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La réforme du secteur de la sécurité en Guinée-Bissau : une occasion à saisir

Un pouvoir civil légitime, la reprise de l’économie et une armée en perte de crédibilité offrent à la Guinée-Bissau une occasion à ne pas manquer. A l’approche de la table ronde du 25 mars à Bruxelles, les partenaires régionaux et internationaux devraient s’engager à fournir le soutien financier nécessaire à la réforme du secteur de la sécurité, afin d’aider ce petit pays à mettre fin à son histoire marquée de coups d’Etat.

Synthèse

Les partenaires internationaux de la Guinée-Bissau se réuniront à Bruxelles le 25 mars pour étudier, entre autres, le dossier crucial de la réforme du secteur de la sécurité (RSS). Depuis quarante ans, l’armée a fait une dizaine de tentatives de coups d’Etat, dont trois réussies. Cette instabilité est un des freins au développement du pays. La configuration actuelle n’a jamais été aussi favorable à des avancées dans ce secteur : l’armée a été décrédibilisée par son dernier coup d’Etat en 2012 ; les élections de 2014 ont porté au pouvoir des responsables politiques moins dépendants des militaires car légitimés par les électeurs et appuyés par les partenaires internationaux ; enfin, ces derniers sont moins divisés qu’en 2012. Cette occasion ne doit pas être manquée. Les partenaires internationaux doivent fournir le soutien financier nécessaire, et le nouveau régime doit contenir ses tensions internes pour préserver sa légitimité et un contexte favorable à la RSS. Tous doivent garder à l’esprit que la réforme se fait dans la longue durée et qu’elle nécessite un arbitrage fin entre des groupes et réseaux aux intérêts divergents.

La Guinée-Bissau a longtemps vécu sous l’influence négative de l’armée. Sans exercer le pouvoir directement, celle-ci s’est autonomisée, devenant une vraie force politique. Elle a subi une ethnicisation graduelle, la communauté balante, qui représente environ un quart de la population, venant à la considérer comme son domaine réservé. Elle a connu enfin une dégradation institutionnelle et la montée d’un factionnalisme clientéliste qui a parfois pris un tour criminel, notamment avec l’implication de certains réseaux militaires dans le trafic de cocaïne.

L’apogée de la domination militaire a été atteint avec le coup d’Etat d’avril 2012. La dégradation socioéconomique qui a suivi a affecté la légitimité des militaires. Portés au pouvoir par les élections d’avril-mai 2014, les dirigeants actuels, qui ne doivent rien aux militaires, occupent une position d’autant plus forte qu’ils se sont alliés au principal parti d’opposition, qui cherche à renégocier ses liens exclusifs et encombrants avec l’armée et la communauté balante.

Au plan international, la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) s’est imposée depuis 2012 comme un acteur majeur, en particulier face à l’armée. Les autres acteurs internationaux s’accommodent maintenant de son rôle de chef de file sur ce dossier. Sa mission militaire (Ecomib) semble suffire à dissuader les militaires mécontents d’une action violente contre l’exécutif.

Ce contexte positif est toutefois menacé par les tensions persistantes entre le président José Mário Vaz et le Premier ministre Domingos Simões Pereira. Tous deux sont issus du même parti, mais la vie politique, marquée par le clientélisme, ainsi que la Constitution, qui définit un exécutif bicéphale, génèrent des tensions. Celles-ci pourraient entrer en résonance avec les suspicions sous-jacentes entre acteurs internationaux ou avec les anxiétés des militaires.

Le nouveau régime a amorcé une reprise en main de l’armée, renouvelant en partie la hiérarchie. La gouvernance et la situation économique et financière se sont améliorées. La RSS, elle, en est encore à un stade préparatoire, même si l’approche de la table ronde du 25 mars a amené le gouvernement à formuler ses besoins financiers : un programme de 270 millions de dollars sur cinq ans, qui comprend un fonds de pension spécial pour financer la mise à la retraite de centaines de militaires. Les demandes élevées du gouvernement pour le fonds de pension et les effectifs futurs des forces de défense et de sécurité (FDS) risquent d’affaiblir la mobilisation des soutiens et de se faire au détriment d’une vraie institutionnalisation des forces. Certaines dispositions sont peu fonctionnelles, d’autres sont risquées. Ces faiblesses devront être corrigées en route : il faut vite engager le processus et entretenir l’élan actuel.

Pour réussir la RSS et en faire un vrai facteur de changement, les acteurs nationaux et internationaux doivent prêter attention aux points suivants :

  • Le président et le Premier ministre doivent s’abstenir de faire des FDS un enjeu de leurs luttes. Le président de la Cedeao et le président de la commission de la Cedeao doivent mener ensemble une facilitation entre les deux têtes de l’exécutif.
     
  • La présence de l’Ecomib doit être garantie jusqu’à la fin du mandat du président Vaz (en 2019), son effectif pouvant être réduit selon l’évolution de la situation. L’Union européenne doit aider la Cedeao, qui en assure pour le moment la charge exclusive et a signalé des difficultés budgétaires, à financer l’Ecomib.
     
