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Côte d'Ivoire: Pas de paix en vue

Le manque de bonne foi et de volonté politique ont largement compromis les Accords de Linas-Marcoussis de janvier 2003. Toutes les questions cruciales (nationalité, éligibilité pour les élections et désarmement) abordées en vue de restaurer la paix et l’unité nationale en Côte d’Ivoire et de conduire le pays aux élections présidentielles d’octobre 2005, sont actuellement figées.

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Synthèse

Le manque de bonne foi et de volonté politique ont largement compromis les Accords de Linas-Marcoussis de janvier 2003. Toutes les questions cruciales (nationalité, éligibilité pour les élections et désarmement) abordées en vue de restaurer la paix et l'unité nationale en Côte d'Ivoire et de conduire le pays aux élections présidentielles d'octobre 2005, sont actuellement figées. Aucun acteur politique de taille n'a fait preuve d'une volonté manifeste de sortir de l'impasse. Les partis de l'opposition ont quitté le Gouvernement National de Réconciliation. Les Forces Nouvelles, reliquat du groupe armé auteur de la tentative de coup d'État du 19 septembre 2002 qui prit en se repliant le contrôle du nord du pays, refusent non seulement de désarmer avant les élections mais flirtent avec l'idée de sécession.

La communauté internationale, et plus particulièrement la Communauté Economique des Etats d'Afrique de l'Ouest (CEDEAO), doit s'affirmer plus catégoriquement et ouvertement face à ses détracteurs. Sa diplomatie devrait être doublée d'une tentative ferme visant à mettre fin à l'impunité. Sans cela, il y a un risque réel de poursuite de la violence mais aussi et surtout de propagation de la guerre au-delà des frontières ivoiriennes pouvant donner lieu à un embrasement de la sous-région.

Plusieurs éléments de l'équation ivoirienne oeuvrent à l'encontre d'une solution politique. La situation est triangulaire, reliant l'élite politique, les forces de sécurité et les milices ainsi que les intérêts commerciaux et personnels des différents acteurs associés à une économie souvent de nature criminelle. Ces derniers sont en étroite relation avec l'élite politique et sont prompts à bénéficier des services des forces de sécurité ou des milices. Aucun de ces groupes n'est homogène et les rivalités internes sont d'autant plus fortes que le Président Gbagbo et le Front Populaire Ivoirien (FPI) sont relativement novices dans les milieux politico-affairistes dominés pendant près de quarante ans par le Parti Démocratique de la Côte d'Ivoire (PDCI) de l'ancien Président Houphouët-Boigny.

Le contexte général de la crise se caractérise par un déclin économique amorcé il y a plus de vingt ans, une explosion du nombre des jeunes chômeurs (souvent diplômés) ainsi qu'une course au pillage de l'État. La partition de facto entre le Nord et le Sud a rendu cette course encore plus âpre. Le FPI accuse les Forces Nouvelles "rebelles" de s'être immiscées au sein du gouvernement par des moyens illégitimes et ces dernières accusent le Président Gbagbo, vainqueur d'élections douteuses en 2000, d'utiliser les milices et des forces spéciales pour intimider et assassiner les adversaires politiques et rivaux économiques.

Pour atteindre le cœur des problèmes de la Côte d'Ivoire, il convient de mettre en exergue leur dimension économique et de prendre en considération le vieil adage suivant, définissant l'optique des acteurs de la crise: "suivre l'argent". L'impasse politique est exceptionnellement lucrative pour presque tout le monde à l'exception des citoyens ordinaires. Des figures importantes du gouvernement sont accusées d'utiliser les deniers de l'État, surtout ceux émanant des institutions labyrinthiques (type Enron) de la filière cacao, à des fins d'enrichissement personnel, pour l'achat d'armes et l'engagement de mercenaires. Des membres des Forces Nouvelles sont, quant à eux, accusés de monopoliser dans le Nord certaines activités économiques véritablement lucratives, telles que le commerce du coton et des armes. Certains observateurs sont allés jusqu'à dire que l'assassinat de 120 citoyens ou plus, participant à une manifestation pacifique à Abidjan les 25 et 26 mars 2004, serait dû à la lutte de pouvoir que se livrent le FPI et l'opposition PDCI pour le contrôle des rentes issues de l'exploitation frauduleuse du Port Autonome d'Abidjan (PAA).

Ce ne sont pas seulement les leaders politiques qui sont susceptibles de tirer profit de la situation actuelle de "ni paix ni guerre". Beaucoup d'autres, des hommes d'affaires proches du gouvernement aux chefs politiques municipaux, jouissent d'intérêts commerciaux très souvent protégés (ou cultivés) par des milices formées de jeunes chômeurs qui se qualifient eux-mêmes de "Jeunes Patriotes". Ces "patriotes" peuvent devenir eux-mêmes rapidement très riches en exploitant le contexte d'insécurité. Les chefs de ces milices sont au volant de véhicules coûteux, disposent de nombreux gardes du corps et recevraient des coffres de la présidence des sommes allant jusqu'à 80 000 dollars par mois. Parallèlement, des membres des forces de sécurité dressent des barrages routiers à travers tout le pays pour arrêter et racketter les civils.

