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Référendum à haut risque au Burundi

La première mise à jour de la Watch List 2018, le bulletin annuel d’alerte précoce de Crisis Group, montre que des mesures rapides de l’Union européenne et de ses Etats membres pourraient améliorer les perspectives de paix au Burundi, où un référendum constitutionnel aura lieu le 17 mai. Les amendements proposés permettraient au président Nkurunziza de rester au pouvoir, mais pourraient aussi conduire à la fin des équilibres ethniques entre Hutu et Tutsi définis par l’accord d’Arusha de 2000.

Le 17 mai, les Burundais voteront sur des amendements constitutionnels qui permettraient au président Pierre Nkurunziza de se maintenir au pouvoir. Ces nouvelles dispositions pourraient aussi être le prélude à un démantèlement des équilibres ethniques entre Hutu et Tutsi, soigneusement négociés et établis par l’accord d’Arusha de 2000, qui a contribué à mettre fin à la guerre civile burundaise. Une flambée de violence ne semble pas probable dans l’immédiat, malgré une attaque meurtrière contre un village le 12 mai ; le statu quo pourrait même durer des années. Mais la répression du régime, la fin éventuelle du partage du pouvoir au sein des institutions burundaises et une économie en miettes sont des facteurs d’instabilité.

Bien que l’Union européenne (UE) ait perdu de son influence sur le gouvernement de Nkurunziza ces dernières années, elle peut encore agir pour prévenir une telle instabilité. L’UE et ses Etats membres devraient observer attentivement l’évolution de la situation avant, pendant et après le référendum et continuer à chercher les moyens de faire pression sur le gouvernement tout en soutenant la population. Cela implique d’encourager les dirigeants africains et l’Union africaine (UA) à renouveler leurs tentatives de médiation entre le régime et l’opposition, tout en gardant le Burundi sous les projecteurs au niveau international. Alors que l’économie burundaise est en train de s’effondrer, l’UE, qui a suspendu l’aide budgétaire directe au gouvernement burundais en 2016, devrait aussi prendre des mesures pour que l’aide qu’elle fait désormais passer par les agences des Nations unies, les Etats membres de l’UE et des organisations non gouvernementales internationales bénéficie autant que possible aux Burundais.

Répression accrue à l’approche du référendum

Avec ce référendum, l’intention principale du gouvernement est de prolonger les mandats présidentiels de cinq à sept ans. Ce changement remettrait les compteurs à zéro concernant la limite de deux mandats – à défaut de l’annuler – permettant potentiellement à Nkurunziza de se maintenir quatorze années de plus au pouvoir. La nouvelle ébauche de constitution stipule également que les quotas ethniques au parlement, au sein du gouvernement et dans les organismes publics seront revus au cours des cinq prochaines années. Ces quotas, destinés à protéger la minorité tutsi en lui garantissant 40 à 50 pour cent des postes au sein de différentes institutions de l’Etat, y compris l’armée, étaient un élément essentiel de l’accord d’Arusha.

Le régime a proposé les changements constitutionnels principalement dans l’optique d’éliminer tout obstacle à son contrôle de l’appareil d’Etat. Mais ce faisant, il pourrait être en train de préparer le terrain au démantèlement des équilibres ethniques. Les dispositions contenues dans l’ébauche de constitution visant à réduire à un le nombre de vice-présidents (actuellement au nombre de deux, un Tutsi et un Hutu) et à remplacer la majorité des deux tiers requise pour l’adoption au parlement de législations d’importance particulière par une majorité simple vont aussi dans ce sens.

Le régime a mené une campagne d’intimidation contre quiconque s’oppose au référendum ou appelle à voter non.

Le régime, y compris la ligue des jeunes du parti au pouvoir, les Imbonerakure, a mené une campagne d’intimidation contre quiconque s’oppose au référendum ou appelle à voter non. Il profère des menaces de violence pour pousser les Burundais à s’inscrire pour participer au vote dans l’espoir de minimiser l’abstention, et identifie des individus lors des meetings de campagne. Le gouvernement a interdit des médias occidentaux – la BBC et Voice of America – de diffusion radiophonique pour la durée de la campagne, tandis que sa propre machine de propagande bat son plein. Il a forcé les citoyens à faire des contributions financières, prétendument destinées au financement des élections prévues en 2020.

La marche forcée vers le référendum a encore accentué les divisions parmi les opposants de Pierre Nkurunziza, en dépit de la nouvelle tentative des factions d’opposition de rapprocher leurs positions, début 2018. La coalition Amizero y’Abarundi et le parti Sahwanya-Frodebu, qui sont encore au Burundi, ont tous deux fait part de leur intention de faire campagne pour le non. L’opposition en exil, sous l’égide du Conseil national pour le respect de l’accord d’Arusha (Cnared), appelle au boycott. Les désaccords sur le référendum exacerbent les divisions historiques autour de la stratégie à suivre et les rivalités personnelles au sein de l’opposition.

Une flambée de violence au cours de la période référendaire semble peu probable, en dépit d’une attaque contre un village proche de la frontière avec la République démocratique du Congo le 12 mai, au cours de laquelle des assaillants non identifiés auraient tué 26 personnes. Cette attaque survient alors que très peu d’incidents sécuritaires majeurs ont été enregistrés depuis 2016, les groupes d’opposition armés ayant essuyé plusieurs revers. Certains de leurs membres ont été arrêtés par le gouvernement tanzanien en 2017, renvoyés au Burundi, et ont depuis disparu. Les attaques qui ont eu lieu, lancées depuis le Sud-Kivu en République démocratique du Congo voisine, n’ont pas réussi à infliger des pertes significatives aux forces de sécurité burundaises ou à susciter un soutien local. Mais si la fréquence des affrontements armés entre l’armée et les insurgés a diminué depuis 2016, les violations des droits humains se poursuivent. Selon l’organisation de défense des droits humains Ligue Iteka, 456 personnes ont été tuées, 283 torturées et 2 338 ont fait l’objet d’arrestations arbitraires en 2017, dont l’immense majorité par le gouvernement.

