A suspect identified by a former rebel as being involved in the burial of bodies at a mass grave is detained by police officers at the scene of the grave in Mutakura, Burundi, 29 February 2016. REUTERS/Evrard Ngendakumana
A suspect identified by a former rebel as being involved in the burial of bodies at a mass grave is detained by police officers at the scene of the grave in Mutakura, Burundi, 29 February 2016. REUTERS/Evrard Ngendakumana
Report / Africa 6 minutes

Burundi: anatomie du troisième mandat

La crise politique actuelle au Burundi a ravivé les blessures du passé. Les éléments les plus durs du parti du président Pierre Nkurunziza, qui dominent maintenant le gouvernement, étouffent brutalement toute opposition, ​nourrissent un sentiment de haine sur une base ethnique, et sapent l’accord d’Arusha, cadre de la paix dans le pays au cours de la décennie écoulée. La​ communauté internationale devrait ​encourager un dialogue​ véritable​ et se préparer à intervenir en cas d’escalade de la violence.

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Synthèse et Recommandations

Un an après le début de la crise déclenchée par la candidature du président Pierre Nkurunziza à un troisième mandat, la situation au Burundi reste critique. Manifeste depuis les secondes élections post-conflit en 2010 et amplifiée par la querelle autour du troisième mandat en 2015, la radicalisation du régime a consacré la prééminence des éléments les plus durs du parti au pouvoir. Ceux-ci sont déterminés à tourner la page du système institutionnel issu de l’accord d’Arusha, conclu entre les élites hutu et tutsi en 2000, qui a mis en place un système de quotas ethniques au sein des institutions, y compris l’armée, et limité à deux les mandats des présidents. Le projet politique de démantèlement d’Arusha et le retour des discours et pratiques de violence du passé répandent une grande peur dans la société burundaise. Tétanisée, cette dernière n’a pas encore cédé à la manipulation ethnique mais les tentatives de ré-ethnicisation des antagonismes sont bel et bien à l’œuvre. Alors que le gouvernement et l’opposition sont invités à se rencontrer en Tanzanie le 21 mai, il est impératif que les garants de l’accord d’Arusha demandent aux parties de s’engager dans un véritable dialogue sur le futur de l’accord de paix afin d’éviter que l’histoire douloureuse du pays ne se répète.

Le troisième mandat commence sous le signe de la violence, de la peur, de la régression socioéconomique et d’une accentuation des fractures sociétales. Après les manifestations d’avril 2015 et la réélection du président Nkurunziza en juillet 2015, la confrontation a pris la forme d’une guérilla urbaine qui, au-delà des assassinats ciblés, des tortures et des disparitions qu’elle occasionne, a des effets insidieux dévastateurs. En effet, en ethnicisant son discours et en affichant sa volonté de mettre fin à la démocratie de consensus d’Arusha, le régime est entré en rupture ouverte avec une partie du pays. La fuite de 250 000 Burundais, dont une bonne partie de l’establishment politique et économique et des activistes de la société civile, vide le Burundi de ses forces vives et illustre les fractures séparant désormais le régime de l’armée, de la capitale et de la communauté tutsi. Les échanges économiques entre Bujumbura et le monde rural sont également perturbés, et selon les plus récentes estimations, 10 pour cent de la population (soit 1,1 million de personnes) a besoin d’assistance humanitaire au sens large.

Au cœur de cette confrontation se trouve le paradoxe suivant : alors que le Burundi s’est démocratisé, ce n’est pas le cas du parti au pouvoir, le Conseil national pour la défense de la démocratie-Forces de défense de la démocratie (CNDD-FDD). La fracture est totale entre le système institutionnel de partage du pouvoir sur une base politico-ethnique et un parti qui s’est radicalisé, replié sur son noyau historique (les chefs militaires de l’époque du maquis) qui se livre à une ethnicisation par le haut. Tandis que l’opposition, maintenant contrainte à l’exil, ne parvient pas à dépasser ses clivages historiques, le schéma de répression actuel (dénonciation d’un complot tutsi, milicianisation des services de sécurité, constitution d’unités fidèles au pouvoir) ravive la crainte d’une répétition des violences de masse du passé. Rien n’indique pour le moment que les Burundais soient prêts pour une mobilisation violente sur une base ethnique, mais la crise socio-humanitaire en gestation, l’insécurité physique, politique et économique d’une partie de la population, et la peur elle-même, créent les conditions parfaites d’un pourrissement et d’une ethnicisation de la crise. 

