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Dix conflits à surveiller en 2024

De plus en plus de dirigeants choisissent la voie militaire pour atteindre leurs objectifs et beaucoup d’entre eux sont convaincus qu’ils pourront s’en tirer à bon compte. 

[Traduit de l'anglais]

Pouvons-nous empêcher que les choses empirent ? L’année 2024 commence avec des guerres à Gaza, au Soudan et en Ukraine et des processus de paix en crise. Les efforts diplomatiques pour mettre fin aux combats échouent dans le monde entier. De plus en plus de dirigeants choisissent la voie militaire pour atteindre leurs objectifs et beaucoup d’entre eux sont convaincus qu’ils pourront s’en tirer à bon compte. 

Les guerres se sont multipliées depuis environ 2012, après une baisse dans les années 1990 et au début des années 2000. Les conflits en Libye, en Syrie et au Yémen, déclenchés par les soulèvements arabes de 2011, ont été les premiers à éclater. L’instabilité libyenne s’est propagée vers le sud, contribuant à nourrir une crise qui perdure dans la région du Sahel. Une nouvelle vague de graves affrontements a déferlé : en 2020, la guerre entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie au sujet de l’enclave du Haut-Karabakh, les combats sanglants dans la région du Tigré, dans le nord de l’Éthiopie, qui ont commencé quelques semaines plus tard, le conflit provoqué par la prise de pouvoir de l’armée au Myanmar en 2021 et l’attaque de la Russie sur l’Ukraine en 2022. À cela se sont ajoutés les ravages au Soudan et à Gaza en 2023. Dans le monde entier, le nombre de personnes qui meurent dans les combats, qui sont forcées de quitter leur foyer ou qui ont besoin de secours urgent pour survivre n’a jamais été aussi élevé depuis des décennies. 

Dans certaines zones de combats, soit aucun processus de paix n’est enclenché, soit ces processus ne mènent nulle part. La junte du Myanmar et les officiers qui ont pris le pouvoir au Sahel sont déterminés à écraser leurs rivaux. Au Soudan, peut-être la pire guerre actuelle en termes du nombre de personnes tuées et déplacées, les efforts diplomatiques menés par les États-Unis et l’Arabie saoudite ont été désordonnés et en demi-teinte pendant des mois. Le président russe Vladimir Poutine, misant sur une diminution du soutien occidental à Kiev, cherche à forcer l’Ukraine à capituler et à se démilitariser – des conditions qui, on le comprend, ne sont pas acceptables pour les Ukrainiens. La diplomatie, sous sa forme actuelle, a consisté partout à gérer les conséquences : négocier un accès humanitaire ou des échanges de prisonniers, ou conclure des accords tels que celui qui a permis aux céréales ukrainiennes d’être commercialisées sur les marchés mondiaux via la mer Noire. Ces efforts, bien que vitaux, ne remplacent pas les pourparlers politiques. 

Là où les combats ont cessé, le calme découle moins souvent de la conclusion d’accords que d’une victoire militaire. En Afghanistan, les talibans ont pris le pouvoir au moment du départ des troupes américaines, sans négocier avec leurs rivaux afghans. Le Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed a conclu un accord fin 2022 avec les chefs rebelles du Tigré pour mettre fin à la guerre, mais il s’agissait plus d’une consolidation de la victoire d’Abiy Ahmed que d’un accord portant sur l’avenir de la région. L’année dernière, l’offensive que l’Azerbaïdjan a menée en septembre lui a permis d’achever un processus entamé avec sa victoire lors de la guerre de 2020, et de reprendre le contrôle du Haut-Karabakh, mettant ainsi fin à une situation sans issue qui durait depuis 30 ans dans l’enclave, et forçant les personnes d’origine arménienne à l’exode.

Les guerres en Libye, en Syrie et au Yémen sont également au point mort, mais sans arrangement durable entre les parties, ni même d’efforts politiques dignes de ce nom en Libye et en Syrie. En fait, les belligérants attendent surtout une occasion de s’emparer de plus de territoires ou de pouvoir.

Que la volonté des belligérants soit de vaincre leurs rivaux n’est pas nouveau. Mais dans les années 1990, une multitude d’accords a mis fin à des conflits, que ce soit au Cambodge, en Bosnie, au Mozambique ou au Libéria. Ces accords étaient loin d’être parfaits et impliquaient souvent des concessions difficiles. Une période marquée par le génocide rwandais et les affrontements meurtriers dans les Balkans peut difficilement être caractérisée comme l’âge d’or des processus de paix. Pourtant, cette série d’accords semblait annoncer un avenir où la politique apaisée de l’après-guerre froide ouvrait la voie à la diplomatie. Depuis une dizaine d’années, les accords de ce type sont rares. (L’accord en Colombie, en 2016, qui a permis de mettre fin à une guerre civile de plusieurs décennies et l’entente conclue en 2014 par les Philippines avec les rebelles de la région du Bangsamoro sont des exceptions et, d’une certaine manière, des héritages d’une autre époque.)

La tournure effroyable qu’a pris la situation en Israël-Palestine ces derniers mois est peut-être l’illustration la plus frappante de cette nouvelle tendance. Les efforts de paix dans cette région ont été réduits à néant il y a des années, et les dirigeants du monde entier ont, pour la plupart, préféré regarder ailleurs. Plusieurs gouvernements arabes ont conclu des accords avec Israël, sous l’égide des États-Unis, qui ignoraient pour la plupart le sort des Palestiniens. Israël a continué à grignoter des territoires palestiniens, et les colons se sont comportés de façon de plus en plus brutale, souvent de concert avec l’armée israélienne. L’occupation est devenue de plus en plus cruelle. Les espoirs des Palestiniens d’avoir leur propre État se sont évanouis, tout comme la crédibilité de leurs dirigeants qui avaient misé sur la coopération avec Israël. Rien ne peut justifier le déchainement meurtrier des militants palestiniens le 7 octobre. Mais le conflit israélo-palestinien n’a pas commencé ce jour-là. Aujourd’hui, l’attaque menée par le Hamas et les représailles d’Israël à Gaza – un assaut qui a rasé une grande partie de la bande de Gaza et qui pourrait vraisemblablement pousser à l’exil une bonne partie de ses habitants – risque d’anéantir tout espoir de paix pour une génération.

Il s’agit d'un dysfonctionnement de la politique mondiale.

Alors qu’est-ce qui ne va pas ? Il ne s’agit pas vraiment d’un problème lié à la pratique de la médiation ou aux diplomates impliqués. Il s’agit plutôt d’un dysfonctionnement de la politique mondiale. Dans une période de mutation, il y a de moins en moins de restrictions à l’utilisation de la force – même lorsqu’il s’agit de conquête territoriale ou de nettoyage ethnique. 

L’effondrement des relations de l’Occident avec la Russie et la concurrence entre la Chine et les États-Unis en sont en grande partie responsables. Même dans les crises où elles ne sont pas directement impliquées, les grandes puissances remettent en cause ce que devrait être la diplomatie, et si ou comment la défendre à tout prix. 

L’incertitude concernant la trajectoire politique des États-Unis y contribue également. La puissance américaine n’est pas en chute libre et son déclin relatif par rapport à d’autres pays n’annonce pas nécessairement le chaos. En effet, on aurait tort d’exagérer l’influence dont les États-Unis ont toujours joui en tant que puissance dominante, de négliger leurs mésaventures déstabilisatrices en Irak, en Libye et ailleurs, ou de ne pas prendre en compte leur puissance militaire actuelle. Les deux dernières années prouvent à de nombreuses reprises l’influence des États-Unis, que ce soit en bien, dans le cas de l’aide à la défense de l’Ukraine, ou en mal, en soutenant de manière quasi inconditionnelle la destruction de Gaza par Israël. Le problème réside davantage dans les dysfonctionnements et les fluctuations politiques des États-Unis, qui rendent instable son rôle global. Un vote potentiellement conflictuel en 2024 et le retour possible de l’ancien président américain Donald Trump, dont le penchant pour les hommes forts et le dédain pour les alliés traditionnels ébranlent déjà une grande partie de l’Europe et de l’Asie, rendent les perspectives pour l’année à venir particulièrement incertaines. 

Plusieurs puissances non occidentales de taille moyenne se sont affirmées. Le fait que le Brésil, les monarchies du Golfe, l’Inde, l’Indonésie et la Turquie (pour n’en citer que quelques-uns) jouissent d’une plus grande influence n’est pas une mauvaise chose en soi. Dans une certaine mesure, le refus des puissances de taille moyenne de se ranger docilement derrière les grandes puissances concurrentes impose à ces capitales une forme de retenue. Au Moyen-Orient et dans certaines parties de l’Afrique, en particulier, les puissances régionales ont pris un rôle plus actif dans les guerres – tout comme, d’après elles, les grandes puissances depuis longtemps – et elles ont contribué à la prolongation des combats. Les belligérants ont aujourd’hui un champ de possibilités plus grand pour obtenir un soutien politique, des fonds et des armes. Les artisans de la paix doivent non seulement tenir compte des belligérants sur le terrain, mais aussi des soutiens extérieurs qui abordent les combats locaux à travers le prisme de rivalités plus larges. 

Les risques vont au-delà du bilan humain des guerres. Les dirigeants enhardis par les victoires remportées dans leur pays pourraient ne pas s’arrêter là. Les diplomates de la région du Caucase craignent que l’Azerbaïdjan, fort de sa victoire dans l’enclave du Haut-Karabakh, ne cherche à présent à remettre en cause les frontières de l’Arménie pour tenter d’obtenir des concessions du gouvernement arménien sur un itinéraire de transit à travers le sud du pays. Les dirigeants de la Corne de l’Afrique craignent qu’Abiy Ahmed, tout juste auréolé de son triomphe dans la région du Tigré, n’utilise la force pour tenter d’obtenir un nouveau passage pour son pays enclavé à travers l’Érythrée jusqu’à la mer Rouge. Les probabilités que l’une ou l’autre de ces éventualités se produisent, bien qu’encore faibles, sont suffisamment élevées pour susciter un certain malaise. La norme de non-agression, qui a sous-tendu l’ordre mondial pendant des décennies, se dégrade déjà, en partie à cause de la tentative de la Russie d’annexer une plus grande partie de l’Ukraine. En 2024, les dirigeants pourraient vouloir aller au-delà de la répression des formes d’opposition à l’intérieur de leur pays ou de l’utilisation de groupes intermédiaires pour se mêler des affaires extérieures ; le risque que ces derniers envahissent le territoire de leurs voisins est plus grand qu’il ne l’a été depuis des années. 

