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Côte d’Ivoire: augmenter la pression

Le Premier ministre Charles Konan Banny n’a pas pu mettre en œuvre la feuille de route qui devait doter la Côte d’Ivoire d’un gouvernement légitime et démocratique. Les Ivoiriens n’éliront pas leur président avant le 31 octobre 2006 comme le réclamait le Conseil de sécurité de l’ONU.

Synthèse

Le Premier ministre Charles Konan Banny n’a pas pu mettre en œuvre la feuille de route qui devait doter la Côte d’Ivoire d’un gouvernement légitime et démocratique. Les Ivoiriens n’éliront pas leur président avant le 31 octobre 2006 comme le réclamait le Conseil de sécurité de l’ONU. Le pays est toujours contrôlé par les anciens rebelles et les forces gouvernementales, séparés par une zone tampon fragile tenue par les forces de maintien de la paix de l’ONU et de la France. La véritable guerre civile n’a peut-être pas encore eu lieu. Le deuxième report des élections s’inscrit dans une stratégie délibérée de la part des hommes politiques qui ne veulent pas d’une paix dont ils n’auraient pas la maîtrise et qui cherchent à évaluer le pouvoir d’une communauté internationale qui doit prendre des décisions difficiles en septembre: reporter les élections, maintenir l’autorité de Banny pendant encore six mois et demeurer activement engagée dans le pays. Un échec à ce stade augmenterait fortement le risque que ce pays, qui était autrefois l’un des plus prospères d’Afrique, continue à se rapprocher d’un bain de sang qui n’a été évité que de justesse depuis quatre ans.

Lorsque les hommes d’État africains se pencheront sur la crise ivoirienne le 20 septembre 2006, en marge de l’Assemblée générale de l’ONU, ils devraient reconnaître la sinistre réalité. En l’absence de nouvelles règles pour l’après 31 octobre 2006 et sans la mise en œuvre simultanée de tous les moyens de pression individuels sur les responsables politiques qui s’efforcent d’entraver l’organisation d’élections “propres”, aucun gouvernement de transition ivoirien ne pourra organiser un scrutin présidentiel dans un avenir proche. Le règlement de la crise ne sera qu’une illusion et les 37 millions de dollars dépensés chaque mois pour l’Opération des Nations Unies en Côte d’Ivoire (ONUCI) ne seront qu’un gâchis. À terme, la communauté internationale n’aura alors le choix qu’entre deux options: un retrait politique et militaire, qui laisserait aux ivoiriens le soin de résoudre leurs différends comme ils l’entendent (probablement par une violence qui n’épargnerait aucun des pays voisins) ou, au contraire, la prise en charge intégrale du processus électoral, dans ce qui ressemblerait à une mise sous tutelle temporaire.

En mai dernier, Crisis Group établissait un premier bilan relativement positif de l’action du gouvernement Banny. Le Premier ministre avait, dans les premiers mois, mis en place une Commission électorale indépendante, relancé un dialogue direct sur le désarmement entre les forces belligérantes et résolu certains problèmes persistants comme l’organisation des examens scolaires dans la région contrôlée par l’ex-rébellion des Forces nouvelles (FN). En revanche, le gouvernement ne s’était pas attaqué aux principaux éléments de la feuille de route: le programme national d’identification qui doit conduire à la délivrance de cartes nationales d’identité à tous les résidents de nationalité ivoirienne et de titres de séjour aux résidents de nationalité étrangère; le processus de désarmement, démobilisation et réinsertion (DDR) des combattants des Forces nouvelles et des Forces de défense et de sécurité gouvernementales (FDS); le désarmement et le démantèlement des milices favorables au président Laurent Gbagbo; et enfin le recensement des électeurs et l’organisation effective d’élections présidentielles libres, justes et transparentes.

