Tentative de coup d’État au  Niger : éviter la confrontation armée
Tentative de coup d’État au  Niger : éviter la confrontation armée
A supporter holds a picture of Niger's National Council for the Safeguard of the Homeland (CNSP), as with others rally in support of Niger's junta in Niamey on July 30, 2023. AFP
Q&A / Africa 17 minutes

Tentative de coup d’État au  Niger : éviter la confrontation armée

Depuis le 26 juillet 2023, un groupe d’officiers supérieurs nigériens ont annoncé à la télévision nationale avoir mis fin au régime de Mohamed Bazoum, élu démocratiquement en 2021. Dans ce Q&A, les analystes de Crisis Group expliquent les raisons et les enjeux de cette tentative de coup d’État.

Que s’est-il passé le 26 juillet au Niger?

Le mercredi 26 juillet 2023, tôt le matin, les militaires de la garde présidentielle séquestrent le président Mohamed Bazoum et ses proches à l’intérieur de la résidence présidentielle, à la grande surprise de l’opinion publique. Le ministre de l’Intérieur, un fidèle de Bazoum, a également été arrêté dans la matinée. Des unités des forces de défense et de sécurité prennent position à des endroits stratégiques de la capitale. Sur son compte Twitter, la présidence de la République annonce que l’armée et la garde nationale s’apprêtent à attaquer les éléments de la garde présidentielle s’ils ne renoncent pas à leur tentative de coup d’État.

Dans l’après-midi, des centaines de partisans du président Bazoum se rassemblent devant l’Assemblée nationale pour protester contre le coup d’État, et parmi eux, quelques dizaines se dirigent vers le palais présidentiel. La garde présidentielle effectue des tirs de sommation pour les disperser, blessant plusieurs manifestants. Au même moment, les chefs des forces de défense et de sécurité nigériennes se réunissent dans une caserne pour discuter des risques et opportunités d’une confrontation avec la garde présidentielle, qui est la force armée la mieux équipée de la capitale. À l’issue de plusieurs heures de discussions, les officiers supérieurs décident d’éviter une confrontation qui diviserait les forces de défense et de sécurité et mettrait en danger la vie du président et des membres de sa famille retenus en otage à la résidence présidentielle. Dans un second temps, ils approuvent le coup mené par la garde présidentielle et créent, avec elle, le Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP), un organe qui assumera provisoirement la gestion du pays. Le soir, un groupe de dix officiers hauts gradés représentant les principales composantes des forces de défense et de sécurité annonce à la télévision nationale qu’ils ont mis fin au régime du président Bazoum.

Le lendemain, le chef d’état-major des armées confirme son soutien à cette déclaration. Le 28 juillet, le général Abdourahamane Tiani, qui assure le commandement de la garde présidentielle depuis 2011, lit un discours à la télévision nationale officialisant sa prise du pouvoir en tant que chef du CNSP. L’ancien chef d’état-major général des armées, le général Salifou Modi, que le président avait changé de position en mars 2023, devient son numéro deux. Ce scénario rappelle les épisodes précédents de coup d’État au Niger, notamment en 1999 et 2010, où une unité des forces armées prend le pouvoir pour ensuite se faire rallier par le reste des forces de défense et de sécurité, au nom de la nécessité d’éviter la confrontation entre frères d’armes.

ll n’y a pas eu de mobilisation significative pour défendre le président ou même le système démocratique qu’il représente.

Le 30 juillet, à Niamey, reconnu comme le fief de l’opposition, une marche de soutien aux putschistes mobilise des milliers de manifestants, parmi lesquels des centaines scandent des slogans anti-français et convergent vers l’ambassade de France. En revanche, il n’y a pas eu de mobilisation significative pour défendre le président ou même le système démocratique qu’il représente, en dehors de quelques rassemblements plutôt modestes à l’appel des cadres du parti au pouvoir, le Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme (PNDS-Tarayya) à Niamey, le soir du coup, ainsi que dans quelques villes de l’intérieur, notamment à Tahoua, l’un des fiefs du parti. Le 31 juillet, plusieurs dirigeants du PNDS, dont son président Foumakoye Gado, sont arrêtés. La pression exercée par le CNSP sur les cadres du parti au pouvoir a sans doute rendu difficile l’organisation d’une mobilisation d’envergure en faveur du président déchu.