Les Accords de Linas-Marcoussis, qui résultent d'un compromis, nécessitent l'acceptation des concessions de la part de chacune des parties, ce que nul ne semble prêt à honorer. Cependant, les différents appels au rejet ou à la renégociation de ces accords négligent un point important. En effet, quelles avancées apporterait un nouveau document? Les questions clés abordées dans les Accords sont toujours autant d'actualité. La difficulté repose sur l'application concrète de ces Accords et l'élaboration par les parties en présence de stratégies sophistiquées allant du légalisme (la Constitution contre lesdits Accords) à la démagogie pour éviter de sortir de l'impasse. La diplomatie fondée sur l'hypothèse selon laquelle les acteurs politiques cherchent à traiter ces questions en toute bonne foi est vouée à l'échec. Un conflit de basse intensité peut se révéler tout à fait profitable aux affaires.

Dakar/Bruxelles, 12 juillet 2004

Executive Summary

The January 2003 Linas-Marcoussis Accords have been badly compromised by a lack of good faith and political will. All the key issues -- nationality, eligibility for elections, and disarmament -- that they attempted to address in order to restore peace and national unity to Côte d'Ivoire and lead it to presidential elections in October 2005 are stalemated. No political actor has shown the will to break the impasse. Opposition parties have left the Government of National Reconciliation. The Forces Nouvelles, remnants of the armed group that attempted a coup in September 2002 and subsequently took control of the north of the country, not only refuse to disarm until after elections, but are flirting with secession.

The international community, and especially the Economic Community of West African States (ECOWAS), needs to take on the spoilers more assertively and openly. Its diplomacy should be backed by a strong attempt to end impunity. Otherwise there is real risk not only of continued violence but that the war could spread across West African borders.

Several elements of the Ivorian equation work against a political solution. The situation is triangular, linking the political elite, the security forces and militias, and business interests connected to economic, often criminal, networks. The latter work in conjunction with the political elite and are quick to take advantage of the services of either security forces or militias. None of these groups is homogenous, and internal rivalries are aggravated by the fact that President Gbagbo and the Front Populaire Ivoirien (FPI) are relative newcomers to the political-business networks dominated for almost forty years by the late President Houphouët-Boigny's Parti Démocratique de la Côte d'Ivoire (PDCI) party.

The long-term context of the crisis includes twenty years of economic downturn, an explosion of the number of unemployed (but often well-educated) youth, and competition for the illicit spoils of the state. The de facto partition between north and south has made this competition even sharper. The FPI accuses the Forces Nouvelles "rebels" of having risen to power by illegitimate means, while the latter accuse President Gbagbo, winner of the dubious 2000 elections, of using militias and special forces to intimidate and kill political enemies and economic challengers.

To get to the heart of Côte d'Ivoire's problems, it is necessary to understand their economic dimension, and in particular, in terms of the old dictum, to "follow the money". The political impasse is exceptionally lucrative for almost everyone except ordinary citizens. Major government figures have been accused of using state monies, especially from the Enron-like maze of interlinked institutions within the cocoa marketing system, for personal enrichment, purchasing weapons, and hiring mercenaries. Members of the Forces Nouvelles have been accused of monopolising lucrative economic activity, including the trade in cotton and weapons. Some observers have gone so far as to say that the killings of perhaps 120 citizens attempting a peaceful protest in Abidjan on 25-26 March 2004 originated in a power struggle between the ruling FPI and the opposition PDCI over who would control the lucrative rents emanating from corruption at the port.

It is not just leading politicians who may gain from the current situation of neither peace nor war. Many others, from businessmen close to the government to municipal political bosses, benefit through business interests that are frequently protected (or expanded) by militias of otherwise unemployed youth styling themselves as "Young Patriots". These "patriots" themselves can become quite rich. Militia leaders drive in expensive cars with numerous bodyguards and are said to receive as much as $80,000 a month from the presidential coffers. At the same time, members of the security forces use roadblocks throughout the country to stop civilians and shake them down.

The Linas-Marcoussis Accords are the product of compromise and thus contain elements displeasing to every party. However, calls to scrap or renegotiate them miss an important point. As some in Côte d'Ivoire ask, what improvements would a new document make? The key issues addressed in the Accords are as pressing as ever. The problems lie in their application, and the sophisticated strategies of the two sides that range from the legalistic (pitting the constitution against the Accords) to the demagogic. Diplomacy built upon the assumption that the political actors aim to address these issues in good faith is doomed to failure. Low-level insecurity can be good for business.

Dakar/Brussels, 12 July 2004

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