Sur tous ces points, le gouvernement (contraint à la démission le 6 septembre mais qui sera sans doute largement reconduit) n’a obtenu que de maigres résultats. Il n’y aura pas d’élections présidentielles d’ici à la fin du mois d’octobre. S’ils veulent éviter à la Côte d’Ivoire de retomber dans la violence généralisée ou de voir se poursuivre la déliquescence du gouvernement central dans une dérive à la somalienne, les participants à la réunion de New York de septembre prochain devraient proposer au Conseil de paix et de sécurité de l’UA et au Conseil de sécurité de l’ONU de nouvelles mesures:

  • prolonger la transition de six mois, du 31 octobre 2006 au 30 avril 2007, pour permettre au Premier ministre Charles Konan Banny de mener à bien les tâches qui lui ont été confiées par la résolution 1633 (2005) du Conseil de sécurité;
     
  • accorder au Premier ministre, à titre exceptionnel et pour la période en question, des pouvoirs exécutifs extraordinaires, dont le pouvoir de signer des décrets, de nommer des administrateurs civils et militaires et de prendre toute mesure nécessaire à la mise en œuvre diligente de la feuille de route, sous la surveillance d’un Haut Conseil de la République transitoire et du Groupe de travail international sur la Côte d’Ivoire (GTI);
     
  • créer un Haut Conseil de la République en tant qu’espace de concertation politique et mécanisme de contrôle de l’action du Premier ministre, qui serait composé du chef d’État intérimaire Laurent Gbagbo, du président du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), Henri Konan Bédié, du président du Rassemblement des républicains (RDR), Alassane Dramane Ouattara, du secrétaire général des FN, Guillaume Soro, et du Premier ministre, Charles Konan Banny;
     
  • maintenir le Président sortant Laurent Gbagbo, dont le mandat a expiré le 30 octobre 2005, en tant que chef d’État intérimaire pour une période de six mois à compter du 31 octobre 2006;
     
  • réaffirmer le rôle du Haut Représentant des Nations unies pour les élections, qui tranchera sur toutes les questions relatives à l’organisation des élections et toutes celles qui sont susceptibles d’avoir une incidence sur le processus électoral; et le doter de moyens humains et matériels accrus pour lui permettre d’accomplir efficacement sa mission;
     
  • annoncer clairement que les hommes politiques ivoiriens qui continuent à violer les droits et les libertés des citoyens protégés par la Constitution de la République ne peuvent dans le même temps invoquer cette dernière pour faire obstruction à la mise en œuvre des accords de paix et des résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies;
     
  • annoncer que toutes les dispositions constitutionnelles qui sont jugées incompatibles avec la mise en œuvre diligente de la feuille de route et l’organisation des élections seront considérées comme suspendues;
     
  • appliquer les sanctions ciblées prévues dans la résolution 1572 (2004) du Conseil de sécurité à de nouvelles personnes civiles comme militaires, notamment celles responsables de graves violations des droits de l’homme et du droit international humanitaire depuis le 19 septembre 2002, les personnes qui incitent à la haine et à la violence, y compris celles responsables des violences qui ont entravé la phase initiale du programme d’identification des citoyens (audiences foraines), et les personnes qui encouragent les activités des milices à Abidjan et dans l’ouest du pays; et
     
  • demander au Premier ministre de lever tous les obstacles à la visite du Procureur de la Cour pénale internationale (CPI) en Côte d’Ivoire, afin de permettre à celui-ci d’examiner la situation dans le pays et de décider éventuellement d’ouvrir une enquête sur les atrocités commises depuis le 19 septembre 2002.

Dakar/Bruxelles, 7 Septembre 2006

I. Overview

Prime Minister Charles Konan Banny has been unable to implement the roadmap that was to have secured for Côte d’Ivoire a democratically legitimated government. As happened a year ago, there will be no presidential election on the date (currently 31 October 2006) mandated by the UN Security Council. The country remains divided between ex-rebel and government forces, with UN and French peacekeepers holding a fragile buffer zone. This second election postponement results from the deliberate strategy of politicians who want no peace they cannot dominate, and are assessing the staying power of the international community.

Failure by the international community to take this month the necessary tough decisions – to set a new election date, maintain Banny’s authority for another half year and stay heavily engaged – would greatly increase prospects that a country, once one of Africa’s most prosperous, will continue a slide toward the major bloodshed that has only been narrowly averted for four years. The real civil war may yet be still to come.

