Colombie : la « paix totale » est-elle de nouveau sur la bonne voie ?
Colombie : la « paix totale » est-elle de nouveau sur la bonne voie ?
Commentary / Latin America & Caribbean 14 minutes

Colombie : la « paix totale » est-elle de nouveau sur la bonne voie ?

Malgré les pourparlers de paix entre le gouvernement et les groupes armés, les niveaux de violence en Colombie restent élevés. Dans cet extrait de l’édition d’automne de la Watch List 2023, Crisis Group souligne la manière dont l’Union européenne peut promouvoir les négociations et encourager l’inclusion.

Alors que le président Gustavo Petro progresse dans son projet de « paix totale », grâce à des pourparlers avec les groupes armés et criminels, certaines régions de la Colombie sont menacées par de nouvelles violences.

Les enjeux de ces pourparlers très élevés : ils doivent produire des résultats non seulement sur le papier, mais aussi dans la vie quotidienne des communautés touchées par le conflit. Les interlocuteurs du gouvernement Petro sont, notamment, une faction restante des Forces armées révolutionnaires de Colombie démobilisées (FARC-EMC) qui, contrairement au reste des anciennes FARC, n’a jamais signé l’accord de paix de 2016 mettant fin au conflit armé de la Colombie et à sa plus grande insurrection. Par ailleurs, une insurrection marxiste qui reste active (Armée de libération nationale, ELN en espagnol) fait également partie des négociations. Les autorités colombiennes ont aussi entamé un dialogue avec des groupes criminels et des gangs urbains, même si les canaux de communication se sont taris avec les Forces d’autodéfense gaitanistes, la plus grande organisation armée du pays en termes de personnel et de territoire et un acteur majeur du trafic de stupéfiants.

Malgré les progrès accomplis en matière de cessez-le-feu et de négociations sérieuses, les témoignages du public ainsi que les données disponibles indiquent que, jusqu’à présent, il n’y a pas eu d’amélioration sensible de la sécurité, que ce soit dans les villes ou dans les campagnes. Le nombre de meurtres a légèrement baissé mais plusieurs groupes armés et criminels ont resserré leur emprise sur les zones qu’ils contrôlent. Le nombre d’affrontements entre groupes engagés dans des guerres de territoire a augmenté, tandis que les cas d’extorsion, d’enlèvement, de recrutement et d’ingérence dans la vie politique à l’approche des élections locales d’octobre semblent se multiplier. Les minorités ethniques, les enfants et les femmes des zones rurales figurent parmi les principales victimes.

Les erreurs initiales dans la mise en œuvre de la stratégie de « paix totale » expliquent en partie le contraste entre les avancées de haut niveau dans les pourparlers et l’aggravation de l’insécurité sur le terrain. Les cessez-le-feu unilatéraux de six mois annoncés par les autorités au cours du premier semestre 2023 ont en réalité bénéficié aux groupes armés et criminels, qui se sont renforcés pendant cette période de trêve des opérations militaires. La baisse du nombre d’homicides dans de nombreuses régions cache une réalité plus sinistre : les groupes armés ont acquis une telle emprise sur la vie quotidienne des populations qu’ils n’ont plus besoin de recourir à la violence pour se débarrasser de leurs rivaux ou faire taire leurs détracteurs. Les civils se soumettent par peur. Les forces de sécurité de l’Etat admettent qu’elles commencent à peine à retrouver leurs moyens de pression sur les groupes armés après cette parenthèse.

Il est encourageant d’observer que le gouvernement semble déterminé à tirer les leçons de ses premières erreurs, et à s’efforcer d’apporter une plus grande sécurité à tous les Colombiens. A un moment crucial où les pourparlers progressent, le gouvernement de Gustavo Petro devrait clarifier ses priorités en ce qui concerne les résultats des négociations et orienter ses efforts de « paix totale » vers la désescalade de la violence. Il devrait mener des opérations militaires pour renforcer cette approche, et rappeler que le dialogue, et non la résistance armée, est la seule façon d’avancer.

