RD Congo : de nombreux défis après un scrutin mouvementé
RD Congo : de nombreux défis après un scrutin mouvementé
DRC President Felix Tshisekedi during his swearing-in ceremony at the Stade des Martyrs in Kinshasa on January 20, 2024. He was sworn in for a second five-year term after sweeping elections that the opposition branded a sham.
DRC President Felix Tshisekedi during his swearing-in ceremony at the Stade des Martyrs in Kinshasa on January 20, 2024. He was sworn in for a second five-year term after sweeping elections that the opposition branded a sham. Arsene Mpiana / AFP
Q&A / Africa 16 minutes

RD Congo : de nombreux défis après un scrutin mouvementé

Après avoir remporté un second mandat lors des élections chaotiques de décembre, le président congolais Félix Tshisekedi devra réunifier le pays et s’attaquer à la violence qui fait rage dans l’est. La tâche est ardue, mais une approche plus conciliante envers les leaders de l’opposition et les partenaires diplomatiques pourrait aider.

[Traduit de l'anglais]

Que se passe-t-il en République démocratique du Congo ?

Le 20 janvier, Félix Tshisekedi a prêté serment pour un second mandat de cinq ans en tant que président de la République démocratique du Congo (RDC). Selon les résultats officiels, il a remporté une nette victoire lors des élections du 20 décembre 2023, malgré un faible taux de participation et de nombreuses irrégularités. Le 9 janvier, la Cour constitutionnelle a confirmé les résultats indiquant que Félix Tshisekedi avait obtenu 73 pour cent des voix, contre 18 pour cent pour Moïse Katumbi, arrivé en seconde position. Les soutiens de Moïse Katumbi provenaient presque tous de la région rebelle du Katanga, où il avait occupé le poste de gouverneur. Le président Tshisekedi et ses alliés ont également remporté une victoire majeure lors des élections législatives, qui se sont tenues le même jour, bien que les résultats aient été annoncés ultérieurement. Le 14 janvier, la Commission électorale nationale (Ceni) a publié des résultats provisoires indiquant que sa coalition avait remporté plus de 90 pour cent des sièges à l’Assemblée nationale. 

Bien que la marge de victoire de Félix Tshisekedi lui confère un mandat clair, les problèmes liés à l’élection laissent un goût amer à de nombreux électeurs et membres de l’opposition. Le chaos a entaché le déroulement du scrutin, privant des millions de citoyens de la possibilité de voter. L’opposition, qui conteste les résultats, détient de nombreuses preuves de bourrage d’urnes et autres manigances. Toutefois, ces preuves ne donneront aucun avantage tangible à l’opposition, qui risque d'être maintenue à l’écart, alors que la coalition présidentielle se partage le pouvoir.

La guerre avec les insurgés du M23 dans l’est du pays, qui a marqué le premier mandat de Félix Tshisekedi, et en particulier la question du soutien rwandais aux rebelles, ont été au cœur de la campagne électorale. Au Nord-Kivu, les combats se sont poursuivis avant et après les élections, bien que le scrutin n’ait pas été trop perturbé dans les parties de la province qui n’étaient pas touchées par les hostilités. Les meetings électoraux ont été le théâtre d’une rhétorique nationaliste ; Félix Tshisekedi s’est particulièrement illustré par ses propos extrêmes au sujet du président rwandais Paul Kagame, qu’il a comparé à Adolf Hitler, le 8 décembre. Il a prédit que Paul Kagame connaîtrait le même sort que le dirigeant de l’Allemagne nazie. Lors de son dernier meeting à Kinshasa, le 19 décembre, Félix Tshisekedi a promis que, s’il était réélu, il déclarerait la guerre au Rwanda et marcherait sur sa capitale. Il a également affirmé que l’armée congolaise, renforcée par l’acquisition de nouvelles armes, y compris des drones armés, pourrait détruire Kigali sans franchir la frontière. En outre, Félix Tshisekedi a fréquemment insinué que ses rivaux travaillaient pour des puissances étrangères. Les observations informelles de Crisis Group, de journalistes et d’analystes congolais semblent indiquer que ce positionnement nationaliste a probablement contribué à sa réélection.

