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Burkina Faso : transition acte II

De nombreux défis attendent le nouveau gouvernement élu au Burkina Faso : désir de justice, revendications socioéconomiques et insécurité régionale. Le nouveau régime doit résister à la tentation de recréer un système marqué par l'hégémonie d'un seul parti. Les autorités doivent rapidement ouvrir un dialogue social, favoriser la réconciliation de la classe politique, engager la réforme de l'armée, et préserver de bonnes relations avec la Côte d'Ivoire.

I. Synthèse

La victoire de Roch Marc Christian Kaboré à l’élection présidentielle du 29 novembre montre que les Burkinabè aspirent autant au changement qu’à la continuité. Ancien dauphin de Blaise Compaoré, il incarne à la fois la stabilité qui caractérisait l’ancien régime et le désir de changement à travers sa rupture avec Compaoré. Des défis considérables attendent le nouveau gouvernement : fortes demandes socioéconomiques, exigence de justice, lutte contre la corruption et l’impunité, réforme de l’armée et insécurité régionale. Il lui faudra se garder de tout triomphalisme, reconnaitre que la tâche à venir est considérable et, surtout, résister à la tentation de recréer un système Compaoré bis marqué par l’hégémonie d’un seul parti, faute de quoi les Burkinabè redescendront en masse dans la rue, comme en octobre 2014 et en septembre 2015, replongeant le pays dans l’instabilité.

L’heure est pour l’instant au soulagement : la longue et fragile transition s’est achevée dans le calme. En organisant dans les règles de l’art les élections du 29 novembre, elle a rempli sa principale mission. Elle n’a toutefois pas permis de solder le contentieux des années Compaoré : la justice n’a pas été rendue pour les crimes économiques et de sang commis sous l’ancien régime. La tentative de putsch de septembre 2015 lui a au moins permis de se débarrasser du Régiment de sécurité présidentielle (RSP), l’ancienne garde présidentielle. La dissolution du RSP est un pas de plus vers le démantèlement du système Compaoré, mais elle ne règle pas la difficile question de l’avenir des partisans politiques de l’ancien régime. C’est maintenant, avec l’installation des nouvelles autorités, que commence la vraie transition, celle qui devra conduire à la consolidation démocratique et à la mise en place d’une nouvelle forme de gouvernance.

L’état de grâce sera de courte durée. Le nouveau président pourra difficilement satisfaire immédiatement les immenses attentes de la population, surtout en matière socioéconomique, avec une situation budgétaire critique. La présence de groupes extrémistes violents dans les pays voisins du Burkina fait planer une menace sur sa stabilité. L’attaque d’un poste de gendarmerie dans l’Ouest en octobre 2015, la première de cette ampleur au Burkina Faso, est révélatrice de ce nouvel environnement sécuritaire dégradé. L’installation des nouvelles autorités pourrait être rapidement suivie d’une détérioration du climat social qui, combinée à ces menaces sécuritaires, pourrait créer un cocktail explosif et entraver l’action du nouveau gouvernement. En outre, le coup d’Etat de septembre 2015 a montré que les forces armées tiennent toujours une place importante dans la vie politique du pays. Le spectre d’une immixtion de l’armée dans la sphère politique, une constante dans l’histoire du Burkina depuis 1966, n’a pas disparu avec le démantèlement du RSP.

A terme, la classe politique devra régler ses contentieux. Il sera particulièrement difficile pour certains partisans de l’ancien parti au pouvoir, le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), d’accepter la victoire de leurs anciens camarades devenus leurs pires ennemis depuis la démission de ces derniers en janvier 2014 pour créer leur propre parti, le Mouvement du peuple pour le progrès (MPP). Cette animosité pourrait créer de nouvelles tensions, surtout si le nouveau pouvoir cède à la tentation d’une chasse aux sorcières contre des membres de l’ancien régime et si certains partisans de Compaoré choisissent la déstabilisation pour montrer qu’ils pèsent toujours sur la vie de leur pays.

Si ces derniers utilisent la Côte d’Ivoire comme base arrière, comme cela semble avoir été le cas lors du coup d’Etat et du projet d’attaque de la prison militaire de Ouagadougou en décembre dernier, les relations ivoiro-burkinabè risquent de se détériorer rapidement. En deux mois, le contentieux entre les deux pays n’a cessé de grandir. Aux soupçons d’implication de hauts responsables ivoiriens dans le putsch de septembre est venu s’ajouter le mandat d’arrêt contre Compaoré. Lancé par la justice burkinabé le 4 décembre, ce mandat a été ignoré par les autorités ivoiriennes.

L’insurrection d’octobre 2014, qui a chassé Compaoré après 27 ans au pouvoir, a constitué un séisme majeur pour le Burkina, et le coup d’Etat de septembre 2015 en constitue une première réplique. Malgré le bon déroulement des élections, le pays n’est pas à l’abri de futures secousses à mesure que s’écrit une nouvelle page de son histoire. Plusieurs mesures, à court et à moyen terme, peuvent réduire les risques d’instabilité future.