Le risque d’une conflagration plus large plane également sur la liste de cette année.

Le risque d’une conflagration plus large plane également sur la liste de cette année. Les grandes puissances ont tout intérêt à ne pas s’affronter, mais les conflits se multiplient et les tensions s’aggravent le long des lignes de clivage les plus périlleuses de la planète, comme l’Ukraine, la mer Rouge, Taïwan et la mer de Chine méridionale. Les discussions apparemment anodines portant sur la guerre à Pékin, Moscou et Washington pourraient normaliser le coût presque incalculable d’un affrontement entre les États-Unis et la Chine ou la Russie.

Il semble peu probable que les dirigeants mondiaux, compte tenu de leurs divisions, reconnaissent à quel point la situation est devenue périlleuse et réaffirment collectivement leur conviction que les frontières ne doivent pas être modifiées par la force. Il est également peu probable que ces derniers consacrent davantage d’énergie à la conclusion d’accords dans les régions déchirées par la guerre, qui insisteraient pour que les belligérants soient traduits en justice et pour que des civils qui n’ont pas de sang sur les mains prennent le pouvoir. 

Notre meilleur espoir cette année est probablement de s’en sortir le mieux possible. La diplomatie peut être utile en dehors des zones de guerre. Le rapprochement entre l’Iran et l’Arabie saoudite, fruit d’une médiation irakienne, omanaise et chinoise, qui a permis d’apaiser une rivalité qui avait alimenté les guerres arabes pendant des années, a été un point positif de l’année 2023. Les dirigeants turcs et grecs, tous deux fraichement élus et effrayés par l’invasion de l’Ukraine par la Russie, ont cherché à resserrer les liens mis à mal par le long différend qui oppose les deux pays au sujet de la mer Égée. Un sommet bien coordonné entre le président américain Joe Biden et le président chinois Xi Jinping à la fin de l’année 2023 a permis de ramener un peu de calme dans la relation bilatérale la plus importante au monde. Même en plein chaos, les dirigeants comprennent les avantages à calmer le jeu et à renforcer les garde-fous dans les régions les plus risquées du monde. 

Dans les zones de conflits, l’usage de la diplomatie est plus difficile : il s’agit davantage de repérer les possibilités d’arrêter les combats et d’atténuer les souffrances dès qu’elles se présentent, tout en redoublant d’efforts pour empêcher que les conflits se propagent. Cela implique presque systématiquement d’accepter des accords imparfaits entre belligérants en les considérant comme préférables à une guerre interminable tout en travaillant avec ceux qui sont directement concernés pour faire en sorte que les accords soient plus susceptibles de perdurer. Aujourd’hui, il ne serait pas avisé d’exclure ceux qui, sur le terrain ou à distance, sont à l’origine de la violence, mais dont le rôle est essentiel pour y mettre un terme. Dans l’idéal, les dirigeants mondiaux devraient également accorder aux conflits supposés gelés l’attention qu’ils méritent avant qu’il ne soit trop tard, comme l’illustre la tragédie de Gaza. 

Il s’agit, en d’autres termes, d’espérer le meilleur, alors même qu’aujourd’hui agir pour la paix consiste surtout à empêcher le pire, ce qui n’est pas une mince affaire, comme le montre la liste de cette année. 

Dix conflits à surveiller en 2024

Gaza     
Une guerre plus large au Moyen-Orient     
Soudan     
Ukraine     
Myanmar     
Éthiopie     
Le Sahel     
Haïti     
Arménie-Azerbaïdjan     
États-Unis – Chine

Gaza

L’attaque menée par le Hamas le 7 octobre et la destruction de Gaza en retour ont ouvert un nouveau chapitre douloureux dans le conflit israélo-palestinien, vieux de plusieurs décennies. Près de trois mois plus tard, il apparait de plus en plus clairement que les opérations militaires d’Israël n’élimineront pas le Hamas, contrairement à ce qu’affirment les dirigeants israéliens, et qu’en agissant de la sorte, ils risquent de détruire ce qu’il reste de la bande de Gaza.

L’horreur et l’ampleur des événements du 7 octobre, qui ont vu des insurgés palestiniens massacrer plus de 1 100 personnes, pour la plupart des civils, en Israël et faire plus de 200 prisonniers, ont traumatisé les Israéliens et annihilé leur sentiment de sécurité. La méfiance que beaucoup ressentaient à l’égard du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu avant l’attaque n’a fait que se renforcer devant l’incapacité de son gouvernement à empêcher les évènements. Pourtant, les Israéliens sont majoritairement d’accord avec Netanyahou sur le fait qu’ils ne peuvent pas vivre à proximité du Hamas. Ils sont convaincus que la menace qu’il représente est trop grave. 

La campagne israélienne à Gaza, une enclave côtière densément peuplée dirigée par le Hamas et sous le blocus d’Israël et de l’Égypte depuis seize ans, a été lancée peu après l’attaque du 7 octobre. Israël a assiégé la bande de Gaza pendant des semaines avant d’autoriser l’accès limité de l’aide humanitaire. Les bombardements intensifs et les appels lancés aux habitants du nord de l’enclave, y compris ceux de la ville de Gaza, pour qu’ils évacuent vers le sud ont ouvert la voie aux opérations terrestres au cours desquelles des troupes ont encerclé la ville de Gaza avant d’y entrer. Fin novembre, une courte trêve, négociée par le Qatar avec le soutien des États-Unis et de l’Égypte, a permis au Hamas de libérer 105 otages (81 Israéliens et 24 autres ressortissants) et à Israël de relâcher 240 Palestiniens détenus dans ses prisons. Le 1er décembre, l’assaut a repris, avec des opérations terrestres également dans le sud de Gaza. Les bombardements et les combats se poursuivent dans toute la bande de Gaza.

Les opérations israéliennes ont été dévastatrices, rasant une grande partie de la bande de Gaza, tuant plus de 20 000 Palestiniens, anéantissant des générations de familles et laissant un nombre incalculable d’enfants morts, mutilés ou orphelins. Israël a largué des charges massives – y compris des bombes pesant 2 000 livres (près d’une tonne) – sur des zones bondées. (À titre de comparaison, la coalition qui combat l’État islamique en Irak et en Syrie a hésité avant de larguer des bombes d’un quart de cette puissance sur des zones avec moins de population). Les rapports indiquent que la destruction atteint une vitesse et une ampleur jamais égalées dans l’histoire récente. Plus de 85 pour cent des 2,3 millions d’habitants de Gaza ont quitté leur foyer, selon les Nations unies, qui mettent également en garde contre l’effondrement de l’ordre public, la famine et les maladies infectieuses qui, selon les agences d’aide humanitaire, pourraient bientôt faire plus de victimes que les opérations militaires. De nombreux Palestiniens, dont certains ont déjà été déplacés à plusieurs reprises, ont fui plus au sud vers des camps de fortune situés le long de la frontière égyptienne. Certains responsables israéliens disent ouvertement qu’ils espèrent que la situation à Gaza amènera les Palestiniens à partir même si Israël nie qu’il s’agit d’une politique officielle. 

Des Palestiniens fuyant le nord de Gaza se dirigent vers le sud alors que les chars israéliens pénètrent plus profondément dans l'enclave, dans le cadre du conflit actuel entre Israël et le Hamas, dans le centre de la bande de Gaza, 10 novembre 2023. REUTERS / Ibraheem Abu Mustafa

Israël a également verrouillé la Cisjordanie occupée. Le gouvernement a accéléré le rythme et la violence de ses opérations de sécurité dans cette région, que ce soit en représailles à l’attentat d’octobre ou pour prévenir les attaques de Palestiniens, comme l’affirment les responsables israéliens. Les colons israéliens (soutenus et armés par le gouvernement de Netanyahu, qui comprend plusieurs ministres eux-mêmes colonisateurs) ont redoublé de violence envers les Palestiniens, chassant les habitants de plusieurs villages, dans ce que les groupes israéliens et internationaux de défense des droits humains qualifient d’actes de transfert forcé. 

Jusqu’à présent, le gouvernement américain a soutenu Israël d’une manière presque inconditionnelle. Les responsables américains affirment que Washington emploie la « diplomatie de l’étreinte » pour exercer son influence, qui consiste à soutenir les dirigeants israéliens en public pour les influencer en privé. La diplomatie américaine a contribué à la trêve des combats en novembre et a peut-être tempéré certaines tactiques israéliennes, même si le bilan à Gaza indique que l’impact a été très limité. Ces dernières semaines, les responsables américains ont commencé à s’interroger plus ouvertement sur le coût et la durée de la campagne. Mais Joe Biden a refusé d’appeler à un cessez-le-feu et, début décembre, les États-Unis ont opposé leur véto à une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU en ce sens (deux semaines plus tard, le Conseil a adopté un texte opaque mentionnant une cessation des hostilités sans inviter les parties à en rechercher une). Joe Biden refuse également d’assortir de conditions l’aide militaire américaine à Israël. La plupart des pays du monde considèrent que Washington est complice dans la destruction de la bande de Gaza. 

