Niger : maitriser les conséquences du coup d’État
Niger : maitriser les conséquences du coup d’État
Commentary / Africa 10 minutes

Niger : maitriser les conséquences du coup d’État

L'Afrique de l'Ouest a été témoin d'un nouveau coup d'État, cette fois au Niger. Dans cet extrait de l’édition d’automne de la Watch List 2023, Crisis Group encourage l'UE et ses États membres à soutenir les efforts régionaux visant à désamorcer les tensions avec la junte nigérienne.

Traduit de l'anglais. 

Le coup d’État du 26 juillet au Niger a bouleversé les alliances en Afrique de l’Ouest et a porté un nouveau coup aux principes démocratiques dans la région. Après les prises de pouvoir militaires au Mali et au Burkina Faso en 2021 et 2022, l’Union européenne (UE), les États-Unis et d’autres alliés des États du Sahel avaient placé leurs espoirs dans le président nigérien Mohamed Bazoum, le considérant comme un garant de la stabilité et d’une gouvernance civile raisonnable. Alors que les insurgés islamistes avaient intensifié leurs opérations au Mali et au Burkina Faso, le Niger avait plutôt bien contenu les activités jihadistes depuis deux ans. Mohamed Bazoum avait élaboré une politique sécuritaire efficace, basée sur des initiatives non militaires, telles que des programmes menés avec des insurgés repentis, tout en nouant des liens plus étroits avec les armées des États-Unis et de la France. Mais malgré le bilan de Mohamed Bazoum, ceux qui l’avaient aidé à accéder au pouvoir en 2021 ne l’ont pas protégé lors du coup d’État mené par le général Abdourahamane Tiani, chef de la garde présidentielle, qui craignait apparemment d’être démis de ses fonctions.

Alors que la junte consolide son pouvoir, les alliances géopolitiques se réorganisent. Les bailleurs de fonds, les voisins et les partenaires de sécurité du Niger sont partagés quant à la manière de travailler avec les nouveaux dirigeants militaires du pays. La France a rappelé son ambassadeur après un long bras de fer diplomatique et retirera ses 1500 soldats du Niger d’ici la fin de l’année. La Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), ébranlée par l’instabilité provoquée par les prises de pouvoir militaires au Mali et au Burkina Faso, a imposé des sanctions sévères, gelant toutes les transactions commerciales et financières entre ses États membres et le Niger, y compris les exportations d’électricité. L’UE a jusqu’à présent soutenu la Cedeao dans sa demande que le président Mohamed Bazoum soit rétabli dans ses fonctions. Certains États membres de l’UE sont de plus en plus favorables à une approche plus souple, mais la France s’y refuse jusque-là, ce qui limite la capacité de l’UE à trouver des points d’entente avec la junte. Les États-Unis, en revanche, ont maintenu les canaux de communication ouverts avec les nouveaux dirigeants militaires afin de préserver leurs intérêts dans le pays et de déjouer les manœuvres de la Russie. La Chine, quant à elle, cherche avant tout à protéger ses blocs pétroliers.

Les enjeux sont considérables. Les perspectives de résolution de la crise sécuritaire qui sévit au Sahel sont minces. L’économie du Niger souffre, tout comme sa population. L’UE et ses États membres s’efforcent de concilier la promotion des principes démocratiques avec la prise en compte des enjeux sécuritaires et humanitaires. Pour y parvenir, ils devraient :  

  •  Encourager la Cedeao, par exemple par l’intermédiaire de son État membre, le Nigéria, à poursuivre le dialogue avec la junte nigérienne. Bien que la vague de coups d’État en Afrique de l’Ouest ait, à juste titre, alimenté la crainte d’une contagion, une désescalade s’impose.

  • Lors des discussions avec la junte, insister pour que la transition soit menée par des civils et réunisse des représentants de l’armée, des partis politiques et des organisations de la société civile, y compris des groupes de femmes et, avec le concours de la Cedeao, soutenir discrètement les groupes civils qui pourraient plaider en faveur d’une gouvernance responsable et, à terme, du retour à l’ordre constitutionnel.

  • Veiller à ce que l’aide au développement et l’aide humanitaire continuent de parvenir à ceux qui en ont le plus besoin, comme les personnes déplacées et les enfants. Les États membres de l’UE devraient rappeler à toutes les parties – la junte et les pays de la Cedeao – la nécessité de garantir que le personnel humanitaire dispose d’un accès sans entrave pour acheminer l’aide. Une autre mesure pourrait consister à faire pression sur la Cedeao pour qu’elle exempte du régime de sanctions les produits de première nécessité tels que les médicaments, le carburant et l’électricité.

