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Reconstruire le Libéria: Risques et Perspectives

Pays effondré, le Libéria est devenu dans les faits un protectorat des Nations Unies. L’entame de sa reconstruction politique et économique va dépendre du rythme auquel se répandra la sécurité à travers le pays.

Synthèse

Pays effondré, le Libéria est devenu dans les faits un protectorat des Nations Unies. L’entame de sa reconstruction politique et économique va dépendre du rythme auquel se répandra la sécurité à travers le pays. Les querelles entre leaders des groupes armés pour l’appropriation des postes ont quasiment paralysé le gouvernement transitoire. Ces seigneurs de la guerre ont tenté de bloquer le désarmement jusqu’à ce qu’ils aient obtenu plus de postes, mettant ainsi à mal le processus de paix dans son ensemble. Le cynisme et l’avidité affichés par les combattants et les leaders politiques du même acabit ont refroidi la confiance internationale alors que se tient la conférence des bailleurs les 5 et 6 février 2004.

Le rôle à jouer par la Mission des Nations Unies au Libéria (MINUL) dans le rétablissement de la paix soulève également quelques questions. Nombreux sont ceux qui estiment que fort d’un mandat «Chapitre 7», de 15000 soldats et de 1115 policiers civils, la mission ne peut pas échouer. Mais les problèmes de coordination interne et de gestion ont alimenté l’insécurité, ne serait-ce que dans le court terme. «La lune de miel des Nations Unies au Libéria est terminée» confessait fin 2003 à ICG un haut gradé de la MINUL, après les débuts calamiteux du processus de désarmement le 7 décembre.

Démarrer ce processus aussi tôt était une dangereuse erreur de calcul: la MINUL n’était pas prête et n’avait pas assez de soldats sur le terrain; et la coordination entre les agences onusiennes mauvaise. L’absence de mise en place des mécanismes adéquats a conduit à des jours de chaos pendant lesquels neuf personnes (suspectées d’appartenir à de groupes armés) ont trouvé la mort et un soldat de la paix a été blessé. Des accrochages ont eu lieu entre les forces de la MINUL et les combattants loyalistes à l’ancien gouvernement (désormais officiellement reconnus comme formant l’une des trois factions armées) ainsi qu’à l’ex-président Charles Taylor. Si bien que le désarmement a été rééchelonné pour la fin février 2004, prévoyant plus de soldats de maintien de la paix et une coordination améliorée.

Les Libériens ont encore grand espoir que la MINUL aidera à établir une paix durable mais cela implique qu’elle ne commette plus d’erreurs coûteuses. Nul besoin de rappeler que l’échec du processus de paix engagé dans les années 90 est en partie dû à un piètre désarmement. Un nouvel échec serait lourd de conséquences dans une région aussi instable que l’Afrique de l’Ouest mais également pour les prochaines opérations de maintien de la paix ailleurs dans le monde. Il y a des indications inquiétantes selon lesquelles les dirigeants des Libériens Unis pour la Réconciliation et la Démocratie (LURD) et du Mouvement pour la Démocratie au Libéria (MODEL), les deux principaux ex-mouvements rebelles opposés au gouvernement de Charles Taylor, essayent de maintenir intact leurs forces de frappe, dans l’éventualité où leurs sponsors régionaux, respectivement la Guinée et la Côte d’Ivoire, les sollicitent pour mater quelque dissidence interne et prendre part dans leurs propres guerres.

Les principaux saboteurs sont ces politiciens de mèche avec les groupes armés. Les combattants sont souvent mieux disposés à l’égard de la paix que ne le sont leurs gourous politiques dont pas un n’a de vision politique à même de gouverner le Libéria. Au bout de cinq mois de processus de paix, il est devenu clair que certains politiciens sont prêts à mettre en péril la paix pour le gain d’un poste. Les deux ans de transition menés par les Nations Unies sont perçus comme une période où tout ce qu’il est possible de rafler à un état en faillite en vaut la peine. Les dissensions au sein du LURD peuvent également nuire à la bonne marche du processus de paix. La MINUL doit proposer des voies de réintégration suffisamment solides pour que les combattants se dégagent de l’escarcelle des politiciens, laissant ainsi ces derniers vulnérables et incapables de compromettre la paix. Autrement, ne pas savoir répondre aux attentes des combattants minerait les efforts de la MINUL et laisserait intacte la chaîne de commandement reliant les combattants aux chefs de faction.