Les élections se sont-elles déroulées sans heurts ? 

Bien qu’elles aient été plus pacifiques que les scrutins précédents et plus calmes que ce que beaucoup craignaient, les élections du 20 décembre ont été marquées par de nombreux dysfonctionnements. Plus d’un million d’électeurs n’ont pas pu s’inscrire sur les listes électorales en raison de l’insécurité. L’opposition et certains groupes de la société civile avaient d’ailleurs averti que les préparatifs de la Ceni étaient très insuffisants. Par exemple, les cartes d’électeurs, mal imprimées au début de l’année, sont devenues illisibles, alors que ces cartes étaient indispensables légalement pour pouvoir voter. Le cardinal catholique de Kinshasa, Fridolin Ambongo, a qualifié le processus électoral de « gigantesque désordre organisé ».  

Le jour des élections, selon la mission d’observation nationale menée conjointement par l’Église catholique et diverses Églises protestantes, le scrutin a été entaché par l’absence de listes électorales et d’autres documents essentiels, l’absence ou la défaillance de machines, l’ouverture tardive des bureaux de vote et les actes d’intimidation commis par les forces de sécurité ou d’autres personnes agissant pour le compte des candidats. Les entretiens de Crisis Group avec des analystes à Goma, Kinshasa et Lubumbashi ont corroboré ces rapports. Dans la province de l’Ituri, des individus ont saccagé un bureau de vote. Le 20 décembre, la confusion, et parfois le désordre, ont conduit la Ceni à autoriser la réouverture de certains bureaux le lendemain, en violation de la loi électorale. Bon nombre d’entre eux sont également restés ouverts de leur propre chef, jusqu’à six jours supplémentaires. 

Le taux de participation ... a été le plus bas de l’histoire démocratique du pays.

Ces troubles semblent avoir eu un impact significatif. Le taux de participation, officiellement de 43 pour cent, a été le plus bas de l’histoire démocratique du pays. Bien qu’il n’y ait pas encore de données fiables sur les raisons précises, les problèmes décrits ci-dessus pourraient bien avoir privé plusieurs millions d’électeurs – sur les 44 millions que compte le pays – de leur droit de vote. Les chiffres de la Ceni concernant les résultats de l’élection présidentielle, publiés le 31 décembre, ne tiennent pas compte des bulletins déposés dans 11 301 des 75 497 bureaux de vote du pays, dont certains n’ont probablement pas ouvert leurs portes. La Ceni n’a pas donné d’explication sur ce point, ce qui a exacerbé les inquiétudes quant à la crédibilité du décompte. 

Le 5 janvier, la Ceni a pris la décision forte d’annuler les résultats dans deux circonscriptions et de disqualifier 82 candidats aux élections nationales et locales pour fraude présumée. Les personnes concernées sont principalement accusées d’avoir acquis des machines à voter et de les avoir installées dans leurs résidences privées (vraisemblablement dans le but de produire de faux résultats). La plupart des 82 candidats sanctionnés appartiennent à la coalition politique de Tshisekedi, y compris trois ministres en exercice et quatre gouverneurs, ainsi que des sénateurs et des députés. Certains d’entre eux, comme le gouverneur de la ville de Kinshasa, ont nié les allégations et ont décidé de saisir la Cour constitutionnelle.  Après avoir examiné un appel, la Ceni a ultérieurement proclamé élu un candidat qui figurait auparavant sur la liste des 82. Étant donné que bon nombre des personnes sanctionnées appartiennent à la coalition au pouvoir, l’action de la Ceni peut, sur le papier, donner l’impression qu’elle agit en toute transparence. Cependant, certains analystes, ainsi que l’Église catholique, craignent que cela instaure un précédent où la Ceni, garante de ses propres actions, ne révèlerait qu’une partie des cas de fraude.

Comment ont réagi les critiques, et est-ce que ces réactions auront  une incidence ? 