Alors que de nombreux Burundais et la communauté internationale croyaient avoir résolu le problème ethnique avec l’accord d’Arusha, cette thématique revient en force en ce début de troisième mandat de Pierre Nkurunziza. Pour inverser cette dynamique, un débat sur les modifications de l’accord de paix d’Arusha devrait être organisé. Actuellement, le régime met en scène un simulacre de débat en organisant un « dialogue national » entièrement sous contrôle. Idéalement, un débat sur Arusha devrait avoir lieu au Burundi. Cela suppose néanmoins que les libertés actuellement bafouées (libertés d’expression, de la presse, de réunion, etc.) soient à nouveau garanties et que l’opposition puisse rentrer d’exil. 

Tant que ces conditions préalables ne sont pas satisfaites et pour sortir de l’impasse actuelle, une discussion entre l’opposition et le gouvernement sur le futur d’Arusha doit s’engager hors du pays sous l’égide des garants de l’accord. La réunion convoquée par le facilitateur de la Communauté d’Afrique de l’Est (EAC), l’ancien président de la Tanzanie Benjamin Mkapa le 21 mai doit être la première étape pour rendre possible ce dialogue sur le futur de l’accord d’Arusha. Simultanément, les acteurs internationaux et tout particulièrement les Nations unies et l’Union africaine doivent prendre des mesures pour empêcher que la situation politique dégénère en conflit ethnique et en urgence humanitaire, mais également se préparer à une intervention d’urgence pour prévenir des violences de masse.

Recommandations

Pour apaiser les tensions, relancer le dialogue et convaincre le gouvernement et l’opposition d’y participer

Au gouvernement :

  1. S’engager dans un dialogue constructif avec l’opposition, permettre aux médias et à la société civile de travailler de façon indépendante et sereine, et revoir son approche violente envers les opposants.

A l’opposition :

  1. Abandonner la violence, et pour l’opposition non-armée en exil, s’engager dans un dialogue constructif avec le gouvernement et mettre fin à ses désaccords internes pour présenter un front unifié et des positions claires.

Aux Nations unies, à l’Union africaine (UA), à la Communauté d’Afrique de l’Est et à l’Union européenne (UE) :

  1. Formaliser une structure de médiation internationale afin de parler d’une seule voix.

Aux garants de l’accord d’Arusha (en particulier l’Afrique du Sud, la Tanzanie) :

  1. Former un groupe de travail composé du Conseil national pour le respect de l’accord d’Arusha pour la paix et la réconciliation au Burundi et de l’Etat de droit (Cnared), des Forces nationales de libération (FNL) et du CNDD-FDD chargé de discuter des modifications nécessaires de l’accord de paix d’Arusha.

A l’UA et l’UE :

  1. S’entendre pour mettre en œuvre la décision de l’UE de changer les modalités de financement de la Mission de l’Union africaine en Somalie (Amisom) en versant les soldes directement aux militaires sans passer par le gouvernement.
     
  2. Rechercher un autre pays contributeur de troupes pour éventuellement remplacer les soldats burundais au sein de l’Amisom afin d’éviter que les autorités burundaises puissent utiliser la participation du pays comme levier diplomatique.

Pour éviter la dérive vers un conflit ethnique et être prêt à intervenir en cas de violences de masse

Aux bailleurs qui ont suspendu une partie de leur aide (l’UE, l’Allemagne, la Belgique, les Etats-Unis, la France, les Pays-Bas, et la Suisse) :

  1. Contribuer financièrement au suivi des discours d’incitation à la haine par les autorités et par l’opposition afin de lutter contre les velléités d’ethnicisation. Ce suivi est déjà effectué par des ONG burundaises avec l’appui de certains bailleurs mais il nécessite davantage d’aide, notamment pour couvrir les discours des autorités locales dans les provinces. Il en est de même du processus de documentation des abus des droits humains qui doit continuer à être soutenu et renforcé.

Aux Nations unies, à l’UA, l’UE et aux partenaires bilatéraux :

  1. Pour l’UA mettre en place, et pour l’UE et les Etats-Unis élargir les sanctions à ceux qui tiennent des discours d’incitation à la haine et aux discriminations.
     
  2. Se mettre d’accord sur le déploiement immédiat de plusieurs centaines d’obser­vateurs des droits humains et de policiers internationaux armés.
     
  3. Prendre les mesures nécessaires pour être capable de déployer rapidement une force d’intervention en cas d’urgence, pouvant inclure notamment des troupes de la Mission des Nations unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo (Monusco).

