Commentary / Middle East & North Africa 12 minutes

Éviter le défaut de paiement en Tunisie

Les difficultés socio-économiques de la Tunisie pourraient s’aggraver en cas de défaut de paiement. Dans cet extrait de l'édition d’automne de la Watch List 2023, Crisis Group recommande à l’Union Européenne d’encourager un accord de prêt révisé avec le FMI, tout en faisant pression sur Tunis sur les questions de gouvernance et de droits humains.

Depuis juillet 2021, date à laquelle le président Kaïs Saïed a opéré son coup de force en limogeant le Premier ministre et en suspendant les travaux du parlement, la Tunisie a pris un nouveau tournant autocratique alors que la crise économique sous-jacente ne cesse de s'aggraver. Le président tente de mettre en place un véritable système autoritaire et de consolider son soutien public par un discours nationaliste virulent. Il a émaillé son discours d'insinuations racistes, rejetant la responsabilité des maux socio-économiques du pays – tels que l'inflation et le chômage – sur les migrants d'Afrique subsaharienne, entre autres, ce qui a déclenché des attaques de groupes d'autodéfense. Entre-temps, il a rejeté les conditions d'un prêt proposé par le Fonds monétaire international (FMI) visant à équilibrer le budget et à restaurer la confiance des investisseurs, poussant le pays à la limite du défaut de paiement de sa dette extérieure. Le défaut de paiement aggraverait probablement ces difficultés ; il exacerberait le risque de violence et mettrait en péril la stabilité intérieure déjà fragile.

Dans un premier temps, l'Union européenne (UE) et nombre de ses Etats membres se sont montrés très préoccupés par la direction prise par la Tunisie sous la présidence de Kaïs Saïed. Le président semblait vouloir revenir sur les acquis démocratiques du soulèvement de 2011, la première des révoltes populaires de cette année-là dans le monde arabe. Mais l'Europe s'est progressivement recentrée sur la lutte contre l'immigration irrégulière. L'augmentation du nombre d'arrivées de migrants en provenance de l'autre côté de la Méditerranée a été le principal moteur de ce changement, même si l'élection du gouvernement d'extrême droite dirigé par Giorgia Meloni en Italie y a contribué. Aujourd'hui, l'UE considère la Tunisie comme un partenaire clé dans la lutte contre l'immigration clandestine, une tâche qui, selon elle, nécessitera d'importants programmes d'aide afin que Tunis puisse obtenir les résultats escomptés par l'Europe tout en maintenant la stabilité. Ces deux priorités ont pris le pas sur le rétablissement de la démocratie et de l'état de droit, produisant un flux de financement qui, selon les critiques, équivaut à un chèque en blanc pour le gouvernement de Kaïs Saïed.

L'UE et les Etats membres doivent trouver un équilibre entre leurs divers programmes politiques, sécuritaires et économiques en Tunisie d’une part, et le travail conséquent de préparation de réformes en matière de droits et de gouvernance d’autre part. Cependant, à l'heure actuelle, cet équilibre pourrait être bien loin de l’aspiration aux réformes qui seront nécessaires pour stabiliser le pays.

Plutôt que d'abandonner ces intentions, l'UE devrait travailler avec les Etats membres pour :

  • encourager la Tunisie et le FMI à se mettre d'accord sur des conditions de prêt révisées, en insistant pour que Tunis conclue un accord et que les actionnaires du FMI assouplissent certaines conditions (par exemple, en demandant des réductions de dépenses moins radicales)
  • maintenir l'accent sur les droits humains et la gouvernance en soulignant leur importance pour la stabilité intérieure et insister sur la nécessité de réduire la violence des groupes d'autodéfense et de contenir ses répercussions, et
  • commencer à se préparer à une situation où l'Europe serait obligée de fournir un financement d'urgence à la Tunisie par exemple, pour garantir les livraisons de médicaments et de blé – si le pays ne parvenait pas à conclure un accord avec le FMI et n’était pas en mesure d’honorer sa dette.
Ursula Von der Leyen, présidente de la Commission européenne, lors d'une rencontre avec le président tunisien Kaïs Saïed. Un accord migratoire entre l'Union européenne et la Tunisie est discuté au cours de cette rencontre. 7/16/2023 ANP FREEK VAN DEN BERGH netherlands out - belgium out ANP MAG / ANP via AFP