Le président Nkurunziza et son parti développent une doctrine qui mélange culte de la personnalité, religion et mythologie historique pour justifier son maintien prolongé au pouvoir. Le président est désormais appelé « chef traditionnel suprême ». Lui et son épouse, tous deux actifs dans les nouvelles Eglises pentecôtistes des croisades de prière, adhèrent à une vision théocratique qui mélange signes de pouvoir traditionnels burundais et attribution divine ; le projet du gouvernement de construire un large centre de prière à Gitega, où les membres du parti au pouvoir devront participer à de longues retraites, est révélateur. Plus largement, cette doctrine émergente présente une vision manichéenne de l’histoire selon laquelle un Burundi précolonial harmonieux aurait été saccagé par les machinations de puissances extérieures, en particulier la Belgique, même si les termes utilisés pour pointer du doigt les étrangers tendent aussi à contenir des références voilées au rôle joué par leurs prétendus alliés tutsi.

L’économie et le développement en berne

La perte de l’aide extérieure, ainsi que la fuite des capitaux humains et financiers, ont sérieusement affecté l’économie burundaise depuis 2015. Les progrès enregistrés depuis le début des années 2000 en matière de santé et d’éducation – en particulier la baisse de la mortalité infantile et le nombre croissant d’enfants burundais scolarisés – se sont arrêtés net. Le manque de devises et d’essence a affecté tous les secteurs. Quelque 430 000 Burundais ont fui dans les pays voisins, principalement la Tanzanie.

Alors que de nombreux Burundais ont déjà du mal à joindre les deux bouts, le gouvernement introduit de nouveaux impôts et des prélèvements ad hoc. Face à la détérioration de ses relations avec les gouvernements occidentaux, il s’est tourné vers la Turquie, la Chine et la Russie pour trouver de l’aide. Mais si ces pays semblent en mesure d’apporter au gouvernement un soutien politique et un certain répit sur le plan financier, il est peu probable qu’ils soient en mesure d’offrir le type d’assistance budgétaire et technique que les donateurs occidentaux fournissaient. Par ailleurs, l’impact des investissements privés dans le secteur minier sur l’économie dans son ensemble a peu de chances d’être significatif, du moins à court terme.

Après des consultations avec le gouvernement au titre de l’article 96 de l’accord de Cotonou, l’UE et ses Etats membres ont décidé en mars 2016 de suspendre la coopération en raison des violations des droits humains au Burundi. L’aide au développement européenne passe désormais par des ONG internationales, des agences de l’Union européenne et de l’ONU. Le président et sa garde rapprochée affirment que la politique d’aide et les sanctions européennes (qui visent une poignée de ces hauts responsables) sont destinées à nuire au peuple burundais. Dans certains cas, le régime a réprimé des groupes de la société civile ayant travaillé avec des bailleurs internationaux, y compris en utilisant des accusations fallacieuses pour emprisonner des salariés d’ONG.

Atténuer le risque de conflit via un soutien pérenne à la population

L’UE et ses Etats membres devraient prendre des mesures pour aider à juguler l’autoritarisme répressif qui sévit au Burundi et atténuer la détérioration des conditions de vie de la population.

Le gouvernement de Nkurunziza a balayé d’un revers de main les pressions ponctuelles des bailleurs et acteurs occidentaux comme le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme afin d’ouvrir un espace pour l’opposition. Les tentatives de médiation de la Communauté d’Afrique de l’Est (CAE), l’organisation sous-régionale, n’ont pas progressé. Certains dirigeants africains semblent en effet enclins à croire l’argument du gouvernement selon lequel il n’y a pas de crise et donc pas besoin de médiation.

L’UE et ses Etats membres devraient prendre des mesures pour aider à juguler l’autoritarisme répressif qui sévit au Burundi et atténuer la détérioration des conditions de vie de la population.

Cet argument est erroné. Le régime peut sans doute dissimuler le mécontentement pour quelque temps. Mais à terme, la consolidation de son pouvoir et le démantèlement des dispositions d’Arusha sur le partage du pouvoir sont de mauvais augure pour la stabilité du pays. L’UE et ses Etats membres devraient pousser les puissances africaines et l’UA à renouveler leurs tentatives de médiation entre le régime et l’opposition en exil, avec pour objectif de garantir une élection crédible en 2020. Ils devraient faire tout leur possible pour maintenir l’attention internationale sur le Burundi ; les Etats membres de l’Union européenne au Conseil de sécurité de l’ONU devraient par exemple insister sur le maintien du Burundi à l’agenda du conseil. L’UE devrait aussi confirmer sa position selon laquelle les conditions dans le pays ne sont pas réunies pour un référendum libre et équitable.

Au vu de la suspension de son aide directe au gouvernement en 2016, l’UE doit redoubler d’efforts pour faire en sorte que son soutien bénéficie à la population. En plus de l’aide qu’elle fait passer par des ONG internationales, elle devrait poursuivre son projet de soutien direct aux ONG locales, mais en étant particulièrement attentive à ne pas leur faire courir de risques. Cela pourrait impliquer de leur procurer les moyens financiers nécessaires pour renforcer leurs capacités de direction et leurs capacités juridiques au cas où le gouvernement continuerait de les harceler devant les tribunaux. L’UE devrait aussi renforcer sa délégation à Bujumbura et consolider les mécanismes de suivi avec ses partenaires pour éviter tout détournement de ses fonds.

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