Qu’est-ce qui explique le déclenchement de cette tentative de coup d’État?

Les évènements du 26 juillet sont directement liés aux tensions qui existaient entre le président Bazoum et une partie de la hiérarchie militaire. Celles-ci ne datent pas d’hier. Pour rappel, le 31 mars 2021, à la veille de son investiture, une tentative de coup d’État a tenté d’empêcher Bazoum d’accéder au pouvoir.

Depuis 1960, le Niger a connu cinq coups d’État, plusieurs tentatives avortées et six de ses dix présidents ont été des militaires. À ce titre, l’armée nigérienne joue un rôle ambivalent dans l’histoire politique du Niger : elle est à la fois une institution au service de l’État et, dans le même temps, une sorte de « contre-pouvoir » capable de renverser les dirigeants civils quand la situation s’y prête.

Conscient de ces dynamiques, le président Bazoum, comme son prédécesseur Mahamadou Issoufou, a pris soin de construire des relations stables avec les forces de sécurité, tentant de les ménager, de les associer à l’exercice du pouvoir, mais aussi de les surveiller. Ces derniers mois, le président Bazoum a ainsi procédé à des changements au sein du commandement des forces de défense et de sécurité qui auraient mécontenté des hauts gradés, y compris Tiani et Modi, les deux généraux qui ont pris la tête de la nouvelle junte. Il a remplacé le haut commandant de la gendarmerie et le chef d’État-major général des armées en mars 2023 et a plus récemment signé un décret mettant à la retraite six généraux, dont certains parmi les plus influents de l’armée. Selon des proches du président, un décret limogeant le général Tiani du commandement de la garde présidentielle était également en cours de préparation, ce qui aurait été l’élément déclencheur du coup d’État.

Le président Bazoum cristallise peut-être, plus que ses prédécesseurs civils, le ressentiment de certains hauts gradés.

Le président Bazoum cristallise peut-être, plus que ses prédécesseurs civils, le ressentiment de certains hauts gradés. Ces derniers désapprouvent entre autres sa décision de renforcer l’alliance avec les partenaires occidentaux en acceptant un déploiement sans précédent des forces militaires étrangères, notamment françaises, américaines, italiennes, allemandes et belges, sur le territoire national. Ces forces contribuent à la lutte contre les groupes jihadistes et à la formation des forces de défense et de sécurité nigériennes. Après avoir été poussés hors du Mali et dans une moindre mesure du Burkina Faso, les partenaires occidentaux considéraient le Niger comme leur allié le plus sûr dans le Sahel. Cette politique était déjà celle de son prédécesseur, mais le président Bazoum l’a renforcée alors qu’au Mali et au Burkina Faso, la présence militaire occidentale, en particulier française, est ouvertement rejetée et qu’un sentiment souverainiste – un courant qui rejette l’influence extérieure occidentale taxée de néocolonialisme et qui réaffirme l’indépendance et la souveraineté nationale – gagne en popularité.

C’est d’ailleurs l’une des raisons expliquant la relation complexe que le président Bazoum entretient avec le général Modi, que l’ancien président Mahamadou Issoufou avait nommé chef d’état-major en janvier 2020. Sa mission était de redresser l’armée alors confrontée à de graves attaques jihadistes. Selon des sources proches du président déchu, le général ne manquait pas de critiquer en privé les autorités politiques qui, selon lui, avaient donné trop de liberté d’action aux partenaires sécuritaires occidentaux, notamment français. Il regrettait régulièrement que ces derniers ne l’informent pas de toutes leurs opérations. D’ailleurs, d’après des informations recueillies par Crisis Group au Niger, les autorités françaises se sont plaintes au président Bazoum des difficultés rencontrées dans leur coopération avec son chef d’état-major. En mars 2023, peu après un déplacement du général Modi au Mali, où il a rencontré les dirigeants militaires de ce pays, le président a décidé de le limoger, tout en prenant soin de le nommer ambassadeur aux Émirats arabes unis, poste qu’il ne semble pas avoir rejoint.