  •  Les nouvelles autorités devraient organiser un dialogue constructif avec les syndicats et prendre rapidement des mesures d’apaisement social en se concentrant sur les jeunes et les régions les plus pauvres du pays.
  •  Les nouvelles autorités devraient engager rapidement la réforme de l’armée et développer une stratégie globale de défense et de sécurité à travers la publication d’un livre blanc. La réforme de l’armée devra s’effectuer sous contrôle parlementaire et la commission en charge de celle-ci devra intégrer des civils et des retraités des forces de sécurité.
  •  La fonction du Haut Conseil national des sages devrait être consacrée dans la Constitution, tel que recommandé par la Commission de réconciliation, afin que cet organisme au service de la résolution et de la prévention des crises politiques et sociales soit établi en tant qu’institution à part entière.
  •  La Côte d’Ivoire et le Burkina Faso devraient continuer à renforcer leurs relations dans le cadre du Traité d’amitié et de coopération signé en 2008. Les dirigeants ivoiriens doivent dépasser leurs amitiés politiques avec les dignitaires du régime Compaoré et faire de la stabilité du Burkina une priorité, si besoin en coopérant avec la justice burkinabè.
  • Les partenaires internationaux devraient rester mobilisés pour fournir un soutien financier adéquat, notamment pour aider le gouvernement à répondre aux revendications sociales, d’autant plus que le Burkina est l’un des derniers points de stabilité dans une région de plus en plus troublée.

Dakar/Bruxelles, 7 janvier 2016

I. Overview

Roch Marc Christian Kaboré’s victory in the 29 November presidential election shows that Burkinabes aspire as much to change as to continuity. A former heir apparent to Blaise Compaoré, Kaboré symbolises both the stability of the former regime and, given his split from Compaoré, the desire for change. The new government must deliver on many challenges: major socio-economic needs, demands for justice, the fight against corruption and impunity, army reform and growing regional threats. The government will have to refrain from triumphalism, recognise the formidable challenges ahead and, most importantly, resist the temptation to recreate a Compaoré-like system of one-party hegemony. Without this, Burkinabes will massively return to the streets, as in October 2014 and September 2015, which could plunge the country back into crisis.

For now, however, a sense of relief is in order: the long and fragile transition was completed peacefully. By organising the free and fair 29 November elections, the transition fulfilled its principal purpose. It did not, however, manage to resolve all outstanding issues of the Compaoré years: economic crimes and acts of violence committed under the former regime have gone unpunished. The September 2015 attempted coup allowed the country to rid itself of at least the presidential guard (RSP). While the RSP’s dissolution is another step toward dismantling the Compaoré system, it does not solve the thorny issue of the future of the former regime’s partisans. The real transition – the one that should lead to the consolidation of democracy and the introduction of a new form of governance – begins now, with the installation of the new authorities.

The grace period will not last. Dire budgetary realities mean the new president will struggle to meet immediately the population’s high expectations, especially their socioeconomic demands. The presence of violent extremist groups in neighbouring countries is another threat. The October 2015 attack on a gendarmerie post in the west of the country, the first of its kind in Burkina Faso, is evidence of the worsening security environment. The inauguration of new authorities could be followed by a rapid deterioration of the social climate, which, combined with regional security threats, could create an explosive cocktail and block the new government’s scope for action. Furthermore, the September coup attempt demonstrated that the armed forces remain a key actor in the country’s political life. The military’s ability to interfere in political affairs, a constant feature of Burkina Faso’s history since 1966, did not disappear with the RSP’s dissolution.

The political class will eventually have to solve its own disputes. It will be particularly difficult for some of Compaoré affiliates to accept the accession to power of their ex-comrades-turned-enemies of the Movement of People for Progress (MPP) – founded in January 2014 as an outgrowth of the former ruling Congress for Democracy and Progress (CDP) party. This animosity could generate further tensions, especially if the new government succumbs to the temptation of a witch hunt against members of the former regime, and if some Compaoré followers choose destabilisation as their strategy to demonstrate that they remain a force to be reckoned with.

If Compaoré associates decide to use neighbouring Côte d’Ivoire as a rear base, as was allegedly the case during the September coup and the foiled attack against the Ouagadougou military prison last December, relations between Burkina Faso and Côte d’Ivoire could rapidly deteriorate. The bone of contention between the two countries has grown over the last two months. In addition to the suspected involvement of some Ivorian dignitaries in the September coup, the Ivorian authorities have so far ignored an arrest warrant against Compaoré issued on 4 December by a Burkinabè military court.

The October 2014 uprising that ousted Compaoré after 27 years in power marked a major upheaval in Burkina Faso, and the September 2015 coup was the first aftershock. Despite the peaceful elections, the country is not immune to future trouble as it opens a new chapter of its history. Many short- and long-term measures could be adopted to reduce the risk of future instability.

  • The new authorities should organise a constructive dialogue with unions, and quickly adopt social appeasement measures, focusing on youth and the country’s poorest regions.
  • The new authorities should rapidly begin to reform the army and develop a global defence and security strategy through the publication of a white paper. Army reform should be carried out under parliamentary supervision and the commission in charge of it should include civilians and retired military officers.
  • The role of the National High Council of Elders should be constitutionalised, as was recommended by the reconciliation commission, so that its function as an institution supporting the resolution and prevention of social and political crises is fully established.
  • Côte d’Ivoire and Burkina Faso should continue to strengthen their relationship as part of the 2008 Friendship and Cooperation Treaty. Ivorian leaders should move past their political ties with former Compaoré regime officials and make Burkina Faso’s stability a priority, if necessary by cooperating with Burkina Faso’s courts.
  • Burkina Faso’s international partners should stay mobilised to provide adequate financial assistance, in particular to help the government deal with social demands. This support is particularly important given Burkina Faso’s position as one of the last islands of stability in an increasingly troubled region.

Dakar/Brussels, 7 January 2016

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