La mission d'observation nationale des églises catholique et protestante (MOE CENCO-ECC) a critiqué le processus électoral sans toutefois demander la tenue de nouvelles élections. Les rapports publics de la mission ont signalé plusieurs défaillances, déclarant que « de nombreux cas d’irrégularités [étaient] susceptibles d’affecter l’intégrité des résultats de différents scrutins, en certains endroits ». Les diplomates, informés par de petites missions d’observation étrangères de courte durée, ont souligné les problèmes logistiques, mais ont généralement adopté un ton prudent

En revanche, l’opposition a réagi vigoureusement et a réclamé un nouveau scrutin. Dans les jours qui ont suivi les élections, Moïse Katumbi a affirmé qu’il avait remporté les votes comptés à ce moment-là. Un autre candidat de premier plan, Martin Fayulu, qui s’est présenté aux présidentielles alors qu’il avait renoncé à présenter son parti aux législatives, s’est joint à un autre candidat, le prix Nobel Denis Mukwege, pour rejeter l’ensemble du processus. Aucun d’entre eux n’a porté ses griefs devant la Cour constitutionnelle, qui manque, selon eux, d’indépendance ; ils ont préféré organiser des manifestations qui n’ont pas été très suivies. À l’heure actuelle, l’opposition ne semble pas avoir de stratégie claire face au triomphe écrasant de Félix Tshisekedi.

L’Église catholique, membre de la mission nationale d’observation, a dans un premier temps exhorté la Ceni à reconnaître ses déficiences. Elle a ensuite publié, le 16 janvier, un communiqué plus percutant, soulignant la responsabilité directe de la Ceni dans ce qu’elle a qualifié  de « catastrophe électorale ». En réponse, la Ceni a émis son propre communiqué, réfutant les allégations et écartant l’idée d'une enquête indépendante.

Bien que des progrès aient été réalisés par rapport aux élections précédentes, notamment le fait qu’aucun candidat n’ait été exclu avant le vote, le scrutin de décembre a laissé de profondes cicatrices, sans qu’il y ait de consensus sur la meilleure façon de les apaiser. Félix Tshisekedi et ses partenaires internationaux, confortés par sa large victoire selon les résultats officiels, pourraient minimiser les critiques légitimes et ne pas mener d’enquête approfondie sur les problèmes organisationnels du scrutin, qui ont pourtant privé des pans entiers de la population de leur droit de vote. Le cas échéant, rien ne mettra le pays à l’abri de problèmes similaires à l’avenir.

Quelles sont les conséquences du scrutin sur la situation politique ?

Les bons résultats du parti de Tshisekedi aux élections législatives ont renforcé sa position, mais il devra composer avec une coalition gouvernementale réfractaire. Les résultats provisoires, publiés le 14 janvier, attribuent près de 450 des 477 sièges actuellement pourvus à l’Assemblée nationale à l’Union sacrée de la nation, la coalition menée par Tshisekedi. Le scrutin ayant été différé dans les territoires en proie à l’insécurité, tous les sièges n’ont pas encore été pourvus. En revanche, le parti du président, l’Union pour la démocratie et le progrès social, n’a obtenu que 69 sièges. Les partis de ses principaux alliés, tels que ceux du président du Sénat, Modeste Bahati, et du vice-Premier ministre, Vital Kamerhe, ont obtenu 35 sièges chacun. Vital Kamerhe peut également compter sur le soutien d’autres partis au sein du bloc majoritaire fragmenté. Le parti du ministre de la Défense, Jean-Pierre Bemba, a remporté dix-neuf sièges. Par conséquent, Félix Tshisekedi, qui dépendra du soutien des partenaires de la coalition, n’aura pas la main totalement libre. La formation d’un gouvernement entraînera une compétition pour les postes clés, notamment celui de Premier ministre, ainsi que ceux de présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat, nécessitant des négociations complexes et de longue haleine. 

L’opposition, qui n’est pas parvenue à soutenir un candidat unique face à Tshisekedi, n’a obtenu que 28 sièges, dont 18 pour le parti de Moïse Katumbi, Ensemble pour la République. Les irrégularités électorales peuvent avoir contribué à ces mauvais résultats. Mais d’autres facteurs ont aussi joué un rôle, notamment la décision de deux figures de l’opposition, Martin Fayulu et Joseph Kabila, de ne pas participer aux élections législatives ; la capacité du président sortant à attirer des dirigeants locaux dans sa coalition ; et l’incapacité de l’opposition à implanter des structures locales pour leurs partis politiques en dehors de leurs bastions traditionnels.  