  • À moyen et long terme, évaluer, dans le contexte de cette crise, si l’accent mis par l’Europe sur la coopération en matière de sécurité au Sahel a été efficace ou s’il serait préférable d’adopter une approche davantage axée sur la bonne gouvernance et le développement économique.

La junte s’enfonce

Le coup d’État à Niamey a gravement compromis le dispositif de coopération régionale. Motivés par des préoccupations sécuritaires et la crainte d’une contagion des coups d’État, plusieurs pays côtiers voisins du Niger, ainsi que ses partenaires occidentaux, ont adopté une position de fermeté à l’égard de la junte. La Cedeao a imposé d’importantes sanctions financières et économiques et a menacé d’intervenir militairement si les négociations visant à rétablir Mohamed Bazoum dans ses fonctions n’aboutissaient pas. Une intervention militaire semble toutefois peu probable, d’autant que les sénateurs des États du nord du Nigéria ont exhorté le président Bola Tinubu à «employer des moyens politiques et diplomatiques » pour résoudre la crise plutôt que d’envoyer des soldats au Niger. Les pays favorables à une intervention – le Bénin, la Côte d’Ivoire, le Ghana et le Sénégal – n’agiront certainement pas sans la participation du Nigéria.

Quoi qu’il en soit, la plupart des observateurs s’accordent à considérer qu’une telle intervention serait désastreuse pour le Niger. Les forces de sécurité et de nombreux habitants de la capitale semblent soutenir la junte, et un conflit armé pourrait faire des victimes parmi la population civile. Le 15 septembre, le Mali et le Burkina Faso, qui ont chacun vécu deux coups d’État au cours des trois dernières années, ont signé un pacte de défense mutuelle avec les dirigeants militaires du Niger, s’engageant à s’entraider dans la lutte contre le jihadisme et à repousser les « agressions extérieures ». On ne sait pas exactement quelle aide militaire les deux pays pourraient apporter à la junte nigérienne si l’accord était mis à l’épreuve, car ils ont tous deux déjà fort à faire pour contenir les insurrections islamistes sur leur territoire. Mais toute intervention de leur part contribuerait au chaos régional. En outre, une intervention militaire affaiblirait la Cedeao elle-même, en particulier si la junte (ainsi que des membres de l’opposition dans les États membres de la Cedeao) continuait à répéter que le bloc est manipulé par la France, l’ancienne puissance coloniale dans une grande partie du Sahel.

Les sanctions de la Cedeao ont perturbé les importations de denrées alimentaires au Niger, provoquant une flambée des prix des produits de base.

Parallèlement, la situation au Niger est de plus en plus sombre. Le pays souffre d’une insécurité alimentaire chronique, notamment due aux inondations et aux sècheresses. Les sanctions de la Cedeao ont perturbé les importations de denrées alimentaires au Niger, provoquant une flambée des prix des produits de base. Cet État enclavé importe la plupart de ses produits par la route, en particulier du Bénin et du Nigéria. Les sanctions ont pratiquement mis un terme à ces importations, ainsi qu’à l’approvisionnement en électricité en provenance du Nigéria, qui couvrait plus des deux tiers de la demande nationale. Les pharmacies sont en rupture de stock et les hôpitaux ont du mal à réfrigérer les vaccins pour les nourrissons. L’UE a, d’autre part, gelé plus de 500 millions d’euros de soutien financier et d’aide à la sécurité, réduisant de facto le budget de Niamey et générant une incertitude quant à l’assistance militaire promise. L’économie nigérienne, dont le volume est estimé à 14 milliards de dollars, dépend fortement de l’aide étrangère. Les partenaires extérieurs étaient censés fournir 48 pour cent du budget de l’État en 2023. Les autorités nigériennes comptaient également sur les organisations internationales pour les aider à fournir des services de base dans les zones rurales et à s’occuper des quelque 700000 personnes déplacées ou réfugiées dans le pays. La junte refuse cependant de lâcher du lest et instrumentalise les pressions extérieures pour rallier l’opinion publique à sa prise de pouvoir. Ses récentes décisions n’ont fait qu’aggraver la situation. Alors même que l’aide humanitaire était exemptée des sanctions de la Cedeao, Niamey a bloqué l’entrée de l’aide arrivant par le Bénin arguant que ce pays soutenait une intervention militaire et a demandé aux ONG d’envoyer leurs convois humanitaires par le Burkina Faso, son allié. Fin août, la junte a également limité davantage encore les conditions de travail et l’indépendance des agences des Nations unies et des ONG internationales, ce qui a entamé leur capacité à fournir de l’aide.