Benjamin Netanyahou a donné peu de détails sur son plan d’action pour Gaza, si ce n’est qu’Israël conservera le contrôle de la sécurité dans la bande de Gaza. Il rejette l’idée, défendue par Washington, que l’Autorité palestinienne, qui gouverne une partie de la Cisjordanie et est dominée par le Fatah, le principal rival palestinien du Hamas, puisse jouer un rôle dans la gouvernance de Gaza après la guerre. Il insiste sur le fait qu’Israël se battra jusqu’à ce qu’il ait éliminé le Hamas. (Une décision du cabinet au début de la guerre avait spécifié des objectifs de guerre plus limités : détruire les capacités militaires et de gouvernance du Hamas.) Selon Benjamin Netanyahou, les avancées militaires permettent d’obtenir la libération des otages. Mais son gouvernement fait manifestement passer ces avancées avant les otages. Le 15 décembre, trois otages civils détenus par le Hamas, qui étaient à moitié dévêtus et brandissaient un drapeau blanc, ont été abattus par des soldats israéliens, ce qui a amené leurs familles et celles d’autres otages à intensifier les manifestations à Tel-Aviv. 

Peu d’éléments laissent penser jusqu’à présent qu’Israël pourrait éradiquer le Hamas.

En réalité, bien peu d’éléments laissent penser jusqu’à présent qu’Israël pourrait éradiquer le Hamas. La destruction de ses brigades elle-même ne sera pas une mince affaire et quoiqu’il arrive, le mouvement politique et social au sens large survivra et la résistance armée se poursuivra sous une forme ou une autre tant que l’occupation persistera. Les forces israéliennes affirment avoir démantelé les infrastructures des insurgés, y compris de nombreux tunnels souterrains de Gaza, tué environ 8 000 combattants du Hamas et en avoir arrêté des milliers d’autres. En supposant que ces chiffres soient exacts, ils représentent moins de la moitié de la branche armée du groupe. Dans la ville de Gaza, désormais censée être sous contrôle israélien, les embuscades tendues par des insurgés se poursuivent, ce qui indique que le Hamas est toujours opérationnel. Washington a l’air d’espérer que le fait d’exhorter Israël à améliorer la protection des civils permettra de mener une campagne plus ciblée. Mais la bande de Gaza est trop petite et le Hamas est trop étroitement mêlé aux civils. Les atrocités subies par les Israéliens le 7 octobre ne représentent en aucun cas une justification crédible de la destruction de la bande de Gaza et de sa société, et d’autant moins avec un objectif qui semble de plus en plus clairement irréalisable.

Washington devrait plutôt réclamer avec plus d’insistance une nouvelle trêve, qui permettrait la libération de tous les prisonniers détenus par le Hamas en échange de prisonniers palestiniens. Des accords provisoires portant sur Gaza, qui seraient encore plus difficiles à négocier, pourraient peut-être prévoir le retrait des troupes israéliennes, l’allègement du blocus et la garantie d’un cessez-le-feu durable par des puissances extérieures. Le Hamas renoncerait à tout rôle dans le gouvernement au profit d’une forme d’autorité palestinienne temporaire. Certains responsables arabes émettent l’idée que les chefs militaires du Hamas, voire les combattants, devraient quitter Gaza. Dans un cas de figure idéal, les dispositions provisoires concernant la bande de Gaza ouvriraient la voie à de nouveaux efforts visant à donner un nouveau souffle à une voie politique plus large entre Israéliens et Palestiniens, même si les obstacles sont colossaux. Nombreux sont les Israéliens qui partagent aujourd’hui le refus de longue date de Netanyahou de créer un État palestinien ou, du moins, qui pensent que ce n’est pas le moment de remettre cette question sur la table. Les dirigeants de l’Autorité palestinienne sont vilipendés par les Palestiniens, qui les considèrent comme des incapables et des corrompus. Les négociations exigeraient des dirigeants mondiaux qu’ils s’investissent beaucoup plus qu’ils ne l’ont fait ces dernières années. 

Néanmoins, dans l’état actuel des choses, il est plus probable que des opérations majeures durent encore des semaines (voire des mois), et qu’elles soient suivies d’une campagne moins intense au cours de laquelle la situation de Gaza restera très incertaine. Une occupation militaire prolongée semble probable, même si Netanyahou nie que telle soit son intention. Les forces israéliennes contrôleront des zones entières de la bande et poursuivront leurs raids, tandis que les Palestiniens s’entasseront dans des zones ou des camps considérés comme sécurisés, de plus en plus petits, maintenus en vie dans la mesure du possible par les agences humanitaires. 

La situation pourrait empirer. Même si l’Égypte est déterminée à maintenir les Palestiniens sur le territoire de Gaza à la frontière, on peut tout à fait imaginer que des réfugiés traversent la frontière, notamment si la campagne s’éternise et que l’assaut d’Israël prend la forme d’opérations terrestres accompagnées de bombardements plus intenses de la ville frontalière de Rafah. Les Palestiniens et une grande partie du monde arabe considèreraient cette situation comme une répétition de la Nakba de 1948, lorsque des centaines de milliers de Palestiniens ont fui ou ont été expulsés de leurs maisons dans ce qui est aujourd’hui Israël – beaucoup d’entre eux se retrouvant à Gaza ou dans les pays voisins. 

Dans l’ensemble, la poursuite de la guerre semble plus susceptible de marquer non pas le début des efforts visant à relancer un processus de paix, comme le prétendent certains dirigeants occidentaux, mais la fin de toute voie politique identifiable. Dans la triste histoire de ce conflit, la paix n’a jamais semblé autant hors de portée. 

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Une guerre plus large au Moyen-Orient

Ni l’Iran et ses alliés non étatiques, ni les États-Unis et Israël ne souhaitent une confrontation régionale, mais les risques que la guerre entre Israël et le Hamas aboutisse à ce résultat sont nombreux.

D’une certaine manière, la guerre fait le jeu de l’Iran. Elle a permis de geler, pour l’instant, un accord conclu sous l’égide des États-Unis que l’Iran n’appréciait guère, et qui aurait permis à l’Arabie saoudite de normaliser ses relations avec Israël, l’ennemi juré de Téhéran. Elle a également révélé la portée de ce que l’on appelle l’axe de la résistance, un ensemble de groupes armés soutenus par l’Iran – le Hezbollah au Liban, diverses milices en Irak et en Syrie, les Houthis au Yémen, ainsi que les groupes insurgés palestiniens Hamas et Jihad islamique – sur lesquels Téhéran exerce un contrôle plus ou moins important. Ces groupes ont mis la pression (lorsque les troupes terrestres israéliennes sont entrées dans la bande de Gaza) et l’ont relâchée (pendant la trêve d’une semaine à Gaza, qui a permis des échanges d’otages et de prisonniers) montrant par là même qu’ils étaient en mesure d’agir de concert. Téhéran se félicite du déferlement de rage dirigée contre Israël et les États-Unis dans l’ensemble du Moyen-Orient.

Mais la guerre arrive à un mauvais moment pour Téhéran. Ses relations avec Washington s’étaient apaisées après une période de colère occidentale devant l’écrasement des manifestations par le régime à la fin de l’année 2022 et les livraisons d’armes à la Russie. En août, les États-Unis et l’Iran ont échangé des détenus, parallèlement à un accord tacite qui impliquait que Téhéran dissuade les milices irakiennes et syriennes de cibler les forces américaines, ralentisse le développement nucléaire et coopère mieux avec les inspecteurs, apparemment en échange d’un assouplissement de l’application des sanctions par le gouvernement américain afin d’aider l’économie iranienne malmenée. Cet accord a aujourd’hui perdu toute crédibilité. 

La guerre à Gaza met également l’Iran dans l’embarras. Téhéran ne veut pas que Gaza mette en péril le Hezbollah, un allié qu’il considère comme essentiel dans ce qu’il appelle sa « défense avancée », c’est-à-dire la dissuasion contre une attaque d’Israël ou des États-Unis visant la République islamique elle-même. Pourtant, après avoir prétendu pendant des années soutenir la cause palestinienne, l’Iran et ses alliés se sentent contraints d’agir. Il semblerait que Téhéran soit irrité par le moment choisi par le Hamas pour lancer l’attaque du 7 octobre. De son côté, le Hamas semble frustré que l’Iran ne l’aide pas davantage. 

La dernière chose que Joe Biden souhaite, c’est une guerre de plus grande envergure au Moyen-Orient, alors qu’il essaie de soutenir l’Ukraine, de contenir la Chine et de faire campagne pour sa réélection.

Quant aux États-Unis, la dernière chose que Joe Biden souhaite, c’est une guerre de plus grande envergure au Moyen-Orient, alors qu’il essaie de soutenir l’Ukraine, de contenir la Chine et de faire campagne pour sa réélection. L’accord tacite conclu l’été dernier entre Washington et Téhéran pour réduire les frictions visait à retarder une crise nucléaire ou une autre crise régionale, sans pour autant donner formellement à l’Iran un allègement des sanctions et sans risquer d’être perçu comme étant trop indulgent à l’approche des élections américaines de 2024. Washington a tenté d’empêcher la guerre de gagner du terrain, en déployant deux groupes de porte-avions en Méditerranée et en investissant un énorme capital diplomatique, même si Joe Biden a jusqu’à présent rejeté la mesure la plus rapide pour réduire les risques – promouvoir un cessez-le-feu.

La frontière israélo-libanaise est la poudrière la plus dangereuse. Depuis le 7 octobre, le Hezbollah et Israël ont échangé des tirs de missiles à un rythme de plus en plus soutenu, le Hezbollah cherchant à immobiliser l’armée israélienne en deçà du seuil de la guerre tous azimuts que les deux parties se sont brièvement livrée en 2006. 

Cette tension pourrait prendre une nouvelle tournure. Les dirigeants israéliens les plus bellicistes estiment qu’après l’attaque du 7 octobre, Israël ne peut pas prendre le risque de laisser une force insurgée hostile – en particulier une force beaucoup plus puissante que le Hamas, dotée d’un stock estimé à 150 000 roquettes – si près de sa frontière septentrionale. L’opinion publique fait également pression pour que l’on s’attaque au Hezbollah ; plus de 100 000 habitants du nord d’Israël ont été contraints d’évacuer les lieux pour une durée indéterminée.