Quelle est la situation au Katanga ?

A l’issue de ces élections, la situation dans l’ancienne province du Katanga, riche en minerais et divisée en quatre provinces en 2018, est préoccupante. Moïse Katumbi a fait le meilleur score aux présidentielles dans les quatre nouvelles provinces du Katanga, mais ses résultats étaient faibles dans le reste du pays. En revanche, la coalition au pouvoir a remporté les élections provinciales et législatives dans cette région. Des manifestations ont éclaté à divers endroits, après l’annonce des résultats de l’alliance de Tshisekedi, qui avait pourtant présenté, dans certains cas, des candidats presque inconnus. Les manifestations sont devenues violentes – même si aucun mort n’a été recensé – dans les villes katangaises de Kipushi, Likasi et Kolwezi. Les soupçons de fraude abondent dans cette région, dont Crisis Group a évalué les dynamiques fragiles dans un rapport publié avant les élections. 

Les élites katangaises comptent parmi les principaux détracteurs de Tshisekedi.

Les élites katangaises comptent parmi les principaux détracteurs de Tshisekedi. Conscientes de l’importance de l’industrie minière de la région pour le budget du gouvernement et nostalgiques de leur longue période de pouvoir sous les anciens présidents Laurent-Désiré et son fils Joseph Kabila (qui ont gouverné successivement de 1997 à 2018), elles se sentent exclues au profit des alliés de Tshisekedi, issus de sa région natale du Kasaï. 

Par ailleurs, Katangais et Kasaïens se sont régulièrement affrontés à la tête du pouvoir local. Les Kasaïens, que certains Katangais considèrent comme des « immigrés », sont attirés par les opportunités économiques et d’emploi du Katanga. Le risque qui pèse sur le second mandat de Tshisekedi est que la région devienne un foyer d’opposition réclamant plus de pouvoirs et de ressources aux autorités provinciales. Certains pourraient même être tentés de soutenir les demandes de sécession qui, jusqu’à présent, sont restées largement rhétoriques.

Quelle est la situation dans l’est, déchiré par la guerre ? 

La guerre au Nord-Kivu, qui oppose l’armée congolaise, soutenue par de nombreux groupes armés pro-Kinshasa, à l’insurrection bien organisée et équipée du M23, ainsi qu’à l'armée rwandaise, reste un défi majeur pour Tshisekedi et le pays. Cette insurrection, à prédominance tutsi, a resurgi en novembre 2021, après une décennie d’inactivité. Selon de nombreuses sources, elle bénéficie du soutien de Kigali. Les dirigeants du M23 accusent Kinshasa de ne pas avoir respecté ses engagements en matière de démobilisation et de réintégration de ses combattants.

Les motivations du Rwanda restent difficiles à discerner : bien qu’il nie soutenir le M23, il soutient que la lutte contre les Forces démocratiques pour la libération du Rwanda ou « FDLR » (un groupe armé opposé au pouvoir de Kigali, dont les chefs ont participé au génocide rwandais de 1994), dans le Nord-Kivu demeure une priorité nationale.

Récemment, les revendications du M23 ont pris une tournure plus politique. Mené depuis décembre 2023 par une nouvelle organisation-cadre, l’Alliance du fleuve Congo (AFC) – dont l’émergence est décrite plus bas – le groupe a pour objectif explicite de renverser les autorités nationales, bien qu’il s’agisse encore, pour l’heure, d’une perspective lointaine. Le risque d’une escalade des affrontements directs entre les forces régulières rwandaises et congolaises est encore apparu clairement le 16 janvier, lorsque l'armée rwandaise a abattu un soldat congolais dans le district rwandais de Rubavu et arrêté deux de ses compagnons. Selon la hiérarchie militaire congolaise, les troupes avaient franchi par inadvertance la frontière avec le Rwanda. 

Le M23 a refusé que la Ceni enrôle les électeurs dans les zones qu’il contrôlait.