Pour soutenir les efforts de paix du gouvernement, l’Union européenne (UE) et ses Etats membres devraient envisager les mesures suivantes :

  • Dans son rôle de soutien aux négociations avec les FARC-EMC et aux pourparlers avec les gangs urbains, l’UE devrait encourager toutes les parties à faire du bien-être des civils une priorité. L’UE devrait soutenir les efforts visant à impliquer les communautés touchées par le conflit – y compris les jeunes et les femmes – dans les dialogues et travailler pour faire en sorte que les observateurs du cessez-le-feu et les négociateurs puissent se rendre dans les zones touchées pour pouvoir se prononcer sur les violations présumées et parler directement avec les habitants.
  • Soutenir les efforts visant à intégrer des objectifs de protection de l’environnement dans les pourparlers, notamment avec les FARC-EMC et l’ELN.
  • Travailler au déploiement d’une plus grande présence diplomatique européenne dans les zones rurales, par exemple grâce à l’expansion du programme Défendons la vie (Defendamos la Vida), dont l’objectif est de protéger les dirigeants sociaux.
  • Dynamiser le financement européen pour la mise en œuvre de l’accord de paix de 2016, étant donné que le Fonds fiduciaire pour la Colombie – qui était essentiel pour assurer le développement rural – est épuisé.
  • Intensifier la coopération européenne avec la Colombie, et plus généralement avec l’Amérique latine, sur les questions liées à l’éradication de la criminalité organisée, notamment grâce au partage d’informations, aux enquêtes conjointes, à la formation et à l’assistance technique.
Une femme passe devant une maison avec un graffiti du groupe d’insurrection ELN, près du restaurant où deux agents de la police métropolitaine de Cucuta ont été tués dans la matinée, dans la municipalité d’El Zulia, près de Cucuta, en Colombie, 4/07/2023. Schneyder MENDOZA / AFP

Des débuts difficiles

Le président Petro est arrivé au pouvoir en août 2022 dans un contexte de grogne populaire contre la corruption, les inégalités et la montée de la violence. Pendant un certain temps, l’accord de paix historique de 2016 entre le gouvernement et les FARC a permis à la Colombie de voir les taux de déplacements forcés, de massacres, d’enlèvements et d’autres crimes baisser à leur niveau le plus bas depuis des années. Pourtant, de nouveaux groupes armés et des groupes existants ont récemment cherché à prendre le contrôle de commerces illicites lucratifs, se livrant ainsi une concurrence féroce. Les groupes armés ont également profité des confinements et des fermetures d’écoles pendant la pandémie de Covid-19 pour renforcer leur contrôle et recruter de nouveaux membres. C’est ainsi que le conservateur Iván Duque (2018-2022) a été le premier président colombien en deux décennies à quitter ses fonctions alors que le pays était en proie à des niveaux d’insécurité plus élevés qu’au début de son mandat.

Dès son accession à la présidence, Gustavo Petro a été confronté à une flambée de violence inquiétante que son gouvernement s’efforce toujours aujourd’hui de juguler. Son gouvernement a immédiatement affirmé que les négociations sur la démobilisation des groupes armés étaient essentielles à tout effort de résolution des conflits multiformes dans l’ensemble du pays. Les autorités ont promis de discuter avec tous les groupes armés dans le cadre de la campagne de réduction de la violence. Pour ce qui est des groupes criminels, une bonne partie de la population colombienne est toutefois hostile aux ambitions du gouvernement, tout comme les principales autorités judiciaires et de nombreux membres du Congrès. Selon les critiques, l’Etat colombien a toujours négocié avec ses opposants politiques, en particulier les guérillas, mais pas avec des criminels cherchant uniquement à obtenir un bénéfice financier. Des obstacles juridiques entravent également les discussions avec le crime organisé, notamment un amendement constitutionnel adopté sous le gouvernement Duque qui interdit les amnisties pour les trafiquants de drogue et les kidnappeurs.

Les premiers revers dans la mise en œuvre du programme de « paix totale » de Gustavo Petro n’ont fait que renforcer ces inquiétudes. Le gouvernement a déclaré des cessez-le-feu unilatéraux avec cinq groupes armés et criminels, à partir du 1er janvier, pour réduire la violence. Mais ces organisations ont plutôt choisi de saisir cette occasion pour recruter davantage de membres et s’emparer de nouveaux territoires sans craindre une riposte militaire. Les cessez-le-feu ont entrainé ce qu’un officier supérieur de l’armée a appelé « une perte totale de toute dynamique » au cours des trois premiers mois de l’année 2023.