Ailleurs, des groupes soutenus par l’Iran ont échangé des tirs avec les forces américaines. En Syrie et en Irak, des milices ont frappé à plusieurs reprises des bases américaines et des installations diplomatiques, provoquant des contre-attaques américaines qui ont tué des miliciens. 

Des navires de guerre participent à un exercice militaire naval conjoint entre l'Iran, la Russie et la Chine dans le golfe d'Oman, en Iran, sur cette photo obtenue par Reuters le 17 mars 2023. Armée iranienne/WANA (West Asia News Agency)/Handout via REUTERS

Restent les Houthis, moins indispensables pour l’Iran que le Hezbollah et qui servent un peu de joker. Les insurgés yéménites ont lancé des missiles et des drones en direction d’Israël et frappé des navires commerciaux dans la mer Rouge, en invoquant comme motif l’attaque d’Israël contre Gaza. Mi-décembre, des frappes sur deux navires près de Bab al-Mandab, un détroit qui relie la mer Rouge au golfe d’Aden, ont incité le géant du transport maritime Maersk et d’autres compagnies à interrompre le transit de leurs navires. Il semblerait que la mise en place par les États-Unis et d’autres gouvernements occidentaux d’une force navale destinée à protéger le trafic maritime ait partiellement rouvert la route fin décembre. On ne peut pas exclure qu’Israël, les États-Unis ou leurs alliés perdent patience à un moment donné et décident de frapper non seulement les Houthis, mais aussi des cibles iraniennes – une cible évidente serait, par exemple, un bateau-espion iranien suspecté de transmettre des renseignements –, ce qui ferait monter la tension d’un cran.

Parallèlement, l’Iran développe, doucement mais surement, sa capacité à fabriquer des armes nucléaires. Il peut déjà enrichir suffisamment d’uranium pour produire un arsenal de quatre ogives nucléaires en l’espace d’un mois (même s’il lui en faudrait encore un peu plus pour fabriquer une véritable arme). Le pays a limité le contrôle exercé par l’organe de surveillance des Nations unies. Le retour à un accord comme celui de 2015 serait difficile compte tenu des progrès nucléaires réalisés par l’Iran depuis lors, mais personne ne réfléchit vraiment à ce qui pourrait le remplacer.

Bien qu’aucune des deux parties ne souhaite la guerre, beaucoup de choses pourraient mal tourner, notamment avec la poursuite de la campagne israélienne à Gaza. Toute attaque – que ce soit à la frontière libanaise, en Irak ou en Syrie, en mer Rouge ou dans le golfe Persique – qui tuerait un grand nombre de civils ou de membres du personnel américain risquerait de déclencher une salve de représailles.

Si Israël décidait d’agir contre le Hezbollah, une guerre comme celle de 2006 déclencherait presque certainement une confrontation plus large, compte tenu de la montée en puissance régionale de l’Iran, et elle pourrait finir par impliquer de plus en plus les États-Unis dans toute la région. 

Si l’Iran se rapprochait du seuil nucléaire, dans un contexte où la plupart des responsables américains considèrent que les interactions diplomatiques avec Téhéran sont toxiques, Washington se trouverait confronté à des choix tous aussi déplaisants les uns que les autres : accepter d’avoir un adversaire opiniâtre doté d’une capacité nucléaire, ce que les gouvernements successifs ont tout fait pour éviter, ou tenter de le faire reculer par la force, ce qui déclencherait presque certainement une confrontation régionale que la plupart des responsables politiques de Washington souhaitent éviter.

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Soudan

En avril, les frictions entre deux factions militaires soudanaises – l’armée et les forces paramilitaires de soutien rapide (RSF) – ont dégénéré en guerre ouverte. Depuis, les combats ont fait des milliers de morts, déplacé des millions de personnes et conduit le Soudan au bord de l’effondrement. Alors que le spectre du génocide hante à nouveau la région occidentale du Darfour, les forces de soutien rapide, qui sont responsables d’une grande partie des tueries, pourraient être prêtes à s’emparer du pays.

La guerre est née de luttes au sein de l’armée après l’éviction du dirigeant autoritaire Omar el-Béchir lors d’un soulèvement populaire en 2019. Omar el-Béchir avait donné aux forces paramilitaires un rôle de garde prétorienne non officiel, tentant ainsi de se protéger des menaces de coup d’État. Le chef des RSF, Mohamed Hamdan Dagalo, également connu sous le nom de Hemedti, s’est d’abord fait connaître en tant que commandant des milices janjawids qui ont brutalement réprimé les rébellions au Darfour au milieu des années 2000 pour le compte d’Omar el-Béchir. 

Alors que des milliers de Soudanais descendaient dans la rue en 2019, Hemedti et le général Abdel Fattah al-Burhan des forces armées soudanaises ont uni leurs forces pour évincer Omar el-Béchir en acceptant ensuite de partager le pouvoir avec un gouvernement civil. En octobre 2021, ils ont écarté les civils. L’alliance entre les RSF et l’armée a souffert de la pression pour restaurer un régime civil et est devenue plus compliquée, avec des négociations houleuses sur la manière et le moment où Hemedti intégrerait ses combattants sous le commandement de Burhan. 

Les pourparlers se sont corsés à la mi-avril. Des combats ont alors éclaté dans la capitale, Khartoum, avant de s’étendre au-delà. On ne sait pas exactement qui a tiré le premier. 

Les premiers combats ont détruit une grande partie de la ville. Les combattants des RSF, originaires pour la plupart de l’ouest du Soudan, ont envahi des quartiers, se livrant souvent à des pillages. L’armée, dépassée sur le terrain, a commencé à bombarder depuis les airs. Au Darfour, la guerre a débouché sur des massacres ethniques ; les RSF ont tué de nombreux civils dans le Darfour occidental en particulier. Les lignes de front ont eu l’air de se stabiliser pendant l’été. 

En octobre et novembre, les RSF se sont emparées des principales villes du Darfour, et on a commencé à entendre de nombreux récits détaillant les brutalités commises à l’encontre des Masalit, une communauté non arabe que les milices harcèlent depuis des années. Alors que les forces indisciplinées de Hemedti s’emparaient de la majeure partie de l’ouest du pays, ainsi que de Khartoum et de ses environs, l’armée a déplacé son centre de commandement à Port-Soudan, sur la mer Rouge. En décembre, les RSF ont lancé une offensive éclair à l’est de la capitale, dans l’État d’El Gezira, le grenier à blé du Soudan. La ville de Wad Madani – la capitale d’El Gezira, vers laquelle environ un demi-million de Soudanais, pour la plupart originaires de Khartoum, avaient fui – est tombée presque sans résistance, ce qui a porté un coup au moral de l’armée soudanaise. 

De nombreux Soudanais dans les périphéries du pays se reconnaissent dans le discours des paramilitaires dénonçant les élites dirigeantes du pays.

La guerre a fait naître un ressentiment plus profond. Malgré la réputation détestable des RSF, de nombreux Soudanais dans les périphéries du pays se reconnaissent dans le discours des paramilitaires dénonçant les élites dirigeantes du pays, même si certains méprisent également leur comportement de prédateur. Pour leur part, les populations de la vallée du Nil qui ont historiquement dirigé l’État méprisent les RSF. 

Des puissances extérieures sont également impliquées. Des rapports indiquent que les RSF recevraient des armes des Émirats arabes unis – les forces d’Hemedti ont combattu avec les Émiratis au Yémen – tandis que l’armée est principalement soutenue par l’Égypte. Les diplomates africains, arabes et occidentaux craignent que le désir des Émirats arabes unis d’accéder à la mer Rouge ne joue un rôle dans la progression des RSF vers l’est. On ne sait pas vraiment si l’armée serait en mesure de suffisamment rassembler ses forces pour freiner les avancés des RSF. 

Alors que les généraux – et les islamistes de l’ère el-Béchir sur lesquels l’armée s’est appuyée pour obtenir un soutien et qui estiment avoir le plus à perdre d’un accord – se sont longtemps opposés à des pourparlers de paix, certains signes montrent qu’ils recherchent de plus en plus désespérément une issue. Mais plus l’armée s’affaiblit et moins Hemedti sera prêt à offrir quoi que ce soit. 

En ce qui concerne les efforts de paix, les représentants des parties se sont ponctuellement réunis à Jeddah, en Arabie saoudite, mais aucune n’a négocié de bonne foi. Riyad et Washington, qui ont organisé les pourparlers, ont ignoré d’autres acteurs, notamment Abu Dhabi et Le Caire, qui sont essentiels pour maîtriser les belligérants (même s’ils ont récemment invité un émissaire du bloc régional de la Corne de l’Afrique, l’Autorité intergouvernementale pour le développement). 

Abdullah, 54 ans, un Soudanais originaire d’al-Geneina, qui a fui le conflit dans la région du Darfour au Soudan avec sa famille, construit son abri temporaire à Adre, Tchad, 19 juillet 2023. REUTERS / Zohra Bensemra

En décembre, Washington a changé son approche, en soutenant l’initiative des chefs d’État africains de réunir Burhan et Hemedti pour mettre en place un cessez-le-feu. Les deux dirigeants ont accepté de se rencontrer, mais on ne sait pas s’ils sont vraiment prêts à le faire et les pourparlers prévus pour le 28 décembre n’ont pas eu lieu. Autre difficulté : pendant des mois, les diplomates américains ont hésité à faciliter un accord entre Hemedti et Burhan, de peur d’irriter les Soudanais qui veulent se débarrasser des dirigeants qui ont conduit le pays à la ruine. 

Il est probable qu’un tel pacte soit pourtant une première étape nécessaire. Tout cessez-le-feu devra être élargi pour intégrer d’autres acteurs et revenir à un régime civil, mais les RSF et l’armée ne mettront pas fin à leurs combats s’ils n’ont pas eu leur mot à dire sur la suite des événements. 

Une diplomatie beaucoup plus active est nécessaire. L’effondrement du Soudan pourrait peser pendant des décennies sur les régions du Sahel, de la Corne de l’Afrique et de la mer Rouge. La voie de sortie pour éviter un tel scénario se referme.