Les élections n’ont guère amélioré la situation. Le M23 a refusé que la Ceni enrôle les électeurs dans les zones qu’il contrôlait, soit une grande partie du Nord-Kivu. Par conséquent, plus d’un million de personnes n’ont pas pu participer à l’élection de leurs représentants nationaux et provinciaux. D’autres populations, déplacées en raison des combats, ont été privées de leur droit de vote. Les combats ont persisté avant et après le scrutin, malgré une trêve négociée par les États-Unis entre l’armée et le M23, avec l’assentiment de Kigali, au début du mois de décembre. 

Une force régionale de la Communauté d’Afrique de l’Est (CAE), dirigée par l’armée kenyane, est intervenue dans le Nord-Kivu à partir de novembre 2022, mais elle n’est pas parvenue à apaiser le conflit. Elle a permis de ralentir les avancées du M23, principalement en négociant avec les insurgés, et d’empêcher les rebelles de s’emparer de la ville de Goma. Mais Kinshasa l’a jugée inefficace, car elle ne s’est pas attaquée militairement au M23. La force s’est retirée en décembre 2023 critiquée par Kinshasa, d’une part, et par le secrétariat de la CAE et les commandants kenyans, d’autre part. 

Le Burundi, également membre de la CAE, a joué un rôle différent. Ses troupes, à la fois le contingent déployé au sein de la Force régionale et celles déployées bilatéralement, ont, elles, engagé le combat contre le M23. Leur action a été saluée par Kinshasa, mais critiquée par Kigali, qui a accusé Gitega de s’allier aux FDLR contre le M23. Les autorités burundaises, quant à elles, accusent le Rwanda de soutenir le Red-Tabara, une rébellion burundaise opérant à partir du Sud-Kivu en RDC et dont les dirigeants seraient en exil à Kigali. Le 11 janvier, suite à une attaque meurtrière de ces rebelles sur le sol burundais, non loin de la frontière congolaise, le Burundi a fermé sa frontière avec le Rwanda, deux ans à peine après sa réouverture. La querelle entre les deux voisins joue désormais un rôle évident dans les tensions régionales.

Frustré par l’échec de la CAE à repousser le M23, le président Tshisekedi a invité, mi-2023, les pays d’un autre bloc, la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC), à déployer ses troupes pour contribuer à inverser la tendance dans le Nord-Kivu. Les premières troupes de la SADC, principalement originaires d’Afrique du Sud, sont arrivées à Goma en décembre. Alors que Kinshasa affirme que la nouvelle force aura un mandat résolument offensif, d’autres doutent qu’elle puisse faire le poids face à des adversaires bien implantés et remettent en question la viabilité financière de la force, actuellement financée à partir de budgets nationaux très restreints.

Les combats au Nord-Kivu pourraient ... aggraver les divisions entre les blocs régionaux.

Le déploiement de la SADC marque un changement de dynamique à un moment où les organisations régionales rivalisent pour se positionner dans la région des Grands Lacs. Les relations entre l’Afrique du Sud et le Rwanda sont particulièrement froides. Parallèlement, bien que le Rwanda, qui soutient le M23, n’ait pas envoyé de troupes en RDC dans le cadre du mandat désormais expiré de la CAE, il demeure un des principaux membres de ce bloc et entretient de bonnes relations avec les dirigeants kenyans. La nature de ces interactions crée une concurrence tangible entre les dirigeants d’Afrique australe pro-Kinshasa et ceux d’Afrique de l’Est, qui semblent pencher davantage en faveur de Kigali. Les combats au Nord-Kivu pourraient ainsi aggraver les divisions entre les blocs régionaux. 

Les tensions à l’est du pays ont pris une nouvelle tournure à la mi-décembre. Le 15 décembre, Corneille Nangaa, ancien président de la Ceni de 2015 à 2019, sous Kabila, a annoncé la formation de l’AFC, une alliance d’insurgés visant à renverser Tshisekedi, comme mentionné plus haut. Bien qu’elle inclue en principe une certaine diversité de groupes, l’AFC vise surtout à apporter un soutien plus large au M23. Corneille Nangaa, un proche allié de Kabila pendant la présidence de ce dernier, a été rejoint au sein de l’AFC par d’autres confidents notoires de Kabila, principalement originaires du Katanga. Les analystes et diplomates congolais et régionaux consultés par Crisis Group craignent, par conséquent, que l’entourage de Kabila, en grande partie katangais, se serve de l’AFC pour saper son successeur.

