme une provocation, et certains soupçonnent les colonels de Bamako, dont plusieurs ont combattu lors de la rébellion de 2012, de vouloir rouvrir les hostilités avec les groupes armés. En février, un membre du Conseil national de transition (l’organe législatif) a déclaré que la guerre avec les groupes armés était «inévitable».

Entre-temps, la sécurité continue à se détériorer dans le nord. L’Etat est peu présent dans la région, où les jihadistes affiliés à deux coalitions rivales, le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans et l’Etat islamique au Sahel, s’affrontent régulièrement et s’en prennent également aux groupes armés signataires. Il est difficile de dire qui a le dessus dans ces combats, même si l’Etat islamique au Sahel semble avoir bien avancé, notamment dans la région de Ménaka.

Un régime fragile à Ouagadougou

Au Burkina Faso, le président Ibrahim Traoré reste très exposé aux mêmes dynamiques qui ont entrainé la chute de ses prédécesseurs, notamment les divisions au sein des forces armées, tandis que les observateurs nationaux et internationaux s’inquiètent de plus en plus de sa gestion autoritaire de la transition. Ouagadougou a également eu maille à partir avec la France et l’ONU, même si ces différends ne se sont pas trop envenimés et que le Burkina Faso ne s’est pas tourné vers la Russie autant que le Mali (du moins pour l’heure).

En matière de gouvernance, les autorités de transition ont adopté une approche autoritaire. Ayant fait de la reconquête du territoire leur priorité absolue, elles considèrent que l’Etat et la population sont dans une situation de guerre totale, ce qui leur permet de subordonner le respect des droits civiques à l’impératif de reconquête des territoires perdus au profit des jihadistes. La «mobilisation générale » annoncée en avril donne au président une grande marge de manœuvre juridique et lui permet de faire tout ce qu’il juge nécessaire pour juguler l’insécurité, y compris réquisitionner des personnes et des biens et restreindre les libertés fondamentales. Les autorités ont arrêté plusieurs militants de la société civile et expulsé deux journalistes français qui enquêtaient sur les violations des droits humains. En attendant, il n’est pas certain que les autorités veuillent ou puissent respecter l’échéance de juillet 2024 pour l’élection présidentielle, convenue avec la Cedeao, compte tenu de l’insécurité permanente.

Le régime de Ouagadougou apparait moins stable que celui de Bamako. Cela pourrait s’expliquer par le fait que le régime de Bamako est composé d’acteurs plus ou moins représentatifs des forces armées maliennes. En revanche, le président Traoré est beaucoup plus jeune et, en tant que capitaine, il est moins gradé que les colonels de Bamako. Il ne bénéficie que d’un soutien incertain au sein de l’armée burkinabé, fortement divisée. Les prédécesseurs de Traoré sont tous deux tombés à la suite d’attaques jihadistes meurtrières contre l’armée. Or cette dernière enregistre actuellement les pertes les plus élevées depuis le début du conflit, après pas moins de cinq assauts massifs contre les forces étatiques entre février et avril dans les régions du Nord, du Centre-Nord, du Sahel et de l’Est. Le président Traoré reste donc vulnérable aux rivalités militaires internes qui pourraient menacer la stabilité de son régime.

Sur le plan international, les autorités de transition burkinabé ont (tout comme leurs homologues maliens) rompu leurs relations avec la France – en décembre 2022, elles ont demandé à Paris de rappeler son ambassadeur et, en février 2023, elles ont demandé à l’opération française Sabre de quitter le pays. Même si elles se sont rapprochées de partenaires non occidentaux tels que la Turquie et la Russie, elles n’ont, pour l’instant, pas signé de contrat avec le groupe Wagner, et il n’est pas certain qu’elles aient l’intention de le faire. Plusieurs responsables burkinabé, dont le ministre de la Défense le 3 mai, ont laissé entendre que l’aide de Moscou n’était pas encore nécessaire, affirmant que les VDP étaient les Wagner du Burkina Faso. Mais si la situation sécuritaire ne s’améliore pas rapidement, Ouagadougou pourrait se tourner vers un soutien militaire extérieur et le trouver auprès d’une société militaire privée qui pourrait être Wagner.

