Trois guerres et une diplomatie absente
Trois guerres et une diplomatie absente
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Op-Ed / Middle East & North Africa 4 minutes

Trois guerres et une diplomatie absente

En quelques jours, les tensions à la frontière entre Israël et le Liban se sont muées en trois guerres : conflit meurtrier entre le Hezbollah et Israël ; combat pour l'avenir du Liban ; lutte américano-iranienne concernant l'architecture régionale. Comprendre comment on en est arrivé là, si loin et si vite, c'est commencer à se donner les moyens de mettre fin à ces affrontements.

A l'origine, le vide diplomatique créé dès 2000 avec l'échec des négociations israélo-syriennes, le retrait israélien du Liban, l'effondrement du processus de paix israélo-palestinien, et, suite à l'élection de George Bush, la mise en place d'une stratégie de désengagement politique et de bouleversement de la région (guerre en Irak, tentative d'isolement et de déstabilisation de la Syrie et de l'Iran). A partir de ce moment, il n'était plus question de tenter de résoudre les conflits du Proche-Orient. Le Hezbollah et la Syrie se sont retrouvés sur la défensive.

En réalité, la balance est moins déséquilibrée qu'il n'y paraît. La carte politique libanaise ne peut être recomposée sans accord tacite de la Syrie et des chiites libanais, donc du Hezbollah. Ce mouvement dispose d'un impressionnant dispositif militaire, la Syrie a toujours d'importantes capacités de déstabilisation au Liban, en Palestine et en Irak. L'Iran, allié de choix de ces deux acteurs, a vu son influence, ses moyens, et donc ses ambitions, grimper de façon vertigineuse avec l'"embourbement" américain en Irak et l'envol des cours pétroliers. La victoire électorale du Hamas complète ce tableau.

Jouissant d'un rare appui international, à l'abri de pressions sur le dossier du Golan, et grâce à ses initiatives dans l'arène palestinienne, Israël pouvait, un temps, contempler sereinement l'avenir. Mais la poussée islamiste, la menace nucléaire iranienne et l'érosion supposée de sa capacité de dissuasion suite aux retraits du Liban et de Gaza ont changé la donne. C'est paradoxalement mu par un sentiment de supériorité écrasante et de vulnérabilité constante que l'Etat hébreu vit aujourd'hui cette période.

Tout cela ramène au déclenchement puis à l'amplification des hostilités. Au niveau immédiat, le mouvement islamiste a conduit l'opération pour la raison la plus banale qui soit : parce qu'il le pouvait. Depuis des mois, Hassan Nasrallah annonçait son intention d'enlever des soldats Israéliens pour les échanger contre des prisonniers libanais. Il voulait aussi signifier que, si Israël pouvait intervenir en terre arabe, les Arabes pouvaient en faire autant. Une opportunité s'est présentée, il n'a pu que la saisir.

L'attaque s'inscrit aussi dans la logique d'une organisation qui, soumise à des pressions internes et internationales, conçoit son secours dans la remontée des tensions. La coïncidence avec la capture par le Hamas d'un soldat israélien en a renforcé l'attrait ; c'est pour le Hezbollah le moyen de s'afficher en tant que force arabo-islamique qui transcende le cadre national libanais et le cadre confessionnel chiite.

Autant il n'y a pas de raison de penser que l'opération anti-israélienne ait été commanditée à Damas ou à Téhéran, autant il est difficile d'imaginer qu'elle ait été conduite contre leur gré. Le moment choisi était, en ce sens, cohérent avec les perspectives de ces deux capitales : chacune pour des raisons propres, mais toutes deux parce qu'elles étaient sous pression, ont pu ainsi rappeler à la communauté internationale leur capacité de nuisance.

Le Hezbollah est imbu d'une culture militante et messianique. L'obstination à se caractériser comme mouvement de résistance n'est pas de pure forme et ne renvoie pas seulement à des objectifs tactiques immédiats - retrait israélien des hameaux de Chebaa, libération de prisonniers. Aussi, dès que la réplique militaire israélienne s'est intensifiée - à la surprise du mouvement islamiste -, le Hezbollah a-t-il basculé tout entier dans son autre registre : la lutte sacrée arabo-islamique.

Pour Israël, s'il ne s'était agi que des deux soldats, la réponse eut probablement été autre. L'objectif de Jérusalem est d'anéantir la capacité de nuisance du Hezbollah, de rétablir sa capacité d'intimidation, de modifier les dynamiques régionales.

Quant au Hezbollah, il lui faut asséner des coups, ne pas céder et survivre. Pour l'un comme pour l'autre, dans une arène dérégulée et sans médiateur, l'essentiel est de montrer qu'il ne craint pas le prolongement du conflit. Israël y voit une bataille existentielle, le Hezbollah l'espoir de revigorer l'esprit de résistance arabe trahi par les gouvernements. Un tel combat conduit à l'escalade, y compris au prix d'illogismes frappants : plus le Hezbollah abat ses cartes militaires, moins il conserve sa capacité de dissuasion ; plus Israël frappe, plus il ressoude la communauté libanaise contre lui. Guerre sans issue, mais guerre sans retour. Ce sont les plus tragiques. C'est aussi, par définition, un combat qu'il est difficile d'arrêter.

L'erreur fondamentale de ces six dernières années a été de laisser pourrir le dossier proche-oriental. Choix américain délibéré, mais dont les répercussions sont subies par d'autres. Nul besoin de se faire l'avocat de la Syrie pour comprendre qu'à force de pousser le régime dans ses retranchements, de le marginaliser et de chercher à lui ôter peu à peu ses atouts, il chercherait la déstabilisation. Nul besoin de défendre le Hezbollah pour réaliser que les manoeuvres visant à le désarmer sans traiter avec Damas ou Téhéran conduiraient à la surenchère militante.

Nombreux sont ceux qui ont applaudi à la résolution onusienne 1559, mais celle-ci faisait fi des réalités. Internationaliser la question du Hezbollah, c'était signaler que le désarmement du mouvement s'inscrivait dans une logique d'affaiblissement de la Syrie et de l'Iran. C'était donc risquer la réaction que l'on sait. L'idée que la phase actuelle du conflit puisse se conclure en un accord sur le désarmement du Hezbollah sans marché plus vaste avec Damas ou Téhéran est illusoire. On le fera peut-être par voie militaire - c'est là sans doute l'espoir israélien - mais au prix d'énormes pertes en vies humaines, d'une déstabilisation du Liban et d'une radicalisation des générations à venir.

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