Le gouvernement a judicieusement décidé de ne pas renouveler les cessez-le-feu lorsqu’ils ont expiré le 31 juin, mais le mal était fait. Les Forces d’autodéfense gaitanistes sont désormais plus profondément ancrées sur la côte atlantique du pays, les FARC-EMC se sont développées de manière agressive en Amazonie et le long de la côte pacifique et l’ELN a renforcé ses positions dans des départements stratégiques (nom donné aux provinces colombiennes), notamment le Cauca sur le Pacifique et le Norte de Santander à la frontière vénézuélienne.

Le gouvernement de Petro s’adapte après les premières déceptions, en essayant de renforcer sa position à la fois sur le champ de bataille et à la table des négociations. Il a obtenu un cessez-le-feu bilatéral avec l’ELN, qui est entré en vigueur le 3 août, et dont les protocoles comprennent un engagement à respecter le droit humanitaire international. Il s’agit là d’une mesure cruciale alors que les insurgés ne font souvent pas la distinction entre les soldats et les civils, notamment lorsqu’ils posent des mines antipersonnel ou procèdent à des enlèvements.

Le ministère de la Défense a ordonné à l’armée de s’attaquer plus durement à tous les groupes qui ne sont pas couverts par un cessez-le-feu.

Le ministère de la Défense a ordonné à l’armée de s’attaquer plus durement à tous les groupes qui ne sont pas couverts par un cessez-le-feu, en intensifiant les opérations contre les Forces d’autodéfense gaitanistes et les FARC-EMC. C’est ainsi qu’en août, le ministre de la Défense Iván Velasquez a lancé une vaste offensive pour reprendre des parties d’une région du Cauca sous contrôle des FARC-EMC depuis des années. Cette campagne contre les dirigeants et les bastions du groupe semble avoir eu un effet. Le 19 septembre, les FARC-EMC ont accepté un cessez-le-feu bilatéral total, qui devait débuter le 8 octobre. Cependant, avant même que le cessez-le-feu n’entre en vigueur, les FARC-EMC ont perpétré une série d’attentats à la voiture piégée, dont un particulièrement flagrant contre un poste de police dans le Cauca, qui a fait deux morts parmi les civils. Face à l’indignation de l’opinion publique, les guérillas ont demandé à leurs combattants, le 22 septembre, de renoncer à toute nouvelle opération offensive.

Les autorités espèrent que la nouvelle politique de défense pourra enfin s’aligner sur la stratégie de dialogue du gouvernement. Cette politique consisterait à exercer une pression militaire sur les groupes pour qu’ils s’engagent dans des négociations, tout en leur offrant des incitations matérielles dans ce sens. Il semblerait que le gouvernement Petro ait affiné son approche. Alors qu’il n’avait auparavant désigné qu’une poignée de fonctionnaires pour gérer un ensemble de processus de paix complexes, le gouvernement a annoncé fin août qu’il décentraliserait les efforts de paix en créant huit bureaux régionaux, avec un commissaire affecté à chacun d’entre eux.

Certains éléments importants pour une stratégie de paix viable font pourtant encore cruellement défaut. Le gouvernement n’a pas réussi à mettre en place un cadre juridique clair pour le dialogue avec les groupes criminels, y compris les Forces d’autodéfense gaitanistes. Le Congrès a bien approuvé le plan de « paix totale » en novembre 2022 mais le procureur général a insisté sur le fait qu’une législation supplémentaire était nécessaire pour définir les termes des discussions et les avantages qui peuvent être envisagés pour la démobilisation massive des groupes criminels. En juin, le Congrès a mis de côté le projet de loi du gouvernement qui aurait comblé cette lacune. Les Forces gaitanistes ont également rejeté les conditions proposées, qui auraient inclus une réduction des peines d’emprisonnement de six à huit ans et une amnistie pour une petite partie des richesses mal acquises en échange de la vérité et d’une transparence totale sur les crimes commis. Tant qu’il n’y aura pas de loi régissant les pourparlers, le dialogue avec les gangs urbains sera également dans l’impasse. Malgré quelques premiers succès, dont une trêve dans la ville portuaire de Buenaventura qui a mis fin aux homicides pendant 80 jours, les groupes attendent que le gouvernement détermine le type de mesures de démobilisation qu’il pourrait offrir dans le cadre de la loi et commencent à s’impatienter.