Si le gouvernement [Burkinabé] a multiplié les opérations militaires ... la situation sécuritaire a continué à se détériorer.

 Sur le plan de la sécurité intérieure, la violence jihadiste est d’une intensité sans précédent. Elle est généralisée et touche toutes les régions du Burkina Faso à l’exception de la capitale. Certes, le président Traoré a hérité d’une situation sécuritaire difficile, mais il semble n’avoir trouvé aucun moyen de l’améliorer depuis son arrivée au pouvoir. Si le gouvernement a multiplié les opérations militaires, y compris celles utilisant des drones, l’impact stratégique ne s’est pas encore fait sentir et la situation sécuritaire a continué à se détériorer. Parallèlement, la politique de guerre totale du gouvernement semble avoir ouvert la porte à une forme d’impunité des forces armées et contribué à un pic de violence contre les civils, les troupes ciblant souvent les communautés rurales, principalement mais pas exclusivement les Peul. Le 20 avril, un massacre dans le village de Karma (province du Yatenga, région du Nord), où des résidents ont accusé les forces armées d’avoir tué au moins 147 civils (y compris des femmes et des enfants, principalement du groupe ethnique Mossi, majoritaire dans le pays), est révélateur de l’escalade de la violence à l’encontre des civils.

Les nouvelles autorités ont fait des paramilitaires VDP le principal pilier de leur réponse à l’insécurité et visent à recruter 50000 nouvelles recrues. Même si cette décision est une réponse à la capacité limitée de l’armée burkinabé à faire face aux groupes jihadistes, la décision de s’appuyer fortement sur les VDP a contribué à placer les civils au cœur de la violence et à exacerber les tensions communautaires. Les jihadistes ont mené des raids dans des villages qu’ils accusent de fournir des recrues aux VDP, tandis que les autorités ont tendance à soupçonner les individus qui ne sont pas attaqués par les insurgés, ou qui ne soutiennent pas publiquement les VDP, d’être des complices des jihadistes, faisant d’eux ou de leur village des cibles militaires.

Ce que l’UE et ses Etats membres peuvent faire

Malgré ces défis, l’UE et les Etats membres ont plus à gagner en restant impliqués au Mali et au Burkina Faso qu’en s’en éloignant davantage. Isoler les régimes en place pourrait les conduire à des positions encore plus radicales, ce qui pourrait s’avérer dangereux pour les populations sans pour autant servir les intérêts européens. Dans le même temps, les acteurs européens doivent prendre en compte l’évolution spectaculaire des dynamiques politiques régionales – caractérisées à la fois par le renforcement des gouvernances autoritaires, y compris avec des risques de violences massives, et par une sensibilité accrue aux questions de souveraineté et aux partenariats occidentaux. La capacité de l’UE à influencer les situations et les régimes au Mali et au Burkina Faso reste, pour toutes ces raisons, très limitée. Elle devrait donc s’efforcer de tenir compte de ces contraintes et avancer de la manière suivante :

Mali : En matière de sécurité, les perspectives de coopération militaire avec Bamako restent limitées. Malgré son efficacité limitée, surtout depuis la suspension de la majorité de ses activités de formation en raison de la présence du groupe Wagner, la Mission de formation de l’Union européenne (EUTM) au Mali permet tout de même de maintenir un canal de dialogue entre les officiers militaires maliens et européens. Alors que l’UE reste fortement engagée dans la sécurité au Sahel et que le Mali joue un rôle central dans cette région, il serait utile de maintenir ce canal. Pour le reste, au regard des choix stratégiques opérés par les autorités de transition, les conditions ne sont pas réunies pour renforcer l’assistance européenne en matière de sécurité au Mali.