Au-delà des relations compliquées avec les chefs militaires, le président Bazoum devait également gérer une transition délicate avec son prédécesseur Mahamadou Issoufou. Élu sous la promesse de poursuivre le programme de son prédécesseur, Bazoum a en effet maintenu une large partie de l’équipe que ce dernier lui a léguée. Au cours de ces deux dernières années, le président Bazoum nommait cependant des éléments qui lui étaient réputés plus proches à des postes clés, à la fois dans l’appareil d’État et à la tête d’entreprises publiques. Si les deux hommes affichaient une relation de complicité, fruit d’une longue lutte politique commune, la tension devenait palpable entre leurs partisans respectifs, laissant apparaître un clivage au sein du parti au pouvoir. Derrière l’apparence de continuité de la vie politique nigérienne, il y avait donc bien des tensions au sein de l’élite dirigeante.

Au sein de l’opinion publique, la proximité entre le président Issoufou et le général Tiani, depuis sa nomination à la tête de la garde présidentielle en 2011, a nourri des discussions sur son éventuelle implication, bien qu’elles semblent peu étayées. Le président Issoufou a beaucoup à perdre dans une situation qui menace le parti qu’il a bâti et compromet l’héritage démocratique dont il se prévaut, et qui lui a valu une distinction de la Fondation Mo Ibrahim. Dès les premières heures du coup d’État, il s’est engagé dans une médiation entre les militaires putschistes et le président Bazoum, mais jusqu’à présent, ses efforts n’ont pas porté leurs fruits. Lors d’une rencontre avec des diplomates européens le 29 juillet, Issoufou « s’est dit offusqué par les insinuations qui le lient au coup ». Par ailleurs, son fils, Mahamane Sani Issoufou, ministre du Pétrole dans le gouvernement de Bazoum, a également été arrêté sans motif officiel le 31 juillet, en même temps que d’autres cadres du PNDS.

Le renversement du président Bazoum n’est-il, par conséquent, que le résultat de luttes de pouvoir entre différents clans et de l’opportunisme d’acteurs militaires?

Les tensions au sein des élites dirigeantes nigériennes, civiles comme militaires, n’expliquent pas à elles seules le coup d’État du 26 juillet. Comme dans le cas du Mali et du Burkina Faso, il y a des causes plus profondes. Celles-ci s’inscrivent à la croisée d’une situation sécuritaire toujours précaire et d’un système démocratique en voie d’essoufflement.

D’un point de vue sécuritaire, le Niger fait face depuis 2015 à une montée de l’insécurité dans ses zones frontalières avec le Mali, le Burkina Faso et le lac Tchad. Cependant, à la différence de ses voisins qui ont connu une aggravation de la violence au cours de ces deux dernières années, le Niger a enregistré une baisse significative des attaques violentes menées par les groupes jihadistes. Cette diminution récente des attaques s’explique non seulement par des opérations militaires mieux organisées avec les partenaires, mais aussi par la décision du président Bazoum d’investir dans les discussions avec les groupes jihadistes, le désarmement et la réinsertion de ceux parmi eux qui se sont rendus aux autorités, le dialogue intercommunautaire, et l’intégration de groupes d’auto-défense au sein des forces de défense et de sécurité.

Pourtant, ce bilan que les chefs militaires, y compris le général Modi, mettaient au crédit du président Bazoum il y a encore quelques mois, semble se retourner contre lui après le putsch. Dans leur déclaration de prise du pouvoir, les putschistes justifient leur coup de force en mettant en avant leur opposition aux choix sécuritaires du président Bazoum. Ils dénoncent en particulier sa décision de libérer des prisonniers proches des groupes jihadistes, une mesure que le gouvernement a prise dans le but de faciliter le dialogue avec les insurgés. Ils critiquent également le choix d’intégrer des membres des milices communautaires au sein des forces de défense et de sécurité. De cette façon, le Niger a pourtant limité et contrôlé le développement des groupes d’autodéfense armés. Par contraste, ces groupes se sont développés au Mali et au Burkina où, au lieu d’améliorer la situation, ils ont alimenté les violences meurtrières. Mais, revers de la médaille, cette politique d’intégration est mal vécue par les militaires de carrière qui y voient souvent une remise en cause de leur rôle.