Un partenariat fragile avec l'Europe

Depuis les mesures prises par Kaïs Saïed en 2021, l'Europe ne sait plus comment se comporter à l'égard de la Tunisie. Kaïs Saïed a remplacé le système semi-parlementaire du pays par un système présidentiel qui lui permet de concentrer presque tous les pouvoirs du gouvernement entre ses mains. Pour les Tunisiens, la peur de la répression a refait surface, alors qu’elle avait disparu après le renversement du président Zine El Abidine Ben Ali, lors du soulèvement populaire de 2011. Depuis la mi-février, les arrestations et les condamnations de personnalités publiques, en particulier de responsables politiques, se sont accélérées. Plus de 35 d'entre eux sont en prison pour divers chefs d'accusation. Le président propage un programme inspiré des idées nationalistes et de gauche et il joue sur le ressentiment, notamment de l'ancienne classe politique, pour renforcer sa popularité.

Inquiète de la dérive autoritaire, l'UE a rapidement insisté sur le retour à un régime démocratique. En septembre 2021, par exemple, le haut représentant de l'UE pour les affaires étrangères, Josep Borrell, s'était rendu à Tunis et avait déclaré : « le libre exercice du pouvoir législatif et la reprise de l'activité parlementaire [...] doivent être respectés ». De hauts responsables de l'UE, ainsi que des Etats membres tels que la France et l'Allemagne, ont continué à maintenir la pression quant aux questions de droits et de gouvernance après le discours raciste que Kaïs Saïed a prononcé en février et qui a été abondamment critiqué. Dans ce discours, il affirmait que les « hordes de migrants illégaux » étaient responsables de « violences et d'actes inacceptables », ajoutant que le « but inavoué » des migrants d'Afrique subsaharienne en Tunisie était de « changer la composition du paysage démographique » du pays. Ces propos s'inscrivent dans le cadre d'une répression brutale à l'encontre des migrants. Les forces de sécurité tunisiennes semblent être devenues de plus en plus agressives en expulsant vers la frontière libyenne les migrants d'Afrique subsaharienne. L’inquiétude des migrants augmente avec les attaques de groupes d'autodéfense et la violence populaire, qui entraînent des incidents graves tels que les attaques de juillet contre des migrants subsahariens à Sfax, une ville côtière.

Les dirigeants européens ont été particulièrement frustrés que Kaïs Saïed soit à l’initiative d’un tel recul démocratique malgré les sommes considérables envoyées à la Tunisie au cours de la transition démocratique post-2011 qui, pour beaucoup, était un symbole puissant de la promesse des soulèvements arabes. En 2016, selon un rapport de l'UE, le pays était l'un des principaux bénéficiaires du financement de l'UE dans le cadre de la politique européenne de voisinage (PEV), avec environ 8,5 pour cent de l'allocation totale. Conformément à la PEV, ces fonds ont favorisé une nouvelle approche des relations avec Tunis, axée sur la coopération politique et l'intégration économique et sociale. En 2020, le projet de réforme s'était déjà heurté à la résistance des Tunisiens, en grande partie à cause de la montée d'une nouvelle classe politique lors des élections de 2019, hostile aux réformes imposées par l'Occident et critique à l'égard de la trajectoire démocratique du pays. La situation n'a fait qu'empirer après le coup de force de Kaïs Saïed en 2021.

Les différends sur les réformes économiques ont compliqué les efforts pour apporter à la Tunisie l'aide financière dont elle a désespérément besoin.

Outre les questions de droits et de gouvernance, les différends sur les réformes économiques ont compliqué les efforts pour apporter à la Tunisie l'aide financière dont elle a désespérément besoin, alors que son économie continue de subir les contrecoups des chocs générés par la pandémie de Covid-19 et la guerre de la Russie en Ukraine, entre autres. Le FMI semblait prêt à offrir une bouffée d’oxygène sous la forme d'un prêt de stabilisation de 48 mois, d'un montant de 1,9 milliard de dollars, après avoir conclu un accord avec Tunis fin 2022. Mais il aurait fallu pour cela que la Tunisie réduise, entre autres, les subventions sur les carburants et réforme les entreprises publiques – des mesures impopulaires sur le plan politique en raison de leur impact potentiel sur l'emploi et les revenus. Kaïs Saïed, ainsi que le principal syndicat tunisien et des experts acquis à sa cause, ont qualifié ces conditions de « diktats étrangers » et ont laissé entendre que leur impact social serait trop important. Ils ont invoqué le risque d'émeutes similaires à celles de janvier 1984, déclenchées par une hausse des prix du pain et des céréales (même si, en l’occurrence, le FMI n'avait pas proposé de réduire les subventions sur le pain). L'UE et plusieurs Etats membres ont répondu en plaidant pour que Tunis adopte l'ensemble des réformes liées au prêt du FMI. Bruxelles a subordonné la poursuite de son aide financière à un accord de crédit du FMI et au respect de ses conditions. Il semblerait que la Tunisie laisse les négociations en suspens pour l’instant.