Des choix difficiles en matière de sécurité

Le coup d’État au Niger assombrit le tableau au Sahel qui était déjà plutôt morose. Le Mali s’achemine vers une guerre totale contre des séparatistes armés dans le nord, où deux groupes jihadistes, l’État islamique province du Sahel et le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) se disputent également le contrôle des territoires. Les jihadistes sont actifs dans une grande partie des zones rurales du Burkina Faso, tandis que les autorités militaires du pays distribuent des armes aux civils pour défendre les villes et les villages.

Contrairement à ses voisins, le Niger a mieux réussi à juguler les attaques jihadistes ces deux dernières années. Avant le coup d’État, même les militaires attribuaient au moins en partie la meilleure résistance du Niger aux actions politiques de Mohamed Bazoum, notamment sa volonté de négocier avec les jihadistes, de désarmer et de réintégrer les insurgés repentis, ainsi que d’absorber progressivement les groupes d’autodéfense dans les forces de sécurité. La junte va probablement mettre un terme à ces initiatives, qu’elle considère comme une atteinte au statut des militaires de carrière. Cependant, à l’heure actuelle, les options politiques que vont suivre les nouveaux dirigeants ne sont pas claires.

Quant à la coopération occidentale en matière de sécurité, elle est en plein chaos. La junte a renforcé sa crédibilité en attisant le sentiment anti-français et en exigeant que la France retire ses 1500 soldats du pays. Le long bras de fer entre le président français Emmanuel Macron et la junte a empêché les autres États membres de l’UE de renouer des liens avec les autorités. Le 24 septembre, la France a finalement déclaré qu’elle retirerait ses troupes avant la fin de l’année, mettant un terme à une décennie d’intervention au service de la stabilisation du Sahel. Son ambassadeur a quitté le pays trois jours plus tard.

Washington continue de réfléchir au maintien d’une présence militaire au Niger après le retrait de la France.

Contrairement à la France, et malgré des années de coopération militaire franco-états-unienne dans la région, les États-Unis ont adopté une approche plus prudente. Ils n’ont pas immédiatement qualifié la prise de pouvoir des militaires de coup d’État, mais ils ont appliqué des restrictions liées au coup d’État conformément à la législation américaine ; ils n’ont pas non plus reconnu la junte comme un gouvernement légitime. Avec 1100 soldats dans le pays, les États-Unis ont suspendu la plupart de l’aide et de la coopération antiterroriste, mais, après des discussions avec de hauts responsables de la junte, dont certains ont été formés par les États-Unis, ils ont repris les vols de drones à partir d’une base qu’ils ont construite près de la ville d’Agadez,. Washington continue de réfléchir au maintien d’une présence militaire au Niger après le retrait de la France.

L’UE se trouve donc confrontée à des choix difficiles. Elle considérait le Niger comme un allié clé pour les questions touchant à la fois à la sécurité de la région et à celle de l’Union, notamment en ce qui concerne le trafic de stupéfiants et les migrations. En juillet 2022, l’UE s’est engagée à verser 70 millions d’euros aux forces armées nigériennes dans le cadre de la Facilité européenne pour la paix (FEP), bien qu’elle n’ait déboursé qu’une petite partie de cette somme à ce jour. Un mois avant le coup d’État, en juin, Bruxelles avait accepté de fournir une aide létale au Niger, dont des munitions. Il s’agissait de la première fois que la FEP était employée à ces fins, en dehors de l’Ukraine. En février, l’UE avait également mis en place une mission de partenariat militaire au Niger. Tous ces projets sont désormais à l’arrêt, alors que l’approche intransigeante de la France à l’égard de la junte, qui est conforme aux principes démocratiques, a, dans la pratique, ralenti les efforts de l’UE pour mener une discussion sur la manière de s’impliquer avec les autorités nigériennes. Certains États membres ont, cependant, entamé des discussions prudentes avec le nouveau premier ministre du Niger, Ali Lamine Zeine, un économiste réputé.