Des communautés sous la contrainte

Une grande partie de la diplomatie du gouvernement avec les groupes armés et criminels s’est concentrée sur la réduction des confrontations avec les forces étatiques. Les violences à l’égard des civils n’ont pas fait l’objet d’autant d’attention, alors qu’elles sont dues en grande partie aux affrontements entre groupes armés rivaux ou à leurs tentatives de consolider leur emprise sur la vie de la communauté.

Pour conserver leur territoire, les groupes armés et criminels exercent leur pouvoir de coercition sur les communautés, dont beaucoup ne bénéficient pas de la protection de l’Etat. L’Arauca a connu une vague d’assassinats, les groupes rivaux s’en prenant aux responsables sociaux (c’est-à-dire aux activistes et aux représentants de la société civile) qui vivent dans des zones dirigées par leurs ennemis ou qui sont accusés de sympathiser avec l’autre camp. Mais les groupes armés ont également de plus en plus recours à des formes insidieuses et souvent difficiles à détecter de violence et de contrôle social visant à dissuader leurs détracteurs, qui leur permet de rester discrets. Les groupes armés ont utilisé la force pour limiter les déplacements de communautés entières le long de la côte pacifique – une pratique connue sous le nom de confinement, dont les cas ont augmenté de 18 pour cent au cours des six premiers mois de l’année 2023. Ils ont également posé des mines antipersonnel et exigé que les habitants portent des cartes d’identité délivrées localement pour empêcher les intrus d’entrer. Dans les départements du sud du pays (Cauca, Caquetá et Putumayo), des groupes armés ont contraint des civils non armés à encercler des soldats et à exiger leur départ.

Les groupes armés et criminels espèrent consolider leur emprise sur ces régions et d’autres lors des élections locales d’octobre, au cours desquelles les postes de maires et de conseillers municipaux seront attribués. Ces groupes voudraient influencer les titulaires de ces postes, principalement pour blanchir des revenus illicites, par exemple dans le cadre de la passation de marchés publics, et pour orienter les opérations de sécurité. Fin août, la Mission d’observation électorale, un groupe de la société civile, avait enregistré 288 attaques violentes ou menaces contre des responsables politiques depuis le début de la campagne électorale, dont 21 tentatives d’assassinat. Le nombre total d’attaques représente déjà une augmentation de 80 pour cent par rapport aux élections locales de 2019. En septembre, la même organisation a signalé 125 municipalités présentant un risque élevé de violence électorale, soit le nombre le plus élevé depuis 2010.

Un candidat à la mairie d’un bastion de l’ELN a déclaré que les guérilleros « ne présentaient pas de candidats, mais qu’ils en éliminaient ».

Au début de la campagne électorale, les FARC-EMC avaient déclaré qu’elles n’autoriseraient que les candidats leur étant favorables à faire campagne dans les zones qu’elles contrôlaient, et ces menaces à la sécurité avaient empêché certains membres des partis traditionnels d’enregistrer leur candidature. Les négociateurs du gouvernement ont depuis obtenu des FARC-EMC qu’elles s’engagent à ne pas faire ingérence dans la tenue des élections. Les candidats de la côte atlantique, quant à eux, ont déclaré à Crisis Group qu’il était essentiel d’entretenir des canaux de communication avec les Forces gaitanistes pour pouvoir se présenter aux élections en toute sécurité, bien que le groupe ait déclaré publiquement qu’il n’interviendrait pas dans le scrutin. « Il est impossible de faire campagne de peur qu’ils n’attentent à votre vie », a déclaré un candidat indépendant. Un candidat à la mairie d’un bastion de l’ELN a déclaré que les guérilleros « ne présentaient pas de candidats, mais qu’ils en éliminaient », empêchant ainsi leurs ennemis politiques de se présenter aux élections.