Aux ONG burundaises et internationales qui étaient impliquées avant la crise dans la résolution des conflits locaux et disposent de structures locales de médiation :

  1. Réorienter le travail de ces structures vers la documentation des abus des droits humains et des discours d’incitation à la haine à Bujumbura et dans les provinces.

Pour atténuer l’impact de la crise économique et sociale sur les populations

Aux bailleurs qui ont suspendu une partie de leur aide (l’UE, l’Allemagne, la Belgique, les Etats-Unis, la France, les Pays-Bas, et la Suisse) :

  1. Vérifier la neutralité politique et la fiabilité technique des acteurs non-gouver­nementaux dans le cadre du changement des modalités d’aide. Cela suppose une évaluation politique et technique rigoureuse de ces acteurs. Pour certains d’entre eux, des partenariats avec des ONG internationales et un renforcement de leurs capacités financières et managériales seront indispensables.
     
  2. Financer des dispositifs de suivi de la situation nutritionnelle et sanitaire, et faire des études budgétaires pour identifier le point de rupture dans les secteurs clés de la santé et de l’agriculture afin de calibrer le soutien financier dont ils font l’objet. Les donateurs doivent veiller à ce que le changement des modalités de financement des programmes dans ces secteurs, qu’aucun d’entre eux n’a l’inten­tion d’arrêter, ne se traduise pas par une interruption des financements en cours.
     
  3. Créer un groupe de suivi de l’économie burundaise, et tout particulièrement dans les domaines de la santé, de l’agriculture et de l’accès aux produits de première nécessité.
     
  4. Débloquer des fonds pour le plan de réponse humanitaire qui demeure sous-financé. 

Nairobi/Bruxelles, 20 mai 2016

Executive Summary

One year after President Pierre Nkurunziza’s decision to run for a third term sparked the crisis, the situation remains critical. The radicalisation of the regime, which had been steadily increasing since the second post-conflict elections in 2010 and intensified by tensions over the third term in 2015, has seen the rise of the most hard-line leaders of the ruling party. These figures are determined to do away with the institutional system established by the Arusha accord – an agreement between Hutu and Tutsi elites in 2000 which put in place an ethnic quota system for state institutions, including the army, and established a two-term presidential limit. This political strategy to dismantle the accord and the return of violent rhetoric and tactics reminiscent of the civil war, have generated great fear within Burundian society – which, although deeply alarmed, has not yet given in to politicians’ tactics of inciting ethnic hatred. With the government and opposition invited to meet in Tanzania on 21 May, it is imperative that the guarantors of the Arusha accord call on them to engage in a meaningful dialogue on the future of the peace agreement and avoid a repeat of the country’s tragic past.

Violence, fear, socio-economic decline and deepening social fractures have characterised the beginning of the president’s third term. Following protests in April 2015 and Nkurunziza’s re-election in July, confrontation has taken the form of urban guerrilla warfare which, beyond the targeted assassinations, torture and disappearances, has had an insidious and devastating impact. By using ethnically-charged rhetoric and demonstrating an obvious desire to bring the democratic consensus of the Arusha accord to an end, the regime has ruptured its relations with part of the population. Some 250,000 Burundians have fled, including a significant portion of the political and economic establishment as well as civil society activists. The flight has drained Burundi of its most dynamic citizens and exposed divisions between the regime on one hand, and the army, the capital and the Tutsi community on the other. Trade between Bujumbura and the countryside has also been disrupted and, according to recent estimates, 10 per cent of the population (1.1 million people) are in need of humanitarian assistance of some kind.

The paradox at the heart of this confrontation is that while Burundi has democratised, the ruling party, the Council for the Defence of Democracy – Forces for the Defence of Democracy (CNDD-FDD), has not. An institutionalised ethnic power-sharing system is completely divorced from a radicalised ethnically-homogenous party reverting to its historical roots (rebel leaders of the civil war era). As the opposition, now forced into exile, seems unable to overcome its own longstanding ethnic cleavages, the regime’s current strategy of repression (alleging a Tutsi conspiracy, breaking up the security services and creating units loyal to the regime) has revived fears of genocidal violence within the Tutsi community. There are no signs at present that the population is ready to be mobilised for violence on ethnic grounds. But the simmering social and humanitarian crisis, part of the population’s physical, political and economic insecurity, and fear itself, have created the perfect conditions for the situation’s further deterioration and ethnic polarisation.