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Ukraine

La guerre entre la Russie et l’Ukraine est devenue un enjeu politique à Washington, mais le champ de bataille décidera de l’avenir de la sécurité en Europe. 

La ligne de front de près de 1 000 kilomètres de longueur n’évolue guère. La contre-offensive de l’Ukraine s’est essoufflée et l’armée ukrainienne n’a gagné que peu de terrain. Elle n’a pas non plus réussi à percer les défenses russes dans le sud, comme Kiev le souhaitait. Les généraux ukrainiens craignent une attaque russe à l’est ou au nord, même si la tentative russe de prendre la ville orientale d’Avdiivka à la fin de l’année 2023 a rencontré une résistance féroce, ce qui laisse penser que toute avancée russe sera laborieuse, à condition que l’Ukraine dispose de suffisamment d’armes.

Le Kremlin estime que le temps joue en sa faveur. La Russie est sur le pied de guerre, développe son armée et dépense beaucoup d’argent en armement. Malgré les sanctions occidentales, Moscou a exporté suffisamment, grâce aux bénéfices exceptionnels réalisés dans le secteur de l’énergie, pour renflouer ses coffres, tout en important suffisamment pour que les usines d’armement tournent en continu. Le président Vladimir Poutine a uni le destin de l’élite russe au sien. Il a consolidé sa mainmise sur l’armée après l’échec de la mutinerie du chef du groupe Wagner, Evgeny Prigozhin, en juin. De nouvelles dépenses ont récompensé une classe émergente de loyalistes. La guerre est au cœur d’un nouveau construit russe, ancré dans des valeurs dites traditionnelles, qui célèbrent le combat comme une quête virile.

L’humeur du pays pourrait pourtant changer, avec plus d’un tiers du budget de l’État consacré à la défense et plusieurs milliers de Russes qui meurent chaque mois en Ukraine. Cependant, à ce stade, Vladimir Poutine bénéficie encore d’un certain élan. 

L’Ukraine est confrontée à un hiver morose. L’objectif des frappes de missiles russes sera de couper le chauffage et de vider les villes. Le général en chef de Kiev a récemment fait allusion à une « impasse », ce qui lui a valu une réprimande du président ukrainien Volodymyr Zelensky. Les munitions s’épuisent, tout comme les réserves de personnel. Les dissensions entre les responsables ukrainiens et occidentaux deviennent plus visibles. La contre-offensive a généré de grandes espérances conduisant Kiev à remettre à plus tard la préparation de l’opinion publique ukrainienne qui s’annonce comme une épreuve interminable. 

Des militaires ukrainiens de la première brigade présidentielle Bureviy ("Ouragan") tirent un mortier lors d'un exercice, dans le contexte de l'attaque russe contre l'Ukraine, dans la région de Kiev, Ukraine, 8 novembre 2023. REUTERS / Vladyslav Musiienko

Le soutien hésitant de l’Occident inquiète particulièrement Kiev. Depuis l’attaque frontale russe début 2022, les armes américaines ont joué un rôle essentiel dans la défense de l’Ukraine. Malgré le soutien bipartisan du Congrès américain, un groupe de législateurs républicains bloque un important programme d’aide visant à permettre à Kiev de tenir jusqu’à l’élection présidentielle américaine de 2024. L’ancien président américain Donald Trump, candidat présumé à l’investiture républicaine, a critiqué l’aide apportée à l’Ukraine. 

Le gouvernement Biden pourrait encore trouver un accord avec les républicains, et s’il n’y parvient pas, il existe d’autres moyens de fournir des armes à l’Ukraine sans l’aval du Congrès. Mais cela deviendra de plus en plus difficile à mesure que les élections approchent. L’Europe, malgré son soutien rhétorique, n’a augmenté ses approvisionnements que très lentement, en particulier en ce qui concerne les munitions. La politique au sein du bloc pose également un problème. Le Premier ministre hongrois Viktor Orban est opposé à aider Kiev même s’il a permis à l’Union européenne début décembre – en quittant la salle plutôt qu’en votant – d’entamer des négociations concernant l’adhésion de l’Ukraine. Cette avancée représentait de facto un signal fort de soutien de la part de Bruxelles. La décision d’aider Kiev sera soumise au vote début février 2024. 

Rien n’indique que les négociations avec le Kremlin permettent une voie de sortie.

Parallèlement, rien n’indique que les négociations avec le Kremlin permettent une voie de sortie. Même en faisant abstraction du sombre précédent des avancées militaires de Moscou, aucune des deux parties n’est prête à faire des compromis. Les responsables russes se disent prêts à discuter, mais dans les coulisses à Moscou et dans les déclarations publiques du Kremlin, tout indique que ses objectifs n’ont pas changé par rapport au moment où il a entamé sa guerre totale. Le Kremlin ne veut pas seulement des territoires, il veut aussi obtenir la capitulation de l’Ukraine et sa démilitarisation sous le joug d’un gouvernement à Kiev qui lui est favorable. Quant aux dirigeants ukrainiens, ils sont déterminés à se battre, avec ou sans le soutien des États-Unis. Tout accord avec la Russie – et peut-être même le fait de s’asseoir pour discuter dans ces conditions – pourrait coûter son poste à Volodymyr Zelensky. En outre, le Kremlin a tout intérêt à attendre de voir si Trump triomphe et si de meilleures opportunités se présentent. Dans l’état actuel des choses, il semble peu probable que Vladimir Poutine se contente de ce qu’il a aujourd’hui. 

Compte tenu des coûts et de la tournure que prend la guerre, il reste opportun de garder les canaux de communication ouverts avec Moscou. Après tout, Kiev et ses alliés occidentaux n’ont pas besoin d’accepter un accord si celui-ci ne garantit pas un avenir viable à l’Ukraine et s’il n’oblige pas la Russie à respecter des engagements sécuritaires qui la dissuadent de poursuivre son aventurisme belliqueux. 

Mais c’est encore loin d’être gagné. Même si le coût de l’aide crispe certains Américains, il est utile d’aider l’Ukraine à rester debout. Pour sa part, l’Europe, dont de nombreux dirigeants considèrent la guerre comme existentielle, devrait assumer une plus grande part du fardeau, quelles que soient les décisions de Washington. 

Si Moscou réussissait à conquérir une plus grande partie de l’Ukraine, il n’est pas difficile d’imaginer que d’autres anciennes républiques soviétiques pourraient être les prochaines sur la liste de Vladimir Poutine.

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Myanmar

L’offensive rebelle qui a chassé l’armée de certaines régions du nord-est du Myanmar et les combats qui se déroulent ailleurs, constitue la plus grande menace pour la junte depuis sa prise du pouvoir il y a près de trois ans. 

Courant 2023, un schéma sinistre s’est mis en place. Les forces de résistance – des milices disparates nées des manifestations qui ont suivi le coup d’État et qui ont été écrasées par la junte – ont tendu des embuscades dans une grande partie du pays. L’armée du Myanmar a eu recours à des frappes aériennes, à l’artillerie et à des unités mobiles pour mettre fin au soulèvement et punir les civils. Pour la première fois depuis des décennies, la violence a embrasé les basses terres du Myanmar. L’armée a pris pour cible les membres de la majorité birmane, utilisant les mêmes tactiques sauvages que celles qu’elle déploie depuis longtemps contre les groupes armés ethniques des hauts plateaux. 

De leur côté, les groupes armés ethniques ont réagi au coup d’État de différentes manières. Certains ont formé des cellules de résistance, leur ont fourni des armes et ont abrité leurs chefs. Quelques-uns ont forgé des alliances plus étroites avec le Gouvernement d’unité nationale (NUG), un organe d’opposition composé principalement de législateurs évincés, dont beaucoup appartenait au parti de la dirigeante civile déchue Aung San Suu Kyi, que les militaires ont emprisonnée. D’autres sont restés à l’écart ou ont respecté les cessez-le-feu avec les militaires. 

Des membres volontaires des forces insurgées karenni marchent à Moe Bye dans l'État de Kayah, Myanmar, 12 novembre 2023. REUTERS / Stringer

L’offensive du nord-est a changé la donne. Une coalition préexistante de trois groupes armés ethniques, l’Alliance de la fraternité, ainsi que certaines forces de résistance, se sont emparées de plusieurs villes, ont pris de nombreux postes militaires, ont saisi des chars et des armes lourdes et ont coupé des routes commerciales essentielles vers la Chine. Sentant le désarroi de l’armée, d’autres militants des minorités ethniques, s’alliant souvent avec des groupes de résistance ou même sous leur bannière, sont passés à l’attaque, s’emparant de villes, d’une partie de la capitale d’un État et de postes frontaliers dans plusieurs régions du pays. En dehors du nord-est, l’armée a mené un combat plus acharné, même si elle semble encore dépassée. 

La Chine n’est pas étrangère à ces événements. Pékin veut s’attaquer aux zones où la fraude en ligne, aux mains d’une pègre transnationale, prolifère dans la région du Mékong. Elle n’a pas apprécié que la junte et une force paramilitaire alliée ne ferment pas des centres situés dans une zone frontalière sous leur contrôle. Pékin n’a donc pas bougé lorsque cette même zone a été prise d’assaut par un des groupes de l’Alliance de la fraternité, qui s’engageait à enrayer ces centres criminels. La proximité de la Chine rend le bombardement de la zone par l’armée de l’air du Myanmar plus difficile.

Plus généralement, le président chinois Xi Jinping reste contrarié par la prise de pouvoir de l’armée en 2021. Le chaos qui s’en est suivi a mis un terme aux mégaprojets prévus par la Chine au Myanmar. Xi Jinping appréciait Aung San Suu Kyi, qui avait établi de bonnes relations de travail avec Pékin. Il se méfie de l’armée du Myanmar, en particulier l’auteur du coup d’État Min Aung Hlaing, qui nourrit un sentiment antichinois particulièrement fort, du fait du soutien de Pékin aux groupes armés ethniques dans le nord-est du Myanmar. Pékin n’accordera certainement pas son soutien inconditionnel à une rébellion – elle considère le NUG comme un pion de l’Occident – et pourrait bien se faire violence et apporter un soutien plus important au régime s’il devait défaillir. Mais elle a toléré les avancées des rebelles dans le nord-est. Elle a contribué à négocier un cessez-le-feu temporaire entre l’armée et une armée rebelle en décembre, qui consolidera probablement l’emprise des rebelles sur le territoire qu’ils ont pris.

