Intervention française en Syrie: "Les frappes contre Daech sont contreproductives"
Intervention française en Syrie: "Les frappes contre Daech sont contreproductives"
Interview / Middle East & North Africa 4 minutes

Intervention française en Syrie: "Les frappes contre Daech sont contreproductives"

Les députés vont débattre ce mardi, de l'engagement des forces aériennes françaises en Syrie contre Daech et de la question des réfugiés. L'analyse de Jean-Marie Guéhenno, directeur de l'International Crisis Group.

L'Express: L'annonce, la semaine dernière, par François Hollande, de l'engagement militaire de la France contre le groupe Etat islamique en Syrie, peut-elle contribuer à apporter une solution à la crise des réfugiés syriens? et au combat contre Daech? 

Jean-Marie Guéhenno: Penser que des frappes contre Daech vont tarir le flot de réfugiésest absurde. Et elles sont aussi contreproductives contre Daech. La crise des réfugiés syriens est d'abord le résultat des actions du régime de Bachar el-Assad contre sa population. Les Syriens ont commencé à fuir leur pays avant même que n'apparaisse Daech. Les agissements du régime sont par ailleurs à l'origine de la montée en puissance de L'EI. Daech est le produit d'une guerre prolongée et radicalisée.  

Des frappes aériennes permettent peut-être de limiter occasionnellement l'avancée des djihadistes. Mais ces quelques bénéfices tactiques sont neutralisés par les gains que ces attaques procurent à l'EI en moyens de manipulation. Elles sont perçues comme une aide apportée au régime d'Assad: les Syriens constatent qu'on frappe Daech et qu'on ne fait rien contre le régime, responsable, par les bombardements sur les zones aux mains des rebelles, du plus grand nombre de victimes civiles. Ces attaques donnent aux populations locales le sentiment que les Européens se désintéressent de leur sort, qu'ils ne sont inquiets que de l'impact du terrorisme en Europe. Une telle politique sert parfaitement la propagande de Daech qui utilise le sentiment de victimisation des sunnites. En Syrie, face au régime alaouite de Bachar el-Assad, tout comme en Irak, où ils sont marginalisés par le gouvernement chiite installé par les Américains après la chute de Saddam Hussein. Au passage, rappelons que les terroristes qui ont frappé en Europe sont des Européens. La guerre en Syrie constitue un aimant pour eux, mais ils sont des enfants de l'Occident. 

Que peuvent faire les Occidentaux face aux deux volets de cette crise? 

C'est une question de priorité. Soit on privilégie la lutte contre les crimes épouvantables de Daech. Soit on choisit d'abord de mettre fin à la guerre en Syrie. J'estime que la priorité doit être la fin de la guerre en Syrie. Il est impossible de combattre efficacement Daech sans s'attaquer aux fondements politiques qui ont permis son essor. 

Aujourd'hui, aucune des parties prenantes de ce conflit n'a intérêt à négocier: les groupes rebelles et leurs parrains, les monarchies du Golfe et la Turquie observent que le régime ne cesse de perdre du terrain. Ils espèrent que la pression militaire finira par le faire tomber. 

En face, le régime d'Assad voit la pression occidentale à son encontre diminuer depuis l'avènement de Daech. Bénéficiant du soutien renforcé de la Russie et de l'Iran, il estime que ses jours ne sont pas comptés. 

Il faut arriver à convaincre les deux camps qu'il n'y a pas d'issue militaire à ce conflit. Mais avant d'amorcer des négociations, il faut envoyer des signaux forts. Aujourd'hui, la principale cause de la fuite des Syriens, ce sont les bombardements aériens perpétrés par le régime. Il faut les faire cesser. 

De quelle façon ? 

Plusieurs options sont possibles. Certains appellent à la mise en place d'une zone d'exclusion aérienne (no-fly zone). C'est une mesure radicale, lourde sur le plan militaire, et difficile à mettre en oeuvre sans l'aval du Conseil de sécurité de l'ONU -les Russes opposeront leur veto. 

Instaurer des mesures de rétorsion ponctuelles contre les avions qui bombardent les zones civiles serait plus facile. Il ne s'agit pas de déclarer la guerre au régime, mais il faut qu'il paye le prix de ses agissements contre les civils. Chaque fois qu'un bombardement se produit contre des cibles civiles, une frappe pourrait être effectuée contre une base aérienne. Avec un peu de détermination, c'est possible.  

Alors, seulement, on pourrait relancer les négociations. Personne ne négocie s'il craint une défaite totale ou s'il escompte une victoire absolue. Il faudra inclure, cette fois, tous les partenaires de cette crise, Russie et Iran compris. Les Occidentaux avaient exclu Téhéran des négociations de Genève I en juin 2012 et de Genève II, en janvier 2014, par crainte d'affaiblir la pression sur Téhéran dans le cadre des négociations sur le nucléaire. Maintenant que cet accord est derrière nous, il faut que l'Iran, qui fait partie du problème, fasse partie de la solution. Tous les pays qui se combattent en Syrie par forces supplétives interposées doivent réaliser que la voie militaire est sans issue. Le déploiement récent de moyens russes peut être dangereux, mais il peut aussi être un élément de la solution à la crise. On ne parviendra pas à la paix sans garanties de sécurité pour toutes les parties. Des forces russes pourraient donc rassurer les populations des régions alaouites.  

Enfin, pour ce qui est des réfugiés, il faut aussi augmenter sérieusement l'aide aux pays voisins de la Syrie, qui accueillent à eux seuls plus de à eux seuls plus de 3,7 millions de Syriens déplacés hors de leurs frontières. C'est un miracle qu'ils ne se soient pas effondrés. 

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