Le coup d’État s’inscrit également dans un contexte plus large d’incapacité de l’État à fournir suffisamment de services à sa population.

Au-delà de la dimension sécuritaire, le coup d’État s’inscrit également dans un contexte plus large d’incapacité de l’État à fournir suffisamment de services à sa population. Le président Bazoum avait engagé un effort sincère de réformes des institutions et des pratiques de pouvoir. Son gouvernement a procédé à l’arrestation de hauts cadres de l’administration publique, dont un ministre en fonction, impliqués dans des affaires de corruption. Il voulait également déplacer le curseur de l’intérêt de l’État vers l’éducation des citoyens et notamment des jeunes filles, une préoccupation bienvenue à un moment où les dépenses de sécurité minent le budget de l’État. Mais ses capacités pour changer les pratiques réelles de l’État et de ses représentants étaient limitées par la nécessité de maintenir également les équilibres politiques qui l’avaient porté au pouvoir.

Plus généralement, les dirigeants butent sur la question fondamentale du manque de ressources de l’État : avec un budget approchant 3000 milliards de francs CFA pour une population estimée à 25,5 millions d’habitants, le Niger ne peut investir qu’approximativement 120000 francs CFA par citoyen chaque année, soit près de 200 dollars. En outre, la gestion de ces ressources limitées est marquée par la «corruption et l’affairisme ». Même si les actions de l’État nigérien sont complétées par celle d’autres acteurs publics et privés, il n’en demeure pas moins que l’État n’a pas les moyens de sortir sa population de la pauvreté. Qu’ils soient sincères ou pas, les dirigeants ont, dès lors, peu de chances de convaincre les jeunes qu’ils peuvent changer leur destin.

Enfin, la prise de pouvoir par les militaires s’inscrit dans un contexte régional favorable à ce type d’initiatives. La tentative de coup d’État au Niger est intervenue après une série de coups successifs au Mali en août 2020 et mai 2021, en Guinée en septembre 2021 et au Burkina Faso en janvier et septembre 2022. Si le contexte des coups diverge d’un pays à l’autre, la réussite de l’un facilite celle de l’autre. La prise de pouvoir par les militaires apparaît désormais aux yeux des opinions publiques ouest-africaines comme l’un de scénarios envisageables dans les contextes marqués par les problèmes sécuritaires ou la crise de confiance dans le système démocratique. Pour une grande partie de la jeunesse urbaine en particulier, un pouvoir militaire fort apparaît comme la meilleure chance de débloquer un système démocratique qui les déçoit. Pourtant, les chefs militaires qui ont pris le pouvoir à Niamey ne semblent incarner ni un nouveau départ ni la promesse d’une gestion plus saine des institutions publiques. Ayant occupé de hautes fonctions dans l’administration de Bazoum et de son prédécesseur, ils sont au moins en partie responsables du bilan de ces derniers. La gestion des institutions militaires dont ils avaient la charge a été également entachée de scandales de corruption. Par ailleurs, aucun des régimes militaires récemment installés n’a amélioré substantiellement la situation de cette jeunesse.

Comment ont réagi les voisins et les partenaires du Niger?

Dans leur grande majorité, les voisins et les partenaires internationaux du Niger ont réagi avec une grande fermeté. Ils ont condamné la tentative de coup d’État, exigé le retour à l’ordre constitutionnel, la libération du président Bazoum et son rétablissement dans ses fonctions.

La Cedeao a donné un ultimatum d’une semaine à la junte pour renoncer à la tentative de coup d’État et libérer le président Bazoum.

Réunis le 30 juillet, les présidents des États membres de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), l’organisation d’intégration régionale, ont annoncé une série de sanctions, dont la fermeture de leurs frontières avec le Niger, tandis que ceux de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), regroupant les pays qui partagent une monnaie commune, le franc CFA, ont imposé l’application immédiate des sanctions économiques et financières drastiques. La Cedeao a donné un ultimatum d’une semaine à la junte pour renoncer à la tentative de coup d’État et libérer le président Bazoum. À défaut de quoi, elle envisage des sanctions plus dures et même la possibilité d’une intervention militaire pour rétablir l’ordre constitutionnel. Elle a envoyé le président tchadien, Mahamat Idriss Déby, le 30 juillet, à Niamey pour transmettre ce message de fermeté. La Cedeao a également envoyé une délégation conduite par l’ancien président du Nigéria, le général Abdulsalami Abubakar, médiateur principal pour engager des pourparlers avec les putschistes du Niger. Cette délégation arrivée à Niamey le 3 août serait repartie le même jour sans résultat et sans avoir rencontré le chef de la junte.