Alors que les responsables de l'UE continuent de déplorer le manque de réformes, d’exhorter Tunis à conclure l'accord avec le FMI et de souligner la nécessité de revigorer les institutions démocratiques tunisiennes, les Etats membres – en particulier l'Italie – semblent être de plus en plus préoccupés par la montée en flèche de l'immigration irrégulière en provenance de Tunisie. Les arrivées en Italie ont triplé au cours des deux dernières années, atteignant 56 000 en août 2022. Dans ce contexte, le gouvernement Meloni, qui a pris ses fonctions en 2022, a ostensiblement omis de condamner le fameux discours de Kaïs Saïed en février. L'Italie cherche à obtenir un assouplissement des conditions du prêt du FMI, craignant que l'alternative ne soit un effondrement économique et une augmentation de l'immigration. D'autres pays européens restent attachés au projet de réforme, et certains (comme la France et l'Allemagne) ont exprimé leur profonde inquiétude face au discours anti-migrants de Tunis. Mais en termes de politique européenne, les inquiétudes concernant l'effondrement économique et les difficultés que cela impliquerait pour la gestion des migrations irrégulières occupent de plus en plus le devant de la scène.

Gérer le risque de défaut de paiement

La question est de savoir ce qui va se passer à présent. Le risque de défaut de paiement de la dette extérieure est sérieux et en rapide évolution. La Tunisie aura besoin d'une aide extérieure pour relever ce défi. D'ici 2024, avec 2,6 milliards de dollars de remboursements de dettes étrangères planifiés (y compris une obligation libellée en euros arrivant à échéance en février, équivalant à 900 millions de dollars), on ne sait toujours pas comment le gouvernement sera en mesure d'obtenir des fonds suffisants pour faire face à ces obligations.

Le prêt du FMI en cours de discussion serait le moyen le plus sûr pour la Tunisie d’honorer ses remboursements. Dans les conditions actuelles, le gouvernement aurait du mal à trouver d'autres financements extérieurs pour couvrir les coûts, alors que les indicateurs économiques de la Tunisie continuent de se détériorer. La principale agence de notation, Fitch et Moody's, a revu la note de crédit de la Tunisie à la baisse, ce qui complique encore davantage les emprunts à l'étranger.

L'acceptation d'un prêt du FMI comporterait également des risques et des inconvénients. Du point de vue de la Tunisie, les avantages économiques à long terme sont sans aucun doute difficiles à évaluer et dépendront dans une certaine mesure des conditions qui seront finalement négociées, du degré de mise en œuvre des réformes et de l'état de l'économie mondiale au cours des prochaines années. Ses conséquences politiques pourraient également être difficiles à gérer. Du point de vue des bailleurs de fonds, il est tout à fait possible que, même après avoir signé l'accord, Kaïs Saïed fasse du FMI un bouc émissaire pour toutes les mesures impopulaires qui en découleraient. Une telle attitude nationaliste pourrait déclencher des troubles, les Tunisiens tenant l'institution financière pour responsable de leur situation économique difficile – et dirigeant peut-être leur colère contre les Occidentaux (ou les actifs occidentaux) dans le pays.

Ni Riyad ni les autres capitales du Golfe ne sont susceptibles d'offrir davantage de crédit [à la Tunisie] en l'absence d'un accord avec le FMI et d'un programme de réforme économique clair.