 Pour l’heure, la junte semble pouvoir se maintenir au pouvoir. Même si de nombreux Birmans manifestent une sympathie nouvelle pour les minorités du Myanmar, ayant eux-mêmes subi la brutalité des militaires, il est peu probable que les nombreux groupes armés ethniques du pays et les forces de résistance de l’après-coup d’État forment une coalition. Le régime fait pourtant face à des ennemis déterminés sur plusieurs fronts. Le coup d’État a ramené le pays des décennies en arrière : les systèmes de santé et d’éducation se sont effondrés, les taux de pauvreté ont grimpé en flèche et la monnaie a chuté. Plus de 2,5 millions de personnes ont été déplacées à l’intérieur du pays (en plus des centaines de milliers de Rohingyas que les militaires ont expulsés en 2017). Il est difficile d’envisager une issue rapide à cette crise. 

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Éthiopie

Si l’Éthiopie a commencé l’année 2023 avec de bonnes nouvelles, elle la termine avec beaucoup à craindre. Au début de l’année, une guerre brutale centrée sur la région du Tigré, la plus au nord du pays, touchait à sa fin. Les combats qui opposaient les rebelles tigréens aux forces fédérales – ainsi qu’aux milices de la région d’Amhara, qui borde le Tigré, et aux troupes érythréennes – avaient tué des centaines de milliers de personnes, selon certaines estimations, et privé beaucoup d’autres de nourriture et de services. Les forces tigréennes ont failli marcher sur la capitale Addis-Abeba avant de battre en retraite précipitamment. Les forces fédérales ont ensuite progressivement encerclé les Tigréens, et le Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed a conclu un accord avec les dirigeants de la région pour consolider sa victoire. Un accord conclu en novembre 2022 a rétabli un certain calme dans la région du Tigré. Mais il a ouvert la voie à des combats dans d’autres régions. 

En août, les rebelles amhara se sont brièvement emparés de certaines villes de la région d’Amhara avant d’être repoussés. Retranchés dans la campagne, ils organisent des sorties pour attaquer les forces fédérales. La tension monte depuis longtemps entre Abiy Ahmed et les Amhara, qui l’ont soutenu lorsqu’il a pris le pouvoir en 2018 avant de se battre aux côtés des forces fédérales dans le Tigré. Les Amhara reprochent à Abiy Ahmed d’avoir passé cet accord avec le Tigré, et craignent qu’il ne restitue un territoire longtemps disputé – connu sous le nom de Welkait pour les Amhara et de Tigré occidental pour les Tigréens – dont les milices amhara se sont emparées pendant la guerre. Ils accusent également le gouvernement d’Abiy Ahmed de fermer les yeux sur les meurtres de civils amhara perpétrés par des ethno-nationalistes dans la région natale d’Abiy Ahmed, l’Oromia, la plus peuplée d’Éthiopie, ainsi que de se ranger généralement du côté des intérêts des Oromo contre les Amhara. De larges zones de la région d’Amhara ne sont pas gouvernées du fait du rejet populaire vis-à-vis des cadres alignés au parti au pouvoir d’Abiy Ahmed qui dirigent la région.

Des personnes déplacées en raison des combats entre les forces du Front de libération du peuple du Tigré et les Forces de défense nationale éthiopiennes, devant leur abri dans le camp d'Abi Adi, dans la région du Tigré, Éthiopie, 24 juin 2023. REUTERS / Tiksa Negeri

L’Amhara n’est pas le seul casse-tête d’Abiy Ahmed. Il doit faire face à une insurrection solidement installée des rebelles nationalistes oromo dans sa région d’origine. Les pourparlers en Tanzanie ont progressé, mais les parties n’ont pas réussi à conclure un accord. En règle générale, les élites locales craignent de céder leur autonomie à un gouvernement central traditionnellement dominateur, ce qui explique en partie les révoltes dans les trois régions les plus puissantes d’Éthiopie : l’Amhara, l’Oromia et le Tigré. Abiy Ahmed doit non seulement mettre fin aux guerres de l’Amhara et de l’Oromia tout en maintenant la paix dans le Tigré, mais aussi parvenir à un consensus sur l’accord plus large dont l’Éthiopie a besoin alors que les relations interethniques s’enveniment. L’économie éthiopienne est en difficulté, ce qui ne fait qu’aggraver les difficultés. Une augmentation du nombre de jeunes se sentant exclus pourrait engendrer plus d’instabilité. 

La détérioration des relations entre Abiy Ahmed et le président érythréen Isaias Afwerki représente un autre danger. Isaias Afwerki a lui aussi été irrité par l’accord d’Abiy Ahmed sur le Tigré. Il avait déployé des troupes dans l’espoir de porter un coup fatal à ses vieux ennemis – l’Érythrée a mené une guerre frontalière de vingt ans avec l’Éthiopie alors que les Tigréens étaient au pouvoir à Addis-Abeba. Des soldats érythréens restent sur le sol éthiopien, en violation de l’accord de paix, et Isaias Afwerki a des liens avec les forces de l’Amhara, y compris dans les territoires contestés.

La tension est montée d’un cran en octobre, lorsqu’Abiy Ahmed a affirmé le « droit » de l’Éthiopie à bénéficier d’un accès à la mer, en insistant sur son passé ancestral sur la côte de la mer Rouge. Les dirigeants de la région ont interprété ses remarques, qu’Abiy Ahmed a longtemps exprimées en privé, comme une menace implicite de s’emparer d’une partie de l’Érythrée, dont la séparation d’avec l’Éthiopie en 1991 a privé Addis-Abeba d’accès à la mer. Abiy Ahmed a, entretemps, publiquement promis de ne pas envahir le pays, sans pour autant apaiser les tensions. L’Éthiopie ne prépare peut-être pas une action militaire imminente. Néanmoins, compte tenu du niveau de méfiance et dans un contexte où les deux parties mobilisent des forces et accumulent des armes, des affrontements accidentels pourraient déclencher une confrontation dont les répercussions seraient considérables.

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Le Sahel

Après des coups au Mali et au Burkina Faso, la mainmise des militaires sur le pouvoir au Sahel s’est un peu plus élargie en 2023 après que l’armée nigérienne a renversé Mohamed Bazoum, président réformateur et allié de l’Occident.  Tous ces dirigeants militaires promettent de mettre un terme à la violence qui déchire les zones rurales. Cependant,  en dehors du changement de partenaires sécuritaires et de l’achat de nouvelles armes, ils proposent peu d’idées nouvelles. Ils multiplient surtout les offensives militaires même si cette approche échoue depuis des années. 

La vague de coups d’État ouvre un nouveau chapitre dans une crise qui remonte au moins à 2012. À l’époque, des rebelles arabo-touareg, associés à des jihadistes affiliés à al-Qaeda, s’étaient emparés du nord du Mali. Les jihadistes ont ensuite écarté leurs anciens partenaires et ont gardé le contrôle du nord du pays pendant près d’un an, avant d’être repoussés par une force dirigée par la France. En 2015, plusieurs groupes armés du nord du Mali, comprenant à la fois des rebelles et des forces pro-gouvernementales, ont signé un accord de paix avec Bamako. Cet accord prévoyait la décentralisation du pouvoir, le développement du nord et l’intégration de certains groupes armés au sein de l’armée. 

Mais depuis, les efforts limités de Bamako et les différends entre les signataires ont ralenti la mise en œuvre de l’accord. Parallèlement, les jihadistes, qui n’ont pas signé l’accord, se sont développés au centre du Mali et sur une bonne partie du Burkina Faso, étendant même leur présence dans le nord des pays côtiers d’Afrique de l’Ouest. Les armées sahéliennes, les forces françaises et les forces de maintien de la paix des Nations unies ne sont pas parvenues à endiguer leur progression. Des milices locales, parfois armées par les gouvernements de la région, ont proliféré, combattant les jihadistes et alimentant les flambées de violence. 

L’exaspération de la population face à l’insécurité est en partie à l’origine des coups d’État et du soutien apporté aux chefs de la junte. En 2020 et 2021, un groupe de colonels dirigé par Assimi Goïta a organisé deux coups d’État successifs au Mali, consolidant ainsi son pouvoir. Des putschs ont suivi au Burkina Faso, déclenchés par la colère face aux massacres de soldats par des jihadistes, puis au Niger. 

Des personnes tiennent une pancarte pour montrer leur soutien au nouveau chef militaire du Burkina Faso, Ibrahim Traoré, et demander le départ de l'ambassadeur de France sur la place de la Nation à Ouagadougou, Burkina Faso, 20 janvier 2023. REUTERS / Vincent Bado

Ces prises de pouvoir par les militaires ont radicalement changé les partenariats internationaux dans la région. Les trois pays entretiennent désormais des relations tendues avec certaines capitales d’Afrique de l’Ouest. Paris a retiré ses soldats dans un contexte de montée du sentiment anti-français. La junte malienne s’est rapprochée de la Russie, en particulier du groupe mercenaire Wagner, et a obtenu le départ des forces de l’ONU. Au Burkina Faso, la présence russe est moins importante, mais elle pourrait s’étendre, y compris pour assurer la protection personnelle des chefs militaires. Les juntes ont formé leur propre alliance, dans l’espoir de dissuader toute intervention étrangère (l’organisation régionale, la Cedeao, a menacé de déployer des troupes au Niger pour restaurer le président Bazoum, bien que l’effort n’ait pas abouti et aurait certainement été contre-productif.) Les juntes ne semblent pas non plus disposées à céder le pouvoir aux civils. Au Mali, le président de la transition, le colonel Assimi Goïta, pourrait se présenter lui-même aux élections. De leur côté, les autorités burkinabè éludent la question du calendrier électoral et la junte nigérienne n’a présenté que de vagues plans de transition, sans doute du même du fait des dissensions internes qui la traversent. 