La MINUL doit faire davantage pour permettre aux locaux de se réapproprier le pouvoir. Jusqu’à maintenant, elle a rechigné à déléguer aux Libériens des responsabilités et un pouvoir significatifs. Certes non sans raison car, d’une manière générale, elle n’a pas vraiment eu le choix. Pour appliquer les accords de paix, il est en effet difficile de faire confiance aux personnages avides, délictueux et criminels qui constituent ce mélange peu recommandable dont est pourvu le Gouvernement National Transitoire du Libéria (GNTL). L’action de son président, Gyude Bryant, est empêchée par le comportement sans scrupule des politiciens appuyés par les groupes armés.

Toujours est-il que les Libériens devront s’approprier et prendre la responsabilité du processus si les efforts de la MINUL portent leurs fruits. Il s’agit dès lors d’impliquer davantage et de conférer un rôle plus important aux chefs religieux, politiques ainsi qu’à ce qu’il reste de militants au mince tissu associatif de la société civile. Simultanément, la MINUL devrait être plus adroite et discrète dans son incitation aux Libériens, en particulier les anciennes factions combattantes, à concourir aux efforts de paix. Gagner la confiance des Libériens et en fin de compte la paix ne tient pas seulement à la fermeté des mots et à l’usage de la force, mais aussi à une diplomatie sereine.

Même si le Représentant Spécial du Secrétaire Général des Nations Unies, Jacques Klein, et son équipe réussissent à engager un processus de désarmement viable et à ramener la sécurité à l’horizon des élections d’octobre 2005, la communauté internationale aurait tord de penser son travail achevé. En cela la conférence des donateurs est l’occasion d’offrir un véritable soutien international en faveur de plus de sécurité pas seulement au Libéria, mais aussi chez ses voisins. Klein évalue à pas moins de 200 millions de dollars les seuls besoins du Libéria en terme de reconstruction de l’infrastructure de base. Le rapport de l’évaluation menée par les Nations Unies en concertation avec le GNTL, la Banque Mondiale et d’autres chiffre à 500 millions de dollars le coût de la reconstruction jusqu’en décembre 2005. Les bailleurs doivent prendre acte que la reconstruction du Libéria requiert un engagement à long terme et une polarisation sur les questions difficiles. Parmi les premières tâches à entreprendre: assurer la sécurité sur le terrain; mettre en place un nouveau gouvernement et étendre son autorité à tout le territoire; y faire régner l’état de droit; et poursuivre l’aide humanitaire. Mais il est également important de remettre sur pied rapidement les infrastructures économiques et sociales délabrées afin de permettre le retour à la productivité au sein d’une société d’ex-combattants, de réfugiés et déplacés.

En marge de l’expertise technique nécessaire à la réforme de l’armée et de la police ainsi qu’à la restauration de l’infrastructure, les questions d’ordre politique et constitutionnel attrayant aux pouvoirs de la présidence doivent être traitées. Il faut veiller à extirper le pouvoir des mains de la clique politique de Monrovia. L’administration civile mérite d’être très largement améliorée en vue d’une meilleure gouvernance et d’une gestion plus saine des recettes fiscales et des dépenses afin d’empêcher la corruption de persister. Reconstruire le Libéria de l’intérieur et garantir à ses communautés brisées qu’elles ont tout à y gagner en souscrivant au développement, contribuera à améliorer leurs vies. Les bailleurs de fonds doivent savoir que le maintien de la paix dans la région Ouest africaine est le corollaire d’un Libéria stabilisé et bien gouverné.

Freetown/Bruxelles, le 30 janvier 2004

Executive Summary

Liberia is a collapsed state that has become in effect a UN protectorate. Whether its political and economic reconstruction can begin depends on how quickly security spreads throughout the country. Squabbles over jobs by leaders of the armed factions have caused near-paralysis in the transitional government. Faction leaders tried to block disarmament until they received more jobs, boding ill for the peace process. The display of cynicism and greed by fighters and political leaders alike has undermined international confidence ahead of the donors’ conference that meets in New York, 5-6 February 2004.

There is also concern about the role the United Nations Mission in Liberia (UNMIL) can play in restoring peace. While many hold that with a Chapter Seven mandate, 15,000 troops and 1,115 civilian police it can hardly fail, internal coordination and management problems have contributed to insecurity at least in the short term. “The honeymoon is over for the UN in Liberia”, a senior UNMIL official told ICG in late 2003 after the fiasco surrounding the start of disarmament on 7 December.