Les femmes et les jeunes sont généralement les plus touchés par les abus dans les zones contrôlées par les groupes armés. Les femmes sont confrontées à des difficultés spécifiques lorsqu’elles tentent de maintenir l’unité de leur famille et de leur communauté dans une situation de pressions extrêmes. « Les femmes sont toujours celles qui courent les plus grands risques – d’être violées ou agressées, de devenir veuves, de ne pas savoir comment tenir leurs enfants à l’écart du conflit », a déclaré une responsable sociale d’Arauca. Les jeunes sont également entraînés dans les conflits. Les groupes armés affirment qu’ils recrutent principalement des jeunes âgés de seize à 24 ans ; les jeunes qui s’engagent n’ont souvent pas d’autres possibilités et risquent des représailles s’ils refusent de s’enrôler.

Échapper au piège de la coercition

Il est essentiel de mettre fin à ces pratiques coercitives, surtout dans les zones rurales, non seulement pour préserver le bien-être de la population, mais aussi pour prouver que les négociations offrent de réels avantages aux communautés. L’opinion publique se désintéresse des négociations, car elle a l’impression qu’elles ne contribuent guère à améliorer la sécurité de la population. Lors d’un récent sondage, 28,5 pour cent seulement des Colombiens ont déclaré qu’ils pensaient que la « paix totale » fonctionnait bien, tandis que près de 67 pour cent d’entre eux estimaient que la sécurité publique s’était détériorée. Pour contribuer à répondre à ces préoccupations, les pourparlers avec l’ELN devraient mettre l’accent sur le respect du droit humanitaire international et insister sur le fait que les civils doivent être protégés de la violence. Le gouvernement ferait un très grand pas dans la bonne direction s’il atteignait l’objectif déclaré d’une cessation totale des hostilités avec les FARC-EMC – qui passerait par l’éradication des violences contre les civils, y compris le recrutement, l’extorsion et les restrictions de mouvement. Les rebelles ont, jusqu’à présent, rejeté ces conditions mais des mesures plus modestes pourraient être envisagées. Les FARC-EMC pourraient, par exemple, accepter de cesser de recruter des mineurs et positionner leurs combattants à une certaine distance des civils, peut-être en échange d’un engagement de l’armée à se tenir également à l’écart de ces zones à forte densité de population.

Les efforts de « paix totale » devraient soulager les populations qui ont subi les taux de violence les plus élevés : les minorités ethniques, les enfants et les femmes des zones rurales. Les premiers accords avec l’ELN et les FARC-EMC comprennent des promesses d’efforts humanitaires conjoints dans les zones touchées par le conflit. Ces efforts doivent être menés avec une extrême prudence, sans que les groupes armés ou l’armée ne soient impliqués dans l’acheminement de l’aide essentielle. Parallèlement, les négociations avec l’ELN et les FARC-EMC devraient permettre une plus grande participation des femmes. Dans le cas de l’ELN, un groupe de consultation populaire nouvellement créé pourrait s’attaquer à des questions telles que la violence basée sur le genre et les effets du confinement forcé. Le processus FARC-EMC est censé se déplacer et se rendre dans tout le pays, ce qui permettrait aux femmes, aux jeunes et aux communautés ethniques de faire entendre leur voix.

Ce que l’UE et ses Etats membres peuvent faire

Les communautés rurales font confiance à l’UE et à ses Etats membres, en raison de leur soutien historique à la mise en œuvre du processus de paix de 2016, ce qui les rend particulièrement à même de contribuer aux progrès de la stratégie de « paix totale » et d’aider à protéger ces populations. L’UE ne peut pas intervenir dans l’ordre du jour des pourparlers avec les FARC-EMC, mais il lui a été demandé de servir de garante du processus, ce qui permettra aux diplomates de l’UE d’offrir des conseils sur le droit international humanitaire, ainsi que des ressources techniques et financières pour s’assurer que les négociateurs des deux parties entendent directement les victimes et les communautés affectées. Les pourparlers devant avoir lieu en Colombie, l’UE pourrait par exemple subventionner les visites officielles des négociatrices et négociateurs et des membres des organes de suivi dans les régions en conflit. Ces contacts avec les communautés sont essentiels pour garantir qu’un accord bénéficie du soutien de la population. Ils faciliteraient également le dialogue avec les gangs urbains et les pourparlers avec l’ELN.