Le fait que Corneille Nangaa ait annoncé la création de l’AFC depuis un hôtel à Nairobi, capitale du Kenya, a accentué les tensions régionales. Le « processus de Nairobi », mené par le Kenya depuis 2022 pour amener les groupes armés et le gouvernement congolais à la table des négociations, est également au point mort. Les autorités kenyanes ont nié soutenir l’AFC ; Kinshasa a néanmoins rappelé son ambassadeur à Nairobi en signe de protestation. Depuis, Corneille Nangaa a rejoint le M23 dans le territoire de Rutshuru, au Nord-Kivu. 

Quelles sont les priorités immédiates de Tshisekedi et quel rôle les partenaires internationaux peuvent-ils jouer après le scrutin ? 

La liste des participants à la deuxième cérémonie d’investiture du président Félix Tshisekedi laisse entrevoir les défis auxquels son gouvernement devra faire face dans les mois à venir. Les pays d’Afrique australe, d’Afrique centrale et d’Afrique de l’Ouest étaient bien représentés. Le président kenyan, William Ruto, et le président burundais, Evariste Ndayishimiye, qui entretient des relations étroites avec Tshisekedi, se sont déplacés pour l’évènement. Cependant, d’autres dirigeants de la CAE, notamment les présidents rwandais, ougandais et la présidente tanzanienne, sont restés en retrait. La rhétorique belliqueuse de Félix Tshisekedi à l’égard du Rwanda pendant la campagne, y compris la comparaison entre Paul Kagamé et Adolf Hitler, a certainement inquiété ses voisins. Après avoir été déclaré vainqueur, le président a insisté dans ce sens, promettant de « défendre [notre] terre », notamment en renforçant les effectifs militaires et l’approvisionnement en équipements supplémentaires. Néanmoins, le ton de son discours d’investiture était moins acerbe, le président s’est abstenu de dénigrer les dirigeants étrangers et a reconnu la nécessité d’une réforme approfondie des forces armées. Il a également tenu des propos conciliants à l’égard de ses opposants politiques.

Le président devrait maintenant s’efforcer de réduire les dangereuses fractures qui traversent la politique congolaise et apaiser les tensions régionales. En premier lieu, Tshisekedi et son nouveau gouvernement doivent veiller à ce que la mauvaise gestion des élections et, le cas échéant, la fraude, fassent l’objet d’une enquête et de sanctions. Comme l’ont recommandé les autorités ecclésiastiques qui ont dirigé la mission d’observation nationale, Kinshasa devrait mettre en place une commission d’enquête indépendante pour faire la lumière sur les irrégularités et les violations de la loi pendant les élections. La Ceni ne peut pas être juge et partie. Les instances policières et juridiques doivent être associées aux investigations. Félix Tshisekedi ne semble guère enclin à soutenir une telle démarche. Pourtant, en prenant ce type de mesures, il enverrait un message fort de réconciliation à l’opposition, dans la lignée de son discours d’investiture. Il signalerait avant tout son engagement indispensable en faveur de meilleures pratiques électorales, ce qui pourrait ouvrir la voie à une organisation plus efficace des élections dans cinq ans, dont la préparation commencera bien avant l’échéance de 2028. 

Félix Tshisekedi devrait faire en sorte de ramener le débat politique au sein des institutions du pays.

Deuxièmement, Félix Tshisekedi devrait faire en sorte de ramener le débat politique au sein des institutions du pays. Dans son discours d’investiture, il a soutenu la mise en œuvre d’une disposition d’une loi de 2007 prévoyant la création d’un poste de porte-parole de l’opposition ayant rang de ministre, ce qui lui conférerait un rôle important au sein du parlement. Les tentatives antérieures de désigner un ou une porte-parole de l’opposition par ses pairs au sein de l’opposition ont échoué, les responsables politiques peinant à parvenir à un consensus dans le cadre de négociations opaques. Cependant, il serait opportun de réessayer, car cela permettrait d’inclure les candidats perdants et, surtout, les provinces dont ils sont originaires, dans le processus institutionnel de prise de décisions. Plutôt que de s’enfermer dans une impasse en refusant de reconnaître la victoire de Félix Tshisekedi, l’opposition devrait saluer cette initiative et mettre de côté ses différends pour trouver un consensus sur une personnalité susceptible de la représenter au parlement. 