L’UE devrait plutôt continuer à s’impliquer dans d’autres secteurs en soutenant les réformes de la gouvernance, le développement économique, la société civile, et faciliter une transition efficace vers un retour à l’ordre constitutionnel. Le dialogue avec les autorités devrait être principalement mené au niveau de la délégation de l’UE à Bamako, qui a déjà démontré une expérience utile de collaboration avec les autorités actuelles. L’UE devrait chercher à combiner des actions de court terme pour soutenir la transition avec un engagement à plus long terme en faveur du développement économique du pays. Elle devrait envisager d’investir dans l’opérationnalisation de l’Autorité indépendante de gestion des élections. L’UE devrait également offrir un soutien financier et technique aux militants de la société civile, aux journalistes, aux groupes de femmes et de jeunes vulnérables, y compris ceux qui travaillent en dehors de la capitale, pour préserver l’espace d’expression politique. L’objectif de ce soutien serait d’aider à mieux protéger le fonctionnement de la société civile. Il devrait être proposé en veillant à ne pas exposer les bénéficiaires à des risques plus importants encore, notamment du fait de soutiens trop visibles.

L’UE devrait éviter d’envisager son engagement au Mali sous le seul angle de la concurrence avec la Russie.

Avant tout, l’UE devrait éviter d’envisager son engagement au Mali sous le seul angle de la concurrence avec la Russie. Le temps du partenariat privilégié entre Bamako et Paris semble aujourd’hui révolu. Mais il reste possible de maintenir et d’entretenir des relations avec d’autres acteurs occidentaux, tels que Bruxelles. Comme l’a souligné Crisis Group dans un récent briefing, l’UE devrait encourager les autorités de transition à explorer des solutions non militaires à l’insécurité. Elles pourraient commencer par privilégier le dialogue politique, y compris éventuellement avec les jihadistes, afin que l’Etat puisse renforcer sa présence dans les zones rurales, avant d’entreprendre des réformes plus larges en matière de gouvernance.

Burkina Faso : Dans le domaine de la sécurité, bien que sa marge de manœuvre soit également limitée, l’UE devrait envisager de coopérer avec les ministères en charge des VDP, en se concentrant sur le développement de mécanismes de coordination et de suivi pour mieux protéger les civils (plutôt que sur la livraison d’équipements). Crisis Group examinera la question des VDP d’une manière plus détaillée dans un rapport à venir.

Au niveau diplomatique, l’UE devrait maintenir son engagement principalement par l’intermédiaire de sa délégation basée à Ouagadougou, qui s’est avérée être un canal plus efficace qu’une implication européenne à un niveau hiérarchique plus élevé. Elle devrait s’attacher à convaincre en privé les autorités de la nécessité de trouver des solutions non militaires à l’insécurité, telles que la promotion de la cohésion sociale par le dialogue communautaire, et (comme au Mali) encourager le retour à un régime civil en soutenant le processus électoral et en apportant d’autres formes d’assistance. Elle devrait parallèlement éviter de critiquer publiquement les choix stratégiques du gouvernement, y compris en ce qui concerne les partenariats extérieurs en matière de sécurité, car cela risquerait de provoquer un tollé sans pour autant faire évoluer la position des autorités.

Enfin, alors que le régime est de plus en plus isolé dans un contexte de désengagement partiel de ses partenaires traditionnels, l’UE devrait maintenir ses activités de soutien aux civils, qui paient le plus lourd tribut à la stratégie de guerre totale du gouvernement. L’UE devrait, notamment, privilégier l’aide humanitaire, en tenant compte du fait qu’environ 10 pour cent de la population sont déplacés à l’intérieur du pays et que la violence contre les civils ne cesse de s’intensifier. L’UE pourrait également jouer un rôle important dans la promotion de la cohésion sociale, notamment en soutenant les organisations locales qui travaillent à la résolution non violente des conflits et à la promotion du dialogue intercommunautaire (en particulier entre les éleveurs et les agriculteurs). Enfin, tout comme au Mali, l’UE devrait être prête à offrir un soutien technique et financier discret aux militants et aux organisations de la société civile, en prenant les précautions qui s’imposent et en mettant l’accent sur les mesures qui pourraient les aider à opérer dans de meilleures conditions de sécurité.

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