While many Burundians and the international community believed the ethnic problem had been solved with the Arusha accord, it has returned to the fore with President Nkurunziza’s third term. To reverse this trend, a debate should be organised on the necessary amendments to the peace agreement. The regime is presently staging sham debates through a “national dialogue” which remains completely under its control. Ideally, a debate on the Arusha accord would take place in Burundi. This, however, would require the government to lift current restrictions on civil liberties (freedom of expression, press and assembly, etc.) and allow the opposition to return from exile.

Before these conditions are met and in order to overcome the current impasse, a discussion between the opposition and the government on the future of the Arusha accord should take place outside of the country under the auspices of the guarantors of the peace agreement. The meeting called by former Tanzanian President Benjamin Mkapa on 21 May should be the first step in the dialogue on the future of the Arusha accord. In parallel, international actors, the UN and the African Union (AU) in particular, should take measures to prevent the crisis from descending into ethnic conflict and a humanitarian emergency, and prepare for an immediate intervention to prevent large-scale violence.

Recommendations

To reduce tensions, restart the dialogue and convince the government and the opposition to participate

To the government:

  1. Engage in constructive dialogue with the opposition, allow the media and civil society to work independently and free from fear, and revise its violent approach to political dissent.

To the opposition:

  1. Renounce violence and, for the unarmed opposition in exile, engage in a constructive dialogue with the government and resolve internal disagreements in order to present a common front and clear positions.

To the UN, African Union (AU), East African Community (EAC) and European Union (EU):

  1. Formalise a single international mediation structure in order to speak with one voice.

To the guarantors of the Arusha accord (in particular Tanzania and South Africa):

  1. Form a working group comprising the National Council for the Restoration of the Arusha Accord and the Rule of Law (Conseil national pour le respect de l’ac­cord d’Arusha pour la paix et la réconciliation au Burundi et de l’Etat de droit, CNARED), the National Forces of Liberation (Forces nationales de libération, FNL), and the CNDD-FDD tasked with discussing the necessary amendments to be made to the Arusha peace agreement.

To the AU and the EU:

  1. Agree on how to implement the EU decision to change the financing arrangements for the African Union Mission in Somalia (AMISOM) by bypassing the government and disbursing funds directly to the soldiers.
     
  2. The AU and its partners should also look for another troop contributing country to eventually replace Burundian soldiers within AMISOM in order to prevent Burundian authorities from using participation in the mission as diplomatic leverage.

To prevent a descent into ethnic conflict and be ready to intervene in case of mass violence

To donors who suspended part of their financial aid (the EU, Belgium, France, Germany, the Netherlands, the U.S. and Switzerland):

  1. Contribute financially to track hate speech by the authorities and the opposition in order to fight attempts at ethnic polarisation. Burundian NGOs, with the assistance of some donors, have already begun doing this, but they require further assistance, specifically to cover speeches by local authorities in the provinces. Financial assistance for the documentation of human rights abuses should also be sustained and increased.

To the UN, the AU, the EU and bilateral partners:

  1. The AU should put in place and the EU and the U.S. should expand sanctions regimes to include those propagating hate speech.
     
  2. Agree to deploy immediately several hundred human rights observers and armed international police.
     
  3. Take the necessary measures so that a rapid deployment force can be dispatched in case of emergency, which could include troops from the UN mission in the Democratic Republic of Congo (MONUSCO).

To Burundian and international NGOs involved in local conflict resolution before the current crisis with local mediation structures in place:

  1. Reorient the work of these structures toward the documentation of human rights abuses and hate speech in Bujumbura and in the provinces.

To mitigate the impact of the economic and social crisis on the population

To donors who suspended part of their financial aid (the EU, Belgium, France, Germany, the Netherlands, the U.S. and Switzerland):

  1. Verify the political neutrality and technical reliability of non-governmental actors in the context of changing the terms of aid provision. This requires a rigorous political and operational assessment of these actors. For some of them, a partnership with international NGOs and a strengthening of their financial and managerial capacities will be essential.
     
  2. Fund monitoring mechanisms to evaluate the status of food security and sanitation, and conduct budgetary studies to identify the breaking point of key health and agricultural sectors in order to calibrate the financial support they need. Donors should ensure financing changes to their programs do not result in the interruption of all ongoing funding.
     
  3. Create a committee to monitor the Burundian economy, specifically in the health and agriculture sectors and access to basic services.
     
  4. Make available funds for the humanitarian response plan, which remains under-funded.

Nairobi/Brussels, 20 May 2016

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