Deux éléments expliquent la fermeté de la Cedeao, qui tranche avec sa relative timidité après les deux derniers coups d’État qui ont marqué le Burkina Faso en 2022. Le Niger est d’abord le quatrième pays du bloc régional (qui compte quinze États membres) victime d’un coup d’État militaire en moins de trois ans. La Cedeao craint que, sans réaction énergique de sa part, cette spirale s’emballe et emporte d’autres autorités civiles alors que la menace jihadiste s’aggrave. Ensuite, le Nigéria donne, sous la conduite du président Bola Tinubu, investi en mai 2023, une impulsion nouvelle à la Cedeao et à sa politique d’endiguement des putschs militaires. Tinubu repositionne son pays comme un acteur de poids au sein de la Cedeao, après plusieurs années de faible investissement des dirigeants nigérians dans l’organisation régionale.

Toutefois, l’adoption de la ligne dure ne fait pas l’unanimité au sein de l’organisation. Les régimes militaires du Mali, du Burkina Faso et de Guinée, suspendus des instances de la Cedeao, ont exprimé leur solidarité envers les putschistes nigériens. Dans une déclaration commune, les autorités militaires du Burkina Faso et du Mali menacent l’organisation de considérer toute opération militaire contre le Niger comme une déclaration de guerre contre eux. Une ligne de fracture se creuse au sein de l’organisation, entre un petit bloc de quatre pays dirigés par des militaires qui ont pris le pouvoir par la force et le reste de l’organisation qui compte dans ses rangs les poids lourds de la région, dont la Côte d’Ivoire, le Ghana, le Nigéria et le Sénégal, qui entend mettre fin à la spirale des coups.

De leur côté, la France, l’Union européenne et l’Allemagne ont suspendu tout ou partie de leur coopération avec le Niger. Les États-Unis ont également suspendu leur coopération sécuritaire, tout en évitant de qualifier la situation de coup d’État, sans doute afin d’éviter d’avoir à suspendre également leur coopération économique, et dans l’espoir de voir le président Bazoum revenir au pouvoir.

La relation entre la nouvelle junte et la France s’est très vite dégradée. Le CNSP se méfie particulièrement de la France qui, depuis 2022, a fait du Niger le centre de son nouveau dispositif de sécurité au Sahel et qui entretient donc des liens très forts avec le président Bazoum. Les putschistes accusent la France d’avoir envisagé de bombarder le palais présidentiel pour forcer la libération du président. De son côté, la ministre française des Affaires étrangères a accusé les putschistes d’avoir organisé et canalisé des manifestations contre l’ambassade le 30 juillet. Les putschistes savent également que, comme au Mali et au Burkina, le sentiment hostile aux autorités françaises anime une large frange de la jeunesse urbaine et peut les aider à se constituer une base de soutien populaire. Le 3 août, le CNSP a dénoncé les accords de coopération militaire avec la France.

De manière plus inattendue, Moscou, le premier allié sécuritaire du Mali depuis le départ des troupes françaises de ce pays en août 2022, s’est officiellement déclarée en faveur d’un retour rapide à la légalité au Niger et a appelé les parties nigériennes à la retenue. Dans le même temps, le patron de Wagner – la société russe de sécurité liée au Kremlin, qui a déployé plus d’un millier des combattants au Mali et avait récemment ciblé le Niger dans ces campagnes médiatiques – Evgueny Prigojine, saluait la destitution de Bazoum, qualifié de « président pro-français », et proposait ses services aux putschistes. L’Algérie, pays voisin du Niger, a condamné le coup, mais a aussi mis en garde la Cedeao contre une intervention militaire qui risquerait d’aggraver la crise actuelle. Elle appelle à un retour à l’ordre constitutionnel à travers de moyens pacifiques.

Quelle peut être l’issue d’une situation qui apparaît pour l’instant bloquée ?