Ces chefs militaires restent populaires parmi la jeunesse urbaine. Ils le doivent moins aux services publics qu’ils offrent à la population qu’aux discours souverainistes qui jouent sur le ressentiment persistant à l’égard de la France, ancienne puissance coloniale. Les pires scénarios que certains responsables européens anticipaient à la suite du retrait de leurs forces – effondrement de l’État permettant aux jihadistes de s’attaquer à Bamako ou Ouagadougou – ne se sont pas non plus concrétisés.

Les nouvelles autorités ont recours à une approche prioritairement militaire qui est ... similaire à la situation antérieure.

Mais les nouvelles autorités ont recours à une approche axée en priorité sur les opérations militaires, une option déjà à l’œuvre dans les années précédentes. Aujourd’hui, cependant, de plus en plus de civils sont visés par les violences. Tous les belligérants ont du sang sur les mains. Les forces Wagner sont impliquées dans des actes particulièrement cruels au Mali. La junte burkinabè a renforcé l’armement et l’organisation de forces irrégulières, qui, avec l’armée et les jihadistes sont tous suspectés d’avoir perpétré des massacres. Les dirigeants maliens ont également relancé le conflit armé avec certains des signataires de l’accord de paix de 2015, comme si la lutte contre les islamistes ne suffisait pas. Fin 2023, l’armée est entrée dans Kidal, le quartier général des rebelles touareg (même si de nombreux Touareg ont également rejoint des groupes pro-gouvernementaux, jihadistes et séparatistes), combattant les rebelles au cours de leur progression et réoccupant les bases de l’ONU récemment laissées vacantes. 

La suite est incertaine. Les chefs militaires estiment que leur avancée sur Kidal est  une victoire symbolique importante – la reconquête d’un territoire resté inaccessible pendant des années – et a apporté davantage que des années de pourparlers. Ils considèrent que de nouveaux équipements, notamment des drones en provenance de la Turquie, leur confèrent un avantage certain. Les rebelles ont battu en retraite mais, forts d’une longue expérience de la guérilla, il est peu probable qu’ils abandonnent sans résister. Certains rebelles ont des liens familiaux avec le chef local d’al-Qaeda, Iyad ag-Ghali, un ancien séparatiste touareg devenu jihadiste, qui se présente aujourd’hui comme le fer de lance de la lutte contre l’armée et Wagner. Une branche locale de l’État islamique, qui combat à la fois l’armée et al-Qaeda, a également étendu son influence au nord du Mali. L’incursion de la junte dans le nord pourrait donc finir par renforcer les rangs des jihadistes. 

En fin de compte, les dirigeants sahéliens, quels qu’ils soient, ne pourront pas se contenter du recours aux armes. Bamako devrait profiter de la reprise de Kidal pour conclure un nouvel accord avec les rebelles. Par le passé, des cessez-le-feu locaux ont permis de calmer la violence, et des négociations valent la peine d’être tentées, même avec les jihadistes, malgré leur détermination à imposer une loi islamique stricte. Les opérations militaires peuvent produire des gains à court terme, mais la paix sur le long terme dépendra du dialogue et des accords.

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Haïti

Les Haïtiens espèrent que les forces étrangères qui doivent arriver début 2024 s’attaqueront aux gangs extrêmement violents qui ont déchiré le pays ces dernières années. Mais la police kényane qui doit diriger la mission aura fort à faire face à des groupes lourdement armés dans des bidonvilles surpeuplés, notamment compte tenu du chaos qui affecte la politique haïtienne. 

Depuis l’assassinat du président Jovenel Moïse en juillet 2021, la violence des gangs s’est multipliée en Haïti. Les criminels contrôlent une grande partie de la capitale, Port-au-Prince, ainsi que des zones situées au nord, en particulier la vallée de l’Artibonite. Des guerres intestines brutales – les gangs se battent entre eux et harcèlent les civils – ont poussé des dizaines de milliers de personnes à quitter leur foyer, dont certaines ont cherché refuge dans des camps de personnes déplacées improvisés où elles risquent d’être confrontées à des dangers similaires à ceux qu’elles ont fuis, notamment des violences sexuelles. Près de la moitié de la population haïtienne, soit 5,2 millions de personnes, a besoin d’une aide vitale. La prédation des gangs a engendré encore plus de violence : des groupes d’autodéfense connus sous le nom de Bwa Kale, qui se sont constitués pour répondre à la violence des gangs, ont lynché des centaines de personnes soupçonnées d’appartenir à des gangs, sans que l’activité des gangs ne diminuent vraiment. Les sondages indiquent que les Haïtiens sont tellement désespérés qu’ils soutiennent l’arrivée de forces étrangères, malgré le bilan désastreux des précédentes missions internationales.

Une femme passe devant une barricade au milieu de la violence des gangs à Port-au-Prince, Haïti, 3 mars 2023. REUTERS / Ralph Tedy Erol

La force dirigée par le Kenya sera confrontée à des défis de taille. Le Premier ministre haïtien en exercice, Ariel Henry, a demandé une aide extérieure en octobre 2022. Nairobi a accepté de diriger la mission en juillet 2023 et de déployer au moins 1 000 policiers, et l’ONU a donné son feu vert pour ce plan en octobre. La mission doit maintenant être approuvée par les tribunaux kényans après le dépôt d’un recours par des responsables politiques de l’opposition affirmant que la constitution interdisait aux officiers de police d’être déployés à l’étranger.

Le mandat de la mission, d’une durée initiale d’un an, est d’aider la police haïtienne à « lutter contre les gangs et à améliorer les conditions de sécurité », ce qui devrait permettre la préparation des élections. Les opérations fortes contre les gangs, qu’une délégation de la police kényane a jugées nécessaires après s’être rendue en Haïti, ne fonctionneront que si les pays qui envoient du personnel pour collaborer avec les Kényans sont prêts pour le combat urbain et comprennent le terrain. La mission devrait également éviter de blesser des civils et renforcer la collecte de renseignements par la police locale. Les forces de police haïtiennes devront colmater leurs propres fuites, causées par des informateurs des gangs intégrés dans leurs rangs. Si elles ne le font pas, les combats pourraient entraîner de lourdes pertes pour les policiers comme pour les civils, ce qui mettrait en péril le soutien à la mission.

La politique haïtienne est un autre obstacle. Un groupe de partis politiques influents et des groupes de la société civile affirment qu’Ariel Henry – qui a pris le pouvoir après l’assassinat de Jovenel Moïse et a depuis cherché à s’établir – n’a aucun mandat pour rester en poste, y compris jusqu’aux prochaines élections, et demandent un gouvernement transitoire plus inclusif. Les pourparlers n’ont abouti à aucun accord sur la marche à suivre. En l’absence d’un consensus entre les partis sur la composition du gouvernement haïtien ou sur le rôle de la force dirigée par le Kenya, la mission risque de s’enliser dans un combat politique. Dans ce cas de figure, Ariel Henry, qui est extrêmement impopulaire, pourrait resserrer son emprise, ce qui éloignerait encore davantage la possibilité d’un gouvernement d’unité alors qu’il est probablement essentiel à la tenue d’élections crédibles.

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Arménie-Azerbaïdjan

L’année dernière, l’offensive éclair de l’Azerbaïdjan dans le Haut-Karabakh a provoqué l’exode de la quasi-totalité des habitants de la région, soit plus de 100 000 personnes. La question qui se pose cette année est de savoir si l’Azerbaïdjan ira plus loin ou si, à la suite des pourparlers de fin 2023 qui semblent prometteurs, l’Azerbaïdjan et l’Arménie trouveront finalement le chemin de la paix. 

La vue montre le poste de garde-frontière arménien à côté du poste de garde-frontière azerbaïdjanais sur la route menant de l'Arménie à la région azerbaïdjanaise du Haut-Karabakh, vue depuis la périphérie du village de Tegh, Arménie, 21 septembre 2023. REUTERS / Irakli Gedenidze

L’opération menée par l’Azerbaïdjan dans le Haut-Karabakh semble avoir mis un terme, du moins pour l’instant, à un conflit qui dure depuis des décennies dans cette enclave contestée. Dans les années 1990, la majorité arménienne de la région, soutenue par l’Arménie, a proclamé sa propre république et, au cours de la guerre qui a suivi, a chassé les Azerbaïdjanais du Haut-Karabakh et des zones voisines. Pendant des années, les pourparlers entre Bakou et Erevan n’ont abouti à rien. Parallèlement, l’Azerbaïdjan a renforcé son armée et, en 2020, avec le soutien de la Turquie, a repris les régions autour du Haut-Karabakh ainsi qu’une partie de l’enclave elle-même. Après six semaines de violents combats, la Russie est intervenue pour négocier une trêve et a envoyé des forces de maintien de la paix pour en assurer le respect.

Mais avec l’enlisement de Moscou en Ukraine, Bakou semble avoir senti qu’elle pouvait reprendre la main. Courant 2022, l’Azerbaïdjan s’est emparé de plusieurs zones stratégiques, notamment le long des lignes de front. Il a ensuite bloqué pendant plus de neuf mois, le corridor de Lachin, qui permettait au Haut-Karabakh d’accéder à l’Arménie et au monde extérieur. En septembre, ses troupes ont déferlé sur l’enclave, et l’ont reprise en une seule journée alors que les résidents d’origine arménienne abandonnaient leurs maisons.

Si le Haut-Karabakh a été la principale pomme de discorde entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, ce n’est pas la seule. Les deux pays se disputent une frontière qui n’a pas encore été délimitée, où leurs armées se font face, souvent à quelques mètres l’une de l’autre. Entre la fin de la guerre en 2020 et l’offensive azerbaïdjanaise de septembre, les affrontements frontaliers ont été plus meurtriers que ceux liés au Karabakh lui-même. 