The decision to start that process so early was a dangerous miscalculation. UNMIL was not ready. It did not have enough troops on the ground, and coordination with UN agencies was poor. Failure to have all appropriate mechanisms in place led to days of chaos, the deaths of nine people (suspected members of armed factions) and the wounding of one peacekeeper. Fighters loyal to the former government (now officially one of three armed factions) and its ex-president, Charles Taylor, clashed with UNMIL peacekeepers. Disarmament is rescheduled to start in late February 2004, with more peacekeepers deployed and improved coordination.

Liberians still have high hopes that UNMIL will help to provide sustained peace but it will need to ensure that it does not continue to make costly mistakes. It needs no reminding that peace processes in the 1990s failed partly because of poor disarmament. Another failure would have grave consequences for an already troubled West African region as well as for future peacekeeping operations elsewhere. There are worrying signs that the leadership of the two main factions formerly opposed to Charles Taylor’s government, Liberians United for Reconciliation and Democracy (LURD) and the Movement for Democracy in Liberia (MODEL), are trying to keep their fighting forces intact – not least in case their regional sponsors, Guinea and Côte d’Ivoire respectively, need them to tackle internal dissent and participate in wars of their own.

The main spoilers are politicians associated with armed factions. Often, fighters appear more committed to peace than their political masters. No faction leader has any political vision for governing Liberia. It has become evident, five months into the peace process, that some politicians are prepared to jeopardise peace for the sake of jobs. The two years of UN-led transition are seen as a moment to grab whatever is worth having of a bankrupt state. Internal divisions, particularly within LURD, also may disrupt the peace process. UNMIL needs to use a solid reintegration package to peel the fighters away from the politicians, leaving the spoilers vulnerable and unable to threaten the peace. On the other hand, failure to deal with fighters’ expectations would undermine UNMIL efforts, leaving the chain of command between fighters and faction leaders in place.

UNMIL must also work harder at achieving local ownership. So far, it has been unwilling to devolve significant power or responsibility to Liberians. To a large extent, however, it has had little choice. The National Transitional Government of Liberia (NTGL), which includes among others an unsavoury mixture of greedy, malicious and murderous characters, cannot be trusted to implement the peace accords. Its civilian chairman, Gyude Bryant, is hamstrung by the unscrupulous behaviour of politicians supported by the armed factions.

Nevertheless, Liberians will need to own and take responsibility for the process if UNMIL’s efforts are to bear fruit. Religious leaders, political leaders, and the remaining small band of civil society activists must be brought on board to play a greater role. At the same time UNMIL should be more subtle and discreet in getting Liberians, in particular the former warring factions, to pursue peace. Gaining the confidence of Liberians and ultimately winning the peace, depends not only on tough words and strong arm tactics, but also quiet diplomacy.

Even if the Special Representative of the UN Secretary General, Jacques Paul Klein, and his team can deliver a more sustainable disarmament process and security ahead of elections in October 2005, the international community cannot realistically assume that its job has been done. The donors conference is the moment to offer concrete international support that can mean security not only in Liberia but for neighbouring countries as well. Klein estimates that Liberia needs at least U.S.$200 million to repair basic infrastructure alone. The UN-led assessment of need defined in conjunction with the NTGL, World Bank and others has a U.S.$500 million price tag through December 2005. Donors must register the fact that Liberia’s reconstruction requires serious long-term commitments and a focus on hard issues. The immediate tasks involve ensuring security on the ground; putting in place a new government, extending its authority throughout the country, and establishing the rule of law; and continued humanitarian aid. But an early start is also required at rebuilding a devastated social and economic infrastructure to provide opportunities for successful return to productive society of ex-combatants, refugees and IDPs.

Along with technical work to reform the army and police and rebuild infrastructure, political and constitutional issues relating to the powers of the presidency must be addressed. Attention needs to be given to prising power from the hands of a political clique in Monrovia. A vastly improved civil administration is essential to promote better governance and proper management of revenue collection and expenditure and to avoid persistent corruption. Rebuilding Liberia’s interior and ensuring that its shattered communities have a major stake in development will be essential to improve lives. Donors must be cognizant of the fact that a stable and well governed Liberia is essential to a secure peace in the West African region.

Freetown/Brussels, 30 January 2004

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