Néanmoins, les risques liés à l'octroi d'un prêt sont très en deçà des risques d'un scénario de non-accord qui, en l'absence d'une nouvelle injection de fonds provenant d'ailleurs ou d'une amélioration inattendue des perspectives macroéconomiques de la Tunisie, pourrait s'avérer catastrophique. L'UE serait dans l’obligation de mettre un terme à son assistance financière, puisqu'elle est conditionnée à un accord avec le FMI. En 2021 et 2022, alors que les négociations avec le FMI étaient en cours, la Commission européenne a aidé le pays à éviter le défaut de paiement en empruntant 600 millions d'euros à des créanciers privés à des taux subventionnés, puis en les prêtant à la Tunisie. Mais sans accord avec le FMI, la Commission ne pourra pas renouveler cet effort et ses possibilités d'aide à la Tunisie seront limitées. Quant aux Etats arabes du Golfe, si l'Arabie saoudite a accordé à la Tunisie un prêt à taux réduit de 400 millions de dollars et une subvention de 100 millions de dollars en juillet, ni Riyad ni les autres capitales du Golfe ne sont susceptibles d'offrir davantage de crédit en l'absence d'un accord avec le FMI et d'un programme de réforme économique clair. Ainsi, à moins que les revenus des exportations de pétrole et de phosphate, les envois de fonds des travailleurs émigrés et le tourisme ne rebondissent au-delà des attentes les plus optimistes, ou que les taux d'intérêt mondiaux ne baissent de manière significative en réduisant la dette extérieure de la Tunisie, il est probable que l'échec des pourparlers avec le FMI pousserait le gouvernement à la cessation de paiement.

Un défaut de paiement entraînerait la Tunisie dans une dangereuse spirale destructrice. Il risquerait de déstabiliser le secteur bancaire, notamment en raison de la forte exposition des banques nationales aux bons et obligations du Trésor, ainsi qu'aux devises étrangères. Il pourrait également mettre à mal le secteur privé en raison d'un resserrement du crédit lié à l’augmentation des besoins d'emprunt du gouvernement, provoquer une baisse de la production, générer encore plus d'inflation, laisser la place à une corruption accrue (qui semble augmenter à mesure que la situation économique s'aggrave), stimuler l'économie souterraine, et déclencher des affrontements le long des chaînes de distribution de l'agriculture dans les zones rurales. Les personnes qui protestent contre la détérioration brutale de la situation économique et sociale pourraient déclencher une réaction violente de la part des partisans de Kaïs Saïed, qui pourraient essayer de diriger les frustrations populaires vers les entrepreneurs et les membres de l'opposition politique ayant des liens avec l'Occident. Quel que soit le cas de figure, il est probable que de nombreux Tunisiens quitteraient le pays, souvent en tentant la traversée de la Méditerranée vers l'Europe.

Consciente de ces risques, Bruxelles a adouci sa position sur les questions de droits et de gouvernance avec Tunis, incitant Kaïs Saied à choisir d’accepter un accord avec le FMI en offrant un nouveau financement conditionnel à un accord et en débloquant d'autres fonds plus modestes pour soutenir les mécanismes de contrôle des migrations du pays. En juillet, l'UE et la Tunisie ont signé un mémorandum d’entente pour mettre en place un partenariat bilatéral qui englobe la coopération sur les questions économiques, la transition numérique, l'énergie verte et la migration. Les médias européens et tunisiens ainsi que les groupes de la société civile ont critiqué cet accord qui ne mentionne pas le bilan du gouvernement en matière de droits humains, et a mis en place ce qu'ils ont caractérisé comme un système d'argent liquide contre l'immigration. Dans le cadre de ce pacte, Bruxelles a offert 900 millions d'euros d'aide macrofinancière conditionnée à un accord avec le FMI, 150 millions d'euros d'aide budgétaire inconditionnelle et 105 millions d'euros pour financer le retour des migrants ainsi que les efforts de la Tunisie pour empêcher l'immigration irrégulière vers l'UE. Conformément à ce dernier accord en date, et après les discussions qui ont eu lieu fin septembre entre les Etats membres de l'UE, la Tunisie devrait traiter les demandes d'asile des réfugiés à destination de l'Europe sur son propre sol, plutôt que de permettre à ces personnes de traverser la Méditerranée pour déposer leur demande.

Le nombre de migrants qui traversent la Méditerranée a augmenté de 69 pour cent depuis l'annonce de ce programme. Mais cette migration étant partiellement due à des facteurs qui échappent au contrôle de la Tunisie, et en partie causée par sa propre mauvaise gouvernance, une augmentation du financement sans réformes risquerait de produire des résultats décevants.