Plus important encore, l’Azerbaïdjan veut un corridor terrestre vers le Nakhitchevan, une enclave azerbaïdjanaise située dans le sud-ouest de l’Arménie et qui a des frontières avec la Turquie et l’Iran. Bakou estime que l’accord négocié par Moscou, qui a mis fin aux combats en 2020, engage Erevan à lui accorder un droit de passage par ce corridor. Cette route faciliterait les échanges avec la Turquie mais contournerait l’Iran, d’où l’opposition de Téhéran (elle pourrait également aider la Russie à échapper aux sanctions, bien qu’il soit presque certain que cela soit déjà le cas grâce aux points de transit existants). Dès septembre 2022, des troupes azerbaïdjanaises ont avancé en Arménie alors que d’autres sont restées au cœur du pays. Plusieurs nouvelles positions azerbaïdjanaises surplombent une gorge par laquelle passe une route menant à l’exclave. 

Les pourparlers entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan ont toutefois une chance d’aboutir.

Les pourparlers entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan ont toutefois une chance d’aboutir. Un accord conclu en décembre, négocié sans tierces parties, a permis d’échanger des prisonniers de guerre, de s’engager à normaliser les relations et comprenait également le soutien de l’Arménie à la candidature de l’Azerbaïdjan à l’organisation du sommet mondial pour le climat, la COP29, en 2024. Bakou et Erevan ont déclaré qu’elles poursuivraient les pourparlers et qu’elles espéraient parvenir bientôt à un accord, même si les questions épineuses de la frontière et du corridor demeurent. 

Au cas où les négociations ne porteraient pas leurs fruits, Bakou pourrait perdre patience, comme ce fut le cas pour le Haut-Karabakh. Il est fort probable qu’elle cherche à faire pression sur Erevan ; de nouvelles incursions dans les zones frontalières sont envisageables. La saisie de certains territoires – par exemple, le long de l’itinéraire de transit, qui couperait des centaines de milliers de résidents de la pointe sud de l’Arménie du reste du pays – susciterait la fureur des pays occidentaux, de l’Iran et de la Russie. Cette mesure serait bien plus provocante que l’expulsion des habitants du Haut-Karabakh, que le monde a déjà reconnu comme étant azerbaïdjanais – malgré le traumatisme infligé aux Arméniens expulsés. On peut difficilement imaginer que cela se produise l’année où Bakou pourrait accueillir le sommet mondial sur le climat. En effet, les responsables azerbaïdjanais insistent sur le fait qu’ils n’ont aucune intention de s’approprier des territoires arméniens et ont même proposé un autre itinéraire de transit passant par l’Iran. 

Envisager une attaque serait une très mauvaise idée, mais les responsables arméniens et occidentaux n’ont pas totalement exclu cette possibilité, car Bakou, comme de nombreuses capitales, semble bien consciente de l’affaiblissement de la capacité mondiale à juguler l’utilisation de la force.

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États-Unis – Chine

La rencontre en novembre entre le président américain Joe Biden et le président chinois Xi Jinping a tenté de raviver les relations entre les deux pays, qui s’étaient fortement dégradées. Mais leurs intérêts fondamentaux s’opposent toujours dans la région Asie-Pacifique, et les élections à Taïwan ainsi que les tensions en mer de Chine méridionale pourraient mettre ce dégel à l’épreuve. 

Le président chinois Xi Jinping s'exprime lors de l'événement « Senior Chinese Leader » organisé par le comité national sur les relations États-Unis-Chine à San Francisco, Californie, États-Unis, 15 novembre 2023. REUTERS / Carlos Barria/Pool

Pékin et Washington cherchent depuis un certain temps à désamorcer les tensions. Xi Jinping souhaite se concentrer sur l’économie chinoise en difficulté et éviter de nouvelles restrictions commerciales de la part des États-Unis. (Washington a récemment renforcé les limites imposées à la vente de technologies de pointe à la Chine, ce qui s’ajoute à une série d’autres droits de douane et restrictions). Le gouvernement Biden aimerait profiter d’un peu de calme avant les élections américaines de 2024 et rassurer les autres capitales inquiètes de l’hostilité entre les deux géants en leur montrant qu’il est capable de gérer la concurrence de manière responsable. 

Début 2023, les efforts diplomatiques se sont enlisés lorsqu’un ballon-espion chinois a dérivé au-dessus du continent américain, provoquant une frénésie médiatique avant que les États-Unis ne l’abattent. Quelques mois plus tard, le secrétaire d’État Antony Blinken, qui avait annulé un déplacement après le « balloongate », s’est rendu à Pékin, pour préparer le terrain en vue du sommet Joe Biden-Xi Jinping. 

Cette réunion s’est bien déroulée. Joe Biden a obtenu la promesse que les deux pays collaboreraient pour enrayer l’entrée du fentanyl aux États-Unis et, la veille du sommet, les deux pays se sont engagés à travailler ensemble pour lutter contre le changement climatique. Il est important de noter que Pékin a également accepté de rouvrir les canaux de communication militaires afin de gérer les risques d’affrontements involontaires lorsque les deux armées sont au coude à coude dans les mers et les cieux autour de la Chine. Xi Jinping a remporté une victoire dans son pays en montrant qu’il maitrisait la relation bilatérale la plus importante pour Pékin. 

Les fondements de la rivalité ne montrent pourtant aucun signe d’apaisement. Dans les deux capitales, l’aile dure considère que la concurrence est à somme nulle. Le fait de parler librement de guerre normalise cette idée. Dans la région Asie-Pacifique, la Chine cherche à obtenir une plus grande influence, qu’elle estime méritée en tant que première puissance de la région, ce qui va directement à l’encontre de la détermination de Washington à maintenir sa propre domination militaire. Plusieurs capitales asiatiques, effrayées par le renforcement de l’assurance de Pékin et voyant dans l’agression de la Russie en Ukraine un précédent, se sont rapprochées de Washington en matière de sécurité, même si elles accordent de l’importance au commerce avec la Chine. 

La situation en mer de Chine méridionale – où les revendications maritimes de la Chine empiètent sur celles d’autres États riverains, dont les Philippines, alliées des États-Unis – semble de plus en plus précaire.

La situation en mer de Chine méridionale – où les revendications maritimes de la Chine empiètent sur celles d’autres États riverains, dont les Philippines, alliées des États-Unis – semble de plus en plus précaire. Manille dénonce avec frustration les bateaux des garde-côtes et les milices maritimes chinoises qui patrouillent dans des eaux qu’un tribunal spécial a déclarées en zone maritime philippines en 2016. Les navires chinois utilisent des tactiques plus agressives, notamment des canons à eau et des dispositifs acoustiques. Ils suivent les navires philippins en risquant de provoquer des incidents, ce qui a entrainé la collision de bateaux des deux pays en octobre et en décembre. Les garanties de sécurité accordées par les États-Unis aux Philippines et le renforcement de la présence militaire dans les zones contestées ont en principe un effet dissuasif sur Pékin, mais comportent également des risques. Pour la Chine, les manœuvres en mer signalent à la région sa détermination à défendre ce qu’elle considère comme sa souveraineté nationale. Des navires ou des avions chinois pourraient même commencer à suivre de près leurs homologues américains. 

Taïwan est également un danger. Pékin estime que l’île devrait être réunifiée avec la Chine continentale, de préférence de manière pacifique, mais n’exclut pas le recours à la force. La politique d’une « Chine unique » de Washington vise une résolution pacifique du statut de Taïwan sans préjuger du résultat. Son « ambiguïté stratégique » de longue date ne permet pas de savoir si les États-Unis défendraient Taïwan. À Washington, des voix de plus en plus fortes demandent un plus grand soutien à TaïwanIl est peu probable que la Chine envahisse l’île à court terme – il serait d’ailleurs difficile de percer ses défenses – mais plus Xi Jinping ressent que la politique de la « Chine unique » perd du terrain et que la voie vers l’unification se referme, plus le calcul pourrait pencher en faveur de la guerre.

Les élections taïwanaises de janvier pourraient voir l’actuel vice-président, William Lai, que la Chine considère comme un séparatiste, accéder au pouvoir. Pékin pourrait alors renforcer la pression sur Taipei – en augmentant le nombre déjà important de navires de guerre et d’avions chinois autour de l’île ou en réimposant des barrières douanières aux produits taïwanais, par exemple – pour pousser le nouveau gouvernement à faire preuve d’une plus grande déférence à l’égard de Pékin. Taipei a déjà résisté à de telles manœuvres et William Lai a fait part de son intention de poursuivre la politique inter-détroit prudente de l’actuel président. Mais au cas où il s’exprimerait mal sous la pression – une déclaration faite en juillet dernier laissait entendre qu’il pourrait chercher à établir des liens diplomatiques formels avec les États-Unis, par exemple – ou s’il devait adopter un ton que Pékin percevrait comme trop antagoniste dans son discours d’investiture de mai, la Chine pourrait hausser le ton. Le gouvernement Biden pourrait faire des déclarations qui irritent Pékin, surtout en cette année électorale. Les législateurs américains hostiles à la Chine pourraient déposer des projets de loi allant à l’encontre de la politique d’une « Chine unique ». 

Pour l’instant, le plus grand danger est probablement celui d’une collision entre des avions ou des navires chinois et américains. Selon le Pentagone, le nombre de quasi-collisions potentiellement dangereuses au cours des deux dernières années dépasse celui des deux décennies précédentes. Les relations plus chaleureuses après la rencontre Joe Biden-Xi Jinping – et, espérons-le, le canal de communication entre les militaires des deux grandes puissances – devraient amortir les chocs, mais trouveraient vite ses limites en cas d’accident, en particulier s’il y avait des victimes. Le dernier incident de ce type, lorsque deux avions se sont percutés en 2001, tuant un aviateur chinois et forçant un avion américain à se poser en catastrophe sur l’île chinoise de Hainan, a nécessité des pourparlers délicats pour trouver une solution qui permette aux deux parties de sauver la face. Ce type de diplomatie serait probablement plus difficile à mettre en œuvre aujourd’hui. 

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EroComfort
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