Les élections seront-elles l’étincelle qui mettra le feu au Burundi ?
Les élections seront-elles l’étincelle qui mettra le feu au Burundi ?
Op-Ed / Africa 3 minutes

Les élections seront-elles l’étincelle qui mettra le feu au Burundi ?

Tous les éléments d’une confrontation violente sont en place en Burundi. En observant les derniers développements, il semble que les éléments qui ont conduit par le passé à des massacres et à une longue guerre civile au début des années 1990 se remettent en place.

Malgré l’échec de la tentative de putsch du 13 mai, la mobilisation contre le troisième mandat du président sortant Pierre Nkurunziza n’a pas faibli. Face à de fortes répressions envers l’opposition et les médias, la confrontation entre le pouvoir et ceux qui se rallient sous la bannière du mouvement « Halte au troisième mandat » s’intensifie et plus de 90 000 Burundais ont fui le pays.

Le 4 juin, le gouvernement burundais a heureusement décidé de reporter les élections municipales et législatives prévues le 5 juin, et le scrutin présidentiel prévu le 26 juin. La communauté internationale – et surtout les chefs d’Etat de la Communauté d’Afrique de l’Est (EAC) dimanche dernier – ont fait le nécessaire pour inciter le président à abandonner son intention de maintenir les élections dans ce climat de conflit.

Afin d’éviter une amplification de cette spirale de violence attisée par des assassinats politiques, une suppression des libertés et un discours ethniciste croissant, les pays partenaires du Burundi doivent faire de même pour assurer qu’aucun scrutin ne devrait avoir lieu avant que le gouvernement ne libère les manifestants emprisonnés, restaure la liberté d’expression et d’information, concède à l’opposition le droit de se réunir, et autorise la mise en place d’une mission d’observation des droits de l’homme de l’Union africaine.

Pour le moment, la situation sur le terrain est bien différente. La semaine après la tentative de putsch du 13 mai a été marquée par la radicalisation du pouvoir et des tentatives d’arrestation de journalistes et politiciens. Les principaux chefs de file de l’opposition et de la société civile sont aujourd’hui soit à l’étranger, soit dans la clandestinité. L’assassinat du dirigeant d’un petit parti d’opposition le 23 mai, Zedi Feruzi, a marqué un nouveau seuil dans la répression et temporairement interrompu le dialogue fragile entre les représentants du gouvernement et de l’opposition établi par l’envoyé spécial des Nations Unies (ONU).

Une vague de répression est également dirigée contre la vieille garde dans les services de sécurité. Plusieurs officiers tutsis seraient visés par des enquêtes, certains cadres des services de sécurité sont en fuite et le ministre de la Défense a lancé un appel à la cohésion de l’armée qui révèle l’ampleur des divisions actuelles.

Du fait de la suspension des dernières contributions financières des bailleurs suisse, belge et hollandais au processus électoral, le président a décidé de mettre à contribution les budgets des ministères et de faire appel à la générosité des Burundais. Seuls le Conseil national pour la défense de la démocratie - Force de défense de la démocratie (CNDD-FDD) et les formations politiques qui en sont proches peuvent faire campagne – les opposants étant intimidés par les jeunes Imbonerakures du parti au pouvoir et les services de sécurité. A ce titre, l’Eglise catholique s’est retirée des commissions électorales et l’Union européenne (UE) a mis fin à sa mission d’observation électorale.

La montée de la tension s’accompagne de discours ethnicistes inquiétants, qui présentent le mouvement « Halte au troisième mandat » comme une cabale orchestrée par les Tutsi. Ce type de discours risque d’attiser les antagonismes ethniques du passé que l’accord d’Arusha avait permis d’apaiser.

La situation s’envenime et la communauté internationale a déjà perdu trop de temps. Elle doit aider le pays à rétablir un climat politique et sécuritaire qui rende possible des scrutins pluralistes et libres. Un changement du calendrier électoral sans amélioration du climat politique et sécuritaire ne résoudrait rien et serait juste une concession cosmétique du pouvoir.

Il est également essentiel que le gouvernement burundais accepte le déploiement des observateurs des droits de l’homme de l’Union africaine et l’usage proportionné de la force par les services de sécurité. Parallèlement, les agences de l’ONU et les humanitaires devraient lancer une opération humanitaire afin d’endiguer l’épidémie de choléra qui sévit au sud du pays et dans l’ouest de la Tanzanie.

Pour maintenir la pression sur le président Nkurunziza, les donateurs du Burundi devraient suivre l’exemple belge et réorienter leur aide vers la société civile et les réfugiés burundais. Ils devraient également, et l’UE en particulier, suspendre toute aide budgétaire au gouvernement si celui-ci ne respecte pas les droits de l’homme et les libertés fondamentales.

Sur le plan judiciaire, le procureur de la Cour pénale internationale (CPI) devrait ouvrir une enquête sur les violences commises depuis le début des manifestations, ainsi que sur certains médias et discours d’hommes politiques susceptibles d’inciter à la haine.

Le temps presse. Il faut agir au plus vite pour empêcher aux dix dernières années de paix de devenir un interlude entre deux guerres.


 

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