L’intérêt de l’Europe à mettre fin à la déforestation en Colombie s’aligne également sur le processus des FARC-EMC. Lors des premiers contacts avec le gouvernement, les dirigeants des FARC-EMC ont clairement indiqué qu’ils cherchaient à jouer un rôle en temps de paix dans la protection de l’environnement, et les négociations pourraient viser à préciser quel pourrait être ce rôle. Le groupe exerce une influence manifeste dans certains domaines : au cours des derniers mois, par exemple, il a imposé une réduction modeste du défrichement dans la région amazonienne. L’Etat colombien, en revanche, n’a qu’une faible présence institutionnelle dans ces territoires éloignés. Les opérations militaires visant à freiner la déforestation ont, quant à elles, ciblé les petits exploitants forestiers plutôt que ceux qui financent ces activités ou sont à la tête des puissants intérêts économiques à l’origine de la dégradation massive de l’environnement. Une approche collaborative pourrait être bénéfique pour toutes les parties concernées.

L’UE et les Etats membres pourraient ... s’efforcer de consolider leur présence diplomatique visible dans les zones rurales de Colombie.

L’UE et les Etats membres pourraient également s’efforcer de consolider leur présence diplomatique visible dans les zones rurales de Colombie. Les responsables sociaux et les communautés ont déclaré que les visites et les déclarations des diplomates internationaux leur conféraient un certain niveau de protection. Les groupes armés sont moins susceptibles d’attaquer les responsables sociaux qui ont des liens visibles avec l’extérieur, en particulier parce que les groupes soignent leur image en amont des pourparlers de paix. Le programme Défendons la vie de l’Union européenne a jusqu’à présent permis à des dizaines de responsables de bénéficier de ce niveau de sécurité supplémentaire.

Le financement de la suite de la mise en œuvre de l’accord de paix de 2016 avec les FARC est également essentiel pour lutter contre les inégalités et le manque de développement rural qui continuent d’alimenter le conflit. Le Fonds fiduciaire de l’UE a soutenu presque toutes les composantes de l’accord, qu’il s’agisse d’aider les anciennes guérillas des FARC à retourner à la vie civile, de renforcer les économies rurales ou de soutenir les emblématiques programmes de développement axés sur le territoire (PDET), qui visaient à tirer parti de la croissance dans les zones post-conflit. Mais le Fonds fiduciaire n’a pas été alimenté depuis 2021 et ne peut donc pas financer de nouveaux projets. Sans fonds, le gouvernement Petro dispose de moins de ressources à consacrer à ces initiatives transformatrices, même s’il a déclaré que la réforme rurale était une priorité. Un nouveau financement, en particulier pour les PDET, pourrait contribuer à faire avancer ces projets et à créer une base plus solide pour la paix. Le financement de la participation des femmes aux négociations et d’initiatives de protection spécifiques pour lutter contre la violence basée sur le genre (par exemple dans le cadre du plan d’action de l’UE pour les femmes, la paix et la sécurité et du plan d’action pour l’égalité entre les hommes et les femmes) contribuerait également à renforcer les dispositions de cet accord.

Enfin, l’UE devrait accélérer les efforts conjoints d’application de la loi avec la Colombie, ce qui est déjà bien engagé. L’Europe est désormais une destination privilégiée pour la cocaïne colombienne et les liens transatlantiques entre les criminels se sont renforcés. Outre l’annonce récente d’un renforcement de la coopération judiciaire, l’UE pourrait développer les possibilités de formation et d’échange pour les partenaires colombiens des forces de sécurité. Europol pourrait tirer parti d’un projet pilote de partage d’informations dans le cadre du programme d’assistance à la lutte contre la criminalité transnationale organisée en Europe et en Amérique latine (El Paccto), qui devrait bientôt entrer dans une phase plus active. Récemment, les enquêtes couronnées de succès portant sur les réseaux de trafic de drogue ont démontré la valeur de l’expertise et du financement européens, y compris grâce à l’accompagnement du déploiement d’enquêtrices et d’enquêteurs et à l’analyse des flux financiers. Cette coopération pourrait être canalisée pour créer des unités conjointes d’enquêtes spéciales (semblables à celles que les États-Unis et le Royaume-Uni ont mises en place en Colombie), qui se concentreraient sur des organisations ou des types de crimes spécifiques.

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