Ce que l'UE peut faire

En Tunisie, l'UE et les Etats membres sont confrontés à des choix très imparfaits. Les efforts d’aide à Tunis visant à stabiliser le pays et à éviter les troubles intérieurs ne pourront réussir pleinement sans un engagement du gouvernement en faveur des réformes, tant en matière de droits et de gouvernance qu'en ce qui concerne l'économie. Pourtant, si les bailleurs de fonds européens et autres insistent trop sur les réformes, leur aide à la stabilisation risque d'être mal accueillie. La meilleure façon d'avancer consisterait donc probablement en une sorte d'exercice d'équilibriste, que les acteurs européens pourraient envisager de la manière suivante :

Tout d'abord, l'UE et ses Etats membres devraient peser de tout leur poids pour négocier un accord entre la Tunisie et le FMI. Même avec peu de chances d’arriver à un accord, il est encore nécessaire de continuer à essayer. Tout en continuant de promettre une éventuelle assistance, l’UE devrait faire pression sur le FMI et sur des actionnaires influents, tels que les Etats-Unis, pour s'assurer que les conditions qu'il cherche à obtenir sont réalistes mais poussent également le gouvernement à réformer. Ils devraient notamment faire pression sur le FMI pour qu'il propose des conditions révisées qui exigent de la Tunisie des réductions de dépenses moins importantes et plus régulières, notamment en ce qui concerne les subventions à l'énergie. Il s’agirait peut-être aussi d’élaborer des objectifs fiscaux plus réalistes ainsi que de réduire les suppléments de remboursement de la dette par le FMI. L’UE n’a pas autorité à fixer les conditions d'un prêt du FMI mais son influence politique pourrait contribuer à assouplir les positions des deux parties et à rendre un accord plus probable. Les Etats membres qui entretiennent les rapports les plus étroits avec Tunis devraient expliquer aux Tunisiens que les effets à long terme du prêt du FMI qui les préoccupent ne peuvent pas être pires qu'un défaut de paiement.

L'UE et les Etats membres ne devraient pas laisser l’attention accrue qu’ils portent à la stabilisation économique et à l'immigration irrégulière éclipser le débat sur les droits humains et la réforme de la gouvernance.

Deuxièmement, l'UE et les Etats membres ne devraient pas laisser l’attention accrue qu’ils portent à la stabilisation économique et à l'immigration irrégulière éclipser le débat sur les droits humains et la réforme de la gouvernance. Afin de formuler le besoin de réforme en des termes susceptibles de trouver un écho à Tunis, ils devraient se concentrer sur la dimension essentielle de ces réformes pour la stabilité sociale, en insistant sur la nécessité de changer des comportements qui sont les plus susceptibles de provoquer des troubles violents. L'UE pourrait présenter ces objectifs lors des prochaines réunions du partenariat de voisinage du Conseil de l'Europe, qui offre des possibilités de coopération avec les autorités tunisiennes pour soutenir la réforme de la justice, promouvoir les droits humains et sauvegarder l'état de droit.

Bruxelles devrait tout d’abord faire pression sur le président Kaïs Saïed pour qu'il mette fin aux violences des groupes d'autodéfense, que ce soit à l'encontre des migrants d'Afrique subsaharienne ou de toute autre personne. Entre janvier et avril, de nombreux Tunisiens de l'intérieur ont, en effet, rapporté que des partisans autoproclamés de Kaïs Saïed, connus sous le nom de « milices Kaïs », avaient commencé à réprimander des personnes qui critiquaient le président dans des cafés. En réaction à d'éventuelles manifestations antigouvernementales et aux nouveaux discours de Kaïs Saïed rejetant la responsabilité sur certains acteurs, ces groupes auto-organisés pourraient devenir encore plus violents à l'encontre des migrants. Ils pourraient également commencer à orchestrer des manifestations et des attaques contre l'opposition, ainsi que contre des entrepreneurs et des boucs émissaires désignés, tels que les soutiens étrangers de l'opposition et les ONG internationales. Tunis doit faire tout ce qui est en son pouvoir pour les en empêcher.

Enfin, l'UE devrait également se préparer à l'éventualité d'une aide d'urgence en cas de défaut de paiement de la dette tunisienne. Cette aide porte normalement sur des objectifs différents du type de financement disponible en cas d’octroi du prêt du FMI mais l'assistance aux livraisons de blé et de médicaments pourrait être nécessaire pour éviter une crise humanitaire qui risquerait d’entraîner des troubles dangereux. L'UE devrait également envisager de soutenir des mécanismes de financement, par exemple pour permettre l'importation de produits pétroliers. Bruxelles devrait commencer dès maintenant à envisager cette éventualité avec les Etats membres, afin de dégager un consensus sur ce qu'elle serait prête à offrir. Des pays comme l'Allemagne et l'Italie sont encore divisés quant à aux investissements politiques qu’ils sont prêts à faire pour tenter d’endiguer la dérive autoritaire, mais ils pourraient surmonter ces divergences en articulant leur action autour du maintien de la paix en Tunisie.

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