La reprise du dialogue ne suffira peut-être pas à garantir le retour d’un partenariat sécuritaire durable avec la junte, compte tenu de tous les obstacles actuels – notamment l’alignement de Niamey sur les positions des autorités de transition maliennes et burkinabées, qui sont toutes deux en bons termes avec la Russie – mais cela ne devrait pas être l’objectif premier de l’UE. Si l’UE et les États membres veulent pouvoir disposer d’une base stable pour la coopération avec Niamey, et éviter que le Niger ne suive le Mali et le Burkina Faso sur la voie de l’implosion, leur priorité devrait être d’insister sur la nécessité d’une transition dirigée par des civils. Ils ont toutes les chances d’y réussir s’ils passent leurs messages en travaillant avec et par l’intermédiaire de la Cedeao. Tous les acteurs extérieurs – y compris l’UE et la Cedeao – devraient d’ailleurs faire preuve d’une certaine flexibilité pour développer des accords de travail fonctionnels avec les nouvelles autorités.

 Ce que l’UE et ses États membres peuvent faire 

L’UE et ses États membres ont peu de bonnes options à leur disposition , mais ils pourraient prendre plusieurs mesures pour éviter que la crise ne s’aggrave tout en tirant des leçons de ce dernier épisode.

Premièrement, Bruxelles devrait soutenir la Cedeao dans ses pourparlers avec la junte, en veillant tout particulièrement à persuader les États membres favorables à une intervention militaire qu’une autre approche est nécessaire. Alors même qu’une telle opération semble largement improbable, compte tenu des divisions internes au sein de l’UE et du fait que l’Union africaine s’y oppose, il convient de rappeler qu’une intervention pourrait avoir des conséquences déstabilisantes et mener vers une issue incertaine. L’UE devrait plutôt promouvoir l’approche diplomatique. Le poids politique et économique du Nigéria pourrait lui permettre de prendre la tête des pourparlers avec Niamey, même si d’autres candidats régionaux pourraient également jouer ce rôle. Le Togo, par exemple, a ouvertement déclaré qu’il désapprouvait l’intervention militaire et a fait part de sa volonté de faciliter l’acheminement de l’aide humanitaire au Niger.

En collaboration avec la Cedeao, l’UE pourrait commencer à soutenir discrètement les groupes civils qui seraient susceptibles de jouer un rôle dans le retour éventuel à l’ordre constitutionnel.

Deuxièmement, l’UE devrait rattraper le temps perdu du fait de l’intransigeance de la France et trouver le moyen de construire une relation productive avec la junte nigérienne. Cela lui permettrait de faire pression, principalement par l’intermédiaire de la Cedeao, en faveur d’une transition dirigée par des civils et réunissant des représentants de l’armée, des partis politiques et des organisations de la société civile, y compris des groupes de femmes. En collaboration avec la Cedeao, l’UE pourrait commencer à soutenir discrètement les groupes civils qui seraient susceptibles de jouer un rôle dans le retour éventuel à l’ordre constitutionnel.

Troisièmement, l’UE devrait encourager toutes les parties, en collaboration avec les Nations unies, à garantir un corridor sécurisé et sans entrave aux organisations humanitaires qui fournissent de la nourriture et des médicaments aux personnes en difficulté, en tenant compte des besoins spécifiques des personnes déplacées, des femmes et des enfants. L’UE devrait également inciter la Cedeao à faire des exceptions dans ses sanctions commerciales et financières pour les produits pharmaceutiques, les fournitures médicales, les produits pétroliers et l’électricité.

Enfin, le coup d’État devrait servir d’avertissement et inciter à une profonde révision des politiques de sécurité de l’UE au Sahel. Sous Mohamed Bazoum, le Niger était sur la bonne voie, mais son système politique restait fragile et le mécontentement populaire à l’égard des élites dirigeantes prenait de l’ampleur. Comme le montre l’exemple du Mali, des partenariats sécuritaires apparemment solides sont susceptibles de s’effondrer dans ces circonstances. L’UE n’a pas intérêt à rompre ses liens avec le Niger, mais la prise de pouvoir par des militaires à Niamey devrait susciter des discussions sur les priorités de Bruxelles dans la région. Il est grand temps que l’UE se demande si elle devrait continuer à se concentrer sur la sécurité au Sahel ou si elle ne devrait pas plutôt mettre l’accent sur la gouvernance et le développement économique pour obtenir de meilleurs résultats.

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