African statesmen are scheduled to evaluate the peace process on the margins of the UN General Assembly on 20 September 2006. They should acknowledge a grim reality: without new rules to govern the post-31 October period and simultaneous enforcement of coercive measures on the politicians who have been blocking clean elections, no Ivorian government will be able to organise a presidential poll in the foreseeable future. A settlement will remain an illusion, and the $37 million spent each month by the UN on the peacekeeping mission will be wasted money. Ultimately the international community may then be left with only two options: either a political and military withdrawal that would let Ivorians solve their problems how they choose, likely to be in a violent way that would leave none of the country’s neighbours unaffected; or a full takeover of the electoral process, effectively a temporary trusteeship.

In May 2006, Crisis Group gave the Banny government a fairly positive evaluation. In its first few months it had installed an independent electoral commission, relaunched direct dialogue on disarmament between the belligerent forces and solved some longstanding problems like the organisation of school exams in the part of the country controlled by the former insurgents, the Forces Nouvelles (FN). But it had not yet addressed the main elements of the roadmap: the nationwide program to identify citizens and produce identity cards for them and papers for foreign residents; the program of demobilisation, disarmament and reintegration (DDR) of FN fighters and the government’s Defense and Security Forces (FDS); disarmament and dismantling of the militias backing President Laurent Gbagbo; and voter registration and the actual organisation of free, fair and transparent presidential elections. Four months later, the government – which, although dissolved by Banny on 6 September, is likely to be reconstituted largely intact - has achieved meagre results on all these counts, and a presidential election by the end of October is impossible.

To prevent a return of massive violence or further movement in the direction of a Somalia-like collapse of central government, those who gather in New York in September should propose the following new measures to the Peace and Security Council of the African Union and the UN Security Council:

  • extend the transition for a further six months, from 31 October 2006 to 30 April 2007, to allow Prime Minister Banny to achieve the tasks assigned to him by Security Council Resolution 1633 (2005);
     
  • give Banny extraordinary executive power for this period, including authority to sign decrees, appoint civilian and military administrators and take all necessary measures needed to enforce the roadmap, under the supervision of a transitional High Council of the Republic and the International Working Group on Côte d’Ivoire (IWG);
     
  • create a High Council of the Republic as a transitional institution for political dialogue and a mechanism to control the prime minister’s action, and with a membership that includes the interim head of state, Laurent Gbagbo, the president of the Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), Henri Konan Bédié, the president of the Rassemblement des Républicains (RDR), Alassane Dramane Ouattara, the secretary general of the FN, Guillaume Soro, and Prime Minister Banny;
     
  • maintain Laurent Gbagbo, whose presidential mandate expired on 30 October 2005, as interim head of state for a further six-month period from 31 October 2006;
     
  • reaffirm the role of the UN High Representative for elections to arbitrate all electoral issues and measures which could have an impact on the electoral process and give him significantly increased human and material resources to do his job;
     
  • make clear that Ivorian politicians who continue to violate the rights and liberties of citizens which are protected by the constitution cannot call on that same constitution to obstruct the peace agreements and Security Council resolutions;
     
  • announce that any provisions of the constitution which are deemed to be incompatible with expeditious enforcement of the roadmap and organisation of the elections will be considered suspended;
     
  • apply the targeted sanctions introduced by Security Council Resolution 1572 (2004) to further individuals, civilian and military, especially those responsible for grave violations of human rights and international humanitarian law since 19 September 2002 and who incite hatred and violence, including those responsible for the violence that has hampered the program (itinerant courts) to identify citizens and who encourage the disruptive activities of militias in Abidjan and the west of the country; and
     
  • require the prime minister to remove all obstacles to the visit of the prosecutor of the International Criminal Court (ICC) to Côte d’Ivoire, so that the prosecutor can examine the situation and decide whether to open an investigation into atrocity crimes committed since 19 September 2002.

Dakar/Brussels, 7 September 2006

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