Enfin, le nouveau gouvernement devrait trouver des moyens plus durables de lutter contre l’insécurité. Les diverses initiatives militaires, y compris les opérations conjointes avec les pays voisins et d’autres partenaires étrangers, l’introduction d’un « état de siège » (proche de la loi martiale) dans le Nord-Kivu et l’Ituri, ainsi que le recrutement de nouveaux auxiliaires de l’armée issus de groupes armés pro-Kinshasa, n’ont pas donné de résultats probants. 

Kinshasa a toujours refusé d’engager des négociations avec le M23, pourtant solidement installé et soutenu par l’étranger. Cette position est compréhensible étant donné que les rebelles continuent d’avancer, exposant les faiblesses de l’armée. Mais les deux parties devraient se replier. Les combats engendrent d’immenses souffrances humaines. Kinshasa ne parvient pas à remporter de victoire militaire significative. Le M23 ne peut pas atteindre les objectifs politiques qu’il s’est fixés dans cette impasse. Si elle n’agit pas avec prudence, la force d’Afrique australe, qui a peu de chances de progresser davantage sur le terrain que la force de la CAE, risque d’aggraver les tensions et de nuire aux efforts diplomatiques déjà paralysés. Les dirigeants de l’Afrique australe devraient préciser d’emblée que la force vise à stabiliser la situation et à faciliter la diplomatie. Ils devraient également tempérer toute attente de Kinshasa et rappeler que la force n’est pas un remède miracle qui permettra de résoudre tous ses problèmes dans l’est du pays.

[Tshisekedi] aurait intérêt à chercher à rétablir les relations avec ses homologues d’Afrique de l’Est.

Pour parvenir à un cessez-le-feu indispensable, qui pourrait ouvrir la voie à un nouveau pacte de stabilité régionale, les acteurs africains et internationaux influents dans la région devraient faire pression sur les deux parties. Les États-Unis qui, parmi les partenaires occidentaux, ont maintenu la plus grande distance critique vis-à-vis de Kigali et qui conservent une bonne influence dans les deux capitales, sont bien placés et semblent avoir compris la nécessité de travailler en étroite collaboration avec les puissances africaines. Ensemble, ils devraient convaincre Félix Tshisekedi qu’au lieu de mobiliser davantage de ressources sur le champ de bataille, il aurait intérêt à chercher à rétablir les relations avec ses homologues d’Afrique de l’Est, en commençant par les dirigeants kenyans, et à adopter un ton moins agressif envers le Rwanda. La présence du président kenyan William Ruto lors de l’investiture de Félix Tshisekedi pourrait être un premier signe encourageant. Le Kenya a des intérêts majeurs dans la région des Grands Lacs et doit éviter de provoquer Kinshasa, en particulier après la création de l’AFC dans des circonstances regrettables. De même, les partenaires internationaux pourraient conseiller à Tshisekedi d’éviter de dresser les organisations régionales les unes contre les autres, afin d’éviter de se retrouver isolé si le déploiement de l'Afrique australe devenait une nouvelle pomme de discorde.

Enfin, Félix Tshisekedi devrait commencer à envisager l’avenir des groupes armés et des auxiliaires de défense qui combattent actuellement aux côtés de l’armée nationale. Payer, armer et légitimer ces groupes armés prédateurs présente des risques évidents à moyen terme, et les partenaires de Tshisekedi doivent le persuader de la nécessité de réduire leur implication. 

De même, les acteurs internationaux devraient faire pression sur Kigali. Le Rwanda devrait retirer ses troupes du Nord-Kivu et cesser de soutenir le M23. Les dirigeants Rwandais devraient également esquisser, en privé si nécessaire, les paramètres d'un nouveau pacte de stabilité régionale qui serait acceptable pour Kigali, tout en permettant au gouvernement de la RDC de contrôler son territoire. 

Contributors

Project Director, Great Lakes (Interim)
Analyst, Democratic Republic of Congo and Burundi
SEMATUMBA

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