  • Les acteurs internationaux doivent soutenir la RSS. Le comité de pilotage de la RSS doit reprendre une activité régulière pour favoriser transparence et coordination, et un comité de suivi réunissant autorités bissau-guinéennes et partenaires internationaux doit suivre tous les financements levés pour la RSS, sur le modèle de celui qui est prévu pour le fonds de pension spécial.
     
  • Le recrutement de nouveaux soldats et certaines mesures du fonds de pension spécial, notamment pour les départs volontaires, doivent être revus à la baisse. La RSS doit tendre à moyen terme à une réduction des dépenses militaires, trop élevées dans un pays qui n’est pas l’objet de menaces extérieures immédiates.
     
  • Les départs à la retraite doivent être financés, mais pas au détriment du financement de la construction de véritables institutions de défense et de sécurité. La Cedeao doit encourager l’Etat à consolider l’amélioration de la condition militaire dans un cadre formalisé, et à organiser les carrières des membres des FDS.

Le rééquilibrage ethnique de l’armée, qui a figuré par le passé au programme de la RSS, doit en être exclu. Cette question n’aura d’issue qu’avec le traitement d’autres inégalités historiques dans différents secteurs.

Dakar/Bruxelles, 19 mars 2015 

I. Overview

Guinea-Bissau’s international partners will meet in Brussels on 25 March to examine, among other things, the crucial issue of security sector reform (SSR). In the last 40 years, the army has attempted a dozen coups and three have been successful. This instability has been one of the impediments to the country’s development. But the current context has never been so conducive to making progress on this issue: the army lost credibility as a result of the 2012 coup; the 2014 elections brought to power politicians who are less dependent on the military because of their strong electoral legitimacy and the support of international partners; finally, the latter are less divided than they were in 2012. This opportunity should not be missed. International partners should provide the necessary financial support, and the new government must address internal tensions in order to preserve its legitimacy and the conditions conducive to SSR. All must remain acutely aware that reform is a long-term process and that it requires delicately balancing some deeply entrenched interests.

The influence of the army has long been detrimental to the country. Though it never exercised power directly, the army achieved autonomy and became a major political force. It has undergone a gradual ethnicisation, with the Balanta ethnic group, which represents about a quarter of the population, coming to consider it as its preserve. Its institutional structure began to unravel, with clientelism and factionalism sometimes taking criminal overtones as some military networks got involved in cocaine trafficking.

Military influence peaked with the April 2012 coup. The subsequent deterioration of socio-economic conditions eroded the army’s legitimacy. The current government, elected in April-May 2014, owes nothing to the army. Its position has also been strengthened by its alliance with the main opposition party, which is seeking to redefine its exclusive and troublesome links with the army and the Balanta community.

At the international level, the Economic Community of West African States (ECOWAS) has taken the lead on Guinea-Bissau since 2012, especially with regard to the army. Other international actors have now rallied behind its leadership. Its military mission (ECOMIB) seems able to deter disgruntled soldiers from violent acts against the government.

However, these positive developments are threatened by persistent tensions between President José Mário Vaz and Prime Minister Domingos Simões Pereira. Both are members of the same party, but clientelist politics, coupled with constitutional provisions for a two-headed executive branch, have led to an uneasy polarisation. These tensions might eventually become intertwined with underlying suspicions between international actors and anxieties in the military.

The new government has restored control over the army, including by replacing a number of commanding officers. Governance as well as the economic and financial situation have improved. SSR is still at a preliminary stage, although the roundtable planned for 25 March has compelled the government to clarify its plans: a five-year program costing more than $270 million, including a special pension fund to finance the retirement of hundreds of armed forces personnel. However, the government’s request of a high amount for the pension fund and its plans to retain a large army post-reform could discourage international contributions and jeopardise the institutional consolidation of the armed forces. Some provisions are not very practical, others carry risk. These weaknesses will have to be addressed along the way. The process must start quickly so as to maintain the current momentum.

In order to make SSR a success and a real factor in promoting change, national and international actors must focus on the following measures:

  • The president and the prime minister must avoid turning the issue of the defence and security forces into a political controversy. The ECOWAS president and the ECOWAS commission president must work together to facilitate agreement between the two heads of the executive.
     
  • ECOMIB’s presence must be guaranteed until the end of President Vaz’s mandate in 2019, with a reduction in numbers in accordance with how the situation develops. The European Union must help ECOWAS, which has so far taken exclusive responsibility for ECOMIB but has hinted at budgetary difficulties, to maintain its troops on the ground.
     
  • International partners must support SSR. The security sector reform steering committee must resume periodical meetings and help promote transparency and coordination, and a committee should be created with representation from the Guinea-Bissau authorities and international partners to monitor the use of all funds raised for SSR, using the same model as the special pension fund.
     
  • The recruitment of new soldiers and some aspects of the special pension fund, notably for voluntary retirement, must be lowered. SSR should result, in the medium term, in a reduction of military expenditure, which is currently too high for a country that is not facing immediate external threats.
     
  • Funding the retirement of personnel is necessary but should not take place to the detriment of building sound defence and security institutions. ECOWAS must encourage national authorities to develop a framework to formalise and consolidate career advancement processes and living conditions of members of the security forces.

The program should not include the ethnic rebalancing of the army, a feature of some previous SSR programs. This question will only be resolved by addressing historical inequalities in other areas.

Dakar/Brussels, 19 March 2015

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