Les positions des principaux acteurs se polarisent dangereusement autour de deux camps qui s’excluent mutuellement : d’un côté, les putschistes qui ont pris le pouvoir et maintiennent en otage le président élu et des membres de sa famille, et de l’autre les partisans du président et une partie des acteurs internationaux, avec la Cedeao en tête, qui exigent le retour de Bazoum, et menacent de recourir à la force pour y parvenir.

Les sanctions régionales pèsent déjà sur l’économie du pays enclavé. En 2023, selon les prévisions officielles, moins de la moitié (45 pour cent) du budget de l’État devait venir de ses ressources internes alors que 55 pour cent dépendait de l’aide des différents partenaires et d’emprunts sur les marchés financiers régionaux. La suspension de l’aide extérieure va certainement contribuer à une dégradation des conditions de vies des populations déjà éprouvées. La fermeture des frontières et la suspension des transactions financières pourraient avoir un effet encore plus rapide. Ces sanctions peuvent exercer une pression sur les putschistes, mais elles risquent aussi d’avoir l’effet inverse, comme cela s’est produit au Mali et au Burkina Faso. Les sanctions, même durement ressenties, ont d’ailleurs déjà commencé à susciter un sursaut d’orgueil national qui bénéficie aux putschistes.

Consciente de ces limites, la Cedeao, sous l’impulsion du Nigéria, envisage également la possibilité d’une intervention militaire. Du 2 au 4 août, les chefs d’état-major de la Cedeao se sont réunis à Abuja pour étudier les contours d’une telle intervention. Elle comporte cependant de nombreux risques, non seulement parce que ses résultats sont incertains, mais aussi parce qu’elle pourrait déstabiliser le Niger et, au-delà, la région, déjà en proie à une importante crise sécuritaire. Même si la Cedeao parvenait à libérer Bazoum par la force, on peut se demander quelle marge de manœuvre conserverait un président réinstallé par des armées voisines pour diriger un pays où de nombreux responsables militaires, mais aussi des acteurs politiques et de la société civile l’ont publiquement renié ces derniers jours.

Les deux camps qui se font face n’ont bien sûr pas le même bilan à défendre : Mohamed Bazoum est un président élu démocratiquement dont l’action a contribué à améliorer la sécurité et à lancer des réformes même s’il n’a visiblement pas encore convaincu une partie des Nigériens. Face à lui, la junte a pris le pouvoir par la force et n’a jusqu’ici de légitimité que celle que lui offre la mobilisation de milliers de jeunes manifestants séduits surtout par ses discours populistes ou d’hostilité à la France.  Il n’y a pas de comparaison entre ces deux camps en termes de légitimité démocratique.

Les tentatives de dialogue ont cependant jusque-là échoué à faire céder la junte.

 Les tentatives de dialogue ont cependant jusque-là échoué à faire céder la junte. L’ultimatum d’une semaine fixé par la Cedeao au CNSP pour libérer Bazoum et rétablir l’ordre constitutionnel vient d’expirer, le soir du 6 août. Dans l’esprit des principaux partenaires extérieurs du Niger, la confrontation armée avec la junte s’impose lentement, mais de façon inquiétante, comme le seul moyen pour débloquer la situation, au risque d’entrainer le pays dans un conflit armé à l’issue particulièrement incertaine. Pour éviter cela, il n’y a d’autre solution que le dialogue. Afin de donner à celui-ci une chance de succès, la Cedeao devrait immédiatement tempérer sa rhétorique martiale et envoyer un signal fort en faveur d’une sortie de crise négociée. Celle-ci ne peut fonctionner que si chaque camp accepte de faire ce à quoi il se refuse depuis le début de cette crise : des concessions. Aussi douloureux que cela puisse paraître, mais au nom de l’intérêt de préserver l’unité et la paix au Niger, le camp de Bazoum pourrait éventuellement envisager l’option d’un compromis sur le principe d’une transition dans laquelle civils et militaires, cadres du PNDS et éléments du CNSP, accepteraient une trêve de plusieurs mois. Ils pourraient, avec le reste de la classe politique et de la société civile nigérienne, mettre à profit cette période pour défendre leurs visions respectives de l’avenir du pays.

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